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25/05/2023 | FRANCE | N°21/05148

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 5, 25 mai 2023, 21/05148


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5



ARRET DU 25 MAI 2023



(n°2023/ , 2 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/05148 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CD2F3



Décision déférée à la Cour : Jugement du 18 Mai 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de PARIS - RG n° F 18/04396





APPELANT



Monsieur [D] [O]

[Adresse 2]

[L

ocalité 3]



Représenté par Me Norbert GOUTMANN, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, toque : PC 2



INTIMEE



Association KAJYN

[Adresse 1]

[Localité 5]



Représentée par Me Marion CHAR...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5

ARRET DU 25 MAI 2023

(n°2023/ , 2 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/05148 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CD2F3

Décision déférée à la Cour : Jugement du 18 Mai 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de PARIS - RG n° F 18/04396

APPELANT

Monsieur [D] [O]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représenté par Me Norbert GOUTMANN, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, toque : PC 2

INTIMEE

Association KAJYN

[Adresse 1]

[Localité 5]

Représentée par Me Marion CHARBONNIER, avocat au barreau de PARIS, toque : D0947

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 10 février 2023, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Marie-José BOU, présidente de chambre chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Marie-José BOU, Présidente de chambre, Présidente de formation,

Madame Catherine BRUNET, Présidente de chambre,

Madame Séverine MOUSSY, Conseillère

Greffier : Madame Marie-Charlotte BERH, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, initialement prévue le 6 avril 2023 et prorogé au 25 mai 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Madame Marie-José BOU, Présidente et par Madame Philippine QUIL, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

L'association Kajyn, ci-après l'association, est une association à but non lucratif ayant pour objet 'l'enseignement des arts martiaux, des danses et des sports de combat, la pratique de toutes activités propres à développer la santé physique et morale des jeunes et des adultes, la promotion de l'excellence sportive et de l'esprit de compétition'.

M. [D] [O] et l'association collaborent depuis le 21 juillet 1997, M. [O] enseignant la capoeira au sein de l'association.

Les parties ont conclu le 23 septembre 2001 un contrat de travail à durée indéterminée intermittent à temps partiel prévoyant l'emploi de M. [O] en qualité de professeur de capoeira moyennant une rémunération à hauteur de '40 % des cotisations des adhérents de sa section CP inclus pour 10% de la rémunération sur une fiche de salaire'.

M. [O] a été entendu par les services de l'inspection du travail le 12 avril 2016.

Par lettre du 23 juin 2016, l'association l'a convoqué à un entretien préalable fixé au 8 juillet suivant avec mise à pied à titre conservatoire puis, par courrier du 23 juillet 2016, l'a licencié pour faute grave.

Contestant son licenciement et réclamant une indemnité pour travail dissimulé, M. [O] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris qui, par jugement du 18 mai 2021 auquel la cour renvoie pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, a :

- débouté M. [O] de ses demandes ;

- laissé les frais non remboursables à la charge de chacune des parties qui les a exposés ;

- condamné M. [O] aux dépens.

Suivant déclaration du 9 juin 2021, M. [O] a relevé appel de ce jugement.

Par conclusions transmises par le réseau privé virtuel des avocats (RPVA) le 1er avril 2022 auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des moyens et prétentions en application de l'article 455 du code de procédure civile, M. [O] demande à la cour de :

- recevoir M. [O] en son argumentation ;

- l'y dire bien fondé ;

- dire le licenciement pour faute grave dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

- dire son activité 'dissimulée' ;

en conséquence,

- infirmer le jugement entrepris ;

- et condamner l'association à verser à M. [O] les montants suivants :

* 4 800 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive,

* 800 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

* 80 euros au titre de l'indemnité afférente au préavis (10%),

* 2 000 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement,

* 400 euros à titre de rappel sur mise à pied,

* 400 euros au titre de l'indemnité de congés payés,

* 2 400 euros au titre de l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé ;

avec intérêts au taux légal

- remise des documents sociaux conformes sous astreinte de 100 euros par jour de retard et par document ;

- condamner l'association à régler à M. [O] une somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la 'défenderesse' aux entiers dépens.

Par conclusions transmises par le RPVA le 26 octobre 2021 auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des moyens et prétentions en application de l'article 455 du code de procédure civile, l'association demande à la cour de :

- déclarer M. [O] recevable mais mal fondé en son appel, l'en débouter ;

- réformer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré M. [O] recevable en ses demandes ;

statuant à nouveau,

- déclarer les demandes de M. [O] irrecevables ;

pour le surplus, et à titre subsidiaire,

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [O] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;

- condamner M. [O] à payer à l'association la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- le condamner aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 11 janvier 2023.

MOTIFS DE LA DECISION

La lettre de licenciement du 23 juillet 2016 est ainsi rédigée :

' [...] La présente fait suite à l'entretien du 8 juillet 2016, au cours duquel vous étiez assisté de Monsieur [M], adhérent non-salarié du Kajyn, dont j'ai exceptionnellement accepté la présence bien que cette situation traduise une fois encore une transgression de mes instructions puisque la lettre de convocation à l'entretien préalable mentionnait bien la qualité de votre éventuel conseiller.

Je suis au regret de devoir vous notifier votre licenciement pour faute grave, sans préavis, ni indemnité, et ce pour les motifs exposés lors de l'entretien précité.

Vous avez, consécutivement à l'avertissement que je vous ai notifié par mail le 21 juin 2016, adopté un comportement intolérable alors que, déjà, l'avertissement que je vous avais notifié faisait suite à votre irruption dans mon bureau le 20 juin 2016, accompagnée de cris, d'insultes et de menaces à l'encontre de Monsieur [Y], présent avec moi, alors que rien ne justifiait cette attitude, d'ailleurs incompatible avec les valeurs que nous souhaitons inculquer à nos adhérents.

En effet, non seulement vous avez contesté l'avertissement mais vous avez également indiqué que vous n'en feriez qu'à votre tête et que vous ne respecteriez en rien les horaires de travail, en ajoutant d'ailleurs quelques insultes inacceptables de la part d'un professeur du Kajyn. Je vous cite en effet :

« Je parle comme je veux quand je veux et à qui je veux.

Si ça te pose un problème il fallait me le dire hier, au lieu de te planquer comme une fiotte derrière ton ordinateur, comme d'habitude j'ai envie de dire.

Et il me semble que [W] est un grand garçon, il peut se défendre tout seul.

Concernant ton avertissement « officiel », je te dirais bien de le prendre, de le rouler et de le mettre dans ton cul bien au fond avec les autres, mais je suis un garçon poli et je n'en ferai rien, tout comme je ne prendrai pas la peine de préciser que ton CA et ton avocat je leur pisse à la raie, ce serait encore mal interprété'.

Je n'ai pas à te justifier mes absences, je gère ma section comme je l'entends.

Nous règlerons tout ça lundi lors de ta réunion de propagande.

Cordialement »

En outre, et bien que faisant l'objet d'une mise à pied conservatoire, vous nous avez contraints à devoir vous rappeler ses conséquences par mail du 28 juin 2016.

Je ne m'attarderai pas sur les propos que vous avez écrits ultérieurement à l'encontre de l'association et de la tentative tout à fait déplacée de faire passer son équipe dirigeante pour des personnes malhonnêtes, alors que, malgré les attaques et la multiplication de démarches qui n'ont pour but que de détruire notre association, nous nous battons avec tout notre coeur depuis des années pour sa survie et sa pérennité.

Je passe également sur votre lettre de démission postée le 27 juin 2016, puisque vous avez indiqué lors de l'entretien que vous entendiez saisir le conseil des prud'hommes et nous avez expédié votre lettre de rétractation le 7 juillet 2016.

Quoiqu'il en soit, lors de l'entretien préalable, vous avez à nouveau tenu des propos tout à fait déplacés puisque vous avez tenté de justifier votre comportement en précisant deux points :

- Le premier porte sur les soi-disant pressions que Monsieur [Y] aurait exercé sur votre épouse alors que celle-ci a souhaité intervenir au sein du Kajyn en qualité d'auto-entrepreneur depuis le début de l'année, de sa seule volonté, contrairement à ce que vous tentez de vouloir faire croire, et que ces interventions supposaient le respect d'un certain nombre de règles que Monsieur [Y] entendait voir respectées. Il ne s'agissait nullement d'établir de fausses déclarations comme vous l'affirmez mais simplement du respect des textes, et votre « colère », puisque c'est le terme que vous avez utilisé, était sans doute justifié par votre propre gestion des fonds reçus.

- Le second point, de particulière mauvaise foi, consistait à prétendre que vous n'aviez jamais eu de comportement violent pendant votre carrière, ce qui est faux puisque vous aviez déjà été l'objet d'une démarche de ma part en 2014 pour des faits similaires, et d'ajouter qu'entre pratiquant d'arts martiaux, le seuil de tolérance devait être plus élevé qu'ailleurs.

Sur ce dernier aspect, qui n'atténue en rien la gravité de votre comportement puisque ce sont vos propos écrits et votre mail insultant du 21 juin 2016, qui justifient votre licenciement, je vous préciserai deux choses :

1. Pour ma part je ne pratique, et vous le savez, aucun art martial,

2. Par ailleurs, et ainsi qu'un de vos collègues vous l'a rappelé lors de la réunion du lundi 27 juin 2016, la pratique d'un sport de combat suppose, avant toute chose, maîtrise et respect des autres.

Votre comportement du 20 juin 2016, et votre mail du 21 juin 2016, sont tout aussi indignes l'un que l'autre de ce que doit être, justement, un professeur d'arts martiaux, d'autant que, s'agissant plus particulièrement des insultes et des menaces sur la personne de Monsieur [Y], vous n'ignoriez pas que celui-ci se bat depuis plusieurs mois contre un cancer et que son état de santé et de faiblesse étaient largement avérés : il ne pouvait donc « se défendre tout seul ».

Nous ne délivrons pas un tel enseignement pour que nos adhérents aillent insulter des gens et menacer de se battre à la première occasion, ni pour les faire profiter d'un avantage sur les personnes plus faibles. Bien au contraire, nous leur donnons toutes les clefs pour justement ne pas se comporter ainsi et préférer le sourire à la haine.

Quoiqu'il en soit, les arguments que vous avez mis en avant ne nous ont absolument pas convaincu d'une quelconque bonne foi et ne justifient en rien votre attitude, pas plus qu'ils ne laissent entrevoir la moindre perspective de normalisation, d'autant qu'au-delà de vos insultes à mon égard vous avez insulté gravement notre conseil d'administration.

Ces éléments constituent à nos yeux une faute d'une gravité exceptionnelle.

Je suis donc contraint de poursuivre la procédure engagée et de procéder à la rupture immédiate de votre contrat de travail. La date d'envoi de la présente fixera la date de rupture de votre contrat de travail. Nous vous adresserons par pli séparé les documents de fin de contrat (attestation Pôle Emploi, dernier bulletin de salaire, solde de tous comptes et certificat de travail) [...]'

Sur l'irrecevabilité soulevée par l'association

Aux termes de l'article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

Une fin de non-recevoir concerne le défaut de droit d'agir en justice, non le fond du litige.

Si l'association conclut à l'irrecevabilité des demandes, les moyens qu'elle invoque consistent en des moyens de nullité portant sur le procès-verbal de l'inspection du travail et en des moyens relatifs au fond du litige visant à contester l'existence d'un contrat de travail. L'association sera donc déboutée de sa prétention tendant à juger irrecevables les demandes de M. [O].

Sur l'existence d'un contrat de travail

M. [O] estime que la contestation d'un lien de subordination par l'association ne saurait être sérieusement soutenue dès lors qu'un tel lien suppose un pouvoir de sanction et que l'association l'a licencié pour faute grave.

L'association conclut à l'absence de lien de subordination de M. [O] vis-à-vis d'elle. Elle fait valoir que l'existence d'un lien de subordination des professeurs à son égard a été écartée par le contrôle URSSAF réalisé à l'initiative de certains d'entre eux, le contrôle fiscal qu'ils ont déclenché, la décision du procureur de la République qui a classé la procédure diligentée contre elle et un arrêt de la cour d'appel de Paris rendu le 3 mars 2021 concernant un autre professeur. Elle se prévaut de la nullité du procès-verbal dressé par l'inspection du travail pour manquement à ses devoirs de neutralité et d'impartialité ainsi que pour violation de l'article L. 8113-7 du code du travail, faute de transmission de son procès-verbal à l'association. Elle relève en particulier :

- le contexte associatif sportif qui exclut selon elle le lien de subordination ;

- la libre gestion par M. [O] de ses cours ;

- l'organisation et la gestion par lui seul de ses participations à des événements ;

- le fait que M. [O] donnait également des cours dans le cadre de son association ABC.

Il résulte des articles L.1221-1 et suivants du code du travail que le contrat de travail suppose un engagement à travailler pour le compte et sous la subordination d'autrui moyennant rémunération.

Le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.

Peut constituer un indice de subordination le travail au sein d'un service organisé lorsque l'employeur en détermine unilatéralement les conditions d'exécution.

L'existence d'une relation de travail salarié ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont donnée à la convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité professionnelle.

En présence d'un contrat de travail apparent, il appartient à celui qui invoque son caractère fictif d'en rapporter la preuve.

En l'espèce, M. [O] verse aux débats :

- le contrat de travail à durée indéterminée intermittent à temps partiel signé par les parties le 23 septembre 2001 portant sur un emploi de professeur de capoeira ;

- les bulletins de paie d'août 2013, août 2014 et août 2015 délivrés par l'association à M. [O] le désignant comme occupant un emploi de professeur de capoeira ;

- la lettre de convocation à un entretien préalable à un éventuel licenciement pour faute grave envoyée par l'association le 23 juin 2016 à M. [O] ;

- la lettre du 23 juillet 2016 lui notifiant son licenciement pour faute grave ;

- l'attestation d'employeur destinée à Pôle emploi et le certificat de travail établis le 23 juillet 2016 par l'association en faveur de M. [O].

Ces éléments justifient de l'existence d'un contrat de travail apparent et il incombe dès lors à l'association de prouver son caractère fictif.

L'association ne discute pas les deux premiers éléments caractéristiques du contrat de travail, soit l'exercice d'une activité professionnelle par M. [O] pour son compte consistant dans l'enseignement de la capoeira et la rémunération perçue par lui à ce titre. En revanche, elle conteste l'existence d'un lien de subordination avec ce dernier.

L'association se prévaut d'abord du fait que plusieurs autorités et instances auraient admis cette absence de lien de subordination, se prévalant :

- d'une lettre de l'URSSAF en date du 28 novembre 2018 : la cour note que l'URSSAF a simplement indiqué que M. [B] et Mme [U] exerçaient leur profession sans lien de subordination et qu'elle a par ailleurs considéré que d'autres professeurs étaient bien des salariés de l'association de sorte que l'intimée invoque à tort que l'URSSAF aurait reconnu l'absence de lien de subordination vis-à-vis des professeurs dans leur ensemble, la cour observant en outre qu'elle n'est pas liée par la décision de l'URSSAF ;

- d'une lettre relative au contrôle fiscal dont elle a fait l'objet : cette lettre (pièce n°14), qui n'émane pas de l'administration fiscale mais du conseil de l'association, est en tout état de cause inopérante, la remise en cause du caractère non lucratif de l'association finalement abandonnée par cette administration étant indifférente au regard de l'objet du litige ;

- de la décision de classement sans suite notifiée au conseil de l'appelant le 5 octobre 2020 dans l'affaire Kajyn pour travail dissimulé faisant suite à la notification d'un rappel à la loi: ces éléments sont sans effet au titre du présent litige, un classement sans suite et un rappel à la loi étant dépourvus de toute autorité de la chose jugée au pénal sur le civil ;

- l'arrêt rendu le 3 mars 2021 par la cour d'appel de Paris dans un litige opposant un autre professeur à l'association, cet arrêt ayant confirmé le jugement qui a débouté ce professeur de sa demande de requalification de la relation de travail en contrat à durée indéterminée : la cour observe d'une part que cette décision, qui ne concerne pas M. [O], est dénuée d'autorité de la chose jugée au regard du présent litige, d'autre part que la situation n'est pas la même puisque dans cette affaire relative à cet autre professeur, la cour n'a pas retenu l'existence d'un contrat de travail apparent mais a fait application de la présomption prévue à l'article L. 8221-6 du code du travail.

L'association invoque ensuite que le contexte associatif sportif exclut le lien de subordination. Cependant, cette affirmation à caractère général est inopérante, une association sportive pouvant salarier des professeurs.

L'association évoque enfin les conditions de fait dans lesquelles était exercée l'activité de M. [O] et prétend qu'elle se contentait de mettre à la disposition des professeurs un espace de pratique et des créneaux horaires mais que rien ne leur était imposé, se prévalant:

- d'un échange de courriels avec M. [O] d'avril/mai 2010 aux termes duquel elle lui indique avoir appris qu'il organise des réunions le samedi avec ses élèves après son cours, lui demande d'être informée des objectifs, sujets abordés, participants et intervenants lors de ces réunions, précisant que si elle évite d'intervenir dans les cours, elle apprécie de savoir ce qui s'y passe et, en dehors des cours, est concernée par ce qui se déroule au sein de l'association, M. [O] répondant qu'il s'agit de se réunir une ou deux fois en vue de l'organisation d'un festival annuel fin juin avec d'anciens élèves pour lequel il fait venir différents intervenants et concluant ainsi 'Sinon d'ordinaire je dis ce que j'ai à dire à mes élèves à la fin du cours de manière spontanée, tu n'as qu'à venir t'entraîner avec nous comme ça tu sauras tout sur tout' ;

- d'un échange de courriels avec M. [O] fin juin 2010 dans lequel le dirigeant de l'association propose de fixer les tarifs pour les différentes sections de la capoeira à des montants précisément définis et M. [O] indique qu'il est d'accord avec le tarif suggéré ;

- d'un échange de courriels de fin novembre/début décembre 2012 au sujet d'événements de capoeira impliquant l'association Kajyn mais ne se déroulant pas tous dans ses locaux et concernant principalement une autre professeur, le Kajyn ayant considéré qu'il appartenait à cette dernière de réserver un gymnase de la Ville de [Localité 5] par le biais de sa propre association ;

- d'un autre échange de courriels du 21 juin 2016 avec M. [O], en réponse à un avertissement notifié par l'association à ce dernier pour menaces verbales, dans lequel M. [O] indique notamment : 'je n'ai pas à te justifier mes absences, je gère ma section comme je l'entends' ;

- de pièces attestant que M. [O] a constitué une association ABC (arts brésiliens de combat) en 2010 en vue d'enseigner diverses disciplines dont la capoeira par des cours dispensés à [Localité 4] mais également au sein de l'association Kajyn, s'agissant dans ce dernier cas de cours réalisés exclusivement par sa compagne et non par lui-même ;

- d'un courriel adressé le 10 décembre 2013 par l'association aux professeurs dans lequel elle les prévient qu'elle restera ouverte pendant les vacances, que les cours doivent 'théoriquement' être assurés et leur demande, s'ils ne peuvent le faire, de l'en informer, les incitant à dispenser leurs cours en invoquant la rentabilité en cas de faible fréquentation ;

- d'un courriel adressé le 9 avril 2015 par l'association rappelant que durant l'année, les parents ne sont pas admis pendant les cours mais que pendant la semaine de démonstration des sections jeunes, les professeurs doivent adapter le programme pour permettre aux parents d'y assister.

La cour note que :

- ce dernier courriel témoigne de directives données par l'association dans les relations parents/professeurs et dans le contenu des cours, la demande d'adaptation du programme consistant en une directive même si elle n'est pas assortie d'autre précision, ce qui se conçoit au regard de l'indépendance technique des professeurs propre à chacune de leurs disciplines ;

- le premier échange de mails en date d'avril/mai 2010 atteste d'une volonté de contrôle par l'association du déroulement des cours, outre que contrairement à ce que prétend l'intimée, il ne justifie pas que M. [O] gérait librement ses cours mais qu'il a ponctuellement organisé une ou deux réunions en vue d'événements exceptionnels ;

- le deuxième échange de mails de fin juin 2010 concernant le tarif des cours est isolé au regard de la durée totale de la collaboration de 19 ans et révèle simplement que l'association a demandé son avis sur ce point à M. [O] ;

- le troisième échange de courriels de fin novembre/début décembre 2012 concerne essentiellement une autre professeur ;

- l'association ne saurait prétendre que l'échange de courriels du 21 juin 2016 dans lequel M. [O] a affirmé qu'il n'avait pas à justifier ses absences et qu'il gérait sa section comme il le voulait témoigne de l'absence de lien de subordination puisque, d'une part, ces propos font suite à un avertissement notifié par elle à M. [O] qui est l'expression du pouvoir de sanction dont elle disposait à son égard, d'autre part, que ceux-ci ont ensuite été précisément sanctionnés par elle aux termes de la lettre de licenciement pour faute grave visant entre autres reproches la volonté de M. [O] de ne pas se soumettre à ses horaires de travail ;

- la circonstance que ce dernier a constitué une association qui a dispensé des cours au sein du Kajyn par le truchement de sa compagne et non de lui-même n'exclut pas l'existence d'un lien de subordination vis-à-vis de M. [O] dans l'exercice de son propre travail de professeur de capoeira pour le compte du Kajyn ;

- le courriel du 10 décembre 2013, portant sur la période particulière des fêtes de fin d'année, est isolé et ne permet pas d'en conclure que de manière habituelle, les professeurs, en tout cas M. [O], étaient libres de ne pas assurer les cours.

En définitive, les éléments précités sont insuffisants à prouver l'absence de lien de subordination à l'égard de M. [O], lequel lien apparaît d'autant plus constitué au regard de l'avertissement puis du licenciement pour faute grave qui lui ont été notifiés sans la moindre réserve de l'association quant à l'existence d'un contrat de travail.

Sans qu'il soit besoin de prendre en considération le procès-verbal de l'inspection du travail et d'examiner par voie de conséquence les moyens de l'association visant à contester sa validité, la cour considère que celle-ci échoue à prouver le caractère fictif du contrat de travail qu'elle a conclu avec M. [O].

Sur le bien-fondé du licenciement

M. [O] estime que son licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse. Il avance qu'il fait suite à son audition par l'inspection du travail, alors que dans le passé il avait été prié d'intervenir en qualité de prestataire de service au sein de l'association, et à son initiative de voir requalifier la relation de ses collègues en contrat de travail. Il soutient que ses propos contenus dans le mail du 21 juin 2016 ont été exprimés à la suite de pressions exercées sur son épouse. Il avance que c'est dans ce contexte, sous le coup de la colère et face au comportement fautif de l'employeur, qu'il a écrit ce mail. Il invoque son droit d'expression, la provocation de l'employeur et ses 19 années de collaboration sans la moindre observation.

L'association souligne l'outrance et la vulgarité des propos tenus dans le mail du 21 juin 2016 qui traduisent selon elle la réalité du comportement violent de M. [O]. Elle conteste la corrélation entre l'audition du 12 avril 2016 et le licenciement, de même que tout comportement fautif de sa part.

Il résulte des articles L. 1234-1 et L. 1234-9 du code du travail que la faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et nécessite son départ immédiat sans indemnité. L'employeur qui invoque une faute grave doit en rapporter la preuve.

La cour rappelle que sauf abus, le salarié jouit dans l'entreprise et en dehors de celle-ci de sa liberté d'expression, qu'il ne peut être apporté à celle-ci que des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché, que l'abus du droit à la liberté d'expression s'apprécie in concreto et est caractérisé par des propos injurieux, diffamatoires ou excessifs.

La réalité des propos imputés à M. [O] dans la lettre de licenciement est établie par l'échange de mails du 21 juin 2016 versé aux débats. Le courriel incriminé a été adressé par M. [O] en réponse, comme déjà indiqué, à un avertissement notifié le même jour par l'association, en la personne de son dirigeant M. [Z], aux motifs que la veille, M. [O] a eu un comportement extrêmement agressif dans le bureau et a menacé et insulté '[W]', M. [Z] ayant par ailleurs demandé à M. [O] de le tenir informé de ses prochaines absences et de leur motif.

Le contenu du mail du 21 juin 2016 témoigne non seulement d'une insubordination caractérisée mais comporte aussi à l'évidence des propos excessifs, particulièrement outrageants et injurieux à l'égard du dirigeant de l'association, M. [Z], et des membres du conseil d'administration.

Les attestations communiquées par M. [O] vantant ses qualités d'écoute, de calme et de droiture ne sont pas probantes, s'agissant d'attestations à caractère général et non circonstanciées.

Le fait que M. [O] a été entendu le 12 avril 2016 par l'inspection du travail et a à cette occasion dénoncé une tentative de pression de l'association sur sa compagne pour lui faire signer un document ne suffit pas à établir un lien entre ces circonstances et son licenciement, l'audition étant antérieure de plus de deux mois. Il ne saurait non plus être invoqué de lien entre le fait qu'en 2011, l'association a suggéré à M. [O] de prendre le statut d'auto-entrepreneur sans suite de sa part et le licenciement du 23 juillet 2016 compte tenu du délai écoulé entre ces événements. De même, l'existence d'un lien entre la dénonciation par M. [O], qui remonte au moins à novembre 2015, du refus de l'association de salarier certains professeurs et son licenciement n'est pas avéré alors que celui-ci est fondé sur des faits distincts objectivement établis, à savoir ses propos contenus dans son mail du 21 juin 2016 qui caractérisent une insubordination étrangère aux circonstances invoquées par M. [O] et un abus manifeste de sa liberté d'expression non justifiable. En particulier, il ne saurait arguer avoir agi sous le coup de la colère ou de l'émotion du fait des pressions à l'égard de sa compagne et des prétendus agissements fautifs de l'association vis-à-vis d'autres professeurs qu'elle a refusé de salarier dès lors que selon ses propres pièces, il avait connaissance de ces faits et les avait dénoncés de longue date. La provocation de l'employeur ne peut être retenue, la cour observant que le mail de l'association auquel M. [O] a répondu est rédigé dans des termes corrects.

Quand bien même la réalité des agissements fautifs imputés par M. [O] à l'association concernant d'autres professeurs serait avérée et nonobstant l'absence de toute observation dont celui-ci aurait fait l'objet avant le 21 juin 2016, les propos tenus par M. [O] constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible son maintien dans l'association et nécessite son départ immédiat sans indemnité.

Le licenciement pour faute grave est justifié.

Sur les demandes de dommages et intérêts pour rupture abusive, d'indemnité compensatrice de préavis, de congés payés afférents, d'indemnité de licenciement et de rappel sur mise à pied

Le licenciement pour faute grave étant justifié, M. [O] doit être débouté de l'ensemble de ces demandes, le jugement étant confirmé sur ces points.

Sur la demande d'indemnité de congés payés

M. [O] forme une demande d'indemnité de congé payés à hauteur de 400 euros mais sans développer de moyen au soutien de cette prétention dont il a été débouté par le jugement entrepris qui sera de ce chef confirmé.

Sur la demande d'indemnité pour travail dissimulé

M. [O] réclame au visa de l'article L. 8223-1 du code du travail une indemnité pour travail dissimulé de 2 400 euros 'au motif d'une rémunération salariale de 40% de cotisation des adhérents de sa section congés payés inclus pour 10% de la rémunération sur une fiche de salaire'.

Aux termes de l'article L. 8223-1 précité, en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours dans les conditions de l'article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l'article L. 8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

Au cas d'espèce, il n'est pas justifié d'un travail dissimulé par dissimulation d'activité au sens de l'article L. 8221-3 du code du travail. En outre, M. [O] ne caractérise, ni n'établit en quoi l'association aurait commis l'un des faits visés à l'article L. 8221-5 de ce code relative à la dissimulation d'emploi salarié, la preuve d'un élément intentionnel n'étant en tout état de cause pas rapportée.

Le jugement qui a débouté M. [O] de sa demande d'indemnité pour travail dissimulé sera confirmé.

Sur la remise de documents sociaux conformes

Au regard du sens de la présente décision, le jugement sera aussi confirmé en ce qu'il a débouté M. [O] de cette demande.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

M. [O] doit être condamné aux dépens de première instance et d'appel et débouté de toute demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile. Il n'y a pas lieu de le condamner sur ce fondement au profit de l'association.

PAR CES MOTIFS

LA COUR, statuant contradictoirement par mise à disposition au greffe :

CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions ;

Ajoutant :

DÉBOUTE les parties de toute autre demande ;

CONDAMNE M. [O] aux dépens d'appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 21/05148
Date de la décision : 25/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-25;21.05148 ?
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