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25/05/2023 | FRANCE | N°21/04925

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 5, 25 mai 2023, 21/04925


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 6 - Chambre 5



ARRET DU 25 MAI 2023



(n° 2023/ , 12 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/04925 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDZG3



Décision déférée à la Cour : Jugement du 19 Mai 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY - RG n° F18/03510





APPELANTS



Madame [U] [D] AYANT DROIT DE [Y] [V]

[Adresse 1]

[Localité 6]
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Représentée par Me Samya BOUICHE, avocat au barreau de PARIS, toque : G0479



Madame [R] [Z] AYANT DROIT DE [Y] [V]

[Adresse 2]

[Localité 4]

née ...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5

ARRET DU 25 MAI 2023

(n° 2023/ , 12 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/04925 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDZG3

Décision déférée à la Cour : Jugement du 19 Mai 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY - RG n° F18/03510

APPELANTS

Madame [U] [D] AYANT DROIT DE [Y] [V]

[Adresse 1]

[Localité 6]

née le 20 Décembre 1986 à [Localité 7]

Représentée par Me Samya BOUICHE, avocat au barreau de PARIS, toque : G0479

Madame [R] [Z] AYANT DROIT DE [Y] [V]

[Adresse 2]

[Localité 4]

née le 14 Mars 1994 à [Localité 8]

Représentée par Me Samya BOUICHE, avocat au barreau de PARIS, toque : G0479

Monsieur [M] [Z] AYANT DROIT DE [Y] [V]

[Adresse 2]

[Localité 4]

né le 14 Juillet 1998 à [Localité 8]

Représenté par Me Samya BOUICHE, avocat au barreau de PARIS, toque : G0479

INTIMEE

Société FEDEX EXPRESS FR

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représentée par Me Philippe DANESI, avocat au barreau de PARIS, toque : R235

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 30 mars 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Catherine BRUNET, Présidente de chambre, Présidente de formation,

Madame Marie-Christine HERVIER, Présidente de chambre,

Madame Séverine MOUSSY, Conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame [P] [C] dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier : Madame Philippine QUIL, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Madame Catherine BRUNET, Présidente et par Madame Philippine QUIL, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Mme [V] [Y] a été engagée par la société TNT express international par un contrat de travail à durée indéterminée du 7 juin 1988 en qualité d'employée service enlèvement.

A compter du 16 avril 2012, elle a exercé les fonctions de chef de projet, statut cadre au forfait, groupe 1, coefficient 100, emploi 2 de la convention collective des transports routiers du 21 décembre 1950.

Le 1er septembre 2018, les sociétés TNT express national, TNT express international, Fedex express France ont été absorbées par la société TNT Express France renommée Fedex express FR (ci-après la société). Par application des dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail, le contrat de travail de la salariée a été transféré à cette société.

Au cours de la période de l'année 2003 au 12 février 2019, Mme [Y] a exercé les mandats suivants :

- déléguée syndicale centrale de la CFE-CGC SNATT ;

- secrétaire du comité d'entreprise de TNT express international ;

- représentante du personnel de TNT international FR au comité européen (EWC) ;

- membre élu du comité sélectif et exécutif européen en novembre 2012, mandat dont elle a démissionné en octobre 2017.

Le 29 novembre 2018, Mme [Y] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris aux fins notamment de résiliation de son contrat de travail produisant les effets d'un licenciement nul au motif selon elle, d'une discrimination syndicale.

A la suite de nouvelles élections postérieures à la réorganisation, Mme [Y] a exercé les mandats suivants :

- déléguée syndicale de la CFE-CGC ;

- secrétaire adjointe et membre titulaire du CSE Fonctions support ;

- secrétaire et membre de la commission santé sécurité et conditions de travail du CSE (CSSCT) ;

- membre titulaire du CSE central ;

- secrétaire et membre de la commission santé sécurité et conditions de travail du CSE central (CSSCT).

Le 23 mars 2021, Mme [Y] a suspendu ses différents mandats pour des raisons médicales.

Par jugement du 19 mai 2021, auquel la cour renvoie pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, le conseil de prud'hommes de Paris a :

- débouté Mme [Y] de l'ensemble de ses demandes ;

- débouté la société Fedex express FR de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné Mme [Y] aux entiers dépens.

Mme [Y] a régulièrement interjeté appel de ce jugement le 31 mai 2021.

Elle est décédée le 13 février 2022.

La procédure a été reprise par ses ayants droit, Mme [U] [D], Mme [R] [Z] et M. [M] [Z].

Par conclusions notifiées par voie électronique le 8 septembre 2022, auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des moyens et prétentions en application de l'article 455 du code de procédure civile, Mme [D], Mme [Z] et M. [Z] demandent à la cour d'infirmer le jugement et de, statuant à nouveau :

- prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [Y] aux torts exclusifs de l'employeur à la date du 13 février 2022 ;

En conséquence,

- condamner la société Fedex express FR à leur verser les sommes suivantes :

* 71 783,33 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,

* 17 825,94 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

* 1 782,59 euros au titre des congés payés y afférents,

* 142 607,52 euros au titre de l'indemnité pour licenciement nul résultant de la discrimination syndicale et du harcèlement moral,

* 71 303,76 euros au titre de l'indemnité pour violation du statut protecteur,

* 30 000 euros au titre du préjudice moral,

* 30 000 euros au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail,

* 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société Fedex express FR aux intérêts de retard sur les condamnations à caractère salarial prononcées à compter de la saisine du conseil de prud'hommes ;

- ordonner la capitalisation des intérêts sur le fondement de l'article 1343-2 du code civil;

- condamner la société Fedex express FR aux entiers dépens ;

- ordonner la remise d'un bulletin de paie, d'un certificat de travail et d'une attestation Pôle emploi conformes à la décision à intervenir.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 16 mars 2023 auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des moyens et prétentions en application de l'article 455 du code de procédure civile, la société Fedex express FR demande à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a :

* débouté Mme [Y] de l'ensemble de ses demandes,

* condamné Mme [Y] aux entiers dépens ;

En conséquence,

A titre principal,

- débouter les ayants droits de Mme [Y] de toutes leurs demandes, fins et conclusions à l'encontre de la société Fedex express FR ;

A titre subsidiaire,

- limiter le montant des dommages et intérêts pour licenciement nul au minimum légal fixé par les articles L. 1235-3 et L. 1235-3-1 du code du travail ;

- débouter pour le surplus les ayants droits de Mme [Y] de leurs demandes ;

En tout état de cause,

- condamner les ayants droits de Mme [Y] à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 22 mars 2023.

MOTIVATION

Sur la discrimination syndicale

Mme [D], Mme [Z] et M. [Z], ayants droit de Mme [Y], reprennent l'instance qu'elle avait introduite aux fins de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur. La cour constate que si dans le dispositif de leurs conclusions, ils sollicitent une 'indemnité pour licenciement nul résultant de la discrimination syndicale et du harcèlement moral', ils ne développent aucun moyen dans la partie discussion de leurs écritures au titre d'un harcèlement moral mais soutiennent que la salariée était victime d'une discrimination syndicale.

La société conteste l'existence d'une discrimination syndicale.

Aux termes de l'article L. 1132-1 du code du travail, aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de nomination ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008 -496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison notamment de ses activités syndicales.

Il résulte des dispositions de l'article L. 1134-1 du même code que lorsque survient un litige en raison d'une méconnaissance des dispositions du chapitre II, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008 -496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Par application des dispositions de l'article L. 2141-5 du même code, il est interdit à l'employeur de prendre en considération l'appartenance à un syndicat ou l'exercice d'une activité syndicale pour arrêter ses décisions en matière notamment de recrutement, de conduite et de répartition du travail, de formation professionnelle, d'avancement, de rémunération et d'octroi d'avantages sociaux, de mesures de discipline et de rupture du contrat de travail.

A compter du 19 août 2015, cet article a disposé qu'un accord détermine les mesures à mettre en 'uvre pour concilier la vie personnelle, la vie professionnelle et les fonctions syndicales et électives, en veillant à favoriser l'égal accès des femmes et des hommes. Cet accord prend en compte l'expérience acquise, dans le cadre de l'exercice de mandats, par les représentants du personnel désignés ou élus dans leur évolution professionnelle ; qu'au début de son mandat, le représentant du personnel titulaire, le délégué syndical ou le titulaire d'un mandat syndical bénéficie, à sa demande, d'un entretien individuel avec son employeur portant sur les modalités pratiques d'exercice de son mandat au sein de l'entreprise au regard de son emploi. Il peut se faire accompagner par une personne de son choix appartenant au personnel de l'entreprise. Cet entretien ne se substitue pas à l'entretien professionnel mentionné à l'article L. 6315-1.

Pour la période du 19 août 2015 au 1er janvier 2020, il a disposé en outre que lorsque l'entretien professionnel est réalisé au terme d'un mandat de représentant du personnel titulaire ou d'un mandat syndical et que le titulaire du mandat dispose d'heures de délégation sur l'année représentant au moins 30 % de la durée de travail fixée dans son contrat de travail ou, à défaut, de la durée applicable dans l'établissement, l'entretien permet de procéder au recensement des compétences acquises au cours du mandat et de préciser les modalités de valorisation de l'expérience acquise alors qu'à compter du 1er janvier 2020 et pour les mandats prenant effet au 31 décembre 2019, il a disposé que pour les entreprises dont l'effectif est inférieur à deux mille salariés, le recensement des compétences acquises au cours du mandat est réservé au titulaire de mandat disposant d'heures de délégation sur l'année représentant au moins 30 % de la durée de travail fixée dans son contrat de travail ou, à défaut, de la durée applicable dans l'établissement.

A l'appui de leur allégation d'une discrimination syndicale, les ayants droit de Mme [Y] invoquent :

- une mise à l'écart et une absence de fourniture de travail ;

- une absence d'entretien professionnel ;

- une absence de formation ;

- une absence de bureau.

Sur l'absence de formation

A ce titre, ils soutiennent qu'elle n'a pas bénéficié de formations depuis le mois de mars 2011, qu'elle n'a pas suivi comme tous ses collègues, la formation 'culture et immersion Fedex' au cours du dernier trimestre 2019, la formation QDM en 2020 et qu'une formation de 'retour à l'emploi' ne lui a pas été proposée.

Ils versent aux débats :

- des courriels adressés le 19 novembre et le 18 décembre 2019 aux participants à la formation 'culture et immersion Fedex' ;

- un courriel du 19 février 2020 destiné aux managers de la société et évoquant la formation QDM ;

- un courriel de M. [T] [A] du 12 février 2019 indiquant : 'Tu peux voir avec [V] de quoi elle aurait besoin ' L'idée n'est pas de faire un accompagnement formel mais de refaire un point sur les systèmes sur lesquels elle se sent en faiblesse je pense. Mais avant d'engager l'action, il faut qu'on soit au clair sur le périmètre. Merci de voir avec elle ce qu'elle attend, nous verrons ensuite comment envisager cet accompagnement en parallèle des autres sujets.'

Sur l'absence d'entretien professionnel

Les ayants droit de Mme [Y] versent aux débats un tableau comparant sa situation à deux autres titulaires de mandats dont le dernier entretien annuel a eu lieu en 2020.

Sur l'absence de bureau

Ils indiquent que la salariée ne disposait pas d'un bureau et occupait le local attribué au comité d'entreprise. Cependant, ils ne produisent pas de pièces à l'appui de cette allégation.

Sur la mise à l'écart et l'absence de fourniture de travail

Les ayants droit de Mme [Y] soutiennent qu'à compter de l'année 2013, aucune mission ne lui a été attribuée. Ils font valoir qu'elle a sollicité un entretien avec le responsable des ressources humaines du groupe et qu'elle a été reçue par Mme [K] à laquelle elle a remis un document qu'ils produisent aux débats dans lequel elle affirme qu'aucun projet à déployer ne lui a été confié depuis 2013. Ils versent également aux débats un courriel de M. [J] du 10 septembre 2018, faisant suite à une lettre du conseil de la salariée dénonçant une mise à l'écart de toutes fonctions de travail, et lui indiquant : ' Bonjour [V], Je profite de cette rentrée pour prendre contact avec toi et convenir ensemble d'un rendez-vous pour discuter des activités que nous pourrions mettre en place ensemble. J'ai échangé avec [N] récemment et il m'a dit que tu serais disponible après le 11 septembre. J'ai plusieurs sujets que j'aimerai partager avec toi sur les actions à mettre en place en région parisiennes auprès des Opérations.(...)' auquel elle a répondu positivement le 13 septembre 2018 en affirmant qu'elle avait été 'écartée de l'activité'sans explication.

Les ayants droit de Mme [Y] présentent ainsi des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte et il incombe à la société de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Sur l'absence de formation

La société fait valoir que Mme [Y] a suivi des formations jusqu'en 2015 et qu'à compter de 2019, un parcours de formation 'Ops' individualisé lui a été proposé. Elle ajoute qu'elle n'a pas été exclue de la formation 'Culture et Immersion' mais qu'il lui appartenait de s'y inscrire.

Au soutien des formations suivies par la salariée jusqu'en 2015, la société invoque le document remis par la salariée à Mme [K] en 2016. La cour constate que Mme [Y] y fait état de certifications obtenues jusqu'en décembre 2015. S'agissant de la formation 'Culture et Immersion', la société justifie par la production d'un courriel de M. [J] du 24 février 2020 que Mme [Y] a été invitée à s'y inscrire. Cependant, concernant la formation 'Ops', la société produit un courriel de M. [J] du 6 mai 2020 indiquant à la salariée qu'elle allait être contactée par Mme [X]. Mme [Y] lui a répondu avoir été contactée par cette personne et avoir convenu d'une rencontre après ses congés. La cour relève que la société ne présente pas d'élément objectif quant aux suites données à cet éventuel rendez-vous. La cour constate en outre que la société ne produit pas de relevé des formations suivies par la salariée pour la période de 2016 à 2019 et ne justifie pas ainsi qu'au cours de cette période, des formations ont été proposées à la salariée.

Sur l'absence d'entretien professionnel

La société reconnaît que Mme [Y] n'a pas bénéficié d'entretiens d'évaluation pendant plusieurs années mais soutient qu'il n'y a pas de lien avec l'exercice de ses mandats dans la mesure où en raison des nombreux changements organisationnels, 'elle a pu omettre d'organiser les entretiens d'évaluation pour l'ensemble des salariés' et qu'elle a effectué ces entretiens pour la salariée de 2003 à 2011 alors qu'elle exerçait déjà des mandats de sorte qu'aucun lien ne peut être retenu entre son activité syndicale et l'absence d'entretiens d'évaluation.

Par application des dispositions de l'article L. 6315-1 du code du travail, le salarié doit bénéficier tous les deux ans d'un entretien professionnel.

Il résulte de l'article L. 1134-1 du même code qu'il n'appartient pas au juge de rechercher s'il existe un lien ou non entre l'exercice d'un mandat syndical et le comportement de l'employeur mais de rechercher si l'employeur produit des éléments objectifs relativement aux faits présentés par le salarié et de les analyser. Un manquement de l'employeur à ses obligations, en l'espèce l'organisation d'un entretien professionnel tous les deux ans, ne peut pas constituer cet élément objectif ce d'autant que nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude.

La cour retient en conséquence que la société ne produit pas d'élément objectif concernant l'absence d'entretien professionnel pendant plusieurs années.

Sur la mise à l'écart et l'absence de fourniture de travail

La société soutient en premier lieu que la réorganisation a conduit à un remaniement et à une centralisation des missions confiées aux chefs de projet et que dès lors, la diminution des missions potentielles confiées à Mme [Y] est étrangère à toute discrimination.

Il est constant qu'il appartient à l'employeur de fournir du travail au salarié.

La cour relève que si la société produit des courriels évoquant des possibles pistes de travail en termes généraux (pièce 8 courriel du 22 novembre 2016, pièce 11 courriel du 22 janvier 2019), elle ne verse aux débats aucun élément démontrant qu'un projet concret ou une mission précise ont été confiés à la salariée pendant plusieurs années. Elle ne peut comme elle tente de le faire invoquer les propos de Mme [Y] dans le cadre du document préparatoire remis à Mme [K] dans lequel elle exprime sa lassitude, sa difficulté à se projeter dans la nouvelle organisation et à quitter le secteur international dès lors qu'elle avait été écartée précédemment d'une activité professionnelle et qu'en tout état de cause, il appartient à l'employeur de proposer au salarié des missions ou une modification de ses attributions le cas échéant dans le cadre d'une réorganisation.

La société fait valoir en second lieu qu'il n'était pas possible de confier des projets à Mme [Y] car celle-ci était prise à temps complet par l'exercice de ses mandats ce d'autant que la réorganisation a entraîné de multiples réunions chronophages.

Les ayants droit de Mme [Y] soutiennent qu'elle n'était pas prise à temps complet par l'exercice de ses mandats et qu'elle pouvait donc se voir confier un projet.

Les parties sont d'accord pour retenir que le temps consacré par Mme [Y] à ses mandats se composait d'un temps correspondant aux heures de délégation et d'un temps consacré à des réunions.

Les parties conviennent également du fait que Mme [Y] disposait d'un crédit total d'heures de délégation de 67 heures mensuelles. A juste titre, les ayants droit de la salariée font valoir qu'elle n'accomplissait pas d'heures de délégation en dehors de ses heures de travail car elle aurait perçu une rémunération supplémentaire qui n'apparaît pas sur ses bulletins de salaire.

Les parties s'opposent sur l'utilisation par Mme [Y] de ses heures de délégation, la société affirmant qu'elle les utilisait entièrement alors que ses ayants droit indiquent qu'elle n'en utilisait aucune.

Le salarié titulaire d'un mandat doit pouvoir l'exercer librement pendant des heures de délégation dont le nombre est défini et pendant son temps de travail. Après concertation avec les partenaires sociaux, il peut être décidé de la mise en oeuvre de bons de délégation, d'une procédure de déclaration préalable avec respect d'un délai de prévenance. Pour la période antérieure à 2021, il n'est pas justifié de l'existence d'une telle procédure au sein de la société. Les parties s'opposent sur le point de savoir si à compter du mois de janvier 2021 un tableau de suivi des heures de délégation a été mis en oeuvre. Cet élément n'est pas déterminant à l'issue du litige dès lors que Mme [Y] a suspendu ses mandats à compter du mois de mars 2021. Il convient donc de retenir que Mme [Y] pouvait exercer librement ses mandats dans le cadre des heures de délégation pendant son temps de travail sans déclaration préalable. Il en résulte que la société est dans l'impossibilité de justifier de l'utilisation par Mme [Y] de ses heures de délégation. Cependant, la salariée devant pouvoir disposer à tout moment de ses heures de délégation ce qui implique la possibilité de se libérer, il convient de considérer que 67 heures par mois étaient consacrées à l'exercice de ses mandats.

Sur la base de l'utilisation de la totalité des heures de délégation et en tenant compte des temps de réunion et de déplacement qui sont établis par les pièces produites par la société et non contestés par les ayants droit de Mme [Y], il est justifié par la société de ce que Mme [Y] au cours de la période de l'année 2011 à l'année 2016 était occupée en moyenne 79 heures par mois, au cours de l'année 2018, 101 heures par mois, au cours de l'année 2020, 99 heures par mois. Mme [Y] bénéficiant d'un forfait de 213 jours, il est donc établi à partir des propres chiffres de la société et en tenant compte d'une utilisation par Mme [Y] de toutes ses heures de délégation, qu'elle disposait au cours de la période de l'année 2011 à l'année 2016 de l'équivalent de 77 jours pour conduire une mission professionnelle, 44 jours au cours de l'année 2018 et selon l'employeur de 53 jours au cours de l'année 2020 (cf tableau page 24 des écritures de la société). L'intégralité de son temps de travail n'était donc pas consacrée à l'exercice de ses mandats et elle pouvait accomplir une tâche professionnelle selon des modalités qu'il appartenait à l'employeur de définir.

Enfin, la société établit une comparaison entre la situation de la salariée et celle d'autres salariées, Mme [I] [B], Mme [O] [F], Mme [S] [E], qui exercent également plusieurs mandats. Cependant, l'objet du litige portant sur une discrimination syndicale, la comparaison avec d'autres salariées exerçant des mandats est inopérante.

En conséquence, la société échoue à justifier par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination une absence d'entretiens professionnels, une absence pour certaines années de formations et l'absence de fourniture de travail à compter de l'année 2013.

Dès lors, la cour retient que Mme [Y] a été victime d'une discrimination syndicale.

La décision des premiers juges sera infirmée à ce titre.

Sur la résiliation judiciaire du contrat de travail

Les ayants droit de Mme [Y] soutiennent que la discrimination syndicale constitue une faute d'une gravité suffisante pour justifier la résiliation judiciaire du contrat de travail.

La société fait valoir que les manquements sont anciens, qu'ils n'ont pas empêché la poursuite du contrat de travail et que depuis l'année 2018, la situation de la salariée est claire. Elle ajoute que la demande de résiliation judiciaire est sans objet, le contrat de travail de la salariée n'étant plus effectif en raison de son décès.

Aux termes de l'article L. 1231-1 du code du travail, le salarié peut demander la résiliation de son contrat de travail en cas de manquements de son employeur à ses obligations. Il appartient au salarié de rapporter la preuve des manquements invoqués. Le juge apprécie si la gravité des manquements justifie la résiliation du contrat. Le manquement suffisamment grave est celui qui empêche la poursuite du contrat. Dans ce cas, la résiliation du contrat produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ou nul. Pour apprécier la gravité des manquements reprochés à l'employeur, le juge prend en compte l'ensemble des événements survenus jusqu'à l'audience ou jusqu'à la rupture du contrat de travail si celle-ci est antérieure.

La demande de résiliation du contrat de travail formulée par un salarié depuis décédé ne devient pas sans objet et si la juridiction fait droit à cette demande dans le cadre de la reprise de l'instance par ses ayants droit, la résiliation prend effet à la date du décès du salarié.

La cour a précédemment retenu que les agissements de la société à l'encontre de Mme [Y] ont perduré s'agissant de l'absence de fourniture de travail et d'entretiens professionels jusqu'à son arrêt de travail. Ces manquements auxquels s'ajoute une absence partielle de formation, constitutifs d'une discrimination syndicale sont suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail.

En conséquence, la cour prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [Y] aux torts de la société, cette résiliation prenant effet à la date de son décès soit le 13 février 2022.

La décision des premiers juges sera infirmée à ce titre.

Sur les conséquences de la résiliation judiciaire du contrat de travail

Mme [D], Mme [Z] et M. [Z], ayants droit de Mme [Y], soutiennnent que cette résiliation produit les effets d'un licenciement nul.

Par application de l'article L. 1132-4 du code du travail, toute disposition ou tout acte pris à l'égard d'un salarié en méconnaissance des dispositions du chapitre consacré au principe de non-discrimination est nul.

Le manquement retenu à l'encontre de l'employeur étant une discrimination syndicale, cette résiliation produit les effets d'un licenciement nul.

Lorsque la résiliation judiciaire du contrat de travail d'un salarié protégé est prononcée aux torts de l'employeur et produit les effets d'un licenciement nul, le salarié bénéficie d'une indemnité compensatrice de préavis, d'une indemnité légale ou conventionnelle de licenciement, de dommages-intérêts pour licenciement nul et d'une indemnité pour violation du statut protecteur. Cependant, cette dernière indemnité n'est due au salarié protégé que s'il a acquis son statut protecteur au moment où il engage son action en résiliation judiciaire. Dans ce cas, il a droit à cette indemnité qui est égale à la rémunération qu'il aurait dû percevoir de la prise d'effet de la résiliation judiciaire jusqu'à l'expiration de la période de protection en cours au jour de la demande de résiliation judiciaire.

Sur l'indemnité conventionnelle de licenciement

La société sera condamnée à payer aux ayants droit de Mme [Y] la somme de 71 783,33 euros à titre d'indemnité de licenciement dans la limite de leur demande, somme non contestée dans son montant par la société.

La décision des premiers juges sera infirmée sur ce chef de demande.

Sur l'indemnité compensatrice de préavis

Par application de l'article 15 de l'accord du 30 octobre 1951 attaché à la convention collective des transports routiers, la société sera condamnée à payer aux ayants droit de Mme [Y] une indemnité compensatrice de préavis de 17 825,94 euros outre la somme de 1 782,59 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés afférents, sommes exactes et non contestées en leur montant par l'employeur.

Sur l'indemnité pour licenciement nul

Par application des dispositions de l'article L. 1235-3-1 du code du travail, lorsque le licenciement d'un salarié est nul en raison d'une discrimination, qu'il ne demande pas la poursuite de l'exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, celui-ci a droit à une indemnité à la charge de l'employeur qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Compte tenu de l'ancienneté acquise par Mme [Y], 30 ans, et des circonstances de l'espèce, l'indemnité pour licenciement nul sera fixée à la somme de 70 000 euros au paiement de laquelle la société sera condamnée.

Sur l'indemnité pour violation du statut protecteur

Les ayants droit de Mme [Y] soutiennent que cette indemnité est due au titre de la période de protection de douze mois disposée par l'article L. 2411-3 du code du travail.

La société fait valoir que cette indemnité n'est pas due car Mme [Y] a engagé son action en résiliation le 29 novembre 2018, ses mandats de déléguée syndicale ont été prorogés jusqu'au 29 janvier 2019, date à laquelle de nouvelles élections ont eu lieu. Elle en déduit que la période de protection de douze mois a expiré le 28 janvier 2020 soit avant la décision de la cour d'appel de Paris.

Si Mme [Y] avait acquis son statut protecteur au moment où elle a engagé son action en résiliation judiciaire le 29 novembre 2018, la période de protection en ce compris les douze mois à l'issue de ses mandats électoraux était expirée à la date de prise d'effet de la résiliation judiciaire fixée au 13 février 2022 puisque le mandat en cours a pris fin le 29 janvier 2019 et que le terme des douze mois de protection est intervenu le 28 janvier 2020.

En conséquence, les ayants droit de Mme [Y] seront déboutés de leur demande à ce titre et la décision des premiers juges sera confirmée sur ce chef de demande.

Sur les dommages et intérêts pour préjudice moral

Les ayants droit de Mme [Y] soutiennent qu'il a été porté atteinte à sa dignité, à son estime de soi et à sa santé morale.

La société fait valoir qu'il n'est pas justifié de l'existence d'un préjudice distinct.

Aux termes de l'article L. 1134-5 du code du travail, les dommages et intérêts réparent l'entier préjudice résultant de la discrimination.

Compte tenu de la durée des agissements discriminatoires à l'encontre de la salariée, il est justifié d'un préjudice moral distinct de celui indemnisé par l'allocation de l'indemnité pour licenciement nul, qui sera indemnisé par la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral au paiement de laquelle la société sera condamnée.

La décision des premiers juges sera infirmée sur ce chef de demande.

Sur les dommages et intérêts au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail

Les ayants droit de Mme [Y] soutiennent que la société n'a pas respecté ses obligations contractuelles.

La société fait valoir qu'elle n'a pas modifié les conditions de travail de la salariée sans son accord.

La cour a retenu que Mme [Y] avait été victime d'une discrimination syndicale et qu'en conséquence, la société avait manqué à ses obligations contractuelles.

Cependant, les ayants droit de Mme [Y] ne justifie pas au titre d'une exécution déloyale du contrat de travail d'un préjudice distinct de ceux déjà indemnisés par l'indemnité pour licenciement nul et les dommages et intérêts pour préjudice moral.

Ils seront déboutés de leur demande à ce titre et la décision des premiers juges sera confirmée sur ce chef de demande.

Sur la remise des documents

Il sera ordonné à la société Fedex express FR de remettre aux ayants droit de Mme [Y] un certificat de travail et un bulletin de salaire conformes à la présente décision.

Il n'y a pas lieu d'ordonner la remise d'une attestation Pôle emploi.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Partie perdante, la société Fedex express FR sera condamnée au paiement des dépens. Le jugement sera infirmé en ce qu'il a mis les dépens à la charge de la salariée.

La société Fedex express FR sera condamnée à payer aux ayants droit de Mme [Y] la somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, la décision des premiers juges étant infirmée à ce titre. La société sera déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles, la décision des premiers juges étant confirmée à ce titre.

Sur le cours des intérêts

En application des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, les créances salariales produisent intérêt au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation et les créances indemnitaires produisent intérêt au taux légal à compter de la décision qui les prononce, la capitalisation des intérêts étant ordonnée conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du même code.

PAR CES MOTIFS

LA COUR statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

INFIRME le jugement sauf en ce qu'il a débouté Mme [V] [Y] de ses demandes au titre de l'indemnité pour violation du statut protecteur et de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail et en ce qu'il a débouté la société Fedex express FR de sa demande au titre des frais irrépétibles,

Et statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

PRONONCE la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [V] [Y] aux torts de l'employeur avec effet au 13 février 2022,

DIT que cette résiliation produit les effets d'un licenciement nul,

CONDAMNE la société Fedex express FR à payer à Mme [U] [D], Mme [R] [Z] et M. [M] [Z] ayants droit de Mme [V] [Y] les sommes suivantes:

- 71 783,33 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement ;

- 17 825,94 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;

- 1 782,59 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés afférents,

avec intérêts au taux légal à compter de la réception par a société Fedex express FR de la convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation du conseil de prud'hommes et capitalisation de ceux-ci dès lors qu'ils seront dus pour une année entière ;

CONDAMNE la société Fedex express FR à payer à Mme [U] [D], Mme [R] [Z] et M. [M] [Z] ayants droit de Mme [V] [Y] les sommes suivantes :

- 70 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul ;

- 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral ;

- 4 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision et capitalisation de ceux-ci dès lors qu'ils seront dus pour une année entière ;

ORDONNE à la société Fedex express FR de remettre à Mme [U] [D], Mme [R] [Z] et M. [M] [Z] ayants droit de Mme [V] [Y] un certificat de travail et un bulletin de salaire conformes à la présente décision,

DÉBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

CONDAMNE la société Fedex express FR aux dépens.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 21/04925
Date de la décision : 25/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-25;21.04925 ?
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