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25/05/2023 | FRANCE | N°19/05621

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 7, 25 mai 2023, 19/05621


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 7



ARRET DU 25 MAI 2023



(n° , 9 pages)





Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/05621 - N° Portalis 35L7-V-B7D-B74YB



Décision déférée à la Cour : Jugement du 21 Janvier 2019 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F 17/09655





APPELANTE

Madame [S] [I]

[Adresse 2]

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INTIMEES

Société FED

Immatriculée au RCS de Paris sous le numéro 440 235 273

[Adresse 1]

[Adresse 1]

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Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 7

ARRET DU 25 MAI 2023

(n° , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/05621 - N° Portalis 35L7-V-B7D-B74YB

Décision déférée à la Cour : Jugement du 21 Janvier 2019 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F 17/09655

APPELANTE

Madame [S] [I]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Andrée JESUSEK, avocat au barreau de PARIS, toque : C0157

INTIMEES

Société FED

Immatriculée au RCS de Paris sous le numéro 440 235 273

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me François TEYTAUD, avocat au barreau de PARIS, toque : J125

Société AWP Health & Life

Immatriculée au RCS de Bobigny sous le numéro 401 154 679

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représentée par Me Camille VENTEJOU, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 08 Février 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Bérénice HUMBOURG, Présidente de chambre, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Bérénice HUMBOURG, présidente de chambre

Madame Guillemette MEUNIER, présidente de chambre

Monsieur Laurent ROULAUD, conseiller

Greffier, lors des débats : Madame Marie-Charlotte BEHR.

ARRET :

- CONTRADICTOIRE,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Bérénice HUMBOURG, présidente de chambre et par Madame Marie-Charlotte BEHR, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS, PROC''DURE ET PR''TENTIONS DES PARTIES

La société FED est spécialisée dans le recrutement et le placement de salariés en intérim.

La société AWP HEALTH & LIFE (ci-après AWP) fournit des solutions d'assurance santé. Elle compte un seul établissement, situé à [Localité 5], et employait, au 31 décembre 2017, 90 salariés. La convention collective applicable est celle des sociétés d'assurance.

Mme [S] [I] a été embauchée à compter du 9 mars 2017 par la société d'intérim FED pour effectuer une mission en qualité de gestionnaire paie et ADP (administration du personnel) au sein de l'entreprise utilisatrice, la société AWP, dans les conditions suivantes:

- un premier contrat de mission a été signé le 9 mars 2017 pour la période du 9 mars au 5 juin 2017 avec un deuxième contrat signé le 1er mai 2017 pour la même période mais prévoyant une convention de forfait en jours,

- un troisième contrat de mission a été signé le 4 juin 2017 pour la période du 6 juin au 30 juin 2017 prévoyant une convention de forfait en jours,

- un quatrième contrat pour la période du 1er juillet 2017 au 30 septembre 2017 a été signé uniquement par la société FED.

Mme [I] a travaillé chez l'entreprise utilisatrice jusqu'au 31 juillet 2017.

Par lettre recommandée datée du 16 août 2017, la société FED a convoqué la salariée à un entretien préalable à une sanction, lui faisant grief de son absence prolongée et injustifiée depuis le 1er août 2017 au sein de la société cliente.

Par lettre en réponse du 21 août 2017, Mme [S] [I] a contesté ce motif en soutenant que sa mission s'était arrêtée le 24 juillet 2017 à la fin de la période de souplesse et qu'elle n'avait reçu aucun autre contrat.

Par lettre recommandée datée du 24 août 2017, la société FED a notifié à Mme [I] la fin de son contrat de mission pour faute grave.

Mme [I] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris d'abord en référé et par ordonnance du 8 novembre 2017, il a été ordonné à la société FED de payer à Mme [I] la somme de 1 500 euros à titre de provision sur l'indemnité de fin de contrat.

Puis Mme [I] a saisi au fond le conseil le 24 novembre 2017 de plusieurs demandes à l'égard de la société d'intérim FED et de l'entreprise utilisatrice, notamment en requalification du contrat d'intérim en contrat à durée indéterminée avec toutes les conséquences de droit.

Le conseil de prud'hommes de Paris a débouté Mme [I] de l'intégralité de ses demandes par jugement du 21 janvier 2019.

Mme [I] a interjeté appel de la décision le 26 avril 2019.

Par conclusions du 24 janvier 2023, Mme [I] demande à la Cour d'infirmer le jugement et statuant à nouveau de :

- la juger recevable et bien fondée dans son appel ;

A titre principal :

- requalifier le contrat de travail temporaire en un contrat à durée indéterminée ;

- condamner en conséquence in solidum les sociétés FED et AWP à lui payer :

à titre d'indemnité de requalification : 3 000 €

à titre d'indemnité compensatrice de préavis : 9 000 €

à titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis : 900 €

à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive : 10 000 €

à titre de rappels de salaires : 14 226 €

à titre de congés payés afférents : 1 422 €

avec intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud'hommes ;

- condamner in solidum les société FED et AWP aux entiers dépens;

- condamner in solidum les société FED et AWP à payer à Maître [W] [Y] la somme de 2000 € sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991;

Subsidiairement :

- requalifier le contrat de travail temporaire en un contrat à durée indéterminée avec la société FED ;

- condamner en conséquence la société FED à lui payer les mêmes sommes ;

- condamner la société FED aux entiers dépens ;

- condamner la société FED à payer à Maître [W] [Y] la somme de 2000 € sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;

Très Subsidiairement,

- requalifier le contrat de travail temporaire en un contrat à durée indéterminée avec la société AWP ;

- condamner en conséquence la société AWP à lui payer les mêmes sommes ;

- condamner la société AWP aux entiers dépens ;

- condamner la société AWP à payer à Maître [W] [Y] la somme de 2000 € sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;

En tout état de cause,

Sur l'appel incident formé par la société AWP et les demandes de la société FED au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des entiers dépens

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté les sociétés de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouter la société AWP de son appel incident, en conséquence la débouter de sa demande de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouter la société FED de sa demande de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et de sa demande au titre des entiers dépens.

Par conclusions du 20 janvier 2023, la société FED demande à la Cour de :

A titre principal :

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions,

En conséquence :

- juger qu'il n'y a pas lieu de prononcer la requalification des contrats de mission conclus entre la société FED et Mme [I] en un contrat à durée indéterminée,

- débouter Mme [I] de l'ensemble de ses demandes,

- annuler la provision de 1 500 euros qui a été accordée par le conseil de prud'hommes en sa formation de référé aux termes de l'ordonnance du 08/11/2017 et condamner Mme [I] à rembourser cette somme qui lui a été versée en application de l'ordonnance par la société FED;

A titre subsidiaire :

- confirmer le jugement du Conseil de Prud'hommes de Paris du 21 janvier 2019 en toutes ses dispositions,

En conséquence :

- rejeter la demande de requalification in solidum au titre des manquements de la société AWP éventuellement jugés établis par la Cour,

- A titre très subsidiaire, rejeter tout dommages et intérêts compte tenu de l'absence de préjudice démontré ;

En tout état de cause :

- condamner Mme [I] à lui verser une somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- la condamner aux entiers dépens.

Par conclusions du 18 janvier 2023, la société AWP demande à la Cour d'appel de Paris:

A titre principal et au titre de l'appel incident :

- de confirmer le jugement rendu par le Conseil de prud'hommes de Paris le 21 janvier 2019 en ce qu'il a débouté Mme [I] de l'intégralité de ses demandes ;

- d'infirmer le jugement attaqué en ce qu'il a rejeté sa demande de condamner Mme [I] à lui verser une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Et, par conséquent :

- de débouter Mme [I] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;

- de condamner Mme [I] au paiement de la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

A titre subsidiaire :

- de rejeter la demande de condamnation in solidum des sociétés au titre des manquements de la société FED éventuellement jugés établis par la Cour ;

- de ramener le montant des sommes sollicitées à de plus justes proportions.

Pour un exposé des moyens des parties, la cour se réfère expressément aux conclusions transmises par la voie électronique.

L'instruction a été déclarée close le 25 janvier 2023.

MOTIFS

Sur le contrat d'intérim avec la société FED

Sur la demande de requalification

Mme [I] soutient que les quatre premiers contrats d'intérim qu'elle a signés lui ont été envoyés à son domicile par voie postale et qu'elle les a retournés signés et par voie postale et par sa boîte mail Allianz - AWP (scannés) ; qu'elle n'a reçu aucun autre contrat de mission qu'elle aurait refusé de signer ; qu'on lui a demandé de rester à son poste au-delà de la date de fin de contrat (c'est-à-dire après le 24 juillet 2017, dernier jour de la période de souplesse) mais qu'au bout de 6 jours puisqu'aucun nouveau contrat ne lui a été envoyé, elle a dû quitter son poste de travail lequel n'était plus couvert par un contrat écrit.

La société FED rétorque que Mme [I] s'est délibérément abstenue de signer le contrat d'intérim pour la période du 1er juillet au 30 septembre 2017 pour pouvoir ensuite se prévaloir de cette absence de signature et solliciter la requalification de la relation en contrat de travail à durée indéterminée. Elle précise que ledit contrat lui a été communiqué via «MYFEDBOX », plate-forme électronique mise en place par la société FED dès 2016.

***

En application des articles L. 1251-1 et suivants du code du travail, le contrat de travail temporaire doit être conclu par écrit, il doit comporter un certain nombre de mentions obligatoires, prévoir un recours à l'intérim expressément prévu par la loi et réel.

L'entreprise de travail temporaire doit transmettre le contrat au salarié au plus tard dans les deux jours ouvrables suivant la mise à disposition conformément à l'article L. 1251-17 du code du travail.

En l'absence de signature du contrat, la requalification en contrat à durée indéterminée est encourue, sauf si l'absence de signature du contrat de mission est le fait du salarié qui a délibérément refusé de signer dans une intention frauduleuse.

Il ressort de l'examen des pièces contractuelles que des contrats de mission ont été signés par les deux parties sur la période du 9 mars 2017 au 30 juin 2017 et que le troisième contrat de mission signé le 4 juin 2017 pour la période du 6 juin au 30 juin 2017 prévoyait une période de souplesse du 16 juin 2017 au 24 juillet 2017.

La période de souplesse prévue par l'article L.1251-30 du code du travail permet d'avancer ou de reporter le terme de la mission prévu au contrat à raison d'un jour pour cinq jours de travail.

Le quatrième contrat édité pour la période du 1er juillet 2017 au 30 septembre 2017 a été signé uniquement par la société FED.

Mme [I] a adressé un courriel à son employeur le 3 août 2017, dans lequel elle 'confirme que la dernière mission qui m'a été confiée au sein de la société AWP HEALTH & LIFE SA, s'est terminée le 24 juillet 2017" et lui demande la communication de ses documents de fin de contrat.

Les parties s'opposent donc sur la communication à la salariée du dernier contrat de mission litigieux.

Si Mme [I] soutient ne pas avoir eu communication de ce contrat, la société FED justifie en premier lieu de la mise en place d'une plate-forme de gestion dématérialisée appelée «MYFEDBOX» qui permet aux différentes parties d'échanger et de signer l'ensemble des contrats de travail et de mission.

Dans son attestation, M. [G] [N], Directeur des opérations au sein de la société SERES, filiale du groupe La Poste, explique, d'une part, le fonctionnement de cette plate-forme de dématérialisation des contrats de travail et notamment le processus par lequel les contrats de mission de la société FED sont signés électroniquement et, d'autre part, que dans ce cadre la plate-forme a opéré la signature électronique de plusieurs contrats pour le compte du groupe FED notamment le contrat numéro 820477-04 litigieux puis l'a adressé à Mme [I], sur sa boîte mail personnel ([Courriel 4]) le 3 juillet 2017 à 10h56, soit dans le délai légal de 48 heures (étant précisé que le 1er juillet étant un samedi, la mission n'a commencé que le lundi 3 juillet 2017).

Mme [I] se prévaut d'un mail adressé au service paye de FED le 19 mars 2017 pour justifier qu'elle ne consultait pas sa boîte mail personnelle. Or, dans ce message, en réponse à un mail envoyé le 13 mars 2017 qui lui réclamait certains documents, elle se bornait à demander que 'ce mail' lui soit adressé sur sa messagerie créée chez la cliente Allianz, sans plus d'indication.

De même, la circonstance que Mme [I] ait renvoyé, à la demande de la société FED, un exemplaire signé des précédents contrats par voie postale, ne peut utilement combattre la preuve de l'envoi par voie dématérialisée des documents contractuels.

Par ailleurs, il est établi que Mme [I] a exécuté sa mission au sein de la société AWP jusqu'au 31 juillet 2017 alors que le dernier contrat de mission signé par ses soins se terminait le 30 juin 2017.

Si ce contrat prévoyait une période de souplesse du 16 juin 2017 au 24 juillet 2017 laquelle prévue par l'article L.1251-30 du code du travail permet d'avancer ou de reporter le terme de la mission prévu au contrat à raison d'un jour pour cinq jours de travail, seule l'entreprise utilisatrice peut décider d'utiliser ou non cette faculté et le salarié intérimaire ne peut s'en prévaloir et ne peut de sa propre initiative ni rester en place dans l'entreprise quelques jours de plus, ni la quitter de façon prématurée.

Or, en l'occurrence, il n'est pas justifié que la société FED ait indiqué à la salariée que la période de souplesse était utilisée et au demeurant celle-ci se terminait le 24 juillet et non le 31, date du dernier jour travaillé par Mme [I].

De même, la société FED produit un 'relevé jour individuel' rempli par Mme [I] et signé par elle le 28 juillet 2017 mentionnant 5 jours travaillés du lundi 24 au vendredi 28 juillet 2017, soit pour 4 jours postérieurement à l'échéance de la période de souplesse. Aucun commentaire sur l'absence de contrat n'y figure alors que la salariée y a mentionné en revanche une demande de 'rectifier ses salaires' de mars et avril.

Enfin dans plusieurs mails adressés par la salariée à la société FED au cours du mois de juillet 2017, elle évoque différents sujets tels que 'la régularisation des montants bruts des mois de mars et avril 2017, les contrats de travail signés et retournés au service paie FEDHUMAN, la prime de fin juin non payée, la prise en charge de son pass navigo pour juillet', sans faire état d'une difficulté liée à l'absence de contrat. Dans un mail du 31 juillet 2017, elle indique d'ailleurs à son interlocutrice que sans nouvelles de sa part avant le soir, elle lui ferait part de sa décision 'quant à la prolongation de son contrat de travail', ce qui atteste bien qu'elle avait eu connaissance du contrat adressé le 3 juillet 2017 pour une nouvelle période devant s'achever le 30 septembre 2017.

Il en résulte que la société FED a respecté son obligation légale de transmission du contrat dans le délai prévu par l'article L. 1251-17 du Code du travail et que Mme [I] qui en a eu connaissance s'est délibérément abstenue de le signer.

La demande de requalification sera dès lors rejetée.

Sur le bien-fondé du licenciement pour faute grave

En application de l'article L. 1251-33 du code du travail, le contrat de mission peut être rompu pour faute grave, laquelle fait perdre au salarié intérimaire son droit à l'indemnité de fin de mission.

En l'espèce, comme précédemment développé, Mme [I] a eu connaissance de son contrat de mission à effet au 1er juillet 2017 qui lui avait été adressé sur son adresse électronique personnelle, a continué de travailler pour l'entreprise utilisatrice jusqu'à la fin du mois de juillet 2017 et ne s'est plus présentée au delà alors que son contrat de mission courrait jusqu'au 30 septembre 2017.

Mme [I] ne pouvait arrêter unilatéralement sa mission le 31 juillet sans commettre un abandon de poste fautif, dont la gravité rendait impossible son maintien dans l'entreprise.

En conséquence, la rupture pour faute grave était justifiée et le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes afférentes à la rupture du contrat avec la société FED.

Sur la relation avec la société utilisatrice AWP

Mme [I] soutient que le motif de recours au contrat de mission de travail temporaire ne correspond pas à la réalité, puisque la société AWP a motivé le recours à l'intérim par un prétendu surcroît d'activité lié à un déménagement qui n'aura lieu effectivement qu'en septembre 2017, alors qu'elle a remplacé à son poste Mme [O] [B], la Responsable Paie et Administration du Personnel, qui allait s'absenter pour maladie courant avril 2017 tout en percevant un salaire bien inférieur. Elle ajoute que la motivation inexacte du recours au contrat atypique qu'est le contrat d'intérim emporte requalification en un contrat à durée indéterminée avec l'entreprise utilisatrice.

La société AWP rétorque que les contrats de mission de Mme [I] étaient justifiés par un accroissement temporaire d'activité lié au déménagement de ses locaux de La Défense à [Localité 5], lequel devait avoir lieu en juin 2017 et que l'opération ayant été reportée en août 2017, la mission de Mme [I] a donc été prolongée. Elle soutient donc que Mme [I] a été recrutée le 30 mars 2017 afin de préparer le déménagement du service paie et non pour remplacer Mme [B] qui occupait un poste différent et dont l'absence devait être palliée par un contrat de prestation de services complémentaire confié à la société ADP (déjà en charge de certaines missions) prolongé jusqu'au mois d'août 2017 en raison de la prolongation de l'arrêt de travail de Mme [B].

***

En application de l'article L. 1251-6 du code du travail, il ne peut être fait appel à un salarié temporaire que pour l'exécution d'une tâche précise et temporaire dénommée mission et seulement dans des cas expressément prévus tels que le remplacement d'un salarié absent ou l'accroissement temporaire de l'activité de l'entreprise.

En cas de litige sur le motif de recours au travail temporaire, c'est à l'entreprise utilisatrice qu'il incombe de rapporter la preuve de la réalité du motif énoncé dans le contrat.

Selon l'article L.1251-40 du code du travail 'lorsqu'une entreprise utilisatrice a recours à un salarié d'une entreprise de travail temporaire en méconnaissance des dispositions des articles L. 1251-5 à L. 1251-7, L. 1251-10, L. 1251-11, L. 1251-12-1, L. 1251-30 et L. 1251-35-1, et des stipulations des conventions ou des accords de branche conclus en application des articles L. 1251-12 et L. 1251-35, ce salarié peut faire valoir auprès de l'entreprise utilisatrice les droitscorrespondant à un contrat de travail à durée indéterminée prenant effet au premier jour de sa mission.»

Les contrats de mission de Mme [I], comme de mise à disposition, faisaient état du même motif à savoir 'un accroissement temporaire d'activité lié à la préparation du déménagement de l'entreprise sur l'activité paie' et mentionnaient que Mme [I] était engagée en qualité de gestionnaire ADP et Paie au statut cadre.

La réalité du déménagement de la société de La Défense à [Localité 5] n'est pas contestée.

La société qui fait valoir que dans ce cadre, le service ressources humaines/paie s'est trouvé confronté à un accroissement de son activité, avec, outre la gestion quotidienne des problématiques rencontrées par les salariés dans le cadre de ce projet, l'archivage des dossiers de paie des salariés et l'organisation du transfert des dossiers du personnel vers le nouveau site ce qui impliquait certaines démarches (attache avec les différents organismes sociaux, modifications de numéro de SIRET et d'adresse avec le prestataire de paie...), produit sur ce point deux documents portant pour le premier sur une réunion du comité d'entreprise du 10 octobre 2016 mentionnant les étapes du déménagement avec une finalisation prévue en juin ou août et pour le second sur une réunion commune du comité d'entreprise et du CHSCT du 15 juin 2017 mentionnant l'état d'avancement des opérations avec un 'tri et rangement fond papier' terminé et un 'tri et rangement fond digital en cours', comme l'archivage. La date de finalisation du déménagement était fixée au 19-21 août 2017.

L'accroissement d'activité du service des paies lié à un déménagement de l'entreprise est ainsi établi.

Si Mme [I] qui soutient que le motif réel de son engagement était le remplacement de Mme [B] responsable du service paie, produit en ce sens un courriel émanant de Mme [R] de la société FED, du 2 mars 2017 lui indiquant que le poste proposé était celui de 'Gestionnaire Paie à pourvoir au sein d'une entité du groupe ALLIANZ' en raison d'un 'Besoin dans le cadre d'un remplacement maladie de 4 mois (fév à début juin 2017)'', ce seul élément émanant non pas de la société utilisatrice mais de la société de travail temporaire est insuffisant à établir le caractère erroné du motif mentionné dans l'ensemble des contrats.

En effet, la société AWP justifie en premier lieu que Mme [B] occupait le poste de 'Responsable du service Paie' et gérait l'essentiel de l'activité de paie de l'entreprise, avec l'aide du prestataire de paie ADP pour l'établissement des bulletins de paie alors que Mme [I] a été engagée en qualité de 'gestionnaire de paie'.

Elle fait valoir également à juste titre que Mme [B] a été placée en arrêt de travail à compter du mois d'avril 2017, soit après l'arrivée de Mme [I] en son sein à compter du 7 mars 2017 et elle établit que cette absence ayant été prévue de longue date, des échanges avaient eu lieu dès le mois de décembre 2016 avec la société ADP pour organiser la reprise des tâches réalisées par Mme [B], l'avenant initial conclu à ce titre étant d'ailleurs renouvelé en raison de 'l'absence de la titulaire du poste' qui devait se prolonger sur juin et éventuellement juillet (mail du 10 mai 2017).

L'avenant du 6 février 2017 mentionnait notamment que la société ADP devait réaliser des prestations 'complémentaires', à savoir 'l'utilisation des applications fonctionnelles suivantes : paie et gestion administrative du personnel. DSN, APE EDI [édition des attestations Pôle Emploi], IJ EDI [édition des attestations de salaire dans le cadre du versement des indemnités journalières de sécurité sociale] et DUCS [établissement de la Déclaration Unifiée de Cotisations Sociales]' et une passation des tâches était prévue avant le départ de Mme [B] comme en attestent plusieurs mails en ce sens.

La société produit également plusieurs échanges entre le service des ressources humaines chez AWP et la société ADP durant la période d'absence de Mme [B] sur différents sujets afférents aux paies, tels que les bonus, les compteurs CET ou les soldes de tout compte.

Enfin, le fait que Mme [I] soit engagée au statut cadre et au forfait jours ne permet pas de conclure qu'elle remplaçait Mme [B], étant encore relevé qu'elle ne produit pas de pièces sur les missions effectivement réalisées par ses soins durant la période contractuelle.

Il en découle que la société AWP justifie de la réalité du motif indiqué dans les contrats de mission et de mise à disposition et le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes de Mme [I] à l'égard de la société utilisatrice.

Sur la demande de rappel de salaire

La cour n'ayant pas retenu que Mme [I] avait été engagée en réalité pour remplacer Mme [B] et non en raison d'un accroissement temporaire d'activité lié au déménagement de la société AWP, la salariée n'est pas fondée à réclamer un rappel de salaire à hauteur de celui de la responsable de paie.

Sur le remboursement de la provision de 1 500 euros

Par décision du 8 novembre 2017, le conseil de prud'hommes a ordonné à la société FED de payer à Mme [I] la somme de 1500 euros à titre de provision sur l'indemnité de fin de contrat.

En application de l'article L. 1251-33 du code du travail l'indemnité de fin de mission n'est pas due en cas de rupture anticipée du contrat par la faute grave du salarié.

Il en découle qu'aucune indemnité à ce titre ne peut être réclamée par la salariée qui devra donc rembourser la provision versée à ce titre par la société FED.

Sur les demandes accessoires

Mme [I] qui succombe dans son appel supportera les dépens.

En revanche, il n'est pas inéquitable de laisser à chaque partie la charge de ses frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

CONFIRME le jugement dans toutes ses dispositions ;

Y ajoutant :

CONDAMNE Mme [I] à rembourser à la société FED la somme perçue au titre de la provision de 1500 euros allouée en référé ;

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE Mme [I] aux entiers dépens.

La greffière, La présidente.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 7
Numéro d'arrêt : 19/05621
Date de la décision : 25/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-25;19.05621 ?
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