Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 7
ARRET DU 25 MAI 2023
(n° , 2 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/03101 - N° Portalis 35L7-V-B7D-B7OJQ
Décision déférée à la Cour : Jugement du 01 Février 2019 -Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de PARIS - RG n° 15/01026
APPELANT
Monsieur [V] [U]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représenté par Me Sophie LECRUBIER, avocat au barreau de PARIS, toque : D1644
INTIME
EPIC REGIE AUTONOME DES TRANSPORTS PARISIENS (RATP)
[Adresse 1]
[Localité 3])
Représentée par Me Alexa RAIMONDO, avocat au barreau de PARIS, toque : E2109
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 01 Mars 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Guillemette MEUNIER, Présidente de chambre, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Madame Bérénice HUMBOURG, Présidente de chambre
Madame Guillemette MEUNIER, Présidente de chambre
Monsieur Laurent ROULAUD, Conseiller
Greffier, lors des débats : Madame Marie-Charlotte BEHR.
ARRET :
- CONTRADICTOIRE,
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Guillemette MEUNIER, Présidente de chambre et par Madame Marie-Charlotte BEHR, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS, PROC''DURE ET PR''TENTIONS DES PARTIES
M. [U] a été embauché le 20 novembre 2000 par la régie autonome des transports parisiens (RATP) en qualité de machiniste receveur au sein du département BUS. A compter du 17 avril 2006, il a occupé les fonctions d'agent de sécurité au sein du département sécurité (SEC).
Le 26 janvier 2015, M. [U] et plusieurs de ses collègues ont saisi le Conseil des Prud'hommes de Paris afin de faire juger qu'ils avaient subi une modification de leur rémunération et une baise de leur salaire sans avoir donné leur accord suite à leur mobilité du département BUS au département SEC.
Par jugement contradictoire du 1 février 2019, le conseil de prud'hommes a :
- déclaré recevables les différentes demandes de M. [U];
- débouté M. [X] [U] de l'intégralité de ses demandes;
- rejeté la demande de la Ratp au titre de l'article 700 du code de procédure civile;
- condamné M. [X] [U] aux entiers dépens de l'instance.
Par déclaration déposée par la voie électronique du 1er mars 2019, enregistrée le 12 mars 2019, M. [U] a interjeté appel de cette décision.
Aux termes de ses dernières conclusions transmises par la voie électronique le 29 mai 2019, M. [U] demande à la cour de :
-infirmer le jugement rendu par le Conseil de Prud'hommes de Paris en formation de départage le 1er février 2019 dans toutes ses dispositions;
Statuant à nouveau,
Y ajoutant,
- condamner la Ratp à verser à M. [U] les sommes suivantes:
11 175.56 euros à titre de rappel de salaire depuis le 26 janvier 2010;
1117.55 euros au titre des congés payés afférents;
5000 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi pendant l'exécution du contrat et le préjudice de retraite;
2500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Aux termes de ses dernières conclusions transmises par la voie électronique le 18 juillet 2019, le Ratp forme appel incident et demande à la cour de :
In limine litis
- infirmer le jugement en ce qu'il a déclaré les différentes demandes de M. [U] recevables Statuant à nouveau;
En tout état de cause,
-constater que les demandes de M. [U] sont prescrites;
-confirmer les autres dispositions du jugement;
-constater que l'appelant a effectué sa mobilité en pleine connaissance de cause;
-constater que la Ratp a fait une juste application des textes internes;
-constater qu'aucune baisse de rémunération du fait de la mobilité de l'appelant n'est intervenue;
En conséquence
-débouter l'appelant de l'ensemble de ses demandes;
-condamner M. [U] à 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile;
- condamner M. [U] aux entiers dépens.
La Cour se réfère pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties à leurs conclusions.
L'instruction a été déclarée close le 1er février 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la prescription
La Ratp soutient que l'action portant sur l'exécution du contrat de travail en ce qu'il est soutenu qu'elle aurait procédé à une modification unilatérale du contrat de travail sans avoir recueilli au préalable l'accord du salarié est prescrite dès lors que ce dernier a eu connaissance dès sa mobilité intervenue en 2006 de la modification de son coefficient de rémunération et a saisi le conseil de prud'hommes le 26 janvier 2015.
M. [U] soutient au contraire que son action en rappel de salaire n'est pas prescrite en se référant au jugement qui a rappelé que les dispositions transitoires de la loi du 14 juin 2013 prévoyant l'application des nouvelles dispositions aux prescriptions en cours à compter de la date de promulgation de la loi sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure, soit cinq ans en l'espèce.
Aux termes de l'article L. 3245-1 du code du travail, issu de la loi du 14 juin 2013, l'action en paiement ou en répétition de salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait du connaître les faits lui permettant de l'exercer.
Néanmoins, l'article 21-V de la loi prévoit au titre des dispositions transitoires que les nouvelles dispositions s'appliquent aux prescriptions en cours à compter de la date de promulgation de la loi sans que la durée totale de la prescription ne puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.
La durée de la prescription est déterminée par la nature de la créance.
En l'espèce, M. [U] a saisi le conseil de prud'hommes d'une demande de rappel de salaire pour la période correspondant aux cinq dernières années avant la date de la saisine arguant d'une modification de son coefficient de rémunération suite à sa mobilité dans le département sécurité.
Il s'en évince que l'action introduite par M. [U] est au regard des demandes formulées une action en paiement de salaire soumise au délai de prescription prévu par l'article L.3245-1 du code du travail. A la date de la promulgation de la loi précitée, la prescription de son action en rappel de salaire depuis le 26 janvier 2010 n'était pas acquise de sorte qu'ayant saisi le conseil de prud'hommes le 26 janvier 2015, il est recevable à réclamer des créances salariales pour la période correspondant aux cinq dernières années avant la saisine du conseil de prud'hommes.
Le conseil de prud'homes doit être approuvé en ce qu'il déclaré son action recevable.
Sur le rappel de salaires
La Ratp rappelle à titre préliminaire que le montant du salaire statutaire résulte du produit de la valeur du point, du coefficient de base de l'agent et d'un pourcentage de majoration identique pour tous les agents. Le coefficient est déterminé par le niveau (grade) et l'échelon de l'agent auquel il faut ajouter les éventuels points de majoration. En cas de mobilité, plusieurs textes trouvent à s'appliquer:
- le protocole d'accord-cadre relatif à la mobilité et le parcours professionnel des opérateurs;
- le protocole d'accord cadre sur l'accompagnement des parcours professionnels et de la mobilité signé le 4 novembre 2014 et venant remplacer le protocole de 2008;
- le protocole d'accord 2008-2012 sur le déroulement de carrières des agents de sécurité signé le 13 septembre 2013 en remplacement du protocole carrière de 2008.
Aux termes de ces textes, elle fait valoir que l'agent qui effectue une mobilité d'un département vers un autre conserve son niveau de carrière, étant observé que les niveaux de carrière des machinistes (BC1, BC2 etc) différent de ceux des agents de sécurité (E6, E7 etc).Ainsi, le niveau BC2 correspond au niveau E7. En raison des différences de coefficient, des protocoles d'accord ont été adoptés afin de garantir l'efficacité du principe du maintien du niveau acquis. L'accord signé en juin 2008 vient par ailleurs introduire une compensation du coefficient de grille dès lors qu'un agent ayant effectué une mobilité entre deux départements subit une différence de rémunération en raison d'une diminution de son coefficient statutaire qui est alors compensée par ' l'attribution au coefficient actuel d'un nombre de points permettant d'atteindre l'ancien coefficient' avec la réserve que cet accord, applicable à compter du 18 juin 2008, pose comme condition d'avoir réellement exercé le métier quitté pendant 10 ans puis 5 ans à compter de l'accord signé le 4 novembre 2014 et entré en vigueur le 1er janvier 2015 . Par ailleurs, il est prévu une compensation du changement de rémunération correspondant à un montant forfaitaire égal à 12 mois de différentiel.
La Ratp en conclut qu'elle a fait une stricte application de ces textes et que le salarié n'a pas subi de préjudice du fait de sa mobilité dès lors qu'il a perçu une rémunération supérieure à celle qu'il percevait dans son ancien département, l'écart de coefficient induit par le changement de filière ayant été non seulement compensé mais dépassé, et qu'il a reçu toute information.
M. [U] rétorque que les principes posés par les textes visés par l'employeur confirment l'existence d'une baisse de salaire statutaire dans le cadre d'une mobilité. Il rappelle qu'il a effectué sa mobilité en avril 2006 et que sa rémunération a été impactée par son changement de poste à compter du mois de mai 2006. Il n'a pourtant signé aucun avenant à son contrat, n'a reçu aucune information relative à sa rémunération et n'a bénéficié d'aucune compensation ni de coefficient de grille, ni pour le changement de sa rémunération dès lors que sa mobilité a été effectuée avant l'entrée en vigueur de ces accords. Contrairement à l'appréciation retenue par les premiers juges, il soutient que la réduction du salaire statutaire ensuite de sa mobilité est bien une modification essentielle de son contrat de travail qui lui a été imposée unilatéralement.
Il ressort de l'extrait l'instruction générale 468 A produite par les parties que ' le maintien du niveau acquis dans la grille s'applique depuis le 1er janvier 1992, lors des changements de métier et de catégorie'.
En l'espèce, M. [U] avait atteint le niveau BC2 correspondant au niveau E7 pour le département sécurité lorsqu'il a bénéficié par sa mobilité d'une affectation au sein du département sécurité en qualité d'agent de sécurité.
Sa rémunération de base (élément soumis à retraite) s'élevait à la somme de1618, 82 euros au mois d'avril 2016, outre 179, 87 euros à titre de complément soumis à retraite. En qualité d'agent de sécurité, il percevait à compter du mois de mai 2006 au niveau E7 une rémunération de base (élément soumis à retraite) de 1535, 70 euros, outre 170, 63 euros de complément soumis à retraite, puis 1541, 82 euros à compter de juin ayant évolué jusqu'à 1565, 71 euros au mois de mai 2007.
Il est selon le récapitulatif de sa carrière produit aux débats demeuré à l'échelon 5 jusqu'au 1er février 2010 puis est passé à l'échelon 8 le 1er décembre 2012, l'échelon 9 le 1er février 2014 avant d'atteindre l'échelon 11 en 2018.
La Ratp ne conteste pas que le salarié a opéré sa mobilité en rejoignant le département sécurité le 17 avril 2006 et n'est donc pas concerné par les textes visés ci-avant.
Or, la simple comparaison des échelons B C2 et E 7 au visa de la grille produite pourtant présentés comme équivalent révèle une diminution de la 'rémunération statutaire' pour celui qui a été affecté du secteur dit Bus au secteur Sécurité. C'est ainsi que la rémunération applicable au niveau 7, échelon 5 et coefficient 291, 9 qu'il atteignait par la mobilité ne correspond pas à celle qu'il percevait jusque là au niveau BC2, échelon 5 et coefficient 307, 77.
La Ratp ne saurait arguer de ce que la rémunération totale serait finalement identique voire supérieure par l'attribution de primes supplémentaires nécessairement plus importantes pour les agents de sécurité. En effet, le salarié est fondé à souligner que la diminution de sa 'rémunération statutaire ' ou traitement (dit T) entraînant un e diminution du complément consécutivement à sa mobilité n'est pas sans incidence sur le calcul de sa retraite alors que les primes ne sont pas prises en compte dans le calcul de la pension de retraite. Il sera à cet égard noté que les bulletins de salaire produits font apparaître la mention de ' élément de traitement soumis à retraite'. L'examen plus avant de la structure de la rémunération telle qu'elle ressort des bulletins de salaire distingue les éléments soumis à retraite des primes, le tout constituant le brut imposable.
Il appartient en tout état de cause à l'employeur de justifier de cette diminution de rémunération et de l'accord donné par le salarié, étant observé que son accord à sa mobilité dans un autre secteur ne saurait valoir accord express à une modification de sa rémunération, élément essentiel du contrat de travail.
Pour justifier d'un tel accord, la Ratp verse une attestation émanant de Mme [B] membre du pôle Ressources Humaines du département Sec (sécurité) déclarant que' le pôle dont elle fait partie assure des présentations métier aux agents qui sont en processus de mobilité' et que 'lors de ces présentations, il est précisé aux agents issus d'autres départements qu'ils conservent leur niveau de rémunération compte tenu du maintien du niveau acquis ainsi que du montant des primes versées par le département de la sécurité'.
La Ratp n'était pas sans ignorer les difficultés qui ont conduit à ce que des agents maintenus pourtant au même échelon par l'équivalence percevaient une rémunération soumise à retraite moindre que s'ils étaient restés dans leur département d'origine. C'est d'ailleurs en ce sens que les négociations se sont ouvertes avec les organisations syndicales aboutissant aux accords précités qui ne sont pas applicables à M. [U].
L'information qui a pu être donnée aux agents selon les termes de l' attestation peu circonstanciée ne permet pas d'en déduire que le salarié a été informé que son traitement soumis à retraite qui correspond à l'élément T (traitement ) décrit ci-avant subirait une modification. Il ne permet pas plus d'établir qu'il a donné son accord à cette modification.
Dès lors, M. [U] est fondé à réclamer un rappel de salaire.
Sur le calcul de ce rappel, il sera retenu que le salarié retient avoir subi une baisse de rémunération systématique à hauteur de 92, 36 euros par mois, soit depuis le 26 janvier 2010 correspondant à 9 années et 4 mois
Il sera accordé à M. [U] le rappel de salaire sollicité, dont le montant est déterminé conformément au détail du calcul mentionné dans ses conclusions toutefois sur 12 et non 13 mois, ce calcul n'étant pas contesté par l'employeur dans ses écritures.
Il sera ainsi alloué au salarié la somme de 10 344, 32 euros bruts de rappel de salaire, outre
1 034,43 euros bruts de congés payés afférents.
Sur la demande de dommages et intérêts
M. [U] sollicite la condamnation de son employeur à lui verser la somme de 5000 euros à titre de dommages et intérêts aux motifs qu'avec la baisse intervenue ensuite de sa mobilité il a été de facto privé d'une partie conséquente de son ancienneté et va retirer un important préjudice de retraite et qu'il a subi un préjudice durant l'exécution de son contrat de travail.
Il ressort des développements retenus ci-avant que M. [U] subit de par la diminution certaines années de sa rémunération statutaire ensuite de sa mobilité d'un préjudice de retraite. Cependant, dans la mesure où l'évolution de carrière n'est pas certaine puisqu'elle n'est pas automatique et ne dépend pas seulement de l'ancienneté du salarié, et au vu de l'absence d'évaluation de la retraite à laquelle l'agent pourra prétendre mais aussi de l'évolution de sa carrière au niveau E, il ne peut s'agir d'un préjudice réel et certain mais seulement d'une perte de chance d'obtenir une hausse du montant de sa pension de retraite corrélativement à la diminution de sa rémunération constatée suite à sa mobilité.
Toutefois, la Cour ne dispose d'aucun élément pour évaluer ce préjudice. M. [U] ne justifie pas plus d'un préjudice distinct au titre de l'exécution du contrat de travail du rappel de salaire qui lui a été accordé. Il sera en conséquence débouté de sa demande de dommages et intérêts.
Sur les autres demandes
La Ratp sera condamnée aux dépens et à verser à M. [U] la somme de 1000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle sera déboutée de ses demandes formées à ce titre.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
INFIRME le jugement déféré sauf en ce qu'il a déclaré les demandes de M. [U] recevables et l'a débouté de sa demande de dommages et intérêts;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
CONDAMNE l'Epic Régie Autonome des transports parisiens à payer à M. [V] [U] les sommes suivantes:
10 344, 32 euros bruts à titre de rappel de salaires;
1034,43 euros bruts à titre de congés payés afférents;
1000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile;
CONDAMNE l'Epic Régie Autonome des transports parisiens aux dépens de première instance et d'appel;
DEBOUTE les parties de toute autre demande.
La greffière, La présidente.