REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 3
ARRET DU 24 MAI 2023
(n° ,5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/11731 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CBAZR
Décision déférée à la Cour : Jugement du 28 Juin 2019 - Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de BOBIGNY - RG n° 13/05915
APPELANTS
Monsieur [H] [C]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Syndicat ALTER, prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 4]
[Localité 5]
Représentés par Me Chanel DESSEIGNE, avocat au barreau de PARIS, toque : B0372
INTIMEE
SA AIR FRANCE, prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 3]
[Localité 6]
Représentée par Me Harold HERMAN, avocat au barreau de PARIS, toque : T03
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 08 Mars 2023, en audience publique, les avocats ne s'étant pas opposés à la composition non collégiale de la formation, devant Mme Anne MENARD, Présidente de chambre, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Madame Anne MENARD, présidente
Madame Fabienne ROUGE, présidente
Madame Véronique MARMORAT, présidente
Lors des débats : Mme Sarah SEBBAK, greffière
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 24 mai 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
- signé par Madame Anne MENARD, présidente et par Camille BESSON, Greffière en pré-affectation sur poste, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE
Monsieur [C] est pilote au sein de la société Air France.
En 2011, la compagnie a décidé d'opérer une refonte de sa documentation opérationnelle à destination des pilotes. Cette refonte des manuels d'exploitation (Manex) consistait notamment à les aligner sur la documentation constructeur. Les manuels qui étaient rédigés en français et en anglais ont fait place à une documentation intégralement rédigée en anglais. Par ailleurs, cette documentation a été rapidement dématérialisée, une tablette s'étant substituée aux classeurs papiers. La mise en place de cette documentation s'est opérée de 2012 à 2014, et elle a fait suite à une mission d'expertise externe consécutive à l'accident du vol AF447 le 1er juin 2009.
Monsieur [C] a saisi le conseil de prud'hommes de Bobigny afin d'obtenir le paiement de rappels de salaires et de dommages et intérêts pour le temps qu'il a consacré sur ses heures de repos à la formation, afin d'assimiler ce changement de documentation.
Le syndicat Alter est intervenu à l'instance pour solliciter des dommages et intérêts en raison de l'atteinte à l'intérêt collectif de la profession.
Ils ont été déboutés de leurs demandes et monsieur [C] a été condamné au paiement d'une somme de 50 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile par jugement du 28 juin 2019, rendu en formation de départage.
Le salarié et le syndicat Alter ont régulièrement interjeté appel de ce jugement.
Par conclusions récapitulatives du 25 février 2020, auxquelles il convient de se reporter en ce qui concerne ses moyens, monsieur [C] demande à la cour le paiement de :
- deux mois de salaire au titre des heures de formation effectuées sur son temps de repos et les congés payés afférents
- des dommages et intérêts à hauteur de un mois de salaire pour le préjudice subi en raison de ce travail sur son temps de repos
- des dommages et intérêts à hauteur de un mois de salaire pour exécution déloyale du contrat de travail
- la somme de 2.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions récapitulatives du 20 juillet 2020, auxquelles il convient de se reporter en ce qui concerne ses moyens, le syndicat Alter demande à la cour d'infirmer le jugement, de déclarer son intervention recevable, de faire droit aux demandes du salarié, et de condamner la société Air france à lui payer au titre du préjudice subi par la profession la somme de 30.000 euros (somme globale), ainsi que la somme de 4.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile (somme globale).
Par conclusions récapitulatives du 19 août 2020, auxquelles il convient de se reporter en ce qui concerne ses moyens, la société Air France demande à la cour de confirmer le jugement, de débouter monsieur [C] de toutes ses demandes, et de le condamner au paiement d'une somme de 5.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 32-1 du code de procédure civile, et d'une somme de 2.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle demande à la cour de déclarer le syndicat Alter irrecevable, ou subsidiairement de le débouter.
La Cour se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel.
MOTIFS
Monsieur [C] expose que le temps considérable qu'il a dû consacrer aux modifications et adaptations de la documentation, dans une langue non native, constitue en raison de son ampleur un travail exceptionnel de formation, qui ne peut être considéré comme s'inscrivant dans la formation continue rémunérée par l'employeur. Il soutient que le déploiement de la documentation constructeur ne peut s'inscrire dans le maitien à jour de ses connaissances par le salarié pilote, et que l'ampleur de ce changement de philosophie et de méthodes, ainsi que le recours à l'anglais, sont allés bien au-delà d'un simple maintien des compétences.
La compagnie Air France expose que la profession de pilote échappe au droit commun en ce qui concerne la durée du travail, et que la rémunération est exprimée en heures de vol; que pour les activités qui ne sont pas des heures de vol, une rémunération appelée 'traitement mensuel fixe' est versée ; qu'enfin, l'accord de réduction du temps de travail prévoit le versement de primes de vol fictives pour certaines activités au sol énumérées par l'accord. Elle fait valoir que le travail de formation réalisé par le pilote à son domicile pour maintenir ses compétences est rémunéré par le traitement mensuel fixe.
Aux termes de l'article 6321-1 du code du travail, 'l'employeur assure l'adaptation des salariés à leur poste de travail.
Il veille au maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l'évolution des emplois, des technologies et des organisations'.
Aux termes de l'article 6321-2 du code du travail dans sa rédaction applicable, 'toute action de formation suivie par un salarié pour assurer son adaptation au poste de travail ou liée à l'évolution ou au maintien dans l'emploi dans l'entreprise constitue un temps de travail effectif et donne lieu pendant sa réalisation au maintien par l'entreprise de la rémunération'.
En l'espèce, il est acquis et non contesté que la rémunération des pilotes comporte, outre la rémunération des heures de vol, un salaire complémentaire pour le travail au sol, représentant environ le quart de la rémunératoin totale des pilotes. Ce travail au sol est constitué de la préparation du vol, mais aussi du temps consacré au maintien des compétences pour pouvoir voler : maintien à jour de ses connaissances, assimilation des mises à jours opérationnelles, préparations des contrôles sur simulateurs ou examens de maîtrise de l'anglais notamment.
La question qui est posée est donc de savoir si le travail réalisé par les pilotes pour acquérir cette refonte du Manex est susceptible de s'inscrire ou non dans cette formation continue rémunérée.
En premier lieu, la cour observe qu'un certain nombre de journées de formation ont été organisées par l'employeur, et rémunérées comme telles: notamment une journée de présentation de chacune des phases 1 et 2 du Manex B, des sécances en simulateurs (4 ou 5 dont une de contrôle), une présentation du système Optima, deux jours de présentation de la documentation électronique, et deux jours de stage en anglais. Sur ce dernier point, il était proposé par l'employeur une formation complémentaire personnalisée que monsieur [C] n'a pas demandée.
Pour autant, une large partie du travail a été réalisée par les pilotes de manière personelle, hors toute action de formation spécifique.
Le salarié relève que la nouvelle documentation, qui est la documentation constructeur, est désormais exclusivement en anglais, à l'exception du Manex A.
Toutefois, il convient de rappeler que les documents liés à l'activité d'une entreprise de transport aérien échappent à l'obligation de rédiger en anglais les documents dont la connaissance est nécessaire au salarié pour l'exécution de son contrat de travail. Cette exception s'explique par le caractère international de l'activité qui rend nécessaire pour la sécurité des vols l'utilisation d'une langue commune.
Dans ce contexte, l'obtention de la licence de pilote et son maintien sont conditionnés par la maîtrise de l'anglais opérationnel.
Dans ces conditions, monsieur [C] ne peut soutenir que la maîtrise attendue de lui de la nouvelle documentation a été rendue plus difficile en raison du recours à l'anglais.
Par ailleurs, en ce qui concerne l'ampleur des modifications apportées aux procédures, il est versé aux débats en cause d'appel une pièce 46 intitulée 'Pour bien comprendre ce qui change entre les anciennes et les nouvelles méthodes de production'. Il s'agit d'un 'avant/après' élaboré par les pilotes. La cour ne peut qu'observer que ce document ne comporte qu'une quinzaine de pages, étant précisé que s'agissant du Manex B concerné, le changement de documentation s'est opéré entre l'automne 2012 et l'hiver 2013, soit sur plus d'une année, ce qui permettait l'assimilation des données de manière progressive.
Par ailleurs, les pilotes connaissaient déjà parfaitement les avions sur lesquels ils volaient, de sorte que l'assimilation de la documentation constructeur, même en anglais et avec une modification de certaines procédures, ne constituait pas un apprentissage nouveau.
Cette charge de travail n'apparaît en rien disproportionnée avec le temps de formation qui est rémunéré par l'employeur au titre du maintien des compétences, de sorte que le jugement doit être confirmé en ce qu'il a retenu que le temps passé à préparer les formations organisées par la compagnie et à assimilier la nouvelle documentation n'avait pas à être rémunéré par des heures supplémentaires.
Monsieur [C] soutient également que la mise en oeuvre de cette documentation entraînait une modification de l'organisation du travail, et des techniques de travail, qui aurait nécessité la consultation du comité d'établissement et du CHSCT.
Toutefois, les éléments du dossier ne permettent pas de retenir que le remaniement du Manex ait impliqué une modification de l'organisation du travail entrant dans le champ des dispositions légales relatives à la consultation des institutions représentatives du personnel. Monsieur [C] ne donne aucune précision sur les modifications de l'organisation et des techniques de travail auxquelles il se réfère.
Pour les motifs déjà développés, il n'apparaît pas que l'employeur ait mis monsieur [C] en situation de devoir travailler sur son temps de repos, ou qu'il ait exécuté de manière déloyale le contrat de travail, de sorte qu'il ne sera pas fait droit aux demandes de dommages et intérêts.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a débouté le salarié de ses demandes.
*
A titre reconventionnelle, la compagnie Air France sollicite des dommages et intérêts pour procédure abusive.
Toutefois, les éléments du dossier ne permettent pas de retenir que monsieur [C] ait abusé du droit d'agir en justice ou d'interjeter appel, la compagnie ne motivant d'ailleurs pas cette demande, dont elle sera par conséquent déboutée.
*
L'action portant sur la rémunération du temps consacré à la formation, elle concerne des faits susceptibles de porter un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession, de sorte que l'intervention du syndicat Alter est recevable.
Compte tenu des développements qui précèdent, il sera débouté de ses demandes, le jugement étant également confirmé de ce chef.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
CONFIRME le jugement.
Vu l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE monsieur [C] à payer à la société Air France en cause d'appel la somme de 1.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
DÉBOUTE les parties du surplus de leurs demandes.
CONDAMNE monsieur [C] aux dépens de première instance et d'appel.
La Greffière, La Présidente,