RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 13
ARRÊT DU 19 Mai 2023
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 18/11286 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B6QUP
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 04 Septembre 2018 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale d'EVRY RG n° 17/00909
APPELANTE
SAS CARREFOUR HYPERMARCHES
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Valérie SCETBON GUEDJ, avocat au barreau de PARIS, toque : P0346 substitué par Me Thomas KATZ, avocat au barreau de PARIS, toque : P0346
INTIMEE
CPAM 13 - BOUCHES DU RHONE
782 - Service Contentieux
Secteur Juridictions
[Adresse 4]
[Localité 2]
représenté par Me Florence KATO, avocat au barreau de PARIS, toque : D1901
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 08 Mars 2023, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant M. Gilles BUFFET,Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
M Raoul CARBONARO, Président de chambre
M Gilles BUFFET, Conseiller
M Natacha PINOY, Conseillère
Greffier : Mme Fatma DEVECI, lors des débats
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé
par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
-signé par M Raoul CARBONARO, Président de chambre et par Mme Fatma DEVECI, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La cour statue sur l'appel interjeté par la société Carrefour Hypermarchés d'un jugement rendu le 4 septembre 2018 par le tribunal des affaires de sécurité sociale d'Evry dans un litige l'opposant à la Caisse primaire d'assurance maladie des Bouches du Rhône.
FAITS, PROCEDURE, PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :
Monsieur [Z] [B], salarié de la société Carrefour Hypermarchés (la société) en qualité de conseiller de vente, a été victime d'un accident du travail le 18 août 2011 et déclaré le même jour par son employeur qui a décrit les circonstances suivantes : « en tirant une palette du frigo ''boucherie'' j'ai ressenti une douleur ».
Le certificat médical initial du 18 août 2011 constate des « lombalgies » et prescrit un arrêt de travail jusqu'au 23 août 2011.
Par décision du 1er septembre 2011, la Caisse primaire d'assurance maladie des Bouches du Rhône (la caisse) a pris en charge l'accident au titre de la législation sur les risques professionnels. Le médecin conseil de la caisse a fixé la date de consolidation de l'état de santé de l'assuré au 29 septembre 2012 et un taux d'incapacité permanente partielle de 5% à compter du 30 septembre 2012.
Après vaine saisine de la commission de recours amiable, la société a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale d'Evry pour se voir déclarer inopposables les soins et arrêts de travail pris en charge par la caisse au titre de l'accident du travail du 18 août 2011, sollicitant, à titre subsidiaire, la mise en oeuvre d'une expertise judiciaire.
Par jugement du 4 septembre 2018, le tribunal a déclaré la société recevable en son recours mais mal fondée, débouté la société de l'ensemble de ses demandes au titre de l'accident du travail du 18 août 2011 dont son salarié a été victime et condamné la société à verser à la caisse la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour statuer ainsi, le tribunal a retenu que la caisse a versé l'ensemble des certificats médicaux initial et de prolongation attestant de la continuité des symptômes et des soins, de sorte que la présomption d'imputabilité trouvait à s'appliquer ; qu'il appartenait à la société de détruire cette présomption ; que la note de son médecin conseil, le docteur [H], du 11 juin 2018 est d'ordre général et que ses conclusions relèvent d'une affirmation sans fondement médical objectif ; que cet avis est insuffisant à remettre en cause l'appréciation du médecin traitant et du médecin conseil de la caisse ; que la société ne justifiait d'aucun élément de nature à renverser la présomption d'imputabilité ni à constituer un commencement de preuve permettant que soit ordonnée une mesure d'expertise judiciaire.
La société a interjeté appel de ce jugement qui lui avait été notifié le 10 septembre 2018 par courrier recommandé avec avis de réception du 8 octobre 2018.
Par ses conclusions écrites déposées et soutenues oralement à l'audience par son conseil, la société demande à la cour de :
- déclarer son recours recevable et bien fondé,
A titre principal,
- constater que les prestations servies à l'assuré font grief à la société au travers de l'augmentation de ses taux de cotisation accidents du travail,
- constater que l'employeur rapporte la preuve de l'absence d'imputabilité à la lésion initiale des soins et arrêts de travail pris en charge postérieurement au 18 octobre 2011,
En conséquence,
- déclarer inopposables à son égard les soins et arrêts de travail pris en charge par la caisse au titre de l'accident postérieurement au 18 octobre 2011,
- fixer la date de consolidation de l'accident du 18 août 2011 au 18 octobre 2011, dans les rapports Caisse/employeur,
A titre subsidiaire,
- constater qu'il existe un litige d'ordre médical portant sur la réelle imputabilité des lésions, prestations, soins et arrêts de travail indemnisés au titre de l'accident du 18 août 2011,
- ordonner, avant dire droit au fond, une expertise médicale judiciaire confiée à tel expert avec pour mission de :
- convoquer contradictoirement les parties,
- prendre connaissance de l'entier dossier médical de l'assuré établi par la caisse au titre de l'accident du 18 août 2011,
- déterminer exactement les lésions initiales provoquées par l'accident,
- fixer la durée des arrêts de travail en relation directe et exclusive avec ces lésions,
- dire si l'accident a seulement révélé ou si il a temporairement aggravé un état indépendant à décrire et dans ce dernier cas, dire à partir de quelle date cet état est revenu au statu quo ante ou a recommencé à évoluer pour son propre compte,
- en tout état de cause, dire à partir de quelle date la prise en charge des arrêts de travail au titre de la législation professionnelle n'est plus médicalement justifiée au regard de l'évolution du seul état consécutif à l'accident,
- fixer la date de consolidation des seules lésions consécutives à l'accident à l'exclusion de tout état indépendant évoluant pour son propre compte.
La société fait essentiellement valoir que :
- la durée des arrêts de travail de 167 jours est manifestement disproportionnée au regard de la lésion initiale,
- il résulte d'une note de son médecin conseil, le docteur [H], que l'assuré présentait un état pathologique antérieur caractérisé, indépendant de l'accident du travail du 18 août 2011,
- selon le docteur [H], il est matériellement, médicalement et physiologiquement impossible que les fractures vertébrales constatées le 18 octobre 2011 (tassement de la vertèbre L2 et facture des vertèbres L3 et L4) aient pu être provoquées par un simple effort de traction, sans traumatisme direct au niveau du rachis ni traumatisme violent dans l'axe,
- d'après son médecin, chez un homme de 44 ans, a priori non osthéoporotique, les fractures vertébrales sont des pathologies indépendantes de l'accident, à considérer comme un état antérieur,
- le docteur [H] estime que la consolidation voire la guérison avec retour à l'état antérieur doit être fixée au 18 octobre 2011,
- les lésions déclarées par l'assuré ne pouvaient raisonnablement engendrer des arrêts de travail au-delà du 18 octobre 2011,
- les éléments produits par l'employeur constituent un commencement de preuve de l'existence d'un litige d'ordre médical sur l'imputabilité et le bien fondé des arrêts pris en charge,
- elle ne dispose pas de toutes les pièces sur lesquelles le médecin conseil de la caisse a fondé ses décision,
- ces éléments justifient la mise en oeuvre d'une expertise judiciaire.
Aux termes de ses conclusions écrites déposées et soutenues oralement par son conseil, la caisse demande à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris,
- débouter la société de son recours,
- déclarer opposable la prise en charge de l'ensemble des arrêts de travail et soins consécutifs à l'accident du travail dont l'assuré a été victime le 18 août 2011,
- rejeter la demande d'expertise médicale judiciaire de la société.
La caisse fait valoir essentiellement que :
- la société ne rapporte pas la preuve que tout ou partie des lésions ont une cause totalement étrangère au travail,
- elle rapporte la preuve que l'état de santé de l'assuré nécessitait une prise en charge des soins et arrêts de travail consécutifs à l'accident jusqu'au 29 septembre 2012, date de la consolidation,
- elle justifie d'une continuité de symptômes et de soins jusqu'à cette date,
- le service médical de la caisse, en réponse à l'avis du docteur [H], conclut qu'au regard du bilan d'imagerie, de l'avis d'un spécialiste et du tableau clinique de l'assuré, l'arrêt de travail est justifié jusqu'au 6 janvier 2012,
- à cet égard, le service médical estime que les fractures cunéiformes des corps vertébraux de L2, L3 et L4 n'ont pu être provoquées par le fait traumatique du 18 août 2011, de sorte que la date de consolidation initialement fixée au 29 septembre 2012 pouvait être ramenée au 6 janvier 2012.
Il est fait référence aux écritures déposées par les parties lors de l'audience du 8 mars 2023 et soutenues oralement pour plus ample exposé de leurs moyens.
SUR CE :
Il résulte de l'article L.411-1 du code de la sécurité sociale que la présomption d'imputabilité au travail des lésions apparues à la suite d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, dès lors qu'un arrêt de travail a été initialement prescrit ou que le certificat médical initial d'accident du travail est assorti d'un arrêt de travail, s'étend à toute la durée d'incapacité de travail précédant soit la guérison complète, soit la consolidation de l'état de la victime.
Il appartient à l'employeur qui conteste cette présomption d'apporter la preuve contraire, à savoir que les soins et arrêts contestés sont totalement étrangers au travail, peu important le caractère continu ou non des soins ou symptômes qui n'est pas de nature à remettre en cause les conditions de la présomption d'imputabilité des arrêts et des soins à l'accident du travail (civ.2e., 9 juillet 2020, pourvoi n° 19-17.626, arrêt PBI ; civ.2e., 18 février 2021, pourvoi n° 19-21.94 ; dans le même sens civ.2e., 12 mai 2022, pourvoi n° 20-20.655).
En l'espèce, le certificat médical initial du 18 août 2011 étant assorti d'un arrêt de travail, la présomption d'imputabilité à l'accident du travail s'applique à l'ensemble des soins et arrêts de travail prescrits jusqu'à la date de consolidation fixée par le médecin conseil de la caisse au 29 septembre 2012.
La société fait valoir, au regard de l'avis médico-légal établi par le docteur [H], que la preuve est rapportée de l'absence d'imputabilité à l'accident du travail des soins et arrêts de travail pris en charge par la caisse postérieurement au 18 octobre 2011.
Il résulte de cet avis que la symptomatologie initiale est purement lombaire ; qu'elle est remplacée le 23 août 2011 par la constatation d'une sciatique droite ; qu'à partir du 16 septembre 2011, la symptomatologie ne comporte plus de douleur du membre inférieur mais uniquement des douleurs du rachis lombo sacré ou dorso lombaire ; que, le 18 octobre 2011, soit deux mois après l'accident, probablement à la suite de radiographies, le médecin traitant rapporte ces douleurs rachidiennes à des fractures vertébrales : tassement de la vertèbre L2 et fracture des vertèbres L3 et L4 ; qu'il est matériellement, médicalement et physiologiquement impossible que ces fractures vertébrales aient pu être provoquées par un simple effort de traction, sans traumatisme direct au niveau du rachis ni traumatisme violent dans l'axe ; que, chez un homme de 44 ans, a priori non ostéoporotique, il s'agit donc de pathologies indépendantes de l'accident, à considérer comme un état antérieur ; qu'à partir du moment où est mis en évidence l'état antérieur sous forme de fractures de plusieurs vertèbres lombaires, on doit considérer que la simple lombalgie d'effort en rapport avec l'accident avait cessé d'évoluer et qu'il s'agit ensuite de l'évolution exclusive pour son propre compte de l'état antérieur.
Le docteur [H] conclut donc que la consolidation voire la guérison avec retour à l'état antérieur doit être fixée au 18 octobre 2011.
Aux termes de son argumentaire du 21 janvier 2022 produit aux débats, le médecin conseil de la caisse indique que, le 18 août 2011, sur son lieu de travail, suite à un mouvement de traction avec déséquilibre arrière, l'assuré a présenté un traumatisme par choc direct lombaire droit contre un coin de mur et hyperextension rachidienne ; qu'un bilan d'imagerie a été effectué avec radio et scanner du rachis lombaire, l'assuré ayant aussi pris l'avis spécialisé d'un rhumatologue ; que le tableau clinique présenté par l'assuré ayant motivé la prescription par son médecin traitant d'un bilan complémentaire d'imagerie et la demande d'un avis spécialisé explique la première période d'arrêt de travail (du 18 août 2011 au 6 janvier 2012).
Le médecin conseil de la caisse convient cependant que les fractures cunéiformes des corps vertébraux de L2, L3 et L4 n'ont pu être causées par le fait traumatique relaté le 18 août 2011, estimant que l'arrêt de travail médicalement justifié et en lien avec l'accident du travail du 18 août 2011 s'entend jusqu'au 6 janvier 2012.
Cet état antérieur est également mentionné dans les conclusions médicales du service médical de la caisse fixant le taux d'incapacité permanente partielle, ayant constaté de manière concordante une ' fracture tassement cunéiforme antérieur du corps vertébral de L2 plus fracture au niveau de la partie antéro supérieure de L4 (...)'.
Aussi, au regard de l'avis circonstancié du docteur [H], qui n'est pas formellement contesté par le médecin conseil de la caisse, il y a lieu de retenir que les soins et arrêts de travail en relation avec le tassement de la vertèbre L2 et la fracture des vertèbres L3 et L4 concernent un état antérieur indépendant de l'accident du travail initial ayant évolué pour son propre compte.
Si le certificat médical de prolongation du 18 octobre 2011 mentionne une 'douleur rachis lombo sacré (fracture tassement vertèbre L2)', il n'évoque pas la fracture des vertèbres L3 et L4.
Le certificat médical de prolongation du 2 novembre 2011 constate, en revanche, 'fracture L4 et L3, tassement L2".
Aussi, il y a lieu de retenir que les soins et arrêts de travail postérieurs au 2 novembre 2011 ne sont pas imputables à l'accident du travail du 18 août 2011.
Par conséquent, sans qu'il soit nécessaire de procéder à une expertise qui n'apparaît pas nécessaire, il convient d'infirmer le jugement déféré et, statuant à nouveau, de dire inopposables à la société les soins et arrêts de travail prescrits à l'assuré postérieurement au 2 novembre 2011 au titre de l'accident du travail dont il a été victime le 18 août 2011.
Succombant en appel, la caisse sera tenue aux dépens.
PAR CES MOTIFS :
LA COUR
DECLARE l'appel recevable ;
INFIRME le jugement rendu le 4 septembre 2018 par le tribunal des affaires de sécurité sociale d'Evry en toutes ses dispositions sauf en celle ayant déclaré la société Carrefour Hypermarchés recevable en son recours,
Statuant à nouveau,
DECLARE inopposables à la société Carrefour Hypermarchés les soins et arrêts de travail prescrits à M. [Z] [B] postérieurement au 2 novembre 2011 au titre de l'accident du travail dont il a été victime le 18 août 2011,
CONDAMNE la Caisse primaire d'assurance maladie des Bouches du Rhône aux dépens d'appel.
La greffière Le président