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17/05/2023 | FRANCE | N°22/17882

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 1 - chambre 2, 17 mai 2023, 22/17882


Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 1 - Chambre 2



ARRÊT DU 17 MAI 2023



(n° , 6 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/17882 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGSGF



Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 16 Septembre 2022 -TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de paris - RG n° 22/52560





APPELANTE



S.A.R.L. AKIVA, RCS de Paris sous le nÂ

°511 857 294, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège



[Adresse 4]

[Localité 3]



Représentée et assistée par Me Thierry TONNELLI...

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 2

ARRÊT DU 17 MAI 2023

(n° , 6 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/17882 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGSGF

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 16 Septembre 2022 -TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de paris - RG n° 22/52560

APPELANTE

S.A.R.L. AKIVA, RCS de Paris sous le n°511 857 294, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représentée et assistée par Me Thierry TONNELLIER de la SELASU UTOPIA, avocat au barreau de PARIS, toque : D1020

INTIMEE

LE COMITÉ NATIONAL CONTRE LE TABAGISME (CNCT), pris en la personne de son Président, M. [P] [Y]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Domitille PHILIPPART, avocat au barreau de PARIS, toque : C2616

Assistée à l'audience par Me Hugo LEVY, avocat au barreau de RENNES

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 30 Mars 2023, en audience publique, Thomas RONDEAU, Conseiller, ayant été entendu en son rapport dans les conditions prévues par l'article 804, 805 et 905 du code de procédure civile, devant la cour composée de :

Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre

Thomas RONDEAU, Conseiller,

Michèle CHOPIN, Conseillère,

Qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Saveria MAUREL

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre et par Saveria MAUREL, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

*****

EXPOSÉ DU LITIGE

Le Comité National Contre le Tabagisme (ci-après CNCT) est une association reconnue d'utilité publique ayant pour mission de veiller au respect de la législation luttant contre le tabagisme et ses méfaits pour la santé publique.

La société Akiva est un fabricant français de produits e-liquides pour les produits de vapotage. Cette société est éditrice d'un site internet accessible en France aux adresses « Wpuff.com » et « Wpuff.fr » destiné à un public francophone sur lequel elle commercialise un dispositif de vapotage électronique et des flacons de recharge associés.

Le CNCT a fait établir des constats d'huissier de justice en date du 16 février 2022 qui démontreraient la vocation publicitaire du site.

Par acte du 21 mars 2022, le Comité National Contre le Tabagisme a assigné la société Akiva devant le président du tribunal judiciaire de Paris, statuant en référé, aux fins d'obtenir la cessation de ce qu'il qualifie de trouble manifestement illicite, sur son site internet et sa page instagram, outre une provision.

La société Akiva s'est opposée aux demandes.

Par ordonnance contradictoire du 16 septembre 2022, le magistrat saisi a :

- déclaré irrecevables les demandes formées par l'association Comité National Contre le Tabagisme et tendant à ce qu'il soit enjoint à la société Akiva de supprimer les sites accessibles en France aux adresses « Wpuff.fr », « Wpuff.com », et « wpuff.liquideo » accessibles sur le réseau social instagram, à ce qu'il soit enjoint à la société Akiva de supprimer les contenus publicitaires figurant sur ces sites et à ce qu'il lui soit enjoint de cesser toute forme de publicité illicite en faveur du vapotage, le tout sous astreinte ;

- dit n'y avoir lieu à appliquer les dispositions de l'article 82-1 du code de procédure civile, à prononcer une disjonction et à renvoyer l'affaire devant le président du tribunal judiciaire de Paris statuant selon la procédure accélérée au fond ;

- invité la partie demanderesse à mieux se pourvoir ;

- condamné la société Akiva à payer à l'association Comité National Contre le Tabagisme la somme de 10.000 euros à titre de provision à valoir sur les dommages intérêts ;

- dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de l'association Comité National Contre le Tabagisme de communication des données visées à l'article L.3513-11 du code de la santé publique ;

- condamné la société Akiva aux dépens de l'instance ;

- condamné la société Akiva à payer à l'association Comité National Contre le Tabagisme la somme de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration du 13 octobre 2022, la société Akiva a interjeté appel de cette décision en ce qu'elle l'a condamnée à payer à l'association Comité national contre le tabagisme la somme de 10.000 euros à titre de provision à valoir sur les dommages intérêts.

Dans ses conclusions remises le 13 mars 2023, auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé de ses prétentions et moyens, la société Akiva demande à la cour au visa de l'article L.3513-16, alinéa 1 du code de la santé publique, de l'article L.3513-18, I, 3° du code de la santé publique, de l'article L.3513-7, alinéa 1 alinéa 2,5° du code de la santé publique, de l'article L.3513-8 du code de la santé publique, de l'article L.3513-10 du code de la santé publique, de l'article L.3515-3, I, 11° et 20° du code de la santé publique, de l'article 700 du code de procédure civile, de :

- recevoir la société Akiva dans ses conclusions et la dire bien fondée ;

en conséquence,

- réformer l'ordonnance du Président du tribunal judiciaire RG 22/52660 ;

et statuant de nouveau,

- constater que les articles du code de santé publique visés dans les conclusions du Comité National Contre le Tabagisme, sont tous placés sous la partie législative, troisième partie « Lutte conte les maladies et dépendances, du livre V « lutte contre le tabagisme et lutte contre le dopage », du titre 1er « Lutte contre le tabagisme » et que les sanctions édictées sont des sanctions pénales d'interprétation stricte ;

- constater que les produits Akiva concernés n'utilisent pas de tabac et ne sont pas des dérivés du tabac ;

à titre principal,

- rejeter l'ensemble des demandes du Comité National Contre le Tabagisme en les disant mal fondés ou relevant à ce stade de la juridiction pénale déjà saisie ;

à titre subsidiaire,

- rejeter l'ensemble des demandes du Comité National Contre le Tabagisme en les disant mal fondés ou relevant de la juridiction du fond pour cause de contestations sérieuses ;

- réduire la condamnation de la société Akiva pour préjudice moral d'une indemnité provisionnelle de 10.000 euros sur le fondement de l'article 835 du code de procédure civile dans une plus juste proportion ;

en tout état de cause,

- condamner le Comité National Contre le Tabagisme à verser à la société Akiva la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

La société Akiva fait en substance valoir :

- que le vapotage est moins nocif que le tabac ;

- que le juge des référés ne peut statuer sur des demandes qui relèvent uniquement de la juridiction correctionnelle.

Dans ses conclusions remises le 14 février 2023, auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé de ses prétentions et moyens, le Comité National Contre le Tabagisme demande à la cour de :

- confirmer les dispositions de l'ordonnance du président du tribunal judiciaire de Paris du 16 septembre 2022 frappées d'appel par la société Akiva ;

- infirmer l'ordonnance du président du tribunal judiciaire de Paris du 16 septembre 2022 en ce qu'il a condamné la société Akiva à la somme de 2.500 euros au profit du Comité National Contre le Tabagisme sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

statuant à nouveau,

- condamner la société Akiva à la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au profit du Comité National Contre le Tabagisme ;

en tout état de cause,

- condamner en cause d'appel la société Akiva à la somme de 15.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au profit du Comité National Contre le Tabagisme ;

- condamner la société Akiva aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Philippart et ce conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Le Comité National Contre le Tabagisme fait en substance valoir :

- que le juge des référés est compétent pour l'octroi d'une provision ;

- que l'atteinte portée aux intérêts que l'association défend est établi, les contenus publiés enfreignant la loi pénale de façon évidente et permettant l'allocation d'une provision sans attendre le sort d'une procédure pénale.

SUR CE LA COUR

L'article 835 alinéa 2 du code de procédure civile dispose que, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours accorder en référé une provision au créancier ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.

Le montant de la provision en référé n'a d'autre limite que le montant non sérieusement contestable de la dette alléguée.

Une contestation sérieuse est caractérisée lorsque l'un des moyens de défense opposés aux prétentions du demandeur n'apparaît pas immédiatement vain et laisse subsister un doute sur le sens de la décision au fond qui pourrait éventuellement intervenir par la suite sur ce point si les parties entendaient saisir les juges du fond.

Par ailleurs, selon l'article 5-1 du code de procédure pénale, même si le demandeur s'est constitué partie civile devant la juridiction répressive, la juridiction civile, saisie en référé, demeure compétente pour ordonner toutes mesures provisoires relatives aux faits qui sont l'objet des poursuites, lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable.

En l'espèce, à titre liminaire, il sera rappelé que la cour n'est saisie à hauteur d'appel que de la question de l'allocation d'une provision à valoir sur les dommages et intérêts et sur la question des frais et dépens, l'association ne venant d'ailleurs solliciter que la confirmation de la décision du premier juge sur ce point, sans reprendre le montant plus important réclamé devant le premier juge.

Aussi, même s'il y a lieu d'examiner les mentions du site pour apprécier la provision réclamée, les développements des parties sur le retrait de contenus illicites sont inopérants, peu important aussi les dispositions de la loi pour la confiance dans l'économie numérique sur le retrait des contenus, dès lors que doit seulement être examiné si la SARL Akiva est tenue à une obligation non sérieusement contestable de paiement et à quelle hauteur.

Il y a lieu de relever :

- que, selon l'article L. 3513-4 du code de la santé publique, la propagande ou la publicité, directe ou indirecte, en faveur des produits du vapotage est interdite, disposition spécifique qui est venue compléter le dispositif légal déjà existant pour les produits de tabac, de sorte qu'il ne saurait être retenu que le vapotage au sens légal ne concernerait que les produits contenant du tabac ;

- que l'article L. 3515-3 du même code punit de 100.000 euros d'amende toute propagande ou publicité, directe ou indirecte, en faveur des produits du vapotage en méconnaissance de l'interdiction prévue à l'article L. 3513-4 ;

- qu'au regard des pièces versées aux débats, le site Wpuff a bien pour objet et pour effet de faire la promotion des produits de vapotage commercialisés par la société Akiva, valorisant notamment les produits vendus pour leurs qualités et leurs capacités à préserver l'environnement, en mentionnant par exemple 'L'unique e-cigarette recyclable bien remplie', 'Nous créons des e-liquides et e-cigarettes de haute qualité tout en gardant le souci de préserver l'environnement', outre de multiples mentions sur le recyclage et l'engagement pour l'environnement (pièce 3 intimée), étant précisé, comme rappelé à juste titre par le CNCT, que la jurisprudence applicable pour les produits du tabac, parfaitement transposables aux produits de vapotage, rappelle que l'association d'un produit à une conscience écologique constitue une forme de communication commerciale légalement prohibée, ne pouvant être retenu que les mentions relatives au recyclage des piles usagées permettaient la teneur des publicités relevées ;

- qu'il sera aussi observé que le conditionnement des produits proposés à la vente (par exemple 'choco noisette', 'marshmallow', 'orange glacée', 'ice cream mango'...) contrevient aux dispositions de l'article L. 3513-18 qui prohibe tout conditionnement ressemblant à un produit alimentaire ou cosmétique, s'agissant à l'évidence de mentions de produits habituellement destinés à être consommés (référence au chocolat, à des confiseries ou encore à des crèmes glacées), étant observé que l'appelante fait valoir, en vain, que la DGCCRF aurait 'accepté' ces descriptions, ce qui ne résulte d'aucune des pièces versées aux débats, à supposer d'ailleurs qu'un procès-verbal de la DGCCRF puisse lier le juge ;

- que le site Wpuff comporte aussi des annonces promotionnelles (offres 'silver', 'gold', 'platine', avec des produits offerts en fonction du nombre d'e-cigarettes commandées), une incitation prohibée à acheter résultant de la seule existence de ces mentions, peu important la circonstance qu'il soit nécessaire de s'inscrire sur le site au préalable ;

- que le site litigieux renvoie aussi à une page du réseau social Instagram, constituant une publicité prohibée, mettant par exemple en valeur les produits à l'occasion de la fête d'Halloween ou encore mettant en scène des influenceurs utilisant les produits (pièce 3) ;

- que l'association fait donc valoir à juste titre que la société Akiva est à l'origine d'une publicité prohibée par les dispositions du code de la santé publique, l'appelante ne pouvant faire état que les informations en cause ne seraient que descriptives, alors que les mentions relatives à la qualité des produits et à leur valeur pour l'environnement, les conditionnements retenus et les promotions mises en avant dépassent le simple rappel des caractéristiques des produits de vapotage ;

- que la circonstance que les produits de vapotage seraient moins dangereux que les produits de tabac et/ou permettraient de lutter contre l'addiction au tabac est inopérante, compte tenu des dispositions clairement applicables du code de la santé publique concernant précisément le vapotage ;

- qu'en outre, il est constant que le CNCT a saisi une juridiction pénale au fond sur les agissements allégués ;

- que le juge des référés peut toutefois être saisi, en application de l'article 5-1 du code de procédure pénale précité, pour ordonner toutes mesures provisoires relatives aux faits qui sont l'objet des poursuites, lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, et donc accorder une provision, l'appelante exposant en vain qu'il y aurait lieu d'attendre la décision de la juridiction pénale, alors que le code de procédure pénale a justement prévu une possible saisine au civil du juge des référés à titre provisoire ;

- que la publicité prohibée apparaît ici être établie avec l'évidence requise en référé ;

- que l'article L. 3515-7 du code de la santé publique dispose que les associations dont l'objet statutaire comporte la lutte contre le tabagisme, régulièrement déclarées depuis au moins cinq ans à la date des faits, peuvent exercer les droits reconnus à la partie civile pour les infractions aux dispositions du présent titre, le titre 1er (lutte contre le tabagisme) incluant les dispositions relatives aux produits de vapotage ;

- que l'association intimée, qui a pour objet statutaire la lutte contre le tabagisme, peut exercer les droits de la partie civile, et donc solliciter en référé l'octroi d'une provision à valoir sur les dommages et intérêts ;

- que le premier juge a à juste titre accordé à l'association intimée une provision à valoir de 10.000 euros, hauteur de l'obligation non sérieusement contestable de paiement de la société appelante, eu égard à l'importance et à la gravité du préjudice lié aux opérations de publicité prohibées alléguées.

Au regard de l'ensemble de ces éléments et des motifs rappelés par le premier juge, il y a donc lieu de confirmer l'ordonnance entreprise en ses dispositions soumises à la cour, en ce compris le sort des frais et dépens de première instance, exactement réglé par le premier juge.

A hauteur d'appel, l'appelante devra indemniser l'intimée pour les frais non répétibles exposés et sera condamnée aux dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

Confirme l'ordonnance entreprise en ses dispositions soumises à la cour ;

Y ajoutant,

Condamne la SARL Akiva à verser au Comité National Contre le Tabagisme la somme de 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel ;

Condamne la SARL Akiva aux dépens d'appel, dont distraction au profit de Me Philippart conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 1 - chambre 2
Numéro d'arrêt : 22/17882
Date de la décision : 17/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-17;22.17882 ?
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