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17/05/2023 | FRANCE | N°21/02102

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 4, 17 mai 2023, 21/02102


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 4



ARRET DU 17 MAI 2023



(n° , 7 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/02102 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDILX



Décision déférée à la Cour : Jugement du 17 Septembre 2020 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY - RG n° 19/00274



APPELANTE



Madame [W] [K]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représen

tée par Me Karim HAMOUDI, avocat au barreau de PARIS, toque : E0282



INTIMEE



CSEE EXPLOITATION AERIENNE DIT CSE LIGNES AIR FRAN CE pris en la personne de ses représentants lé...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 4

ARRET DU 17 MAI 2023

(n° , 7 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/02102 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDILX

Décision déférée à la Cour : Jugement du 17 Septembre 2020 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY - RG n° 19/00274

APPELANTE

Madame [W] [K]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Karim HAMOUDI, avocat au barreau de PARIS, toque : E0282

INTIMEE

CSEE EXPLOITATION AERIENNE DIT CSE LIGNES AIR FRAN CE pris en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représentée par Me Audrey HINOUX, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 06 Mars 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Anne-Gaël BLANC, conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

M. Jean-François DE CHANVILLE, président de chambre,

Mme Anne-Gaël BLANC, conseillère,

Mme Florence MARQUES, conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Justine FOURNIER

ARRET :

- Contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Jean-François DE CHANVILLE, président de chambre et par Justine FOURNIER,greffière, présente lors de la mise à disposition.

***

RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Suivant contrats de travail à durée déterminée successifs, Mme [W] [K] a été engagée du 18 avril 2017 au 31 octobre 2018 par le comité d'établissement CSEE exploitation aérienne dit CSE lignes Air France en qualité d'agent hôtelier, le recours aux contrats à durée déterminée étant motivé par un accroissement temporaire d'activité dû à des absences imprévues et simultanées de salariés permanents.

Le 12 octobre 2018, Mme [K] a été informée que son contrat à durée déterminée prendrait fin à la date convenue soit le 31 suivant, son employeur lui indiquant ne pas remettre en cause ses compétences professionnelles mais qu'elle n'arrivait pas à s'intégrer et que son profil ne correspondait pas à la culture de l'entreprise.

Le 29, elle a informé son employeur que son contrat avait dépassé la durée légale maximale et qu'il était dès lors désormais à durée indéterminée - ce que la société n'a pas contesté.

Le 31, Mme [K] a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement.

Le 29 novembre, elle a été licenciée avec dispense de préavis en raison d'une mésentente avec ses collègues qui serait préjudiciable au bon fonctionnement des services de restauration de l'entreprise.

Le 12 mars 2019, la salariée a saisi le conseil de prud'hommes de Bobigny aux fins d'obtenir une indemnité de requalification de son contrat en contrat à durée indéterminée, de voir juger son licenciement nul ou, subsidiairement, dépourvu de cause réelle et sérieuse et de voir condamner son employeur au paiement des sommes subséquentes.

Par jugement du 17 septembre 2020, le conseil a fixé le salaire de référence de Mme [K] à 1.994,99 euros brut par mois mais rejeté l'ensemble de ses demandes, la salariée étant condamnée aux dépens.

Le 22 février 2021, Mme [K] a fait appel de cette décision notifiée le 16 précédent.

Dans ses dernières conclusions, remises au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 20 novembre 2022, Mme [K] demande à la cour d'infirmer le jugement sauf sur le montant de son salaire de référence et, statuant à nouveau et y ajoutant, de :

- écarter des débats la pièce adverse n°20 ;

- principalement, juger son licenciement nul, ordonner sa réintégration et condamner son employeur à lui payer 105.305,47 euros brut d'indemnité pour le préjudice subi, arrêtée au 31 décembre 2022 ;

- subsidiairement, juger son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, écarter le plafonnement prévu par l'article L.1235-3 du code du travail en raison de son inconventionnalité et condamner son employeur à lui payer 25.000 euros pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- en tout état de cause, condamner son employeur à lui payer 4.000 euros d'indemnité de requalification, 4.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens de l'instance.

Dans ses dernières conclusions, remises au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 23 décembre 2022, le comité d'établissement CSEE exploitation aérienne dit CSE lignes Air France demande à la cour de confirmer le jugement, débouter Mme [K] de l'intégralité de ses demandes et la condamner à lui payer 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 10 janvier 2023.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé aux conclusions des parties pour un exposé complet du litige.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1 : Sur la demande tendant à voir écarter la pièce n°20

Il n'y a pas lieu d'écarter a priori des débats la pièce produite sous le numéro 20 par l'intimé au seul motif que son contenu serait erroné voire mensonger, la force probante de cette pièce devant, le cas échéant, être examinée avec le fond.

La demande en ce sens sera donc rejetée.

Le jugement du conseil, qui n'était pas saisi de cette demande, sera complété en ce sens.

2 : Sur l'indemnité de requalification

Aux termes de L.1242-8-1 alinéa 1 du code du travail, à défaut de stipulation dans la convention ou de l'accord de branche conclu en application de l'article L.1242-8, la durée totale du contrat de travail à durée déterminée ne peut excéder dix-huit mois compte tenu, le cas échéant, du ou des renouvellements intervenant dans les conditions prévues à l'article L.1243-13 ou, lorsqu'il s'applique, à l'article L.1243-13-1.

Par ailleurs, l'article L.1245-1 alinéa 1 du code du travail prévoit qu'est réputé à durée indéterminée tout contrat de travail conclu en méconnaissance des dispositions de cet article.

L'article L.1245-2 prévoit pour sa part que lorsque le conseil de prud'hommes fait droit à la demande de requalification du salarié, il lui accorde une indemnité, à la charge de l'employeur, ne pouvant être inférieure à un mois de salaire.

Cette indemnité n'a pas vocation à compenser d'autres préjudices que ceux résultant des irrégularités affectant la formation et l'exécution du contrat à durée déterminée.

Enfin, la circonstance que le contrat de travail à durée déterminée ait été poursuivi après l'échéance du terme ou que les parties aient conclu un contrat à durée indéterminée, ne prive pas le salarié du droit de demander la requalification du contrat à durée déterminée initial, qu'il estime irrégulier, en contrat à durée indéterminée et l'indemnité spéciale de requalification prévue par l'article L. 1245-2 du code du travail.

Au cas présent, les contrats successifs conclus entre le 18 avril 2017 et le 31 octobre 2018 sont intrinsèquement irréguliers dans la mesure où leur durée totale après renouvellement était supérieure à 18 mois.

Il convient donc de faire droit à la demande d'indemnité de requalification dont le montant sera fixé à un mois de salaire soit 1.994,99 euros, en l'absence de démonstration d'un préjudice supérieur résultant des irrégularités affectant la formation et l'exécution des contrats à durée déterminée.

Le jugement sera infirmé en ce qu'il rejette la demande à ce titre.

3 : Sur le licenciement

3.1 : Sur la nullité de la rupture

Il ressort de l'article L.1235-3-1 du code du travail que le licenciement d'un salarié est nul en cas de violation d'une liberté fondamentale, de faits de harcèlement moral ou sexuel, de discrimination, s'il est consécutif à une action en justice en matière d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ou à une dénonciation de crimes et délits, si le salarié est protégé ou, s'il intervient en raison de l'état de santé du salarié ou de sa maternité.

L'article L.1134-4 du même code prévoit qu'est nul le licenciement d'un salarié faisant suite à une action en justice engagée par ce salarié ou en sa faveur, sur le fondement des dispositions du chapitre II, lorsqu'il est établi que le licenciement n'a pas de cause réelle et sérieuse et constitue en réalité une mesure prise par l'employeur en raison de cette action en justice. Dans ce cas, la réintégration est de droit et le salarié est regardé comme n'ayant jamais cessé d'occuper son emploi.

Au cas présent, pour solliciter la nullité de son licenciement, la salariée se prévaut d'une fraude de son employeur tenant au fait que le véritable motif de la rupture soit sa réclamation portant sur la qualification de son contrat et de la violation d'une liberté fondamentale.

Cependant, cette violation n'est pas spécifiée ni caractérisée, étant souligné que le seul fait que la salariée a fait valoir auprès de son employeur son droit à requalification de ses contrats en contrat à durée indéterminée ne saurait suffire à caractériser son intention d'agir en justice et dès lors le fait que la rupture intervienne en rétorsion à cette intention qui n'a jamais été précédemment évoquée.

En outre, l'employeur a manifesté clairement son intention de se séparer de la salariée dès le 12 octobre 2018, soit avant même que celle-ci ne fasse valoir ses droits quant à la qualification de ses contrats le 29 suivant.

Par ailleurs, le simple fait, même à le supposer avéré, que le licenciement repose sur une autre cause que celle mentionnée dans le courrier de rupture, s'il ne s'agit pas d'une cause de nullité de la rupture, n'est pas à lui seul de nature à entraîner sa nullité mais uniquement à le priver de cause réelle et sérieuse.

La demande tendant à voir juger le licenciement nul sera donc rejetée et le jugement, qui n'a pas expressément statué sur celle-ci, complété en ce sens.

Le rejet des demandes subséquentes de réintégration et d'indemnité pour le préjudice subi sera en revanche confirmé.

3.2 : Sur l'absence de cause réelle et sérieuse de la rupture

L'article L.1231-1 du code du travail dispose que le contrat à durée indéterminée peut être rompu à l'initiative de l'employeur ou du salarié. Aux termes de l'article L.1232-1 du même code, le licenciement par l'employeur pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse.

Selon l'article L.1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles ; si un doute subsiste, il profite au salarié.

La mésentente ne constitue une cause de licenciement, non disciplinaire, que si elle repose sur des faits objectifs imputables au salarié, et ayant une incidence sur la bonne marche de l'entreprise. En cas de doute sur l'imputabilité de la mésentente, le doute profite au salarié.

En l'espèce, aux termes de la lettre de rupture du 29 novembre 2018, Mme [K] a été licenciée avec dispense de préavis en raison d'une mésentente avec ses collègues qui serait préjudiciable au bon fonctionnement des services de restauration de l'entreprise.

La mésentente n'étant pas un motif disciplinaire, il n'y a pas lieu d'examiner une éventuelle prescription des faits invoqués au soutien de celle-ci.

En revanche, au regard des attestations contradictoires produites de part et d'autre, l'existence de faits objectifs imputés à la salariée ne sont pas suffisamment établis. En outre, des dires mêmes des différents salariés interrogés, il existe un doute important sur l'imputabilité de la mésentente. Au surplus, alors que le contrat de la salariée a été renouvelé à deux reprises, aucun élément sérieux ne vient étayer les allégations de l'employeur quant à l'incidence sur la bonne marche de l'entreprise que cette mésentente aurait entraînée.

Le licenciement est donc dépourvu de cause réelle et sérieuse et le jugement sera infirmé en ce qu'il juge le contraire.

3.3 : Sur les conséquences de la rupture

En application de l'article L1235-3 du code du travail, la salariée, qui avait une année complète d'ancienneté dans l'entreprise, pouvait prétendre à une indemnité comprise entre un et deux mois de salaire brut.

Les dispositions des articles L.1235-3, L.1235-3-1 et L.1235-4 du code du travail, dans leur rédaction issue de l'ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017 permettent raisonnablement l'indemnisation de la perte injustifiée de l'emploi et assurent le caractère dissuasif des sommes mises à la charge de l'employeur.

Elles sont donc de nature à permettre le versement d'une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l'article 10 de la Convention n° 158 de l'Organisation internationale du travail.

Par ailleurs, contrairement à ce que soutient la salariée, l'article 24 de la Charte sociale européenne n'a pas d'effet direct en France en sorte que les dispositions contestées ne sauraient être écartées au visa de cet article.

Il ne saurait par ailleurs être considéré que le barème instauré empêcherait le juge de tenir compte de l'âge, du sexe, de la situation de famille ou du handicap et serait donc susceptible de caractériser une discrimination indirecte, en violation du droit de l'Union Européenne.

Enfin, la salariée ne précise en quoi l'atteinte invoquée au principe d'égalité relèverait du contrôle de conventionnalité de la cour qui ne saurait se prononcer sur la constitutionnalité d'une disposition législative.

Il convient dès lors de rejeter la demande tendant à voir écarter comme inconventionnelles les dispositions de l'article L.1235-3 susmentionné.

En l'espèce, ce barème conduit à plafonner l'indemnisation de Mme [K] à deux mois de salaire soit 3.989,98 euros.

L'employeur sera condamné au paiement de cette somme et le jugement sera infirmé en ce qu'il rejette la demande en ce sens.

4 : Sur le remboursement des indemnités chômage

En application de l'article L.1235-4 du code du travail, il convient d'ordonner d'office le remboursement par l'employeur aux organismes intéressés des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnisation.

5 : Sur les demandes accessoires

Compte tenu du sens de la présente décision, il convient d'infirmer le jugement qui a condamné Mme [K] aux dépens et rejeté sa demande au titre des frais irrépétibles.

L'employeur sera condamné aux dépens de la première instance comme de l'appel ainsi qu'à payer à Mme [K] une somme de 4.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour :

- Rejette la demande tendant à voir écarter des débats la pièce n°20 ;

- Infirme le jugement du conseil de prud'hommes de Bobigny du 17 septembre 2020 sauf en ce qu'il rejette la demande de réintégration et d'indemnité subséquente ;

Statuant à nouveau et y ajoutant :

- Condamne le comité d'établissement CSEE exploitation aérienne dit CSE lignes Air France à payer à Mme [W] [K] une somme de 1.994,99 euros brut à titre d'indemnité de requalification ;

- Rejette la demande tendant à voir juger le licenciement nul ;

- Juge le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

- Rejette la demande tendant à voir écarter les dispositions de l'article L.1235-3 du code du travail comme inconventionnelles ;

- Condamne le comité d'établissement CSEE exploitation aérienne dit CSE lignes Air France à payer à Mme [W] [K] une somme de 3.989,98 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- Condamne le comité d'établissement CSEE exploitation aérienne dit CSE lignes Air France à rembourser aux organismes intéressés les indemnités de chômage versées à la salariée licenciée du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnisation ;

- Condamne le comité d'établissement CSEE exploitation aérienne dit CSE lignes Air France à payer à Mme [W] [K] une somme de 4.000 euros au titre de ses frais irrépétibles ;

- Condamne le comité d'établissement CSEE exploitation aérienne dit CSE lignes Air France aux dépens de la première instance et de l'appel.

La greffière Le président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 4
Numéro d'arrêt : 21/02102
Date de la décision : 17/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-17;21.02102 ?
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