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17/05/2023 | FRANCE | N°20/05753

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 6, 17 mai 2023, 20/05753


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 6



ARRET DU 17 MAI 2023



(n° 2023/ , 2 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/05753 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCJWO



Décision déférée à la Cour : Jugement du 23 Juin 2020 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'EVRY - RG n° 18/00486





APPELANT



Monsieur [K] [W]

[Adresse 2]

[Localité 4]

>
Assisté de Me Alain TAMEGNON HAZOUME, avocat au barreau de PARIS, toque : D0060





INTIMÉE



S.A.S. MAPE

[Adresse 3]

[Localité 1]



Représentée par Me Lisa HAYERE, avocat au barrea...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 6

ARRET DU 17 MAI 2023

(n° 2023/ , 2 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/05753 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCJWO

Décision déférée à la Cour : Jugement du 23 Juin 2020 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'EVRY - RG n° 18/00486

APPELANT

Monsieur [K] [W]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Assisté de Me Alain TAMEGNON HAZOUME, avocat au barreau de PARIS, toque : D0060

INTIMÉE

S.A.S. MAPE

[Adresse 3]

[Localité 1]

Représentée par Me Lisa HAYERE, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 20 mars 2023, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Nadège BOSSARD, conseillère chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Christophe BACONNIER, Président de chambre

Madame Nadège BOSSARD, Conseillère

Monsieur Stéphane THERME, Conseiller

Greffier : Madame Julie CORFMAT, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Monsieur Christophe BACONNIER, Président de chambre et par Madame Julie CORFMAT, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE :

M. [K] [W] a été engagé par la société Mape devenue Mape Ulis, en qualité de 'business unit manager' par contrat de travail à durée indéterminée à temps complet en date du 4 novembre 2011 prenant effet le 13 février 2012 avec une rémunération de 72 000 euros bruts annuels soit 6 000 euros bruts mensuels.

A compter du 20 septembre 2016, M. [W] s'est vu confier en sus de ses fonctions celles de conseiller du président.

Par courriel du 11 janvier 2018, le président, M. [I] [V], a informé le personnel d'un remaniement de la direction de l'entreprise avec prise d'effet au 15 janvier 2018 consistant dans la création d'un poste de directeur général attribué à M. [R] [U], anciennement directeur d'exploitation et dans la promotion de M. [M], manager technique, au poste de directeur technique et développement.

Concomitamment, il a été mis fin aux fonctions de conseiller du président exercées par M. [W].

Le 10 avril 2018, M. [W] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement.

Par courrier du 17 avril 2018, la société Mape a notifié à M. [W] son licenciement pour faute lourde.

M. [W] a saisi le conseil de prud'hommes d'Evry Courcouronnes le 4 juin 2018 afin de voir juger son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Par jugement du 23 juin 2020, le conseil de prud'hommes d'Evry Courcouronnes a débouté M. [W] de l'ensemble de ses demandes et a laissé les dépens à sa charge.

M. [W] a interjeté appel le 2 septembre 2020.

Selon ses dernières conclusions remises au greffe, notifiées par le réseau privé virtuel des avocats le 10 mai 2022, M. [W] demande de :

Réformer le jugement du conseil de prud'hommes d'Evry Courcouronnes du 23 juin 2020, en ce qu'il l'a débouté de l'ensemble de ses demandes,

Puis,

Statuant à nouveau,

Dire et Juger que M. [W] est recevable et bien fondé en son appel,

A les supposer de nature fautive, dire que les faits objets de la procédure de licenciement pour faute lourde sont prescrits,

Dire et juger que l'employeur ne prouve pas la faute lourde de M. [W],

En conséquence,

Juger que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

En tout état de cause,

Condamner la société Mape à payer à M. [W] [K] les sommes suivantes :

' Indemnité conventionnelle de licenciement : 9 000 €

' Indemnité compensatrice de préavis : 18 000 €

' Congés payés sur préavis : 1 800 €

Condamner la société Mape à payer à M. [W] la somme de 72.000 € à titre de

dommages et intérêts pour absence de cause réelle et sérieuse du licenciement.

Condamner la société Mape à payer à M. [W] la somme de 4.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Selon ses dernières conclusions remises au greffe, notifiées par le réseau privé virtuel des avocats le 23 mai 2022, auxquelles la cour se réfère expressément, la société Mape demande à la cour de :

Confirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions

Subsidiairement, dire et juger que le licenciement de M. [W] est justifié par une faute grave.

Débouter M. [W] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions

Condamner M. [W] à payer à la SAS Mape la somme de 4 000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

Le condamner en outre aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 17 janvier 2023.

MOTIFS :

Sur le licenciement pour faute lourde :

La faute lourde est caractérisée par l'intention de nuire à l'employeur, laquelle implique la volonté du salarié de lui porter préjudice dans la commission du fait fautif et ne résulte pas de la seule commission d'un acte préjudiciable à l'entreprise.

La lettre de licenciement fait grief à M. [W] d'avoir exprimé à son supérieur par courriel du 24 janvier 2018 son refus de collaborer avec la nouvelle direction, d'avoir réitéré ce refus de collaboration mi-mars 2018 en refusant de saisir ses heures dans le logiciel dédié malgré deux notes internes stipulant une telle obligation et d'avoir tenu des propos de nature à nuire à l'entreprise par courriels du 15 décembre 2017, du 3 février 2018 adressés à des salariés de l'entreprise, d'avoir ainsi exposé ouvertement ses divergences avec la direction de l'entreprise devant des collaborateurs en les incitant à faire preuve d'insubordination, d'avoir adressé des messages SMS à quatre salariés à l'égard desquels la société avait engagé des procédures de licenciement et d'avoir adressé des informations confidentielles à l'un d'eux, d'avoir conseillé à un autre de saisir le conseil de prud'hommes, d'avoir insulté de PDG de la société dans l'un de ces courriels et d'avoir dénigré la société. Il lui est également reproché d'avoir utilisé son adresse mail personnelle pour échanger avec les clients de la société.

- sur la prescription des faits :

En vertu de l'article L 1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales.

Le délai de prescription de deux mois de l'article L.1332-4 du code du travail court à compter du jour où l'employeur a une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits reprochés au salarié.

Le salarié soutient que les faits antérieurs au 10 février 2018 qui lui sont reprochés étaient prescrits au motif que l'employeur avait connaissance des mails et/ou SMS litigieux depuis la fin de l'année 2017 et n'a engagé la procédure de licenciement que le 10 avril 2018.

Toutefois, l'employeur n'a eu une connaissance précise des faits reprochés à M. [W] que lors de la consultation de son téléphone lors de la remise de celui-ci pour réparation le 21 février 2018.

Les faits reprochés, portés à la connaissance de l'employeur moins de deux mois avant l'engagement des poursuites, ne sont donc pas prescrits.

- sur les griefs :

S'agissant du refus de remplir des fiches de temps passé, la seule pièce invoquée est un courriel adressé le 12 mars 2018 par M. [W] au responsable QHSE lequel lui demandait des explications pour ne pas avoir complété ses heures dans le logiciel dédié pour le mois de février 2018. M. [W] lui répondait qu'il 'n'a(vait) pas le temps de faire ce genre de choses en ce moment' et ajoutait 'puisque j'aurai du temps les 25 et 26 mars (n'étant pas invité à [Localité 5]) je pourrai peut-être m'y mettre si je suis moins chargé'. Cette réponse certes rédigée de manière directe, apporte pour autant une explication à l'absence de renseignement du logiciel de sorte que ce manquement ne revêt pas le caractère d'une insubordination.

Il résulte du courriel du 3 février 2018 adressé par M. [W] à ses subordonnés, extrait de sa boîte mail par huissier de justice, lequel en a dressé procès-verbal le 27 avril 2018, qu'il a contesté la directive donnée par le PDG de la société relative à l'obligation faite aux cadres de déclarer leurs heures de travail et a incité ses collaborateurs à résister à cette directive. Dans un courriel précédent du 31 janvier 2018, M. [W] demandait à ses subordonnés de ne pas répondre directement au PDG qui était leur N+2 et leur écrivait que le PDG n'avait pas à leur donner d'instructions directement.

Par un second courriel également daté du 31 janvier 2018, intitulé 'vous valez mieux que ça !', adressé par M. [W] à trois cadres responsables d'unités d'exploitation, ce dernier a remis en cause le fait qu'ils devaient remplir les chiffres de leur activité dans un logiciel, et leur a écrit qu'ils étaient cantonnés à des tâches subalternes, qu'ils méritaient mieux et qu'il n'avaient quasiment aucun espace d'initiative pour motiver ses équipes.

Il résulte par ailleurs des échanges de SMS, versés aux débats et extraits du téléphone portable de M. [W] par un huissier de justice ayant dressé procès-verbal de constat le 4 avril 2018 et apposé son tampon sur les impressions ce qui en authentifie le contenu tel que constaté par lui, qu'en juin 2017, M. [W] a échangé avec M. [N], salarié en cours de licenciement, lequel lui a exposé le déroulé de son entretien et l'a tenu informé de ses démarches pour retrouver un emploi puis en décembre 2017 de son intention de saisir le conseil de prud'hommes aux fins de condamnation de la société Mape ce à quoi M. [W] a répondu 'ça me paraît logique que vous attentiez Mape aux prud'hommes'. La consultation de ces SMS a révélé que M. [W] avait désigné un membre de la société sous la dénomination dénigrante 'popo' et avait détourné l'appellation 'l'EPD' (entretien progrès développement) en répondant à son collègue en ces termes 'on peut vraiment dire : le PD' pour désigner le directeur général M. [U]. Il est également établi que précédemment, le 22 novembre 2016, M. [W] avait écrit en ces termes à M. [G], licencié de Mape, qu'il avait 'signifié' à [I] [V] que 'MAPE avait vraiment des probabilités fortes de perdre aux prud'hommes sans trop dévoiler les raisons puisque c'était plié'.

Les courriels, produits par M. [W] lui-même, postérieurs à la suppression de sa mission de conseiller du président, sont rédigés sur un ton sarcastique et contestataire qu'ils soient adressés au nouveau directeur technique et développement, son N+1, ou à ses collègues ou collaborateurs.

Si M. [W] fait valoir que la rudesse de ses propos dans le courriel du 3 février 2018 et sa prise de contact directe avec les responsables opérationnels s'expliquent par le fait qu'il ait été évincé de ses fonctions de conseiller du président et n'ait pas été invité au séminaire d'encadrement relatif à l'avenir de l'entreprise fin mars 2018, ce contexte ne l'exonère pas du manquement au devoir de loyauté et de respect de la dignité de chacun auquel il était astreint dans le cadre de la relation de travail.

Par ailleurs, il résulte du constat d'huissier dressé le 27 avril 2018 que M. [W] a transféré trois fichiers professionnels sur son adresse mail personnel ce qui est interdit par la charte informatique dont l'article 3.1 édite que 'les fichiers possédés par des utilisateurs et ne faisant pas l'objet des procédures, enregistrement, modes opératoires Mape doivent être utilisés comme privés, qu'ils soient ou non accessibles à d'autres utilisateurs'. Il n'est toutefois pas démontré que ces documents aurait été transmis à des clients.

Si le salarié a un droit à la liberté d'expression au sein de l'entreprise et de la direction de l'entreprise en tant que membre de celle-ci, l'exercice de cette liberté ne doit pas être abusive ni nuire à la société qui l'emploie. En l'espèce, les échanges de M. [W] avec des salariés en poste ou ayant quitté la société dénigraient son employeur de telle manière qu'au regard des fonctions qui étaient les siennes cette attitude était déloyale et fautive.

Il convient de constater que parmi les faits reprochés à M. [W], certains sont antérieurs à la mise en place de la nouvelle organisation avec laquelle celui-ci était en désaccord. Son attitude, bien que préjudiciable à la société, ne visait donc pas à 'saboter la nouvelle organisation' contrairement à ce que soutient l'employeur.

Toutefois, la répétition de propos critiques de la société et de propos dénigrants visant ses dirigeants et le refus d'exécution des instructions de contrôle de l'activité caractérise une attitude fautive par insubordination, déloyauté et dénigrement. Si ces actes ne caractérisent pas d'intention de nuire à la société, ils rendaient, par leur caractère fautif, impossible la poursuite du contrat de travail.

Le licenciement est donc justifié par une faute grave et non une faute lourde. Le jugement entrepris sera infirmé de ce chef et confirmé en ce qu'il a débouté M. [W] de ses demandes d'indemnité compensatrice de préavis, de congés payés y afférents, d'indemnité conventionnelle de licenciement et d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :

Il convient de confirmer le jugement sur les dépens de première instance, de laisser à chacune des parties la charge de ses propres dépens d'appel et de rejeter les demandes formées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

la cour,

Infirme le jugement sauf en ce qu'il a débouté M. [W] de ses demandes d'indemnité compensatrice de préavis, de congés payés y afférents, d'indemnité conventionnelle de licenciement et d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et a laissé les dépens à sa charge,

Le confirme de ces chefs,

Statuant à nouveau,

Juge que le licenciement de M. [W] est justifié par une faute grave et non une faute lourde,

Rejette les demandes formées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Laisse à chacune des parties la charge de ses propres dépens.

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 6
Numéro d'arrêt : 20/05753
Date de la décision : 17/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-17;20.05753 ?
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