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17/05/2023 | FRANCE | N°20/04954

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 6, 17 mai 2023, 20/04954


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 6 - Chambre 6



ARRET DU 17 MAI 2023



(n° 2023/ , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/04954 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCFRH



Décision déférée à la Cour : Jugement du 18 Juin 2020 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LONGJUMEAU - RG n° 19/00306





APPELANT



Monsieur [D] [X]

[Adresse 3]

[Localité 1]



Représe

nté par Me Corinne LINVAL, avocat au barreau d'AUBE





INTIMÉE



S.A.S. FIRST (FIRST FFC FOURNITURES INGREDIENTS RELISHES SAUCES ET TECHNIQUES POUR LE FAST FOOD ET LA COLLECTIVITE)

[Adresse 2]

[L...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 6

ARRET DU 17 MAI 2023

(n° 2023/ , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/04954 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCFRH

Décision déférée à la Cour : Jugement du 18 Juin 2020 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LONGJUMEAU - RG n° 19/00306

APPELANT

Monsieur [D] [X]

[Adresse 3]

[Localité 1]

Représenté par Me Corinne LINVAL, avocat au barreau d'AUBE

INTIMÉE

S.A.S. FIRST (FIRST FFC FOURNITURES INGREDIENTS RELISHES SAUCES ET TECHNIQUES POUR LE FAST FOOD ET LA COLLECTIVITE)

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représentée par Me Nicole BENSABATH, avocat au barreau de PARIS, toque : D0835

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 21 mars 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur Christophe BACONNIER, Président de chambre

Madame Nadège BOSSARD, Conseillère

Monsieur Stéphane THERME, Conseiller

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience Madame Nadège BOSSARD, Conseillère, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier : Madame Julie CORFMAT, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Monsieur Christophe BACONNIER, Président de chambre et par Madame Julie CORFMAT, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE :

M. [D] [X] a été engagé par la SAS First le 19 septembre 2016 selon contrat de travail à durée indéterminée, en qualité de prévisionniste, statut cadre.

La société First a pour activité le commerce de gros d'emballage alimentaire.

Elle emploie plus de dix salariés mais moins de cinquante.

La convention collective applicable est celle du commerce de gros.

Les fonctions de prévisionniste de M. [D] [X] consistent à collecter les besoins exprimés par les commerciaux et à les intégrer dans le logiciel de gestion de l'entreprise afin de garantir le meilleur niveau de stock.

Le 21 juin 2017, après avoir été convoqué par le directeur de la SAS First, M. [X] a été victime d'un malaise. Puis, en tentant de regagner son bureau, M. [X] a été victime d'un deuxième malaise dans les escaliers. Il s'est relevé et a fait un troisième malaise suivi de convulsions dans le bureau du service achats. Les pompiers sont intervenus et M. [D] [X] a été transporté au centre hospitalier de [Localité 4] et a été placé en arrêt de travail pour accident du travail jusqu'au 25 juin 2017 lequel a été prolongé jusqu'au 1er juillet 2017.

M. [X] a repris son travail le 2 juillet 2017.

Le 16 septembre 2017, il a été placé en arrêt de travail pour maladie jusqu'au 15 octobre 2017 lequel a été prolongé jusqu'au 3 novembre 2017 puis du 3 au 7 novembre au titre d'une rechute de l'accident du travail du 21 juin 2017.

Par lettre recommandée avec avis de réception en date du 5 octobre 2017, la société First a convoqué M. [X] à un entretien préalable à un éventuel licenciement disciplinaire lequel a été reporté par lettre recommandée avec avis de réception du 30 octobre 2017.

Le 8 novembre 2017, le médecin du travail a déclaré M. [X] inapte en un seul examen en ces termes : « A la suite de l'étude de poste et des conditions de travail et l'entretien avec l'employeur du 3 novembre 2017 et à la suite des avis médicaux spécialisés, Monsieur [X] [D] est inapte au poste de prévisionniste chez FIRST à [Localité 5] (article R. 4624-42 du Code du Travail). Le salarié pourrait occuper une activité similaire dans un environnement différent, c'est-à-dire une autre entreprise. Le salarié peut bénéficier d'une formation dans un autre environnement ou une autre entreprise ».

Le 13 novembre 2017, le salarié a reçu une nouvelle convocation à un entretien préalable à une éventuelle 'mesure pouvant aller jusqu'au licenciement', lequel devait se tenir le 23 novembre 2017.

Le 17 novembre 2017, la commission de recours amiable de la CPAM a reconnu l'accident survenu au temps et eu lieu de travail le 21 juin 2017 comme un accident du travail.

Par courrier du 20 novembre 2017, la société First a transmis à M. [D] [X] une proposition de reclassement au sein de la société AA Pizza.

Par courrier du 7 décembre 2017, M. [D] [X] a été convoqué à un entretien préalable prévu le 19 décembre 2017.

Le 26 décembre 2017, la société a notifié à M. [X] son licenciement pour inaptitude.

M. [X] a saisi le conseil de prud'hommes de Longjumeau afin de voir prononcer la nullité de son licenciement.

Par jugement du 18 juin 2020, le conseil de prud'hommes de Longjumeau a :

- fixé le salaire mensuel brut de base de M. [D] [X] à la somme de 2 917,62 €,

- dit que le licenciement prononcé par la SAS First Pack à l'encontre de M. [D] [X] était fondé sur une cause réelle et sérieuse,

- débouté M. [X] de l'ensemble de ses demandes ;

- dit que chaque partie supportera la charge de ses propres dépens.

Le 17 juillet 2020, M. [X] a fait appel sur les chefs de jugement suivants :

« - Fixe le salaire mensuel brut de base de Monsieur [D] [X] à la somme de 2 917,62 €,

- Dit que le licenciement prononcé par la SAS FIRST PACK à l'encontre de Monsieur [D] [X] est fondé sur une cause réelle et sérieuse,

- Déboute Monsieur [X] de l'ensemble de ses demandes ;

- Dit que chaque partie supportera la charge de ses propres dépens. »

Cet appel a été enregistré sous le numéro RG 20/17840.

La société First a constitué avocat le 24 août 2020.

Le 30 septembre 2020, M. [X] a formalisé une seconde déclaration d'appel en ces termes :

- «Fixe le salaire mensuel brut de base de Monsieur [D] [X] à la somme de 2.917,62 €

- Dit que le licenciement prononcé par la SAS FIRST à l'encontre de Monsieur [D] [X] est fondé sur une cause réelle et sérieuse,

- Déboute Monsieur [X] de l'ensemble de ses demandes visant à :

CONDAMNER la SAS FIRST PACK à verser à Monsieur [X] les sommes suivantes

o Dommages et intérêts pour licenciement nul ou à tout le moins sans cause réelle et sérieuse : 30.008 € (8 mois)

o Indemnité compensatrice de préavis : 11.253 € (3 mois)

o Congés payés sur préavis : 1.125,30 €

CONDAMNER la SAS FIRST PACK à verser à Monsieur [X] les sommes suivantes :

o Dommages et intérêts pour discrimination liée à l'état de santé : 5.000 €

o Dommages et intérêts pour harcèlement moral : 5.000 €

o Article 700 du CPC : 2.000 €

CONDAMNER la SAS FIRST PACK aux entiers dépens. »

Les procédures ont été jointes par ordonnance du conseiller de la mise en état en date du 28 juin 2021.

Selon ses dernières conclusions remises au greffe, notifiées par le réseau privé virtuel des avocats le 18 janvier 2023, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé du litige, M. [X] demande de :

Dire et juger recevable et bien fondé l'appel interjeté par M. [D] [X],

Infirmer le jugement rendu le 18 juin 2020 par le conseil de prud'hommes de Longjumeau en ce qu'il a :

- fixé le salaire mensuel brut de base de M. [D] [X] à la somme de 2 917,62 €,

- dit que le licenciement prononcé par la SAS First à l'encontre de M. [D] [X] est fondé sur une cause réelle et sérieuse,

- débouté M. [D] [X] de l'ensemble de ses demandes ;

- dit que chaque partie supportera la charge de ses propres dépens.

Y faisant droit et statuant à nouveau dans cette limite,

Juger que le licenciement de M. [D] [X] est nul et à tout le moins sans cause réelle et sérieuse,

Juger que M. [D] [X] a été victime de harcèlement moral et de discrimination liée à l'état de santé,

Juger que la SAS First a manqué à son obligation de sécurité de résultat,

Juger que l'inaptitude de M. [D] [X] est d'origine professionnelle,

Condamner la SAS First à verser à M. [D] [X] les sommes suivantes :

- Dommages et intérêts pour licenciement nul ou à tout le moins sans cause réelle et sérieuse : 30 008 € (8 mois)

- Indemnité compensatrice de préavis : 11 253 € (3 mois)

- Congés payés sur préavis : 1 125,30 €

- Rappel d'indemnité de licenciement : 1 371,82 €

En tout état de cause,

Condamner la SAS First à verser à M. [D] [X] les sommes suivantes :

- Dommages et intérêts pour discrimination liée à l'état de santé : 5 000 €

- Dommages et intérêts pour harcèlement moral : 5 000 €

- Article 700 du CPC : 3 000 €

Condamner la SAS First aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Selon ses dernières conclusions notifiées le 2 février 2023, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des prétentions et moyens, la société First demande de:

- Juger que le licenciement pour inaptitude est parfaitement fondé

- Juger que la société First a satisfait à l'obligation de reclassement

- Juger qu'aucun fait constitutif de harcèlement ou de discrimination n'est établi

- Juger qu'à la date de notification du licenciement pour inaptitude, la décision de refus de prise en charge au titre de la législation sur les risques professionnels du 19 septembre 2017 était définitive à l'égard de la société First

- Juger que la décision de prise en charge rendue par la CPAM du 18 janvier 2018 suite au recours exercé par M. [X] est inopposable à la société First

En conséquence,

- Confirmer le jugement rendu le 18 juin 2020 par le conseil de prud'hommes de Longjumeau en ce qu'il a dit que le licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse et a débouté M. [D] [X] de ses demandes de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d'indemnité compensatrice de préavis et congés payés sur préavis, rappel d'indemnité de licenciement, dommages et intérêts pour discrimination et harcèlement moral et article 700 du code de procédure civile

- débouter M. [X] de l'intégralité de ses demandes ;

En tout état de cause,

Condamner M. [D] [X] au paiement d'une indemnité de 3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamner M. [D] [X] aux dépens.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 7 février 2023.

MOTIFS :

Sur l'origine professionnelle de l'inaptitude :

Les règles protectrices applicables aux victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle s'appliquent dès lors que l'inaptitude du salarié, quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée, a, au moins partiellement, pour origine cet accident ou cette maladie et que l'employeur avait connaissance de cette origine professionnelle au moment du licenciement.

L'application de l'article L. 1226-10 du code du travail n'est pas subordonnée à la reconnaissance par la caisse primaire d'assurance maladie du lien de causalité entre l'accident du travail et l'inaptitude.

C'est donc vainement que la société First fait valoir qu'à la date de notification du licenciement pour inaptitude, la décision de refus de prise en charge au titre de la législation sur les risques professionnels du 19 septembre 2017 était définitive à l'égard de la société First et expose que la décision de prise en charge rendue par la CPAM du 18 janvier 2018 suite au recours exercé par M. [X] est inopposable à la société First. Cette inopposabilité concerne uniquement les relations entre l'employeur et l'URSSAF au titre du recouvrement des cotisations AT/MP.

Si, en l'espèce, la décision de la prise en charge par la CPAM de l'accident du travail n'a été notifiée que le 18 janvier 2018, soit après le licenciement du salarié, l'entreprise était informée au jour du licenciement du malaise à l'origine de l'arrêt de travail, de la demande de reconnaissance d'un accident du travail formée par M. [X], la caisse de sécurité sociale ayant procédé à l'audition téléphonique de l'employeur le 28 juillet 2017, de l'arrêt de travail pour accident du travail du 3 novembre 2017, des doléances de M. [X] qui avait dénoncé auprès de son employeur, par courriel du 7 novembre 2017 et lettre du 22 novembre 2017, des conditions de travail dégradées en raison notamment des faits survenus le 21 juin 2017, de la rechute de M. [X] constatée lors du renouvellement de son arrêt de travail le 3 novembre 2017 lequel se réfère à l'accident de travail du 21 juin 2017.

Il résulte de ces éléments que l'employeur avait connaissance au jour du licenciement de ce que l'inaptitude avait au moins partiellement pour origine l'accident du travail du 21 juin 2017. L'inaptitude a donc une origine professionnelle et les dispositions spécifiques relatives à l'inaptitude professionnelle devaient s'appliquer.

Sur le harcèlement moral :

Selon l'article L1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En vertu de l'article L1154-1 dans sa rédaction applicable au litige, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

M. [X] expose avoir été convoqué le 21 juin 2017 par M. [T], directeur de la société First, dans son bureau, par téléphone, et sans aucune explication préalable, lequel lui a fait des 'reproches qui pour la plupart ne relevaient pas de sa compétence, notamment le montant d'une commande qui avait été passée pour un montant de deux millions d'achat' au sujet de laquelle il n'était pas en mesure de répondre à M. [T], lequel continuait de le critiquer et lui infligeait une 'immense pression pour qu'il lui fournisse une réponse'. M. [X] précise que, ne supportant pas une telle pression, il a été pris de bouffées de chaleur et a demandé à quitter la pièce et en se dirigeant vers la sortie et a été victime d'un malaise.

Il produit l'avis d'arrêt de travail du le 21 juin 2017 qui mentionne 'une syncope sur le lieu de travail', 'des malaises à répétitions sur le lieu de travail', un courrier de son médecin traitant, le Docteur [Z], en date du 25 octobre 2017 mentionnant un 'état anxiodépressif réactionnel' et une 'somatisation à chaque reprise du travail' et l'avis d'arrêt de travail pour accident du travail du 3 novembre 2017 mentionnant un syndrome anxio-dépressif.

Il souligne que l'employeur a engagé une procédure disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement injustifié, alors qu'il était en arrêt de travail pour maladie d'origine professionnelle.

M. [X] produit le courriel du 7 novembre 2017, aux termes duquel il a écrit à la directrice des ressources humaines de la société que son état de santé était lié au management dans l'entreprise.

Il fait observer que dans l'avis d'inaptitude du 8 novembre 2017, décidé à la suite d'un seul examen, le médecin du travail a pris le soin d'indiquer que « le salarié pourrait occuper une activité similaire dans un environnement différent, c'est-à-dire une autre entreprise».

M. [G], ancien salarié atteste des méthodes de management de M. [T], dirigeant de la société, en ces termes : « j'ai pu constater que les seules façons de manager que connaissait M. [T] étaient la division, la peur et la crainte. A chacun de nos entretiens, ils dénigrait systématiquement mes collègues de travail et certains de mes collaborateurs pour leur éviter un licenciement. Personne n'avait grâce à ses yeux, lui seul avait raison. (...) J'ai constaté le malaise qu'a fait dans les escaliers un de mes proches collègues suite à un entretien virulent qu'il avait subi de la part de M. [T]. J'ai pu assister, entendre, constater la mise sous pression constantes, les reproches systématiques et le dénigrement des actions RH. La moindre action à mener était un combat vis-à-vis de M. [T]. Tout était sujet à commentaire reproches, les paies, les heures, le document unique, le recrutement, la formation... j'ai plusieurs fois conseillé à Mme [R] de quitter l'entreprise. Elle n'a pas voulu m'entendre et j'ai assisté sur les 7 mois que j'ai passé chez First à son délitement moral et psychique. Je n'aurai jamais connu une entreprise avec un tel turn over. De septembre 2016 à mars 2017, j'ai vu partir le directeur commercial, les deux directeurs Supply chain successifs, la directrice marketing et moi-même responsable logistique.».

Il convient de constater que le malaise évoqué par M. [G] n'est pas celui subi par M. [X] qui est intervenu postérieurement à la rupture du contrat de travail de M. [G]. Cette attestation décrit le contexte et les conditions de travail au sein de l'entreprise.

M. [X] expose que douze salariés ont quitté l'entreprise par la voie de démissions et de ruptures contractuelles sur une courte période traduisant un « turn over » préoccupant selon le salarié.

Il résulte de ces éléments que deux agissements sont caractérisés consistant en un entretien virulent le 21 juin 2017 et l'engagement d'une procédure de licenciement pour motif disciplinaire le 5 octobre 2017.

Pris dans leur ensemble, ces faits font présumer une situation de harcèlement moral.

L'employeur ne mentionne pas dans ses conclusions la procédure disciplinaire engagée contre M. [X] alors même que celui-ci l'invoque comme un fait participant du harcèlement moral qu'il soutient avoir subi. La société First ne précise pas la nature des faits reprochés à M. [X] dans le cadre de la procédure disciplinaire engagée. Elle ne rapporte donc pas de justification objective à cette décision qui serait étrangère à tout harcèlement moral.

L'employeur communique des attestations de quatre salariés, trois commerciaux et un responsable de la logistique, qui exposent que M. [T] est un 'dirigeant très humain', 'bienveillant et à l'écoute de ses salariés', 'ouvert au dialogue', 'calme, disponible et à l'écoute'et n'avoir 'jamais été témoin de comportement ou propos déplacés, indélicats, injurieux à l'égard de quiconque'.

Si la société établit ainsi que quatre salariés de l'entreprise étaient satisfaits de leur relation avec leur employeur, elle ne précise aucun élément relatif au motif de l'entretien du 21 juin 2017 à l'issue duquel M. [X] a fait un malaise ni ne produit d'éléments relatifs aux relations entre M. [X] et M. [T] au cours des six mois d'exécution du contrat de travail ayant précédé cet entretien.

L'employeur ne démontre pas que ses agissements étaient étrangers à tout harcèlement moral.

Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, la cour a la conviction que M. [X] a subi une situation de harcèlement moral.

La dégradation de ses conditions de travail ainsi imputable aux agissements de l'employeur ont causé un préjudice moral à M. [X] qui sera réparé par l'allocation de la somme de 3 000 euros de dommages-intérêts.

Ces agissements sont la cause directe de l'accident du travail et de l'arrêt de travail initial et de rechute de M. [X] qui ont conduit à son inaptitude de sorte que le licenciement pour inaptitude de M. [X] est nul.

Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a rejeté la demande de nullité du licenciement.

Sur la discrimination liée à l'état de santé :

En vertu de l'article L1132-1 du code du travail, aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de (...) son état de santé ou de son handicap.

M. [X] soutient avoir été victime d'une discrimination consécutivement à son constat d'inaptitude par le médecin du travail, considérant que la société First n'a alors eu de cesse que de chercher à se séparer de lui, alors même qu'il était en arrêt maladie.

Si la société First a convoqué M. [X] à deux reprises à un entretien préalable à un éventuel licenciement pour motif disciplinaire alors qu'il se trouvait en arrêt de travail, il convient de constater d'une part que l'employeur n'a pas licencié le salarié pour motif disciplinaire, d'autre part, que l'inaptitude, motif visé par la lettre de licenciement, est une exception à la discrimination à raison de l'état de santé.

La demande tendant à voir juger que M. [X] a été victime d'une discrimination et la demande indemnitaire subséquente sont en conséquence rejetées.

Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur le manquement à l'obligation de sécurité :

M. [X] soutient que son dossier médical témoigne des violences psychologiques subies à la suite de son altercation avec M. [T], gérant de la société, et souligne que cet incident a fait l'objet d'une prise en charge par la CPAM et que ses conditions de travail ont été à l'origine de son inaptitude. Il fait grief à son employeur de n'avoir rien mis en oeuvre pour garantir la santé et la sécurité de son salarié et soutient que ses conditions de travail ont été à l'origine de son inaptitude.

Ce moyen tendant à voir juger le licenciement sans cause réelle et sérieuse n'est développé qu'à titre subsidiaire dans l'hypothèse d'un rejet de la demande tendant à voir juger le licenciement nul. Le licenciement ayant été jugé nul, il n'y a donc pas lieu de statuer de ce chef.

Sur l'indemnité spéciale de licenciement :

Selon l'article L1226-14 du code du travail, la rupture du contrat de travail dans les cas prévus au deuxième alinéa de l'article L. 1226-12 ouvre droit, pour le salarié, à une indemnité compensatrice d'un montant égal à celui de l'indemnité compensatrice de préavis prévue à l'article L. 1234-5 ainsi qu'à une indemnité spéciale de licenciement qui, sauf dispositions conventionnelles plus favorables, est égale au double de l'indemnité prévue par l'article L.1234-9.

Toutefois, ces indemnités ne sont pas dues par l'employeur qui établit que le refus par le salarié du reclassement qui lui est proposé est abusif.

Les dispositions du présent article ne se cumulent pas avec les avantages de même nature prévus par des dispositions conventionnelles ou contractuelles en vigueur au 7 janvier 1981 et destinés à compenser le préjudice résultant de la perte de l'emploi consécutive à l'accident du travail ou à la maladie professionnelle.

Le licenciement de M. [X] étant nul et son inaptitude étant d'origine professionnelle, celui-ci a droit à l'indemnité spéciale de licenciement et l'indemnité compensatrice sans que puisse lui être opposé un refus abusif d'une proposition de reclassement.

M. [X] a perçu une indemnité de licenciement de 972,56 euros. Il sollicite un rappel de 1 371,82 euros sans expliciter son calcul.

Dans la mesure où il a droit au doublement de l'indemnité légale de licenciement, il y a lieu de lui allouer la somme de 972,56 euros au titre du solde de l'indemnité spéciale de licenciement.

Le jugement entrepris sera infirmé de ce chef.

Sur l'indemnité compensatrice :

M. [X] sollicite le bénéfice de l'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés y afférents ainsi que l'application du délai conventionnel de préavis de trois mois.

L'employeur oppose que seule une indemnité compensatrice est due en cas d'inaptitude d'origine professionnelle laquelle n'ouvre pas droit à congés payés et que le délai applicable est celui fixé par l'article L12434-1 du code du travail et non le délai conventionnel. Il invoque par ailleurs l'existence d'un refus abusif de reclassement par le salarié et entend à ce titre voir écarter la demande d'indemnité compensatrice.

En cas de rupture du contrat de travail en raison d'une inaptitude d'origine professionnelle, le salarié a droit à une indemnité compensatrice d'un montant égal à l'indemnité compensatrice de préavis.

Sa situation est distincte de celle d'un salarié licencié pour inaptitude d'origine non professionnelle et dont le licencient sans cause réelle et sérieuse lui ouvre droit à l'indemnité compensatrice de préavis et aux congés payés afférents.

Le licenciement de M. [X] étant nul à raison d'un fait imputable à l'employeur et son inaptitude étant d'origine professionnelle, celui-ci a droit à l'indemnité compensatrice sans que puisse lui être opposé un refus abusif d'une proposition de reclassement

L'article L1234-1 prévoit un délai de préavis d'un mois pour les salariés ayant entre six mois et deux ans d'ancienneté.

M. [X] ayant un an et trois mois d'ancienneté, le délai de préavis applicable était d'un mois. L'indemnité compensatrice due est donc équivalente à un mois de salaire.

La société First est condamnée à payer à M. [X] la somme de 2 917,67 euros à titre d'indemnité compensatrice.

Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il avait rejeté cette demande.

Cette indemnité n'ouvre pas droit à congés payés. Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de congés payés.

Sur l'indemnité pour licenciement nul :

En vertu de l'article L1235-3-1 du code du travail, dans sa rédaction applicable au jour du licenciement, l'article L. 1235-3 n'est pas applicable lorsque le juge constate que le licenciement est entaché d'une des nullités prévues au deuxième alinéa du présent article. Dans ce cas, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l'exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l'employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Les nullités mentionnées à l'alinéa précédent sont celles qui sont afférentes à la violation d'une liberté fondamentale, à des faits de harcèlement moral ou sexuel dans les conditions mentionnées aux articles L. 1152-3 et L. 1153-4, à un licenciement discriminatoire dans les conditions prévues aux articles L. 1134-4 et L. 1132-4 ou consécutif à une action en justice, en matière d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans les conditions mentionnées à l'article L. 1144-3 et en cas de dénonciation de crimes et délits, ou à l'exercice d'un mandat par un salarié protégé mentionné au chapitre Ier du titre Ier du livre IV de la deuxième partie, ainsi qu'aux protections dont bénéficient certains salariés en application des articles L. 1225-71 et L. 1226-13.

L'indemnité est due sans préjudice du paiement du salaire, lorsqu'il est dû en application des dispositions de l'article L. 1225-71 et du statut protecteur dont bénéficient certains salariés en application du chapitre Ier du Titre Ier du livre IV de la deuxième partie du code du travail, qui aurait été perçu pendant la période couverte par la nullité et, le cas échéant, sans préjudice de l'indemnité de licenciement légale, conventionnelle ou contractuelle.

Au regard de l'ancienneté de M. [X] d'un an et trois mois, de son salaire mensuel brut de 2 917,67 euros, de son âge soit 31 ans au jour du licenciement, de sa qualification et de sa capacité à retrouver un emploi, le préjudice subi par M. [X] sera réparé par l'allocation de la somme de 18 000 euros.

Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.

Sur les dépens :

La société First est condamnée aux dépens et au paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

Infirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a rejeté la demande de congés payés afférents à l'indemnité compensatrice et la demande de dommages-intérêts pour discrimination à raison de l'état de santé,

Le confirme de ces chefs,

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés,

Juge que le licenciement de M. [D] [X] est nul,

Condamne la société First à payer à M. [D] [X] les sommes de :

- 18 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul,

- 2 917,67 euros à titre d'indemnité compensatrice,

- 972,56 euros à titre de rappel d'indemnité spéciale de licenciement,

- 3 000 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral,

Dit que les créances de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter de la notification de la demande à l'employeur et les créances indemnitaires produiront intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt,

Condamne la société First à payer à M. [D] [X] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société First aux dépens de première instance et d'appel.

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 6
Numéro d'arrêt : 20/04954
Date de la décision : 17/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-17;20.04954 ?
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