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11/05/2023 | FRANCE | N°21/00425

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 5, 11 mai 2023, 21/00425


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 6 - Chambre 5



ARRET DU 11 MAI 2023



(n°2023/ , 16 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/00425 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CC6QS



Décision déférée à la Cour : Jugement du 16 Novembre 2020 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MELUN - RG n° F19/00486





APPELANT



Monsieur [N] [F]

[Adresse 2]

[Localité 3]



Représen

té par Me Véronique MEURIN, avocat au barreau de PARIS, toque : D1275



INTIMEE



S.A.S. AUBINE

[Adresse 1]

[Localité 4]



Représentée par Me Julie DE OLIVEIRA de la SCP PECHENARD & Associés, avo...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5

ARRET DU 11 MAI 2023

(n°2023/ , 16 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/00425 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CC6QS

Décision déférée à la Cour : Jugement du 16 Novembre 2020 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MELUN - RG n° F19/00486

APPELANT

Monsieur [N] [F]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représenté par Me Véronique MEURIN, avocat au barreau de PARIS, toque : D1275

INTIMEE

S.A.S. AUBINE

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Julie DE OLIVEIRA de la SCP PECHENARD & Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : R047

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 13 janvier 2023, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Marie-José BOU, présidente de chambre chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Marie-José BOU, Présidente de chambre, Présidente de formation,

Madame Marie-Christine HERVIER, Présidente de chambre,

Madame Séverine MOUSSY, Conseillère

Greffier : Madame Cécile IMBAR, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, initialement prévue le 16 mars 2023 et prorogée à ce jour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Madame Marie-José BOU, Présidente et par Madame Julie CORFMAT, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

M. [N] [F] a été engagé par la société Aubine, ci-après la société, par contrat de travail à durée déterminée du 13 avril 2015 en qualité de conducteur de matériel de collecte. La relation de travail s'est poursuivie en contrat à durée indéterminée.

Par avenant du 1er janvier 2017, M. [F] a adhéré au dispositif du temps choisi.

Le 21 septembre 2017, un contrat de travail à durée indéterminée a été conclu entre les parties prévoyant l'emploi de M. [F] en qualité de conducteur de matériel de collecte, de nettoiement, d'enlèvement niveau III position 1 coefficient 114 avec reprise d'ancienneté au 13 avril 2015.

Le 26 mars 2018, une déclaration d'accident du travail a été établie concernant des faits survenus le 6 mars précédent. Le 7 juin suivant, l'assurance maladie a notifié son absence de reconnaissance du caractère professionnel de l'accident déclaré.

A la suite de son arrêt de travail, M. [F] a fait l'objet le 2 juillet 2018 d'une visite de reprise par le médecin du travail qui a préconisé une conduite sans manutention. La société l'a dispensé d'activité dans l'attente de l'étude de poste. Le 10 juillet 2018, le médecin du travail a rendu un avis d'aptitude avec les réserves suivantes : 'Conduite sans manutention et 4 montées et descentes de camion maximum. Conduite BOM [benne à ordure ménagère] recommandée'.

Par lettre du 11 juillet 2018, la société a affecté provisoirement M. [F] sur un poste de conducteur de matériel de collecte ou conducteur des caissons à [A] en précisant qu'un deuxième conducteur viendrait effectuer les manipulations relatives aux branchements pour lui éviter de descendre du camion.

Lors de visites des 23 janvier et 1er juillet 2019, le médecin du travail a déclaré M. [F] 'apte à la conduite du véhicule sans manutention, 3 montées descentes du camion par jour maximum - SIR recommandé à déclarer par l'employeur'.

Le salarié a par ailleurs fait l'objet de trois mises à pied disciplinaires qui lui ont été notifiées le 12 mars 2019, le 28 mai 2019 et le 26 juin 2019.

M. [F] a été convoqué par lettre du 17 juillet 2019 à un entretien préalable fixé au 26 juillet 2019 et licencié pour faute grave par courrier du 14 août 2019.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des activités du déchet du 11 mai 2000 et la société occupait à titre habituel au moins onze salariés lors de la rupture des relations contractuelles.

Se plaignant notamment de harcèlement moral et contestant son licenciement, M. [F] a saisi le conseil de prud'hommes de Melun qui, par jugement du 16 novembre 2020 auquel la cour renvoie pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties a :

- fixé la moyenne des trois derniers mois de salaire à la somme de 2 115,89 euros ;

- rejeté la demande d'indemnisation de M. [F] pour harcèlement moral ;

- débouté M. [F] de sa demande de dommages et intérêts pour non respect des restrictions visées par le médecin du travail ;

- requalifié la rupture du contrat de M. [F] en licenciement pour cause réelle et sérieuse ;

- condamné la société au versement de la somme de 2 292,22 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement ;

- débouté M. [F] de ses demandes d'annulation de sanctions, d'indemnisation, de rappel de salaires et congés payés afférents ;

- dit prendre acte de ce que la société s'engage à verser à M. [F] la somme de 127,32 euros au titre du rappel de salaires des heures COR pour l'année 2016 ;

- rejeté les demandes de M. [F] aux fins d'obtenir le versement d'un rappel de salaires des heures COR pour l'année 2017 ;

- condamné la société à la remise d'un bulletin de paie conforme sous astreinte de 50 euros par jour à compter d'un délai de quinze jours à partir du prononcé du jugement et dans la limite de soixante jours ;

- dit se réserver le droit de liquider l'astreinte ;

- condamné la société au versement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- dit que les condamnations porteront intérêt au taux légal s'agissant de créances salariales à compter de la saisine du conseil, avec capitalisation des intérêts ;

- condamné la société aux dépens ;

- ordonné l'exécution provisoire de la décision en vertu de l'article 515 du code de procédure civile.

Par déclaration transmise le 18 décembre 2000 par voie électronique, M. [F] a relevé appel de ce jugement dont il a reçu notification le 24 novembre 2020. La procédure a été enregistrée sous le numéro de RG 21/425. La déclaration d'appel a été enregistrée une seconde fois sous le numéro de RG 21/1596. Les deux procédures ont été jointes par ordonnance du 10 juin 2021

Par conclusions notifiées par voie électronique le 19 décembre 2022 auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des moyens et prétentions en application de l'article 455 du code de procédure civile, M. [F] demande à la cour de :

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. [F] de ses demandes relatives à la fixation de la moyenne de ses salaires, la condamnation de la société à lui payer des dommages et intérêts pour harcèlement moral, pour non-respect des restrictions visées par le médecin du travail, pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, pour sanction injustifiée et de ses différentes demandes de rappels de salaires ;

et statuant à nouveau,

- fixer la moyenne des trois derniers mois de salaire à la somme de 2 273,51 euros bruts ;

- dire que la société n'a pas respecté son obligation de sécurité, a abusé de sanctions disciplinaires injustifiées et les annuler ;

- dire que la société a fait preuve de harcèlement moral à l'encontre de M. [F] ;

- dire que le licenciement de M. [F] ne repose pas sur une faute grave et est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

- en conséquence, condamner la société à payer à M. [F] les sommes suivantes :

* 10 000 euros nets pour non-respect des restrictions visées par le médecin du travail et violation de l'obligation de sécurité,

* 172,95 euros bruts à titre de rappel de salaire à la suite de l'annulation de la mise à pied disciplinaire,

* 269 euros bruts à titre de rappel de salaire à la suite de l'annulation de la mise à pied disciplinaire,

* 343,07 euros bruts à titre de rappel de salaire à la suite de l'annulation de la mise à pied disciplinaire,

* 6 000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour sanction injustifiée,

* 15 000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

* 15 000 euros nets à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 2 462,93 euros nets à titre d'indemnité légale de licenciement,

* 4 447 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

* 444,70 euros bruts à titre de congés payés afférents,

* 1 383,98 euros bruts au titre des heures COR,

* 138,39 euros bruts au titre des congés payés afférents,

* 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- dire que les condamnations porteront intérêt au taux légal à compter du jour de la saisine du conseil de prud'hommes ;

- ordonner la capitalisation des intérêts ;

- condamner la société aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 10 janvier 2023 auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des moyens et prétentions en application de l'article 455 du code de procédure civile, la société demande à la cour de :

- déclarer mal fondé l'appel interjeté par M. [F] ;

- déclarer bien fondé l'appel incident formé par la société ;

- confirmer le jugement en ce qu'il a :

* rejeté la demande d'indemnisation au titre d'un harcèlement moral de M. [F],

* débouté M. [F] de ses demandes d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de dommages et intérêts pour non-respect des règles de sécurité et des restrictions visées par le médecin du travail et d'annulation de sanctions, d'indemnisation, de rappels de salaires et congés payés afférents,

* rejeté ses demandes aux fins d'obtenir le versement d'un rappel de salaire des heures COR pour l'année 2017 ;

- infirmer le jugement en ce qu'il a :

* requalifié le licenciement de M. [F] en un licenciement pour cause réelle et sérieuse,

* condamné la société au versement de la somme de 2 292,22 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement,

* condamné la société à la remise d'un bulletin conforme sous astreinte de 50 euros par jour de retard,

* condamné la société au paiement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

et statuant à nouveau,

- fixer la rémunération mensuelle moyenne de M. [F] à la somme de 1 967,72 euros bruts au regard des douze derniers mois de salaire ;

- donner acte que la société reconnaissait devoir à M. [F] la somme de 127,32 euros au titre du rappel de salaire des heures COR pour l'année 2016 et qu'elle a procédé au règlement de cette somme ;

- débouter M. [F] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions, à l'exception du rappel de salaire des heures COR pour l'année 2016 dans la limite susvisée ;

- condamner M. [F] à payer à la société la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 11 janvier 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l'exécution du contrat de travail

Sur les dommages et intérêts pour non-respect des restrictions posées par le médecin du travail et violation de l'obligation de sécurité

Au visa des articles L. 1132-1, L. L. 1132-4 et L. 4624-6 du code du travail, M. [F] soutient que l'employeur n'a pas respecté les restrictions posées par le médecin du travail relatives au nombre de montées-descentes par jour. Il prétend notamment que la nature de son activité le contraignait à descendre et monter plus de trois fois par jour de son camion. Il sollicite la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect des règles de sécurité et des restrictions du médecin du travail.

La société réplique qu'elle a bien respecté les préconisations du médecin du travail en ce que la descente du véhicule se faisait uniquement trois fois par jour, le matin, à la pause et au retour de la collecte. Elle fait valoir que M. [M] ne rapporte pas la preuve de ses allégations et conteste en particulier le caractère probant des vidéos communiquées par lui.

***

Il résulte des articles L. 4121-1, L. 4121-2 et L. 4121-3 et suivants du code du travail que l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs parmi lesquelles figurent des actions de prévention des risques professionnels et de pénibilité au travail, ce sur le fondement des principes généraux de prévention parmi lesquels figurent notamment : éviter les risques, évaluer les risques qui ne peuvent pas être évités, combattre les risques à la source, adapter le travail à l'homme, planifier la prévention. En application des articles L. 4624-3 et L. 4624-6 du même code, l'employeur est tenu de prendre en considération les propositions émises par le médecin du travail concernant notamment les mesures individuelles d'aménagement, d'adaptation ou de transformation du poste de travail.

Il appartient à l'employeur de justifier des mesures qu'il a mises en oeuvre.

En l'occurrence, les 23 janvier et 1er juillet 2019, le médecin du travail a déclaré M. [F] 'apte à la conduite du véhicule sans manutention, 3 montées descentes du camion par jour maximum - SIR recommandé à déclarer par l'employeur'.

La société verse aux débats une attestation de M. [R] indiquant que M. [X] lui a demandé à plusieurs reprises en 2018 et 2019 d'accompagner M. [F] sur sa tournée afin de brancher et débrancher les push pulls des caissons pour éviter la descente de cabine de M. [F], un courriel de Mme [J], responsable d'exploitation, du 23 janvier 2019 précisant qu'à la suite du retour de M. [F], [A] devait brancher et débrancher les push pulls, des feuilles de service de M. [F] pour le mois de juillet 2019, des feuilles de tournée de M. [F] du mois d'avril 2019 faisant état de tours annulés par le planning et un rapport de l'employeur du 18 juillet 2019 destiné à l'assurance maladie décrivant l'activité professionnelle de M. [F] à partir de juillet 2018 et relatant que la descente du véhicule se fait 3 fois par jour, le matin, à la pause et au retour de collecte.

Mais ces pièces sont insuffisantes à prouver le respect par l'employeur des restrictions posées par le médecin du travail, à savoir 3 montées descentes par jour, alors que le salarié fait valoir que tel n'a pas été le cas au regard notamment du descriptif de sa tournée figurant dans ses conclusions. En effet, l'attestation de M. [R] est imprécise quant aux dates ou périodes où il aurait accompagné M. [F] et quant aux lieux où il devait effectuer des branchements. Le mail de Mme [J] ne permet pas de justifier que l'instruction relative à [A] qu'il contient suffisait à assurer le respect de ces préconisations, M. [F] expliquant dans ses conclusions qu'il ne descendait pas du camion à [A] mais dans d'autres situations. De même les feuilles de service et de tournée qui ne portent que sur deux mois et non sur toute la période incriminée sont insuffisantes. Enfin, le rapport destiné à l'assurance maladie, très succinct, n'emporte pas la conviction de la cour faute d'être corroboré par des éléments objectifs.

La cour en déduit que la société n'a pas respecté l'obligation prévue à l'article L. 4624-6 précité et son obligation de sécurité. S'agissant de manquements à des mesures visant à garantir la sécurité et la santé du salarié, il en est résulté un préjudice qui sera justement réparé par l'allocation d'une somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts, le jugement étant infirmé à ce titre.

Sur l'annulation des sanctions disciplinaires

Aux termes de l'article L. 1333-1 du code du travail, en cas de litige sur une sanction disciplinaire, le conseil de prud'hommes apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction. L'employeur fournit au conseil de prud'hommes les éléments retenus pour prendre la sanction. Au vu de ces éléments et de ceux qui sont fournis par le salarié à l'appui de ses allégations, le conseil de prud'hommes forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

L'article L. 1333-2 du code du travail précise que le conseil de prud'hommes peut annuler une sanction irrégulière en la forme, ou injustifiée ou disproportionnée à la faute commise.

- sur la mise à pied du 12 mars 2019 :

La lettre de mise à pied est ainsi rédigée :

« (...) Ces faits sont les suivants :

' détérioration du camion, numéro de parc 5546

En effet, le 01/02/2019, vous avez abîmé la barre anti encastrement du camion et n'avez pas averti votre hiérarchie à votre retour de tournée. C'est M. [W] [K] qui a constaté les dégâts causés, lors de sa vérification du camion à sa prise de poste, le 04 février 2019.

Vos agissements ont provoqué l'immobilisation du véhicule du 4 au 13 février 2019.

Lors de l'entretien, vous nous expliquez qu'en man'uvrant pour récupérer un caisson plein, la barre anti-encastrement est venue percuter le caisson gris et que vous n'aviez pas vu que cette barre anti encastrement était en position de sortie.

Nous vous avons alors expliqué que vous n'auriez pas dû effectuer de man'uvre tant que vous ne vous étiez pas assurés que la barre anti-encastrement était en position fermée.

En agissant ainsi, vous avez enfreint :

- l'article 11 du règlement intérieur Aubine qui précise que « les salariés sont responsables du matériel qu'ils utilisent ; toute disparition ou détérioration devra être signalée immédiatement au directeur d'agence ou ses représentant. »

- l'article 18 du règlement intérieur Aubine qui indique que vous devez « effectuer les vérifications sur le véhicule avec le départ et au retour de service. »

En plus des faits ci-dessus, nous vous avons convoqué pour les faits suivants :

- détérioration d'un guide sur le site de [A] :

En effet, le 08 février 2019, vous avez détérioré le guide poste n°4 sur le quai de [A] lors d'une manipulation.

Lors de l'entretien, vous nous expliquez que vous ne vous êtes pas rendu compte de cet incident.

Nous vous avons répondu que si vous alliez positionner votre camion dans l'axe du quai comme il se doit, il n'y aurait pas eu cet incident.

De par votre qualité de conducteur de matériel de collecte, nous vous rappelons que vous devez constamment faire preuve d'une extrême vigilance sur vos faits et gestes.

En agissant ainsi vous avez de nouveau enfreint :

' l'article 11 du règlement intérieur Aubine qui précise (cf ci-dessus)

Les explications que vous nous avez fournies ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation des faits qui vous sont reprochés.

Par conséquent et pour les faits énoncés ci-dessus ne vous nous vous notifions par la présente une mise à pied disciplinaire de deux jours qui sera exécutée les 19 et 20 mars 2019.'

M. [F] prétend avoir informé son responsable de planning d'un problème affectant la barre et non de ce qu'il l'avait cassée. Il conteste le premier grief. Il nie par ailleurs avoir pu commettre le second.

La société rétorque que la matérialité des premiers faits, à savoir la détérioration de la barre anti-encastrement, est établie. Elle soutient que les seconds faits sont aussi justifiés par les pièces qu'elle produit. Elle considère que la sanction est fondée.

Au soutien des faits du 1er février 2019 relatifs à la barre-encastrement, la société verse aux débats un mail de Mme [H] [I], responsable d'exploitation, du 1er février 2019 relatant que le soir-même, M. [F] a eu un 'souci' avec le véhicule 5546 car en reculant il a heurté l'arrière droit du caisson, la barre anti-encastrement étant rentrée, qu'à la suite du choc, celle-ci s'est tordue et qu'il lui a signifié que l'incident était de son fait. Elle communique aussi des photographies. Pour sa part, M. [F] ne fournit aucun élément se rapportant aux faits du 1er février 2019, excepté sa lettre de contestation de la sanction datée du 16 mars 2019 et la réponse de son employeur du 24 avril 2019 indiquant notamment : 'vous nous écrivez avoir informé votre responsable planning. Après enquête, ce fait nous a été confirmé'.

La cour observe que selon le mail produit par la société, la barre anti-encastrement était fermée alors que la lettre de sanction reproche à M. [F] de ne pas s'être assuré qu'elle était en position fermée avant d'entreprendre sa manoeuvre, étant par ailleurs précisé que dans sa lettre du 16 mars 2019, M. [F] a contesté ses explications lors de l'entretien préalable telles que rapportées dans le courrier de sanction et qu'aucun compte rendu de cet entretien n'est produit. Au regard de cette contradiction, le défaut de vérification et la détérioration qui lui sont imputées ne sont pas établis. En outre, la réponse de l'employeur du 24 avril 2019 prouve que le défaut d'avertissement de sa hiérarchie reproché au salarié n'est pas constitué.

Au soutien des faits du 8 février 2019, la société produit un mail de la société Generis du 11 février 2019 adressé à M. [X] indiquant que le soir-même, le chauffeur de la société Aubine a détérioré le guide poste n°4 ainsi qu'une photographie de dégâts jointe à ce mail. Dans sa lettre du 16 mars 2019, M. [F] a contesté cette détérioration d'un guide. En l'état des pièces produites par les parties, en particulier du caractère peu circonstancié du mail de la société Generis, la cour estime qu'il n'est pas établi que cette détérioration soit imputable à M. [F].

La mise à pied du 12 mars 2019 doit être annulée car non justifiée.

- sur la mise à pied du 28 mai 2019 :

La lettre de mise à pied est ainsi rédigée :

'(...) Ces faits sont les suivants :

' détérioration de la barre anti encastrement du camion, n° de parc 2049

En effet, le 10 avril 2019, nous avons constaté à votre retour de collecte que la barre anti encastrement présentait des fissures dans les soudures et qu'il manquait plusieurs boulons au niveau de ses attaches. Ce jour-là, vous êtes rentré au dépôt en nous signalant un problème sur la barre mais en nous indiquant ne pas être à l'origine des dégâts visibles.

Vos agissements ont provoqué l'immobilisation du véhicule du 10 au 17 avril 2019 ainsi que le remplacement de la barre anti encastrement (devis de 746 € hors coûts de pose).

Lors de l'entretien, vous nous expliquez que c'est un collaborateur, du centre de transfert du site de [A], qui vous a informé que la barre anti encastrement était endommagée lorsqu'il procédait aux branchements des push-pull. C'est ce même collaborateur qui avait fait le précédent branchement et n'avait donc pas constaté de défauts particuliers. Pour vous, la détérioration tient à la perte de 2 boulons d'attache de la barre anti encastrement et ne serait pas consécutive à un choc. De plus, vous nous dites avoir contacté M. [D] [Z] pour lui demander si d'après lui, lors des manipulations de vidage des caissons, vous auriez pu être amené à percuter un muret, un mur ou autre.

De notre côté, nous vous avons confirmé ce qui vous aviez déjà été rapporté par oral, à savoir que les dégâts, sur la barre anti encastrement, étaient bien plus importants que la simple perte de boulons. Les mécaniciens étant intervenus sur cette casse, nous ont confirmé des fissures sérieuses dans les soudures de la barre anti encastrement. Ce type de casse résulte obligatoirement d'un choc important.

Vous comprendrez que nous ne sommes pas convaincus des arguments que vous nous présentez.

Pour rappel, vous avez déjà reçu été reçu puis sanctionné d'une mise à pied disciplinaire de deux jours pour des faits similaires sur un autre véhicule par courrier daté du 12 mars 2019.

Force est de constater que vous n'avez pas prêté attention aux remarques qui vous avez déjà été faites.

En agissant ainsi vous avez enfreint l'article 11 du règlement intérieur Aubine qui précise que « Les salariés sont responsables du matériel qu'ils utilisent ».

Les explications que vous nous avez fournies ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation des faits qui vous sont reprochés.

Par conséquent et pour les faits énoncés ci-dessus nous vous notifions par la présente une mise à pied disciplinaire de quatre jours qui sera exécutée les :

' mardi 2 juillet, mercredi 3 juillet, jeudi 4 juillet 2019 avec reprise du travail le vendredi 5 juillet 2019,

' mardi 9 juillet 2018, avec reprise du travail le mercredi 10 juillet 2019.

Cette mise à pied entraînera une retenue de salaire sur votre paye du mois correspondant à la durée de votre absence'.

M. [F] conteste être à l'origine de la détérioration de la barre du camion visée dans la lettre. La société soutient au contraire que la détérioration résulte nécessairement d'un choc dans lequel M. [F] a été impliqué et que la mise à pied est fondée.

La société produit une photographie d'une barre de camion, la check list de départ remplie par M. [F] le 10 avril 2019 ne signalant aucune anomalie de la BAE, la feuille de validation des tournées des 10 et 17 avril 2019 et le devis du 15 avril 2019 ainsi que la facture du 19 avril 2019 d'une BAE Guima. M. [F] produit quant à lui sa lettre de contestation de la sanction en date du 5 juin 2019 indiquant notamment que la barre n'était pas adaptée, qu'un chauffeur avait posé un caisson dessus et qu'il n'y avait pas de choc sur la barre.

La cour estime au vu de ces éléments qu'il n'est pas établi avec certitude que la détérioration de la barre anti-encastrement en cause soit le fait de M. [F] de sorte que la mise à pied est injustifiée et doit être annulée.

- sur la mise à pied du 26 juin 2019 :

La lettre de mise à pied est ainsi rédigée :

'(...) Ces faits sont les suivants :

' détérioration des guides du poste n°4 sur le site de [A]

En effet, le 3 mai 2019, vous avez de nouveau détérioré les guides poste n°4 sur le quai du site de [A] lors d'une manipulation (photo de la casse reçue par le personnel sur site de [A]).

Pour rappel vous avez déjà été reçu puis sanctionné ces six derniers mois :

Par lettre recommandée en date du 5 février 2019, nous vous avons convoqué à un entretien préalable à sanction disciplinaire (pouvant aller jusqu'au licenciement) 14 février 2019.

' Faits reprochés détérioration du camion, N° parc 5546 et détérioration d'un guide sur le site de [A].

' Notification d'une mise à pied disciplinaire de 2 jours en date du 12 mars 2019.

Par lettre recommandée en date du 16 avril 2019, nous vous avons convoqué à un entretien préalable à sanction disciplinaire (pouvant aller jusqu'au licenciement) le 29 avril 2019 :

' Faits reprochés : détérioration de la barre anti encastrement du camion, n° de parc 2049

' notification d'une mise à pied disciplinaire de 4 jours en date du 28 mai 2019.

Force est de constater que vous n'avez pas prêté attention aux remarque qui vous avez déjà été faites.

En agissant ainsi vous avez enfreint l'article 11 du règlement intérieur Aubine qui précise que 'les salariés sont responsables du matériel qu'ils utilisent'.

Par conséquent et pour les faits énoncés ci-dessus nous vous notifions par la présente une mise à pied disciplinaire de six jours qui sera exécutée les :

mardi 6 août 2019, mercredi 7 août 2019, avec reprise du travail le jeudi 8 août 2019,

mardi 13 août 2019, avec reprise du travail le mercredi 14 août 2019,

mardi 20 août 2019, mercredi 21 août 2019, avec reprise du travail le jeudi 22 août 2019,

mardi 27 août 2019, avec reprise du travail le mercredi 28 août 2019,

Cette mise à pied entraînera une retenue de salaire sur votre paye du mois correspondant à la durée de votre absence.'.

M. [F] conteste les faits, affirmant qu'il n'y a jamais eu d'incident le 3 mai 2019. La société soutient au contraire que ce dernier est responsable des dégradations en cause.

Au soutien de cette mise à pied, la société produit un mail de la société Generis du 3 mai 2019 adressé à M. [X] indiquant que 'le chauffeur camion evac bv638ds casse' déjà signalé par deux fois sur le même guide en novembre et février a commis de nouveaux 'exploits' ainsi qu'une photographie de dégâts jointe à ce mail. Elle produit aussi une feuille de tournée de M. [F] pour la journée du 3 mai 2019. Pour sa part, M. [F] ne fournit aucune pièce se rapportant à ces faits. En l'état de ces pièces, en particulier du caractère peu circonstancié du mail de la société Generis, la cour estime qu'il n'est pas établi que la détérioration invoquée soit imputable à M. [F].

La mise à pied du 26 juin 2019 doit aussi être annulée car non justifiée.

Le jugement qui a débouté M. [F] de ses demandes d'annulation sera infirmé.

Sur les rappels de salaire au titre des mises à pied

Les mises à pied ayant été annulées et au vu des bulletins de salaire des mois d'avril et août 2019 mentionnant les retenues effectuées à ces titres, M. [F] est fondé à réclamer les sommes de :

- 172,95 euros à titre de rappel de salaire pour la mise à pied du 12 mars 2019 ;

- 269 euros au titre de la mise à pied du 28 mai 2019 ;

- 343,07 euros au titre de la mise à pied du 26 juin 2019.

Le dispositif des écritures de M. [F] ne contenant pas de demande d'indemnités compensatrices des congés payés afférents, la cour n'a pas à statuer de ce chef.

Sur les dommages et intérêts pour harcèlement moral

M. [F] soutient qu'à compter du moment où le médecin du travail a posé des restrictions pour l'exercice de ses fonctions, il a été victime d'un harcèlement moral de la part de son employeur qui a multiplié les sanctions injustifiées et n'a pas respecté lesdites restrictions. Il sollicite une indemnisation à hauteur de 15 000 euros.

La société conteste avoir commis un harcèlement moral, soutenant que les sanctions disciplinaires sont fondées et qu'elle a respecté les préconisations du médecin du travail ainsi que les règles de sécurité.

***

Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'article L.1154-1 du même code prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement et il incombe alors à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Au cas d'espèce, le salarié présente les éléments suivants :

- les sanctions disciplinaires qui lui ont été infligées : il résulte des énonciations qui précèdent que M. [F] a fait l'objet de trois mises à pied disciplinaires en quelques mois ;

- le non-respect par l'employeur des restrictions posées par le médecin du travail : la cour a d'ores et déjà retenu le non-respect desdites restrictions.

Ces éléments pris dans leur ensemble laissent supposer l'existence d'un harcèlement.

La cour a considéré que les trois mises à pied disciplinaires n'étaient pas justifiées de sorte que la société ne peut être suivie lorsqu'elle invoque leur caractère fondé. En outre, c'est en vain au regard de ce qui précède qu'elle invoque avoir respecté les avis du médecin du travail. La société ne prouve pas que ses agissements ne sont pas constitutifs d'un harcèlement moral et que ses décisions étaient justifiées par des éléments objectifs à tout harcèlement.

La cour retient donc que M. [F] a subi des agissements de harcèlement moral qui seront justement réparés par l'allocation d'une somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts, le jugement étant infirmé à ce titre.

Sur les dommages et intérêts pour sanctions injustifiées

M. [F] fait valoir que le salarié dont la sanction est annulée est en droit de solliciter outre l'annulation de la sanction des dommages et intérêts en fonction du préjudice subi. Il réclame de ce chef la somme de 6 000 euros à titre de dommages et intérêts.

La société s'oppose à la demande.

***

M. [F] ne justifie pas avoir subi un préjudice distinct de celui déjà réparé au titre du harcèlement moral constitué notamment des sanctions disciplinaires injustifiées. Le jugement qui l'a débouté de ce chef sera confirmé.

Sur la demande au titre des heures COR

M. [F] fait valoir que compte tenu des heures supplémentaires accomplies au delà du continent annuel fixé à 130 heures, il avait droit à une contrepartie obligatoire sous forme de repos (COR). Il fait valoir que l'avenant du 1er janvier 2017 ne peut lui être opposé dès lors qu'il ne se souvient pas l'avoir signé et qu'il n'a pas été informé de ses conséquences. Arguant aussi de sa méconnaissance du français, il reproche au conseil de prud'hommes de ne pas avoir vérifié que son consentement avait été pleinement éclairé. Il invoque que les dispositions du code du travail relatives aux contreparties à l'accomplissement d'heures supplémentaires sont d'ordre public et qu'il ne peut y être dérogé. Il prétend que l'étude de ses bulletins de salaire démontre qu'à la fin du mois de décembre 2016, il lui restait dû 211,07 heures COR, certaines heures COR ayant disparu entre août et septembre 2016 d'une part, entre novembre et décembre d'autre part. Il soutient que des heures COR ont continué à disparaître ensuite de ses bulletins de salaire. Compte tenu des heures COR qu'il reconnaît avoir utilisées, il considère que la société doit lui payer la somme de 1 383,98 euros au titre des heures COR et celle de 138,39 euros au titre des congés payés afférents.

La société rétorque que les compteurs de COR mentionnés sur les bulletins de salaire de 2016 sont erronés et qu'au titre de l'année 2016, M. [F] n'a effectué que 244,89 heures supplémentaires de sorte qu'il ne pouvait bénéficier que de 143,54 heures de COR. Compte tenu des 133 heures qu'il a prises en 2017, elle reconnaît qu'elle lui devait 10h54 de COR et affirme avoir réglé la somme correspondante de 127,32 euros à la suite du jugement. Elle soutient que pour 2017, M. [F] a signé un avenant d'adhésion au temps choisi l'empêchant de prétendre à des COR. Elle avance que ce document est clair et que M. [F] n'a jamais manifesté sa volonté de revenir sur son application. Elle fait valoir que si ce dispositif du temps choisi a été abrogé par la loi du 20 août 2008, les accords collectifs l'ayant mis en place avant l'entrée en vigueur de cette loi, ce qui est le cas de celui de la société Aubine, continuent à s'appliquer sans limitation de durée et qu'en matière de temps de travail, un accord d'entreprise peut déroger, même dans un sens défavorable au salarié, aux dispositions d'une convention de branche.

***

En application de l'article L. 3121-30 du code du travail, chaque heure supplémentaire effectuée au delà du contingent annuel d'heures supplémentaires ouvre droit à une contrepartie obligatoire en repos.

En vertu de la convention collective applicable, ce contingent est de 130 heures.

Pour 2016, M. [F] se fonde exclusivement sur les heures COR mentionnées sur ses bulletins de paie.

Toutefois, il résulte des indications détaillées figurant sur ces mêmes bulletins concernant le nombre d'heures d'heures supplémentaires normales, le nombre d'heures supplémentaires à 125% et le nombre d'heures supplémentaires majorées à 150% (qui ne font l'objet d'aucune critique de la part de M. [F]) que ce dernier a effectué en 2016 48,46 heures supplémentaires normales, 168,67 heures majorées de 25% et 27,76 heures majorées de 50%. Il en résulte que le dépassement du contingent d'heures supplémentaires pour 2016 ne saurait excéder 143,54 heures comme le reconnaît la société Aubine et que les mentions sur les heures COR sont à l'évidence erronées. M. [F] ayant pris 133 heures en 2017 comme il l'indique lui-même et comme cela figure sur ses bulletins de salaire et son contrat ayant pris fin avant qu'il ait pu bénéficier de cette contrepartie, il a droit à une indemnité ayant le caractère de salaire d'un montant de 127,32 euros, non contesté en lui-même par l'appelant. Le jugement sera confirmé en ce qu'il a pris acte de ce que la société s'engage à payer ladite somme à M. [F], étant observé que les pièces versées aux débats sont insuffisantes à établir que le paiement de cette somme a d'ores et déjà eu lieu.

Le principe ci-dessus rappelé découlant de l'article L. 3121-30 du code du travail ne s'applique qu'à défaut du dispositif des heures choisies.

En effet, si les dispositions des anciens articles L. 3121-17 et suivants du code du travail instaurées par la loi n°2005-296 du 31 mars 2005 permettant en vertu notamment d'un accord d'entreprise aux salariés d'effectuer en accord avec leur employeur des heures supplémentaires n'ouvrant pas droit au repos compensateur obligatoire (dispositif des heures choisies) ont été abrogées par la loi n°2008'789 du 20 août 2008, il résulte de l'article 18 IV de cette loi que les accords conclus avant son entrée en vigueur restent en vigueur et que les heures choisies accomplies en application d'un accord conclu sur le fondement de l'ancien article L. 3121-17 du code du travail n'ouvrent pas droit à la contrepartie obligatoire en repos.

Au cas présent, la société justifie d'un accord d'entreprise conclu en son sein le 4 avril 2007 d'une durée indéterminée prévoyant le recours au temps choisi tel que prévu par la loi du 31 mars 2005 précitée. Elle produit aussi l'avenant au contrat de travail portant adhésion au temps choisi conclu par elle et M. [F] le 1er janvier 2017 avec effet à cette même date et rappelant expressément que les heures de travail effectuées au titre du temps choisi ne donnent pas lieu à la contrepartie obligatoire en repos, ajoutant que l'intéressé pouvait se rétracter par lettre recommandée.

M. [F] n'apporte aucun élément prouvant que son consentement a été vicié lors de la conclusion de cet accord qui est parfaitement explicite et qu'il n'a jamais dénoncé.

En outre, quand bien même l'article L. 3121-30 du code du travail figure dans les dispositions d'ordre public sur la durée légale et les heures supplémentaires, il résulte des dispositions ci-dessus visées de l'article 18 IV qui n'ont pas été jugées contraires à la Constitution par le Conseil constitutionnel qu'en vertu de l'accord d'entreprise et de l'avenant conclu dérogeant au droit commun, M. [F] ne peut prétendre pour l'année 2017 à une contrepartie obligatoire en repos, le jugement qui l'a débouté de ce chef étant confirmé.

Sur le licenciement

La lettre de licenciement est ainsi rédigée :

' [...] Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 17 juillet 2019, nous vous avons convoqué à un entretien préalable à une éventuelle sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement qui s'est tenu le 26 juillet 2019. Vous ne vous êtes pas présenté à cet entretien, ni fait représenter; nous avons alors examiné attentivement votre dossier.

Les griefs sont les suivants :

- Détérioration de la barrière de fermeture de fosse sur le site de SOVALEM à [Localité 6]

En effet, le 12 juillet 2019, vous avez percuté une barrière au niveau de la Collecte Sélective (CS) sur le quai du site de Sovalem à [Localité 6] lors du vidage du camion immatriculé [Immatriculation 5] que vous conduisiez. Vidage que vous avez réalisé en ignorant les consignes de sécurité de M. [S] (conducteur d'engins au sein de la société SOVALEM), en allant vider alors qu'un semi était déjà en cours de vidage en fosse.

C'est au moment de partir du quai, qu'en man'uvrant, vous avez accroché la barrière et êtes reparti sans attendre votre équipier de collecte, M. [U] alors que M. [S] vous avez interpelé.

La barrière a été déformée et ne pouvait plus être verrouillée engendrant ainsi des coûts de réparation.

En agissant ainsi, vous avez enfreint :

- l'article 1 du règlement intérieur de la société AUBINE qui précise que « Le personnel est tenu de se conformer aux consignes portées à sa connaissance [...] »

- l'article 8 du règlement intérieur de la société AUBINE qui précise que « il incombe à chaque salarié, [...] de prendre soin de sa sécurité et de sa santé ainsi que celle des autres personnes concernées, internes ou externes à l'entreprise, du fait de ses actes ou des omissions au travail»

- l'article 11 du règlement intérieur de la société AUBINE qui précise que « Les salariés sont responsables du matériel qu'ils utilisent [...] »
- l'article 14 du règlement intérieur de la société AUBINE qui précise que « Les personnes appelées par leur fonction à conduire ainsi que leurs passagers éventuels doivent: [...] apporter toute la prudence et les soins requis à la bonne utilisation des véhicules qui leur sont confiés. »

Pour rappel, sur les 6 derniers mois pendant lesquels vous avez travaillé 52 jours, vous avez été sanctionné à plusieurs reprises, pour un total de 12 jours de mise à pied disciplinaire :

Par lettre recommandée en date du 05 février 2019, nous vous avons convoqué à un entretien préalable à sanction disciplinaire (pouvant aller jusqu'au licenciement) le 14 février 2019.

- Faits reprochés: détérioration du camion, N° parc 5546 et détérioration d'un guide sur le site de [A].

- Notification d'une mise à pied disciplinaire de 2 jours en date du 12 mars 2019.

Par lettre recommandée en date du 16 avril 2019, nous vous avons convoqué à un entretien préalable à sanction disciplinaire (pouvant aller jusqu'au licenciement) le 29 avril 2019 :

- Faits reprochés: détérioration de la barre anti-encastrement du camion, n° de parc 2049.

- Notification d'une mise à pied disciplinaire de 4 jours en date du 28 mai 2019.

Par lettre recommandée en date du 10 mai 2019, nous vous avons convoqué à un entretien préalable à sanction disciplinaire (pouvant aller jusqu'au licenciement) le 28 mai 2019.

- Faits reprochés : détérioration d'un guide sur le site de [A].

- Notification d'une mise à pied disciplinaire de 6 jours en date du 26 juin 2019.

Force est de constater que vous n'avez prêté aucune attention aux remarques qui vous ont déjà été faites. Ce comportement est inadmissible et constitue un manquement grave à vos obligations professionnelles.

Les conséquences de votre comportement rendent impossible la poursuite de votre activité dans l'entreprise, même pendant la durée de votre préavis.

C'est pourquoi nous vous notifions par la présente votre licenciement pour faute grave, sans préavis ni indemnité de rupture. Vous cesserez définitivement de faire partie de l'entreprise à la date d'envoi de cette lettre. [...]'.

Sur le bien-fondé du licenciement

M. [F] conteste être à l'origine d'un incident sur le site de [Localité 6], estimant que les éléments produits par l'employeur ne sont pas probants. Il ajoute que dans un souci de rentabilité, son employeur lui a demandé de manoeuvrer dans un endroit périlleux.

La société soutient que les faits sont établis par plusieurs éléments, dont l'attestation d'une société tierce, et que les agissements de son salarié justifient son licenciement pour faute grave, contrairement à ce qu'a jugé le conseil de prud'hommes.

***

Il résulte des articles L. 1234-1 et L. 1234-9 du code du travail que la faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et nécessite son départ immédiat sans indemnité. L'employeur qui invoque une faute grave doit en rapporter la preuve.

L'intimée verse aux débats un mail que lui a adressé un responsable maintenance de la société Sovalem le 12 juillet 2019, signalant que ce même jour, aux alentours de 13 heures, 'un de vos chauffeurs de BOM (intérimaire) a percuté une barrière'. Comme le relève à juste titre M. [F], ce mail évoque un intérimaire, ce qu'il n'est pas, sans le désigner nommément. Si la société Sovalem a par un nouveau mail du 15 juillet 2019 indiqué que l'accrochage de la barrière de l'usine était imputable à 'Mr [G]', cette rectification n'est pas convaincante dans la mesure où elle a été faite trois jours après et où, comme le courriel l'évoque ensuite, elle fait suite notamment à un échange avec un salarié de la société Aubine.

L'intimée verse aussi aux débats une attestation de M. [U] mais celle-ci ne précise pas le lien de son auteur avec les parties, alors que ce dernier est un salarié de la société Aubine, sous sa subordination, ni n'indique que son auteur a connaissance des sanctions pénales auxquelles il s'expose en cas de fausse attestation. Cette attestation non conforme aux exigences de l'article 202 du code de procédure civile ne présente pas des garanties suffisantes pour emporter la conviction de la cour.

Il en est de même de celle de M. [S] qui n'est pas rédigée manuscritement, ne contient pas l'indication du lien éventuel de son auteur avec l'une ou l'autre des parties ni de ce qu'il a connaissance des sanctions encourues en cas de fausse attestation.

Les photographies de dégradations et le devis du 29 juillet 2019 ne sont pas non plus probants du manquement imputé à M. [F] le 12 juillet 2019. Les autres faits visés dans la lettre de licenciement ont, comme elle l'indique, déjà été sanctionnés et ne sauraient dès lors fonder la rupture du contrat de travail, outre que la cour a annulé ces sanctions comme injustifiées.

La faute grave n'étant pas prouvée, son licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse, le jugement étant infirmé en ce sens.

Sur les conséquences du licenciement sans cause réelle et sérieuse

Sur l'indemnité légale de licenciement :

M. [F] sollicite la somme de 2 462,93 euros net à titre d'indemnité légale de licenciement en fonction d'un salaire de référence de 2 273,51 euros et d'une ancienneté de 4 ans et 4 mois tandis que la société estime que l'indemnité légale de licenciement ne saurait excéder 2 131,69 euros, le salaire de référence étant de 1 906,96 euros et subsidiairement de 1 967,72 euros ainsi que l'ancienneté de 4 ans et 4 mois.

M. [F] ayant été licencié à l'issue d'un arrêt maladie, la rémunération à retenir doit être calculée selon la formule la plus avantageuse des trois derniers mois ayant précédé l'arrêt de travail. Dès lors M. [F] est fondé à se prévaloir d'un salaire de référence de 2 273,51 euros, le jugement étant infirmé sur ce point. Compte tenu de l'ancienneté de 4 ans et 4 mois sur laquelle les deux parties basent leur calcul, il est alloué à M. [F] la somme de 2 462,93 euros en application des articles L. 1234'9, R. 1234'1 et R. 1234'2 du code du travail, le jugement étant infirmé de ce chef.

Sur l'indemnité compensatrice de préavis :

Selon le dispositif de ses écritures, M. [F] réclame la somme de 4 447 euros brut outre celle de 444,70 euros au titre des congés payés afférents, en contestant le caractère nouveau de sa demande. La société soutient que les prétentions de M. [F] sont formées pour la première fois en appel et partant irrecevables. Sur le fond, elle s'y oppose au motif de la faute grave fondant le licenciement.

La cour observe que la fin de non-recevoir tirée du caractère nouveau des demandes n'est pas reprise au dispositif des écritures de la société qui demande seulement à la cour de débouter M. [F] de l'ensemble de ses demandes. En application de l'article 954 du code de procédure civile, la cour n'a pas à statuer sur cette fin de non-recevoir.

La durée du préavis étant fixée à deux mois, l'indemnité compensatrice de préavis due à M. [F] correspondant au montant des salaires et avantages que le salarié aurait perçus s'il avait accompli son travail jusqu'à l'expiration du préavis s'élève dans la limite de la somme réclamée à 4 447 euros brut. La société est condamnée à lui payer cette somme outre 444,70 euros au titre de l'indemnité compensatrice des congés payés afférents.

Sur l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :

M. [F] demande à la cour de lui accorder une indemnité de 15 000 euros en application de l'article L. 1235-3-1 du code du travail, arguant notamment ne pas avoir retrouvé de travail. La société réplique qu'en vertu de l'article L. 1235-3 du même code, il a droit à une indemnité comprise entre 3 et 5 mois de salaire brut et qu'il convient de limiter cette indemnité à son minimum, soit 5 903,16 euros.

M. [F] n'ayant pas conclu à la nullité de son licenciement mais à son absence de cause réelle et sérieuse, doit être appliqué l'article L. 1235-3 du code du travail en vertu duquel compte tenu de son ancienneté, il a droit à une indemnité comprise entre 3 et 5 mois de salaire brut. Celui-ci justifiant être resté plusieurs mois au chômage, il lui sera alloué la somme de 9 000 euros, le jugement étant infirmé en ce sens.

Sur le remboursement à Pôle emploi :

L'article. L.1235-4 du code du travail dispose que dans les cas prévus aux articles L.1235-3 et L.1235-11 du même code, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de 6 mois d'indemnités chômage par salarié intéressé, ajoutant que ce remboursement est ordonné d'office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l'instance ou n'ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.

Il y a lieu d'ordonner à la société de rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage versées à M. [F] du jour du licenciement au jour du présent arrêt, dans la limite de trois mois d'indemnités.

Sur les intérêts au taux légal et la demande de capitalisation

Les créances salariales produisent intérêt au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation, le 30 septembre 2019, à l'exception de l'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents qui produisent intérêts au taux légal à compter du 15 mars 2021, date de notification des conclusions d'appel par lesquelles ces sommes ont été réclamées, et les créances indemnitaires produisent intérêt au taux légal à compter du présent arrêt, la capitalisation des intérêts étant ordonnée conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil.

Sur la remise d'un bulletin de paie conforme

Il convient d'ordonner à la société Aubine la remise d'un bulletin de salaire conforme au présent arrêt dans le mois de sa notification, sans qu'il soit besoin de fixer une astreinte. Le jugement est infirmé à ce titre.

Sur les dépens et frais irrépétibles

C'est à juste titre que les premiers juges ont condamné la société aux dépens et à payer à M. [F] la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. Leur décision sera confirmée de ces chefs. La société sera condamnée aux dépens d'appel et à lui payer la somme de 1 500 euros pour la procédure d'appel au même titre, étant elle-même déboutée de sa demande fondée sur l'article 700 précité.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe :

Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a rejeté les demandes de dommages et intérêts pour sanctions injustifiées et au titre de la contrepartie obligatoire en repos (COR) pour l'année 2017, en ce qu'il a pris acte de ce que la société Aubine s'engage à verser à M. [F] la somme de 127,32 euros au titre du rappel des heures COR pour l'année 2016 et en ses dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau dans la limite des chefs infirmés et ajoutant :

Annule les sanctions disciplinaires des 12 mars 2019, 28 mai 2019 et 26 juin 2019 ;

Dit que le licenciement de M. [F] est sans cause réelle et sérieuse ;

Condamne la société Aubine à payer à M. [F] les sommes de :

- 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect des restrictions posées par le médecin du travail et manquement à l'obligation de sécurité ;

- 172,95 euros à titre de rappel de salaire pour la mise à pied du 12 mars 2019 ;

- 269 euros à titre de rappel de salaire pour la mise à pied du 28 mai 2019 ;

- 343,07 euros à titre de rappel de salaire pour la mise à pied du 26 juin 2019 ;

- 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;

- 2 462,93 euros à titre d'indemnité légale de licenciement ;

- 4 447 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;

- 444,70 euros à titre d'indemnité compensatrice des congés payés afférents ;

- 9 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Dit que les créances salariales produisent intérêt au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation, le 30 septembre 2019, à l'exception de l'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents qui produisent intérêts au taux légal à compter du 15 mars 2021, date de notification des conclusions d'appel, et que les créances indemnitaires produisent intérêt au taux légal à compter du présent arrêt ;

Ordonne la capitalisation des intérêts dans les conditions prévues à l'article 1343-2 du code civil ;

Ordonne à la société Aubine de rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage versées à M. [F] du jour du licenciement au jour du présent arrêt, dans la limite de trois mois d'indemnités ;

Ordonne à la société Aubine de remettre à M. [F] un bulletin de salaire conforme au présent arrêt dans le mois de sa notification ;

Déboute les parties de toute autre demande ;

Condamne la société Aubine aux dépens d'appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 21/00425
Date de la décision : 11/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-11;21.00425 ?
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