Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 10
ARRET DU 11 MAI 2023
(n° , 1 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/00007 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CBF4T
Décision déférée à la Cour : Jugement du 28 Novembre 2019 -Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de PARIS - RG n° 19/03160
APPELANTE
Madame [I] [L]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Nadia BOUZIDI-FABRE, avocat au barreau de PARIS, toque : B0515
INTIMEE
SASU PHONE REGIE
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Catherine FAVAT de la SELARL FBC AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : C1806
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 16 Février 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Gwenaelle LEDOIGT, Présidente, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Monsieur Nicolas TRUC, Président de la chambre
Madame Gwenaelle LEDOIGT, Présidente de la chambre
Madame Carine SONNOIS Présidente de la chambre
Greffier, lors des débats : Mme Sonia BERKANE
ARRET :
- contradictoire
- mis à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Gwenaelle LEDOIGT, Présidente et par Sonia BERKANE, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE :
Mme [I] [L] a été engagée par la société par actions simplifiée (SAS) AZ Corporations, devenue Phone régie, suivant contrat à durée indéterminée en date du 2 août 2010, avec reprise d'ancienneté au 9 mai 2006, en qualité d'hôtesse d'accueil.
La SAS Phone régie a pour activité des prestations de services dans le domaine de l'accueil, notamment en entreprise.
Le 24 novembre 2014, la salariée a été placée en arrêt maladie puis hospitalisée, avant de bénéficier d'un nouvel arrêt maladie jusqu'au 19 juillet 2015.
Le 29 janvier 2015, l'Inspection du travail a écrit à l'employeur pour lui signaler que
Mme [I] [L] s'était plainte auprès de ses services de difficultés dans le cadre de l'exécution de son contrat de travail et d'avoir été victime, le 23 novembre 2014, d'une surdité survenue sur son lieu de travail. Il était enjoint à l'employeur de transmettre une déclaration d'accident de travail ou de maladie professionnelle.
Par courrier du 13 février 2015, la SAS Phone régie répondait à l'Inspection du travail concernant la « surdité brusque » de la salariée. Elle indiquait, d'une part, apprendre cet événement, la salariée n'en ayant pas informé l'entreprise et, d'autre part, elle contestait son caractère professionnel, puisque le dernier jour de travail de Madame [L], avant d'être arrêtée, était le 21 novembre 2014.
Elle indiquait, par ailleurs, que si la salariée avait informé sa hiérarchie, quelques jours avant son arrêt, du fait que ses conditions de travail la stressaient depuis le 8 novembre 2014, elle considérait que rien ne permettait, objectivement, d'expliquer ce stress mais que la salariée avait été invitée, si elle le souhaitait, à solliciter un changement d'affectation, ce qu'elle n'avait encore pas formalisé.
Après une visite de reprise en date du 20 juillet 2015, la salariée a été déclarée apte à reprendre son activité avec la préconisation de "limiter l'utilisation du téléphone".
Le 3 septembre 2015, la salariée a, de nouveau, été placée en arrêt de travail.
Le 17 septembre 2015, l'employeur a informé Mme [I] [L], qu'à l'issue de son arrêt maladie, elle serait affectée sur le site de la société LCL à [Localité 7].
L'activité de la salariée sur ce site a été ponctuée par plusieurs arrêts de travail jusqu'au 1er mai 2016, date à laquelle la SAS Phone régie a perdu ce marché.
Mme [I] [L] a, ensuite, été affectée sur un certain nombre de sites mais elle a été placée, à plusieurs reprises, en arrêt de travail jusqu'à ce que le médecin du travail constate son inaptitude en précisant que son état de santé faisait obstacle à tout reclassement dans l'entreprise.
Dans le dernier état des relations contractuelles régies par la convention collective des prestataires de service du secteur tertiaire, la salariée percevait une rémunération mensuelle brute de 1 638,03 euros.
Le 19 juillet 2016, Mme [I] [L] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris pour solliciter la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de l'employeur et des dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail et manquement à l'obligation de sécurité.
Le 29 mars 2018, la salariée s'est vu notifier un licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
Le 21 septembre 2017, l'affaire a été renvoyée devant la formation de départage.
Le 28 novembre 2019, le conseil de prud'hommes de Paris, dans sa section Activités diverses en formation de départage, a débouté Mme [I] [L] de toutes ses demandes, l'a condamnée aux dépens et a débouté la SAS Phone régie de sa demande reconventionnelle.
Par déclaration du 20 décembre 2019, Mme [I] [L] a relevé appel du jugement de première instance dont elle a reçu notification le 30 novembre 2019.
Vu les dernières conclusions remises et notifiées le 7 février 2022, aux termes desquelles
Mme [I] [L] demande à la cour d'appel de :
- infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Paris en ce qu'il a :
" - débouté Madame [L] de l'intégralité de ses demandes
- condamné Madame [L] aux entiers dépens"
- dire justifiée la résiliation judiciaire du contrat de travail de Madame [L] aux torts de la SASU Phone régie
- condamner la SASU Phone régie au paiement des indemnités suivantes :
A titre principal,
* indemnité de préavis : 3 543,42 euros
* congés payés sur préavis : 354,32 euros,
* dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 42 000 euros
A titre subsidiaire,
* indemnité spéciale de licenciement : 5 319,22 euros
* indemnité compensatrice de préavis : 3 543,42 euros
* congés payés sur préavis : 354,32 euros
A titre infiniment subsidiaire,
* indemnité compensatrice de préavis : 7 086,84 euros
* congés payés sur préavis : 708,68 euros
En tout état de cause,
- dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail : 20 000 euros
- indemnité pour manquement à l'obligation de sécurité de résultat : 10 000 euros
- article 700 du code de procédure civile : 3 000 euros
- dépens d'appel.
Vu les dernières conclusions remises et notifiées le 8 avril 2020, aux termes desquelles la SAS Phone Régie demande à la cour d'appel de :
- confirmer purement et simplement le jugement entrepris en toutes ses dispositions et débouter en conséquence Madame [L] de l'ensemble des demandes qu'elle formule devant la cour.
- statuant à nouveau et y ajoutant, de condamner Madame [L] au paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'appel.
Conclusions auxquelles la cour se réfère expressément pour un plus ample exposé des faits de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties.
L'instruction a été clôturée par ordonnance du 16 mars 2022.
MOTIFS DE LA DECISION :
1/ Sur les manquements à l'obligation de sécurité
En vertu de l'article L. 4121-1 du code du travail, l'employeur, tenu d'une obligation de sécurité en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. L'article L. 4121-2 précise les principes généraux de prévention.
Mme [I] [L] explique, qu'à compter d'août 2010, elle a exercé des fonctions d'hôtesse d'accueil sur le site de l'ANSES (Agence Nationale de Sécurité Sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail) et, qu'en novembre 2014, les quatre unités de l'ANSES, ont été regroupées au sein d'une même structure avec une réduction, subséquente du nombre d'hôtesses d'accueil, qui est passé de 5 à 2. La salariée affirme que cette réorganisation n'a pas été préparée et qu'elle s'est trouvée rapidement confrontée à une surcharge de travail qui a généré un état de stress et d'anxiété permanente au travail, ainsi qu'en attestent plusieurs de ses collègues (pièces 5, 6, 7 et 8). Elle a, donc, alerté sa hiérarchie sur cette situation et, dès le 17 novembre 2014, le délégué du personnel, auquel elle a signalé qu'en l'absence de formation la situation ne lui semblait pas gérable et qu'aucune réponse ne lui était apportée de la part de l'employeur (pièce 9). Le 18 novembre 2014, elle a sollicité un entretien avec son responsable ANSES pour l'informer de cette situation. Mais, dans le même temps, sa supérieure hiérarchique, à laquelle elle a fait part de ses doléances lors d'un passage sur site, s'est contentée de lui répondre que si elle ne pouvait pas assumer ses tâches elle devait demander un changement de site. Mme [I] [L] s'est ouverte sur cet échange avec le délégué du personnel (pièce 10), qu'elle a informé régulièrement des contraintes insurmontables auxquelles elle devait faire face, comme l'accueil de 110 personnes entre 8h45 et 10h30 le 19 novembre 2014, alors qu'elle devait en même temps répondre aux appels téléphoniques puisqu'elle était la seule salariée présente à l'accueil durant ce créneau horaire particulièrement chargé (pièce 11).
Mme [I] [L] ajoute que cette situation et le stress intense qu'elle subissait ont été à l'origine de la brusque surdité dont elle a été frappée le 21 novembre 2014, au terme d'une journée de travail, ce qui a entraîné son hospitalisation et un arrêt de travail prolongé jusqu'en août 2015 (pièce 13, 14, 15). L'absence de prise en compte par l'employeur de la dégradation de ses conditions de travail a conduit l'appelante à s'adresser à l'Inspection du travail.
Le 27 janvier 2015, ce service a écrit à l'employeur pour lui demander de s'expliquer sur "les mesures de prévention des risques liés au bruit et risques psychosociaux dans l'entreprise" (pièce 25). La société intimée s'est contentée de répondre que l'organisation du travail ne nécessitait pas plus d'une hôtesse d'accueil sur le créneau horaire confié à la salariée (pièce 21).
A son retour d'arrêt maladie et, alors qu'elle avait été reconnue travailleur handicapé en mai 2015, elle a été affectée sur le site de la BNP à [Localité 5].
Après avoir signalé verbalement à sa supérieure hiérarchique, qu'en raison d'un dysfonctionnement du groom de la porte se trouvant à trois mètres de son poste de travail, elle était soumise à des bruits de claquement permanent amplifiés par les prothèses auditives qu'elle était contrainte de porter à la suite de sa surdité, Mme [I] [L] lui a écrit les 31 août et 1er septembre 2015 pour se plaindre de cette situation (pièce 30). En l'absence de réaction de l'employeur à cette nouvelle alerte, elle a dû être placée en arrêt de travail une semaine plus tard.
Dans l'attente d'une nouvelle affectation, il lui a été demandé d'obtenir une prolongation de son arrêt de travail et de supporter la perte de salaire subséquente (pièce 32). Mme [I] [L] a donc saisi, une nouvelle fois, l'Inspection du travail, qui par une décision du 17 novembre 2015 a considéré qu'elle était apte au poste d'agent d'accueil sous réserve "d'une restriction de tâche à savoir sans activités de standard téléphonique et avec un aménagement de poste garantissant une absence d'exposition à des ambiances sonores supérieures à 85 décibels" (pièce 36).
A compter du 8 octobre 2015, elle a été affectée à l'accueil de la société LCL. A cette occasion, Mme [I] [L] a découvert que son poste de travail, situé à deux mètres de l'entrée du personnel, était particulièrement exposé au froid hivernal. Elle a dénoncé cette situation à sa supérieure hiérarchique, sans qu'aucune réponse ne soit apportée. Après avoir alerté l'Inspection du travail, ce service s'est déplacé sur son lieu de travail pour constater que les températures trop basses ou trop hautes et leurs variations extrêmes à chaque ouverture de porte mettaient en danger la santé des hôtesses d'accueil. Il a été demandé à la société de se conformer aux dispositions de l'article R. 4223-13 du code du travail (pièce 12 employeur).
En raison des manquements répétés de l'employeur à son obligation de sécurité, Mme [I] [L] sollicite une somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts.
L'employeur répond que rien ne permet d'affirmer que la "brusque surdité" de la salariée, survenue le 21 novembre 2014, a été occasionnée par ses conditions de travail, et ce d'autant que Mme [I] [L] a varié sur la date à laquelle seraient survenus ces faits, puisqu'elle avait initialement indiqué à l'Inspection du travail la date du 23 novembre qui correspondait à un dimanche. D'ailleurs, la CPAM a refusé de reconnaître l'existence d'un accident du travail (pièce 16). La société intimée souligne, également, que l'appelante ne justifie pas de sa surcharge de travail à compter de la nouvelle organisation mise en place en novembre 2014, ni des alertes répétées qu'elle aurait adressées à sa hiérarchie.
Concernant les nuisances sonores dénoncées par la salariée sur le site de la BNP, l'employeur soutient que l'affectation de la salariée sur cet emploi était conforme aux préconisations du médecin du travail qui avait demandé une limitation de l'utilisation du téléphone mais n'avait pas émis de contre-indication par rapport à l'environnement sonore. Il ajoute, qu'après le signalement de Mme [I] [L], le groom de la porte a été réparé dans un temps très court. La société intimée soutient qu'elle n'avait pas connaissance du handicap dont souffrait la salariée et que les bruits occasionnés par la défectuosité des grooms n'avaient rien d'anormal pour quelqu'un ne présentant pas de troubles de l'audition.
Enfin, s'agissant de l'exposition de la salariée à des températures trop basses, l'employeur indique qu'à la suite des alertes de la salariée, deux membres élus du CHSCT se sont déplacés dans les locaux et ont constaté que les températures étaient convenables et que Mme [I] [L] ne mettait pas en place les équipements à sa disposition afin d'assurer une température confortable.
Mais, la cour retient qu'alors que la salariée justifie avoir alerté à plusieurs reprises l'employeur sur une situation de surcharge de travail générée par un changement de l'organisation de son activité et corroborée par de nombreux témoignages, la société intimée ne justifie pas avoir pris la moindre disposition pour évaluer la situation et apporter une solution à Mme [I] [L]. Contrairement à ce qui est invoqué par l'employeur, les spécialistes qui se sont penchés sur la brusque surdité de la salariée ont tenu à souligner que celle-ci était survenue dans un contexte de stress extrême dans son travail.
Alors que la salariée appelante a été hospitalisée puis arrêtée 7 mois en raison de la survenance de cette pathologie et que l'employeur reconnaît avoir été alerté par la médecine du travail sur la nécessité de limiter son utilisation du téléphone, il ne peut être sérieusement avancé par l'intimée qu'elle ignorait que Mme [I] [L] ne devait pas être exposée à un environnement sonore détériorée. Il suffit, d'ailleurs, de se reporter aux alertes que l'intéressée a adressé à sa hiérarchie en août et septembre 2015 pour s'apercevoir que l'appelante y détaillait bien l'effet amplifié par ses prothèses auditives des claquements de portes auxquels elle se trouvait soumise en raison d'un problème de groom.
Enfin, si l'employeur estime que ses vérifications l'ont amené à considérer que l'appelante n'était pas soumise à une température inconfortable sur son poste de travail, force est de constater que l'Inspection du travail n'est pas parvenue au même constat.
Il s'évince de ces considérations que la SAS Phone Régie ne justifie pas avoir satisfait à son obligation de sécurité en apportant une réponse adaptée aux différentes alertes qui lui ont été adressées par la salariée sur ses conditions de travail, tant en 2014, qu'en 2015 puis en 2016.
Il sera donc alloué à Mme [I] [L] une somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice et le jugement déféré sera infirmé en ce qu'il l'a déboutée de sa demande.
2/ Sur l'exécution déloyale du contrat de travail
En sus d'un manquement à son obligation de sécurité, Mme [I] [L] reproche à l'employeur d'avoir refusé d'effectuer une déclaration d'accident du travail à la suite de la survenue soudaine d'une surdité lors de son trajet retour travail-domicile en date du 21 novembre 2014.
La salariée appelante précise qu'elle a sollicité l'intervention de l'Inspection du travail, qui a demandé, le 27 janvier 2015, à l'employeur de lui adresser une copie de la déclaration d'accident du travail ou, le cas échéant, de la déclaration d'une maladie professionnelle.
La société intimée a justifié son refus de faire droit à la demande de la salariée en arguant que le caractère professionnel de la pathologie de la salariée ne semblait pas évident.
La CPAM a, également, écrit à l'employeur, le 6 avril 2016, pour le rappeler à ses obligations (pièce 15). Celui-ci lui a répondu qu'il n'avait pas été informé de la survenance d'un quelconque fait accidentel, le 21 novembre 2014. Finalement, l'employeur refusant d'effectuer cette déclaration d'accident du travail, Mme [I] [L] a du y procéder elle-même, en mars 2016, pour faire valoir ses droits.
La salariée appelante fait, aussi, grief à l'employeur de l'avoir informée tardivement de ses affectations sur le site de la BNP puis de LCL, sans lui soumettre à la signature, préalablement, un avenant au contrat de travail formalisant son accord à son changement de lieu de travail. En avril 2016, lorsqu'elle a été affectée sur le site de l'AFPA, aucun avenant au contrat de travail n'a même été régularisé. Il en a été de même quand elle a appris, verbalement, qu'elle serait mutée sur le site de la société Air liquide à [Localité 6], quand elle a été réaffectée au siège de la société, puis envoyée sur le site de l'entreprise Generali, avant d'être placée sur le site de l'AFPA.
Après avoir été transférée d'un site à un autre, l'employeur lui a finalement proposé de signer une rupture conventionnelle et, confronté à son refus, il a cessé de lui confier des prestations de travail sérieuses et suffisantes.
En conséquence, Mme [I] [L] réclame une somme de 20 000 euros en raison des manquements de l'employeur à l'exécution loyale du contrat de travail.
L'employeur prétend qu'il n'a été informé du motif de l'absence de la salariée, depuis le 24 novembre 2014, que par le courrier de l'Inspection du travail. Ce dernier mentionnant que Mme [I] [L] avait été victime d'une "brusque surdité", le 23 novembre 2014, soit un dimanche, il a considéré que cette pathologie était sans lien avec l'activité professionnelle de la salariée. Il affirme d'ailleurs que la CPAM a rejeté la demande de la salariée de reconnaissance d'un accident professionnel.
Concernant un non-respect des délais de prévenance avant l'affectation de la salariée sur un nouveau site et la non-signature d'avenant, l'employeur rappelle que le contrat de travail intégrait une clause de variabilité du lieu de travail qui l'autorisait à modifier le lieu d'exercice de l'activité sans avoir à faire signer à la salariée un avenant à son contrat de travail. Il observe, enfin, que Mme [I] [L] ne justifie par aucune pièce avoir été privée de tout travail sérieux à compter de son refus de signer une rupture conventionnelle.
La cour rappelle que si un employeur peut formuler des réserves auprès de la CPAM sur la demande de reconnaissance par un salarié d'une pathologie en accident du travail, la loi lui fait, en revanche, obligation de déclarer cet accident à partir du moment où le salarié le lui signale. En l'espèce, Mme [I] [L] ne justifie pas des moyens par lesquels elle aurait informé l'employeur des raisons de son arrêt de travail à compter du 24 novembre, ni de sa demande de déclaration de cette situation en accident du travail. En revanche, il n'est pas contesté que l'Inspection du travail a écrit à la société intimée, le 27 janvier 2015, pour lui demander de procéder à cette déclaration, ce qu'elle a refusé de faire au mépris de ses obligations légales. Le grief de la salariée est donc parfaitement fondé de ce chef.
Le contrat de travail de la salariée mentionnant que tout nouveau changement d'affectation devait être signalé au salarié 7 jours calendaires avant sa prise de fonction et être formalisé par voie d'avenant (pièce 1 salariée), force est de constater, qu'à plusieurs reprises, l'employeur s'est exonéré de ces dispositions contractuelles permettant de garantir au salarié une certaine serénité dans l'exercice de son activité.
En revanche, comme le relève la société intimée, Mme [I] [L] ne justifie pas du refus de l'employeur de l'affecter sur des missions sérieuses à compter de son refus de signer la rupture conventionnelle.
Néanmoins, les manquements précédemment retenus caractérisent une exécution déloyale du contrat de travail qui a préjudicié à la salariée dont le préjudice sera réparé à hauteur de 3 000 euros.
Le jugement entrepris sera, en conséquence, infirmé en ce qu'il a débouté Mme [I] [L] de sa demande de ce chef.
3/ Sur la résiliation judiciaire du contrat de travail
Les dispositions combinées des articles L. 1231-1 du code du travail et 1224 du code civil permettent au salarié de demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur en cas de manquements suffisamment graves de ce dernier à ses obligations contractuelles.
Il appartient à Mme [I] [L] d'établir la réalité des manquements reprochés à son employeur et de démontrer que ceux-ci sont d'une gravité suffisante pour empêcher la poursuite de la relation contractuelle. La résiliation prononcée produit les mêmes effets qu'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Par ailleurs si, ayant engagé l'instance en résiliation de son contrat de travail, le salarié a continué à travailler au service de l'employeur et que ce dernier le licencie ultérieurement, le juge doit d'abord rechercher si la demande de résiliation du contrat de travail était justifiée ; si tel est le cas, il fixe la date de la rupture à la date d'envoi de la lettre de licenciement; c'est seulement dans le cas contraire qu'il doit se prononcer sur le licenciement notifié par l'employeur.
La réalité et la gravité de ces manquements sont appréciés à la date où la juridiction statue et non à la date où ils se sont prétendument déroulés
La salariée appelante fonde sa demande de résiliation judiciaire sur le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité et à l'exécution loyale du contrat de travail.
La société intimée répond que pris isolément les manquements qui lui sont imputés, sont pour l'essentiel, anciens et dénués d'une gravité suffisante pour empêcher la poursuite de la relation contractuelle.
Cependant, la cour retient que c'est de manière répétée et pour la dernière fois dans un temps proche de la demande de résiliation judiciaire, que l'employeur a manqué à son obligation de sécurité. Il en de même s'agissant du défaut de respect par la société intimée d'un délai de prévenance avant le changement d'affectation de la salariée et et de sa formalisation par un avenant au contrat de travail. Enfin, c'est en mars 2016, donc dans un temps contemporain de la saisine du conseil de prud'hommes, que Mme [I] [L] s'est vu contrainte de procéder, elle-même, à une déclaration d'accident du travail face au refus de l'employeur de déférer à ses obligations.
Il s'en déduit que ces manquements multiples étaient suffisamment graves pour empêcher la poursuite de la relation contractuelle. Il sera donc prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de l'employeur produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse à la date du 29 mars 2018, date du licenciement pour inaptitude l'appelante. Le jugement déféré sera donc infirmé de ce chef et en ce qu'il a débouté la salariée de ses demandes indemnitaires subséquentes.
Au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, Mme [I] [L] qui, à la date du licenciement, comptait 10 ans et demi d'ancienneté dans une entreprise employant habituellement au moins onze salariés a droit, en application de l'article L. 1235-3 du code du travail, à une indemnité comprise entre 3 et 10 mois de salaire.
Au regard de son âge au moment du licenciement, 65 ans, du montant de la rémunération qui lui était versée (1 638,03 euros), il convient de lui allouer, en réparation de son entier préjudice la somme de 16 380,30 euros.
La salariée peut, également, légitimement prétendre à l'allocation des sommes suivantes :
- 1 638,03 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis (la salariée n'ayant plus le statut de salariée handicapée à la date de son licenciement, elle n'est éligible qu'à une indemnité compensatrice de préavis d'une durée d'un mois)
- 163,80 euros au titre des congés payés afférents.
4/ Sur les autres demandes
La SAS Phone Régie supportera les dépens de première instance et d'appel et sera condamnée à payer à Mme [I] [L] la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Infirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a débouté la SAS Phone Régie de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail liant Mme [I] [L] à la SAS Régie Phone produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse à la date du 29 mars 2018,
Condamne la SAS Régie Phone àn payer à Mme [I] [L] les sommes suivantes :
- 5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité
- 3 000 euros pour exécution déloyale du contrat de travail
- 16 380,30 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
- 1 638,03 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis
- 163,80 euros au titre des congés payés afférents
- 2 500 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel,
Déboute les parties du surplus de leurs demandes plus amples ou contraires,
Condamne la SAS Phone Régie aux dépens de première instance et d'appel.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE