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10/05/2023 | FRANCE | N°22/00976

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 6, 10 mai 2023, 22/00976


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 6



ARRET DU 10 MAI 2023



(n° 2023/ , 11 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/00976 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFAAZ



Décision déférée à la Cour : Jugement du 07 Décembre 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F20/02528





APPELANTE



Madame [C] [I]

[Adresse 1]

[Localité 4]>


Représentée par Me Pascale VITOUX LEPOUTRE, avocat au barreau de PARIS, toque : P0273





INTIMÉE



Association ENTRAIDE UNION anciennement dénommée ENTRAIDE UNIVERSITAIRE,

[A...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 6

ARRET DU 10 MAI 2023

(n° 2023/ , 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/00976 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFAAZ

Décision déférée à la Cour : Jugement du 07 Décembre 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F20/02528

APPELANTE

Madame [C] [I]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Pascale VITOUX LEPOUTRE, avocat au barreau de PARIS, toque : P0273

INTIMÉE

Association ENTRAIDE UNION anciennement dénommée ENTRAIDE UNIVERSITAIRE,

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Gwénaëlle LE VERDIER, avocat au barreau de PARIS, toque : C0837

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 06 mars 2023, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Christophe BACONNIER, Président de chambre, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Christophe BACONNIER, Président de chambre

Madame Nadège BOSSARD, Conseillère

Monsieur Stéphane THERME, Conseiller

Greffier : Madame Julie CORFMAT, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Monsieur Christophe BACONNIER, Président de chambre et par Madame Julie CORFMAT, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS, PROCEDURE ET MOYENS DES PARTIES

L'association Entraide union a employé Mme [C] [I], née en 1962, par contrat de travail à durée déterminée à compter du 9 mars 2015 en qualité d'économe, statut cadre. Puis, par contrat à durée indéterminée à compter du 1er juillet 2015.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des établissements privés d'hospitalisation, de soins, de cure et de garde à but non lucratif du 31 octobre 1951.

Sa rémunération mensuelle brute moyenne s'élevait en dernier lieu à la somme de 3 671 €.

Mme [I] exerce ses fonctions à l'ESAT [5] à [Localité 6].

Une nouvelle directrice a pris les fonctions de directrice de cet ESAT en décembre 2018.

Mme [I] a fait l'objet d'un avertissement le 3 janvier 2019 pour deux actes d'insubordination survenus le 11 et le 22 janvier 2019.

Par lettre notifiée le 18 avril 2019, Mme [I] a été convoquée à un entretien préalable fixé au 29 avril 2019.

Mme [I] a ensuite été licenciée pour faute grave par lettre notifiée le 14 mai 2019 ; la lettre de licenciement indique :

« Par courrier envoyé par recommandé en date du 18 avril 2019, nous vous avons convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé le 29 avril 2019 car nous avons déploré de votre part plusieurs agissements.

Vous vous êtes présentée à cet entretien en étant assistée de Mme [Y] [R], chargée d'insertion à l'Esat [5] pendant que j'étais assistée de Madame [N], Directrice des Ressources Humaines au Siège Social.

A titre liminaire, il est rappelé que vous avez été engagée par l'association pour un contrat CDI temps plein en tant qu'économe statut cadre le 1er juillet 2015 et qu'à ce titre, vous êtes notamment en charge du suivi financier de I'ESAT et plus spécifiquement des ateliers de production, du suivi de la trésorerie et de la gestion de la paie des salariés et des travailleurs.

Or, il s'avère que depuis plusieurs semaines vous avez accumulé les erreurs importantes de gestion, et pour cause.

Tout d'abord, le 29 mars dernier, j'ai été obligée d'intervenir suite à une alerte faite par l'assistante sociale de l'établissement. En effet, vous avez pris la décision unilatérale de prélever le remboursement d'un prêt fait à un travailleur un an plus tôt et pour lequel vous avez oublié de procéder au remboursement mensuel tel qu'initialement prévu.

Vous avez agi sans qu'aucune demande écrite et accord validé par moi-même ne vous autorise à prélever ces sommes. J'ai dû, par la suite, vous indiquer par mail que je m'opposais à ce prélèvement dans les modalités présentes.

Par ailleurs, en décidant de ce remboursement survenant une année après l'accord pris avec cet usager, vous ne vous êtes pas enquise du fait que sa situation aurait pu évoluer. Entre-temps, la situation de ce travailleur a évolué et son curateur a indiqué à l'assistante sociale que le niveau de prélèvement initialement prévu mettrait la personne en difficulté financière. Vous n'avez pas tenu compte de cette information donnée par l'assistante sociale et vous avez procédé à la programmation du prélèvement.

Vous n'êtes pas sans savoir que l'Esat [5] est un établissement médico-social qui a pour objet l'accompagnement et la sécurisation de personnes vulnérables du fait de leur handicap.

D'ailleurs, votre fiche de poste précise bien que l'action de l'économe est « portée par un réel souci éthique, le respect permanent des usagers ». Force est de constater que l'esprit portée par ces mentions dans votre fiche de poste n'a pas été respecté.

Nous ne pouvons nous permettre de réduire de manière unilatérale et sans information préalable le salaire déjà très faible des travailleurs (je vous rappelle que le salaire moyen est de 1.000,00 euros mensuel et la personne concernée perçoit un salaire de 690,00 euros mensuel).

En outre, je me suis aperçue que vous aviez indûment prélevé une avance sur salaire de 200 euros à l'un des travailleurs au lieu d'une autre personne. La personne lésée ne s'étant pas manifestée, cela souligne à quel point nous nous devons de la plus grande vigilance dans la gestion des salaires de toutes personnes, à fortiori des usagers de l'Esat, souvent peu capables de faire valoir leur droit par elles-mêmes.

A ces deux incidents, vous n'avez pas, lors de l'entretien du 29 avril, semblé considérer la gravité de ces erreurs. Pour le travailleur à qui vous vouliez entamer le remboursement d'un emprunt une année après sans échange préalable avec le pôle médico-social et validation de ma part, vous ne semblez pas estimer cette situation problématique. Pour le second cas, vous avez argué que vous aviez confondu les noms qui se ressemblaient des deux personnes.

Pour vous, il s'agit simplement de deux « ratés » qui ont pourtant des conséquences importantes pour les usagers de notre établissement.

Au vue de la mission de l'établissement, vous ne pouvez vous permettre ce type d'approximation qui peut être déstabilisant à plusieurs égards pour les usagers qui en sont victimes. II s'agit là d'erreur inadmissible touchant des personnes vulnérables. Le manque de recul sur l'impact qu'a pu avoir votre négligence ne fait qu'accentuer cette erreur.

Mais ce n'est pas tout, lors de nos échanges oraux et écrits dès ma prise de poste, je vous ai demandé, comme le prévoit votre fiche de poste, de me fournir un premier suivi budgétaire pour la fin du mois de mars.

Je suis toujours dans l'attente, sans que nous n'ayons eu un quelconque échange à ce sujet. A minima, j'aurais attendu de votre part que vous me répondiez et que nous convenions des modalités de mise en place de ce suivi.

Je vous rappelle qu'en tant qu'économe, vous avez à produire des outils d'aide à la décision, sur les aspects financiers de l'établissement. Ainsi en ne répondant pas à mes demandes, vous me mettez dans l'impossibilité de piloter l'établissement.

De plus, depuis ma prise de poste également, en décembre dernier, je vous demande d'appliquer la procédure relative à la gestion de la caisse prévalant au sein de I'Association Entraide Universitaire.

A ce jour, à aucun moment vous ne l'avez respectée, faisant fi de mes demandes de contrôle de fin de mois. II est inconcevable qu'un établissement, financé en partie par des fonds publics, ne puisse déterminer comment sont utilisés ses fonds

Enfin et surtout, lorsque le commissaire aux comptes s'étonnait du fait que les rapprochements bancaires et les inventaires de caisse n'ont pas été signés par la direction, vous m'avez répondu que vous ne saviez pas pourquoi.

En ce qui concerne les rapprochements bancaires, vous ne me les avez pas présentés. Et concernant, les inventaires de caisse, vous n'avez pas été en mesure de produire le solde caisse comptable à la clôture d'exercice qui m'aurait permis de valider l'inventaire.

Vous évoquez un oubli cependant, vous comprendrez que cet argument est irrecevable, sachant que les rapprochements bancaires et les inventaires de caisse constituent des tâches classiques et récurrentes pour tout professionnel en charge de la comptabilité d'une structure.

Au vue des flux monétaires existant au sein de l'Esat, vous comprendrez que cette attitude est inacceptable et ne permet par une gestion financière claire et saine.

Suivant l'ensemble de ces faits, votre maintien au sein de I'Association est impossible et je suis contrainte de vous signifier votre licenciement pour faute grave. Cette décision prend donc effet immédiatement, sans indemnité de préavis ni de licenciement.

(...) ».

A la date de présentation de la lettre recommandée notifiant le licenciement, Mme [I] avait une ancienneté de 4 ans et 2 mois.

L'association Entraide union occupait à titre habituel moins de onze salariés lors de la rupture des relations contractuelles.

Mme [I] a saisi le 18 mai 2020 le conseil de prud'hommes de Paris pour former les demandes suivantes :

«- déclarer le licenciement intervenu sans cause réelle et sérieuse et faire droit aux entières demandes indemnitaires de Madame [C] [I]

- indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 21 000 €

- indemnité compensatrice de préavis : 14 000 €

- congés payés afférents : 1 400 €

- indemnité conventionnelle de licenciement : 1 400 €

- remise des bulletins de paie, d'un certificat de travail et de l'attestation d'employeur destinée au Pôle Emploi rectifiés sous astreinte journalière de 50 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir jusqu'à parfait paiement

- intérêts au taux légal

- exécution provisoire article 515 du Code de procédure civile

- article 700 du Code de procédure civile : 3 500 €.»

Par jugement du 07 décembre 2021, auquel la cour se réfère pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, le conseil de prud'hommes a rendu la décision suivante :

« Déboute Madame [C] [I] de l'ensemble de ses demandes ;

Déboute l'association ENTRAIDE UNIVERSITAIRE ANCIENNEMENT DENOMMEE ENTRAIDE UNION de sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

CONDAMNE Madame [C] [I] aux dépens. »

Mme [I] a relevé appel de ce jugement par déclaration transmise par voie électronique le 10 janvier 2022.

La constitution d'intimée de l'association Entraide union a été transmise par voie électronique le 8 février 2022.

L'ordonnance de clôture a été rendue à la date du 7 février 2023.

L'affaire a été appelée à l'audience du 6 mars 2023.

Par conclusions communiquées par voie électronique en date du 9 janvier 2023, Mme [I] demande à la cour de :

« INFIRMER le jugement rendu le 7 décembre 2021 en toutes ses dispositions ;

DIRE que le licenciement de Madame [C] [I] est sans cause réelle et sérieuse ;

CONDAMNER l'association ENTRAIDE UNION au paiement des sommes suivantes :

- 14 684 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis

- 1 468 € à titre de congés-payés sur préavis

- 4 282,83 € à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement

- 18 300 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

- 3 500 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile et aux dépens. »

Par conclusions communiquées par voie électronique en date du 6 février 2023, l'association Entraide union demande à la cour de :

« CONFIRMER en toutes ses dispositions le jugement rendu le 7 décembre 2021 par le Conseil de Prud'hommes de Paris.

DEBOUTER Madame [C] [I] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions.

CONDAMNER Madame [C] [I] à verser à l'Association ENTRAIDE UNION la somme de 4.000 € au titre des frais irrépétibles d'appel, outre à supporter les entiers dépens de l'instance. »

Lors de l'audience, l'affaire a été examinée et mise en délibéré à la date du 10 mai 2023 par mise à disposition de la décision au greffe (Art. 450 CPC).

MOTIFS

Vu le jugement du conseil de prud'hommes, les pièces régulièrement communiquées et les conclusions des parties auxquelles il convient de se référer pour plus ample information sur les faits, les positions et prétentions des parties.

Sur le licenciement

Il ressort de la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige que Mme [I] a été licenciée pour faute grave pour les faits suivants :

- erreurs dans la gestion des salaires de deux travailleurs handicapés (ne pas avoir prélevé le remboursement d'un prêt accordé à une travailleuse handicapée, pendant une année, puis avoir mis en place le prélèvement sans autorisation préalable de la directrice, avoir déduit une somme de 200 € en remboursement d'une avance sur le compte d'un salarié à la place de celui d'un autre) ;

- ne pas avoir fourni à la directrice le suivi budgétaire mensuel ;

- ne pas avoir appliqué la procédure relative à la gestion de caisse, et de ne pas avoir présenté les rapprochements bancaires.

Mme [I] soutient que :

Sur le remboursement du prêt accordé à une travailleuse handicapée

- les prélèvements ont eu lieu les 3 premiers mois et ont été interrompus, probablement à la demande du tuteur de la salariée (pièce employeur n° 4-2) ;

- le 20 mars 2019, la direction financière de l'association l'a interrogée en lui indiquant qu'elle ne voyait pas de remboursement concernant le prêt de cette salariée ;

- elle a répondu le 22 mars (avec copie à la directrice) qu'elle remettait en place le remboursement (pièce employeur n° 5) ;

- elle n'était pas informée au moment de la mise en place de ce prélèvement, d'une opposition de l'assistante sociale ou du curateur ;

- le 29 mars, la directrice lui a demandé de suspendre ce remboursement, ce qu'elle a fait immédiatement ;

- les reproches de la directrice montrent sa mauvaise foi (pièce employeur n° 7) : bien qu'informée qu'elle remettait en place un prélèvement, la directrice l'a laissée faire pour lui reprocher après de l'avoir fait ;

- « l'obligation d''uvrer avec un réel souci d'éthique, et dans le respect permanent des usagers » ne résulte pas de son contrat de travail ni de sa fiche de poste ;

Sur le prélèvement de 200 € effectué sur le salaire d'un travailleur handicapé

- elle a juste fait une erreur ;

Sur les manquements dans le suivi budgétaire et financier

- elle conteste ne pas avoir fourni de suivi budgétaire mensuel, ne pas avoir appliqué la procédure relative à la gestion de la caisse, ne pas avoir présenté les rapprochements bancaires ;

- l'intégralité des exercices comptables précédents, gérés par la salariée, ont été validés par les experts comptables et commissaires aux comptes ;

- la directrice donnait des ordres contradictoires (pièces employeur n° 15 à 19) ;

- son licenciement intervenu en mai 2019, soit après la validation des travaux de révision et le dépôt des comptes le 30 avril, est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

En défense, l'association Entraide union soutient que :

Sur le remboursement du prêt accordé à une travailleuse handicapée

- Mme [I] n'avait jamais mis en place le prélèvement (pièce employeur n° 5) ;

- elle n'a pas hésité à décider unilatéralement de prélever une échéance du remboursement du prêt sur le salaire de la travailleuse handicapée, le 28 mars 2019, soit un an après l'accord, et ce sans information préalable de la travailleuse handicapée, sans autorisation préalable de la directrice ni validation de sa part, sans tenir compte de l'information préalable donnée par l'assistante sociale selon laquelle la situation de la travailleuse avait évoluée, son curateur ayant indiqué que le niveau de prélèvement initialement prévu mettrait la personne en difficulté financière ; et sans prendre attache avec l'assistante sociale ou le pôle médico-social pour s'enquérir des capacités de la travailleuse handicapée (pièce salarié n° 5 - Pièces employeur n° 4, 5, 6, 7, 8) ;

- elle a refusé la demande faite par le curateur d'étaler les remboursements sur 24 mois, alors que ce type de décision n'était pas de son ressort (pièce salarié n° 5 ' Pièce employeur n° 7) ;

- alertée par l'assistante sociale de ces incidents, la directrice a immédiatement demandé à Mme [I] de rembourser la part d'emprunt prélevée et l'a informée qu'elle autorisait l'étalement sollicité par le curateur (pièces employeur n° 7, 8) ;

- Mme [I] a manqué à ses obligations contractuelles en ne mettant pas en place le remboursement en avril 2018 ;

- en faisant fi de la situation financière actuelle de l'usagère et des demandes du curateur, et en s'abstenant de se rapprocher du pôle médico-social, elle a contrevenu aux obligations contractuelles présidant à sa fonction d'économe dans un établissement médico-social ainsi qu'aux obligations disciplinaires résultant du règlement intérieur de l'association, tenant toutes deux à l'éthique et au respect permanent des usagers et disciplinaires et méconnu la dimension médico-sociale de l'activité de l'établissement ;

- la pièce n° 4/2 montre qu'aucun prélèvement n'a été effectué et porté au crédit des comptes de l'association, les sommes créditées à titre de remboursements de prêts concernant d'autres travailleurs ; les bulletins de paie de la salariée emprunteuse montrent que Mme [I] n'a jamais mis en place le remboursement du prêt, et ce, alors qu'elle était en possession du tableau de suivi des prêts (pièces employeur n° 4/2, 27, 5, 6) ;

- et de toutes les façons, rien ne justifiait qu'elle décide unilatéralement de « remettre » en place le remboursement de l'emprunt, sans s'enquérir a minima des raisons de cette suspension ainsi que de la situation et des capacités de remboursement de la salariée ;

- en activant le prélèvement un an plus tard, sans se soucier de la situation morale et financière de l'usagère, Mme [I] a agi comme s'il s'agissait d'une simple information comptable et non pas comme le traitement de la rémunération d'une personne vulnérable ;

- si le service financier du siège n'avait pas réagi, les atteintes portées par Mme [I] aux intérêts de l'Association et des travailleurs handicapés dans la gestion de la paie n'auraient jamais été détectées ni corrigées ;

- les conséquences de ses manquements étaient d'autant plus préjudiciables qu'elles concernaient des personnes vulnérables, peu capables de faire valoir leurs droits par elles-mêmes, comme en atteste l'absence de réaction de l'usager lésé par le prélèvement indu de 200 € sur ses salaires ;

Sur les manquements dans le suivi budgétaire et financier

- malgré des relances, Mme [I] n'a pas fourni le suivi budgétaire mensuel (pièces employeur n° 11, 13), ni les inventaires de caisse annuel (pièces employeur n° 15, 11, 20) et mensuels (pièces employeur n° 3, 16 à 19) alors que cela fait partie de ses fonctions (pièces employeur n° 3 et 14) :

- les instructions de la directrice n'étaient pas contradictoires (pièces employeur n° 16 à 19) ; elle a certes déchargé Mme [I] de ses fonctions de caisse mais lui a demandé vainement à plusieurs reprises le solde de caisse ;

- la résistance de Mme [I] était d'autant plus inacceptable qu'elle engendrait une opacité quant à la gestion et l'utilisation des fonds publics octroyés à l'établissement et empêchait la directrice d'avoir une vision claire et sereine des états financiers de l'ESAT ;

- Mme [I] s'est affranchie de ses obligations en matière de rapprochements bancaires ;

- Mme [I] a gravement contrevenu à l'essence même de sa fonction d'économe dans un ESAT et à ses principales obligations contractuelles -détaillées dans sa fiche de poste- lui imposant d'établir, actualiser et diffuser de nombreux documents comptables (pièce employeur n° 3), de produire des outils d'aide à la décision sur les aspects financiers de l'établissement.

Il ressort de l'article L. 1235-1 du Code du travail qu'en cas de litige, le juge à qui il appartient d'apprécier le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties ; si un doute subsiste il profite au salarié.

Quand le licenciement est prononcé pour faute grave, il incombe à l'employeur de prouver la réalité de la faute grave, c'est à dire de prouver non seulement la réalité de la violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail mais aussi que cette faute est telle qu'elle impose le départ immédiat du salarié, le contrat ne pouvant se poursuivre même pour la durée limitée du préavis.

Pour apprécier la gravité de la faute, les juges doivent tenir compte des circonstances qui l'ont entourée et qui peuvent atténuer la faute et la transformer en faute légère.

Si un doute subsiste sur la gravité de la faute reprochée, il doit profiter au salarié.

Il résulte de l'examen des pièces versées aux débats (pièces n° 4 à 8, 11 à 13, 15 à 19) et des moyens débattus que l'association Entraide union apporte suffisamment d'éléments de preuve pour établir la réalité des griefs ; en l'occurrence, la cour retient d'une part que Mme [I] a commis des erreurs dans la gestion des salaires de deux travailleurs handicapés erreurs du fait qu'elle n'a pas prélevé le remboursement d'un prêt accordé à une travailleuse handicapée, pendant une année, puis qu'elle a mis en place, un an plus tard, un prélèvement sans la moindre précaution sociale préalable et sans autorisation préalable de la directrice, et du fait qu'elle a déduit une somme de 200 € en remboursement d'une avance sur le compte d'un salarié à la place de celui d'un autre ; et la cour retient d'autre part que Mme [I] ne fournissait pas à la directrice de l'ESAT, malgré ses demandes répétées le suivi budgétaire mensuel, les inventaires de caisse et ne présentait pas les rapprochements bancaires.

Et c'est en vain que Mme [I] conteste ne pas avoir mis en place le prélèvement utile au remboursement de l'avance consentie à une salariée dès lors que les prélèvements ont eu lieu les 3 premiers mois et ont été interrompus, probablement à la demande du tuteur de la salariée (pièce employeur n° 4-2) ; en effet, la cour retient que ce moyen est mal fondé au motif que la pièce n° 4/2 ne démontre pas que des prélèvements ont été effectués par la salariée bénéficiaire de l'avance et ses bulletins de paie montrent au contraire que Mme [I] n'a jamais mis en place le remboursement du prêt, et ce, alors qu'elle était en possession du tableau de suivi des prêts (pièces employeur n° 4/2, 27, 5, 6).

C'est aussi en vain que Mme [I] soutient que le 20 mars 2019, la direction financière de l'association l'a interrogée en lui indiquant qu'elle ne voyait pas de remboursement concernant le prêt de cette salariée, qu'elle a répondu le 22 mars (avec copie à la directrice) qu'elle remettait en place le remboursement (pièce employeur n° 5), qu'elle n'était pas informée au moment de la mise en place de ce prélèvement, d'une opposition de l'assistante sociale ou du curateur et que le 29 mars, la directrice lui a demandé de suspendre ce remboursement, ce qu'elle a fait immédiatement ; en effet, la cour retient que ces moyens sont mal fondés au motif qu'en réalité, comme l'association Entraide union le soutient et le démontre suffisamment Mme [I] n'avait pas mis en place le prélèvement et elle n'a pas hésité à décider unilatéralement de prélever une échéance du remboursement du prêt sur le salaire de la travailleuse handicapée, le 28 mars 2019, soit un an après l'accord, et ce sans information préalable de la travailleuse handicapée, sans autorisation préalable de la directrice ni validation de sa part et sans prendre attache avec l'assistante sociale ou le pôle médico-social pour s'enquérir des capacités de la travailleuse handicapée alors qu'une année s'était écoulée et que ses revenus étaient de moins de 600 €.

C'est encore en vain que Mme [I] soutient que les reproches de la directrice montrent sa mauvaise foi (pièce employeur n° 7) : bien qu'informée de ce qu'elle faisait, la directrice l'a laissée mettre en place le remboursement pour lui reprocher après de l'avoir fait ; en effet, la cour retient que ce moyen est mal fondé au motif qu'il ne suffisait pas de mettre la directrice en copie du courrier électronique qu'elle a écrit en style télégraphique et qui comportait parmi 8 tirets la mention suivante « - Prêts faits aux travailleurs (On doit rembourser la TH (TOUlL SIHAM) 200 € car confusion avec [S] [F] (ACPTE 200 € sortie de la caisse) et mettre en place un remboursement du prêt de 1031 € fait à [E] qui n'a pas été fait. » (pièce employeur n° 5) pour considérer que la directrice l'a laissée mettre en place le remboursement pour lui reprocher après de l'avoir fait étant ajouté que c'est bien la mise en place du remboursement qui est énoncée non la « remise » en place.

C'est toujours en vain que Mme [I] soutient que « l'obligation d''uvrer avec un réel souci d'éthique, et dans le respect permanent des usagers » ne résulte pas de son contrat de travail ni de sa fiche de poste ; en effet, la cour retient que ce moyen est mal fondé au motif que sa fiche de poste qu'elle a signée (pièce employeur n° 3) mentionne « Son action est portée par un réel souci éthique, le respect permanent des usagers, le rappel constant de son engagement au côté des travailleurs de I'ESAT ainsi que son implication dans un projet collectif institutionnel. II a le souci réel de faciliter l'action des autres professionnels de l'établissement par une information régulière et recherche le soutien nécessaire à son action auprès de l'encadrement ou des autres techniciens institutionnels. Il 'uvre à la promotion de l'image de l'établissement et de la compétence des travailleurs en situation de handicap. ».

C'est par ailleurs en vain que Mme [I] soutient qu'elle a juste fait une erreur sur le prélèvement de 200 € effectué sur le salaire d'un travailleur handicapé ; en effet l'erreur a été détectée par la direction financière (pièce employeur n° 5) et sans cette détection, un travailleur handicapé aurait été lésé par son « erreur » qui traduit une grave méconnaissance de ses responsabilités.

C'est aussi en vain que Mme [I] conteste ne pas avoir fourni de suivi budgétaire mensuel pour la fin mars, ne pas avoir appliqué la procédure relative à la gestion de la caisse, ne pas avoir présenté les rapprochements bancaires ; en effet, la cour retient que ce moyen est mal fondé au motif que l'association Entraide union produit des éléments de preuve que la directrice, nouvellement installée, a réclamé à Mme [I] la transmission des éléments comptables précités sans qu'elle ne lui réponde ni ne se conforme aux demandes légitimes de sa hiérarchie.

C'est encore en vain que Mme [I] soutient que l'intégralité des exercices comptables précédents, gérés par la salariée, ont été validés par les experts comptables et commissaires aux comptes et que son licenciement intervenu en mai 2019, soit après la validation des travaux de révision et le dépôt des comptes le 30 avril ; en effet, la cour retient que ces moyens sont inopérants au motif qu'ils ne suffisent pas à contredire que Mme [I] ne fournissait pas à la directrice de l'ESAT, malgré ses demandes répétées le suivi budgétaire mensuel, les inventaires de caisse et ne présentait pas les rapprochements bancaires.

C'est enfin en vain que Mme [I] soutient que la directrice donnait des ordres contradictoires (pièces employeur n° 15 à 19) ; en effet, la cour retient que ce moyen est mal fondé au motif que les instructions de la directrice n'étaient pas contradictoires (pièces employeur n° 16 à 19) ; elle a certes déchargé Mme [I] de ses fonctions de caisse mais lui a demandé vainement à plusieurs reprises le solde de caisse.

A l'examen des pièces versées et des débats la cour retient que les fautes qui sont ainsi établies à l'encontre de Mme [I] sont d'une gravité telle qu'elles rendaient impossible son maintien dans l'entreprise pendant la durée du préavis au motif qu'elles montrent que Mme [I] se plaçait en dehors du lien de subordination à l'égard de sa supérieure hiérarchique et exerçait ses fonctions comme elle le voulait, sans l'attention requise pour la protection des travailleurs handicapés, peu important l'impact de ses initiatives sur leurs salaires.

Le jugement déféré est donc confirmé en ce qu'il a jugé que le licenciement de Mme [I] est justifié par une faute grave.

Par voie de conséquence le jugement déféré est aussi confirmé en ce qu'il a débouté Mme [I] de toutes ses demandes.

Sur les autres demandes

La cour condamne Mme [I] aux dépens en application de l'article 696 du Code de procédure civile.

Le jugement déféré est confirmé en ce qui concerne l'application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Il apparaît équitable, compte tenu des éléments soumis aux débats, de condamner Mme [I] à payer à l'association Entraide union la somme de 500 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile pour la procédure d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions ;

Ajoutant,

CONDAMNE Mme [I] à payer à l'association Entraide union la somme de 500 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile pour la procédure d'appel ;

CONDAMNE Mme [I] aux dépens.

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 6
Numéro d'arrêt : 22/00976
Date de la décision : 10/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-10;22.00976 ?
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