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10/05/2023 | FRANCE | N°20/01827

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 6, 10 mai 2023, 20/01827


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 6 - Chambre 6



ARRET DU 10 MAI 2023



(n° 2023/ , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/01827 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CBRB4



Décision déférée à la Cour : Jugement du 04 Février 2020 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F 19/01015





APPELANTE



SAS HOTEL LEOPOLD société anciennement dénommée HOTEL DE LA PAIX

[Adresse 1

]

[Localité 4]



Représentée par Me Sandra OHANA, avocat au barreau de PARIS, toque : C1050





INTIMÉ



Monsieur [Y]-[U] [N]

[Adresse 2]

[Localité 3]



Représenté par Me J...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 6

ARRET DU 10 MAI 2023

(n° 2023/ , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/01827 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CBRB4

Décision déférée à la Cour : Jugement du 04 Février 2020 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F 19/01015

APPELANTE

SAS HOTEL LEOPOLD société anciennement dénommée HOTEL DE LA PAIX

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Sandra OHANA, avocat au barreau de PARIS, toque : C1050

INTIMÉ

Monsieur [Y]-[U] [N]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représenté par Me Jérémy ARMET, avocat au barreau de PARIS, toque : G0351

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 14 mars 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Christine DA LUZ, Présidente de chambre

Madame Nadège BOSSARD, Conseillère

Monsieur Stéphane THERME, Conseiller

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame Christine DA LUZ, Présidente de chambre, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier : Madame Julie CORFMAT, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Madame Christine DA LUZ, Présidente de chambre et par Madame Julie CORFMAT, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE :

La société Hôtel de la paix, devenue Hôtel Léopold, exploite un hôtel situé au [Adresse 1] ' [Localité 4].

Les relations de travail au sein de cette société, qui emploie moins de 10 salariés, sont régies par la Convention collective nationale des Hôtels, Cafés et Restaurants (Brochure JO 3292 ' IDCC 1979).

A compter du mois de novembre 2017, la société Hôtel de la paix a été rachetée par de nouveaux propriétaires qui ont entrepris des travaux de rénovation aboutissant à un changement d'enseigne au mois d'avril 2019, sous la dénomination Hôtel Léopold.

Par contrat de travail à durée indéterminée à temps complet en date du 5 janvier 1987, la société Hôtel de la paix avait engagé M. [Y] [U] [N] en qualité de réceptionniste de nuit, Statut Employé, niveau 2, échelon 2 de la Convention collective.

Par ailleurs, après plusieurs arrêts de travail ponctuels, M. [N] a été placé de manière continue en arrêt de travail à compter du 24 août 2018. Le 25 février 2019, le médecin conseil de la CPAM a estimé que l'arrêt de travail de M. [N] n'était plus médicalement justifié et l'a informé de l'arrêt du versement des indemnités journalières.

A compter du 26 mars 2019, M. [N] a néanmoins de nouveau été placé en arrêt de travail.

Les parties se sont rapprochées en vue de négocier une rupture conventionnelle de son contrat de travail mais aucun accord de rupture amiable n'a pu être trouvé.

Le 5 février 2019, M. [N] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris qui , par jugement du 4 février 2020, a prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [N] aux torts exclusifs de la SAS Hôtel Léopold et condamné cette dernière à verser au salarié les sommes suivantes :

- 41.531 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse;

- 20.304 euros à titre d'indemnité légale de licenciement ;

- 4.153 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;

- 998 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés ;

- 6.000 euros à titre de dommages et intérêts pour violation de l'obligation de sécurité de l'employeur ;

- 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquements à l'obligation de loyauté ;

- 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration en date du 26 février 2020, la société Hôtel Léopold a interjeté appel de ce jugement.

Par ailleurs, parallèlement au déroulement de la procédure, M. [N] a été déclaré inapte par la médecine du travail par avis en date du 18 décembre 2020, étant précisé que tout maintien du salarié dans cette entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé.

La société Hôtel Léopold a notifié à M. [N] son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement par courrier recommandé du 25 janvier 2021.

En l'état de ses ultimes conclusions notifiées par RPVA le 6 février 2023, la SAS Hôtel Léopold forme les demandes suivantes:

A titre liminaire,

- déclarer irrecevable la demande nouvelle formée par M. [N] de versement d'une indemnité spéciale de licenciement ;

Au fond,

-dire et juger qu'aucun manquement suffisamment grave pour justifier la rupture du contrat de travail de M. [N] à ses torts ne saurait lui être imputé ;

- constater l'absence de fondement des manquements invoqués par M. [N] à l'appui de sa demande de résiliation judiciaire ;

- constater le licenciement intervenu le 25 janvier 2021 et le versement du solde de tout compte comprenant le paiement d'une indemnité compensatrice de congés payés et de l'indemnité légale de licenciement ;

En conséquence,

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [N] à ses torts exclusifs et l'a condamné à verser au salarié les sommes de 41.531 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 20.304 euros à titre d'indemnité légale de licenciement, 4.153 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 998 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés ;

- débouter M. [N] de l'intégralité de ses demandes formées au titre de la rupture de son contrat de travail ;

En outre,

- dire et juger que M. [N] n'a pas fait l'objet de harcèlement moral et que la société Hôtel Léopold n'a pas manqué à ses obligations de loyauté et de sécurité ;

En conséquence,

- débouter M. [N] de ses diverses demandes de dommages et intérêts pour harcèlement moral et manquement aux obligations de loyauté et de sécurité ;

Et en tout état de cause,

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Hôtel Léopold à verser à M. [N] une somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens d'instance ;

- condamner M. [N] à lui payer la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [N] aux entiers dépens.

Aux termes

Aux termes d'ultimes conclusions n°5, notifiées par RPVA le 6 février 2023, auxquelles il est expressément fait référence, M. [N] forme les demandes suivantes à l'attention de la cour:

In limine litis :

- juger que le licenciement pour inaptitude de M. [N] par la société Léopold en date du 25 janvier 2021 est un fait nouveau survenu durant la procédure d'appel ;

- déclarer recevable la demande de l'intimé portant sur une indemnité spéciale de licenciement

A titre principal :

- confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Paris du 4 février 2020 en ce qu'il a prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [N] aux torts exclusifs de la société Léopold;

- infirmer partiellement le jugement du conseil de prud'hommes de Paris du 4 février 2020 en ce qu'il a condamné la société Léopold à verser une somme de 6.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice consécutif à la violation de l'obligation de sécurité de l'employeur et 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour violation de l'obligation de loyauté ;

- débouter la société Léopold de toutes ses demandes ;

En conséquence, statuant à nouveau :

- condamner la société Léopold à verser à M.[Y] [U] [N] les sommes suivantes :

41.531 euros au titre de l'indemnité pour licenciement nul ou pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

24.421,42 euros au titre de l'indemnité spéciale de licenciement au titre de l'article L.1226-14 al. 1 du code du travail ou 2.617,54 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement ;

4.153 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;

998 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés.

12.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices subis par le salarié consécutivement au harcèlement moral de l'employeur ;

12.456 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice consécutif à la violation de l'obligation de sécurité de l'employeur ;

15.000 euros à titre de dommages et intérêts pour violation de l'obligation de loyauté ;

En tout état de cause :

- condamner la société Léopold à verser à M. [Y] [U] [N] la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société Léopold aux entiers dépens, y compris les éventuels frais d'exécution.

- assortir les condamnations prononcées des intérêts légaux.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 7 février 2023.

MOTIFS

- Sur la recevabilité de la demande tendant au versement d'une indemnité spéciale de licenciement.

Aux termes de ses conclusions n°5, notifiées le 6 février 2023, M. [N] forme pour la première fois une demande tendant au versement d'une indemnité spéciale de licenciement sur le fondement de l'article 1226-14 alinéa 1 du code du travail. Cette demande est recevable dès lors qu'elle est justifiée par la survenance d'un élément nouveau, à savoir le licenciement pour inaptitude intervenu le 25 janvier 2021. Tout moyen contraire sera donc rejeté.

- Sur la résiliation judiciaire

Lorsqu'un salarié demande la résiliation de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, et que ce dernier le licencie ultérieurement, le juge doit d'abord rechercher si la demande de résiliation du contrat de travail était justifiée. Ce n'est que si le juge estime la demande de résiliation infondée qu'il statue sur le bien-fondé du licenciement.

Le salarié qui sollicite la résiliation judiciaire de son contrat de travail doit rapporter la preuve que l'employeur a commis des manquements graves à ses obligations de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail. Pour apprécier la gravité des faits reprochés à l'employeur dans le cadre de la demande de résiliation judiciaire, le juge doit tenir compte de leur persistance jusqu'au jour du licenciement.

M. [N] fait valoir en premier lieu que son employeur lui aurait imposé plusieurs modifications lesquelles caractériseraient une modification de son contrat de travail et auraient dû faire l'objet d'un accord clair et non équivoque de la part de ce dernier. Il expose que ces modifications unilatérales concernent les points suivants:

- ses horaires de travail au sein de l'entreprise, notamment en lui supprimant ses jours de repos hebdomadaires prévus le samedi et le dimanche dont il bénéficiait depuis 31 ans;

- les fonctions de son contrat de travail, en ajoutant plusieurs tâches par rapport à son contrat initial, jamais modifié depuis 1987;

- la pénibilité du travail, en supprimant notamment le lit d'appoint sans aucun motif légitime et encore moins au regard de l'âge du salarié, étant précisé qu'un avis de la médecine du travail a préconisé des heures de repos afin de protéger la santé du salarié.

- le remplacement du paiement des heures supplémentaires par un repos compensateur sans concertation préalable et impactant la rémunération du salarié sans son accord.

M. [N] sollicite également la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de l'employeur compte tenu du harcèlement moral qu'il prétend avoir subi depuis le mois de mars 2018.

Sur la modification de l'horaire de travail

Lorsque le changement d'horaire de travail implique un bouleversement très important des conditions de travail, il constitue une modification du contrat. Ainsi, constitue une telle modification la nouvelle répartition de l'horaire de travail ayant pour effet de priver le salarié de tout ou partie du repos dominical, même si ce changement était justifié par des impératifs de fonctionnement. En l'espèce, par courrier du 13 mars 2018, l'employeur a notifié au salarié sa décision selon laquelle les deux jours de repos hebdomadaires seraient accordés par roulement, en tenant compte des souhaits individuels de chacun mais également de l'activité de l'hôtel. Il s'est bien agi d'une modification contractuelle et l'employeur reconnaît que depuis la mise en place de ce planning, cela a impacté le repos dominical du salarié à trois reprises. Il y a néanmoins mis fin le 20 novembre 2018, suite à la demande du salarié. Ce faisant, l'employeur a régularisé la situation de telle sorte que ce manquement ne saurait lui être reproché.

Sur la modification des fonctions du salarié

Dans le cadre de son pouvoir de direction, l'employeur peut faire évoluer les tâches effectuées par le salarié et la circonstance que la tâche donnée à l'intéressé serait différente de celle qu'il effectuait antérieurement ne caractérise pas, en principe, une modification du contrat de travail, dès l'instant où elle correspond à sa qualification. En revanche, il ne peut en être ainsi si ces nouvelles tâches modifient profondément la fonction du salarié.

En l'espèce, le contrat de travail de M. [N] énumère ses tâches de la façon suivante: accueil de la clientèle, attribution des chambres, facturation, service de boissions au bar, obligation de contrôle des entrées et sorties des clients, remplacement des collègues pendant les vacances.

Au delà de ces fonctions, l'employeur a notifié à son salarié, par courrier recommandé du 18 mars 2018, une fiche de poste ajoutant les taches suivantes: "faire au moins deux rondes afin de veiller à la sécurité des clients et de l'hôtel, nettoyer le lobby et la réception, terminer le nettoyage du restaurant après le service du soir, laver les serviettes éponges (avec le lave-linge et le sèche-linge), faire cuire les viennoiseries pour le petit déjeuner ou aller les acheter à la boulangerie, préparer le petit déjeuner et le servir aux clients de 7h00 à 8h00."

Si l'employeur se prévaut des dispositions de la convention collective des HCR prévoyant notamment que l'organisation du travail tient compte de la nécessité d'emplois utilisant la plurivalence et la pluriaptitude des salariés, il reste que cette même convention collective définit une classification des métiers du secteur de l'hôtellerie, distinguant ainsi les employés d'étage, les commis de cuisine, les serveurs et les réceptionnistes. Les fiches de postes produites par l'employeur et notamment celle intitulée "G1703 Réception en hôtellerie" prévoient des "compétences spécifiques" telles que la préparation et le service des petits déjeuners en salle ou en chambre qui n'étaient pas spécifiées dans le contrat de travail de M. [N]. Du reste, ce dernier n'est pas démenti lorsqu'il écrit à son employeur que les fonctions de serveur et d'hommes toutes mains étaient effectuées jusque là par des personnes toujours présentes dans l'hôtel.

Il résulte de tout ce qui précède que ces nouvelles attributions ont modifié profondément la fonction du salarié et nécessitaient son accord. A défaut, d'avoir obtenu un tel accord, l'employeur a manqué à ses obligations.

Sur le paiement des éventuelles heures supplémentaires au-delà de la 39 ème heure par l'octroi d'un repos compensateur.

Le paiement des heures supplémentaires peut être remplacé, totalement ou partiellement, par un repos compensateur équivalent. Les conditions et les modalités d'attribution du repos compensateur de remplacement peuvent être prévues soit par une convention ou un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, une convention ou un accord de branche, soit par une décision unilatérale de l'employeur. En l'espèce, cela a été prévu par l'avenant n°2 du 5 février 2007 relatif à l'aménagement du temps de travail. Aucun manquement ne peut donc être reproché à l'employeur de ce chef.

- Sur la suppression du lit d'appoint.

La société Hôtel Léopold justifie avoir pris attache avec le médecin du travail afin de vérifier si des contraintes liées à l'état de santé de M. [N] étaient incompatibles avec le retrait du lit d'appoint et par courrier du 6 juillet 2018, le Dr [R] a indiqué qu'un fauteuil ergonomique avec maintien lombaire, appuie-tête et accoudoir serait suffisant pour le poste de M. [N]. L'employeur justifie dans sa pièce 33 avoir fait cet achat, au demeurant non contesté par le salarié. Aucun manquement ne peut donc lui être reproché de ce chef.

- Sur le harcèlement moral

Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Selon l'article L.1152-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral et pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.

L'article L.1154-1 du même code prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement et il incombe alors à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, le salarié se prévaut des modifications unilatérales imposées par son employeur et ci-dessus détaillées. Il a cependant été relevé que la plupart de ces modifications n'étaient pas constitutives de manquements de la part de l'employeur. S'agissant de l'ajout de nouvelles attributions à celles déjà dévolues au titre du contrat, ce seul élément ne représente pas des agissements 'répétés' laissant supposer l'existence d'un tel harcèlement. De plus, les certificats médicaux versés aux débats n'apportent aucune précision sur un quelconque lien de cause à effet entre les conditions de travail du salarié et son état de santé. M. [N] sera donc débouté d'une part de sa demande tendant à voir prononcer la nullité du licenciement de ce chef et d'autre part de sa réclamation indemnitaire.

Il reste néanmoins qu'en ajoutant de nouvelles attributions à son salarié sans avoir requis son accord, l'employeur a commis un manquement grave à ses obligations.

En conséquence, la cour dit que la demande de résiliation est fondée, et que la rupture est imputable à l'employeur; le licenciement prononcé par l'employeur postérieurement à la demande de résiliation doit, par suite, être considéré comme sans cause réelle et sérieuse. La date de rupture est fixée à la date d'envoi de la lettre de licenciement soit le 25 janvier 2021.

Il résulte de l'examen des pièces versées aux débats et des moyens débattus que l'indemnité à même de réparer de manière appropriée le préjudice subi par M. [N], au regard de sa rémunération mensuelle brute de 2.076,56 euros, et de son ancienneté de 34 ans, doit être évaluée à la somme de 41 531 euros. Le jugement entrepris sera donc confirmé de ce chef.

- Sur l'indemnité spéciale de licenciement

M. [N] ajoute cette demande nouvelle. Néanmoins, il ne peut revendiquer une telle indemnité dès lors que celle-ci se rapporte à une inaptitude consécutive à un accident du travail ou à une maladie professionnelle; ce qui n'est nullement le cas en l'espèce. Ce chef de demande sera donc rejeté.

- Sur la violation de l'obligation de sécurité.

L'article L. 4121-1 du code du travail dispose que 'L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels ;

2° Des actions d'information et de formation ;

3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

L'employeur veille à l'adéquation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.'

M. [N] fait valoir qu'outre un harcèlement moral caractérisé par des diligences 'malveillantes' et 'répétées' à son égard, l'employeur s'est illustré en supprimant le lit d'appoint sans prendre en compte l'avis de la médecine du travail en date du 15 mars 2018 (sa pièce n°5).

Il résulte tout d'abord des éléments du débat que l'employeur a notifié le 13 mars 2018 à ses salariés un courrier prévoyant des changements organisationnels à compter du 8 avril suivant.

Ensuite, l'avis dont se prévaut M. [N] en date du 15 mars 2018 est ainsi rédigé: 'dans la mesure de ses possibilités, il est souhaitable de lui laisser la possibilité de se reposer quelques heures' et ne prescrit pas la présence d'un lit de manière impérative.

La société Hôtel Léopold justifie avoir écrit à M. [N] le 9 avril 2018 en lui indiquant qu'afin d'éviter toute difficulté d'interprétation de l'avis du médecin du travail, il prendrait contact sans délai avec lui pour connaître les contraintes liées à l'état de santé du salarié et le lit resterait donc en l'état, dans l'attente des conclusions médicales.

La société Hôtel Léopold démontre avoir pris attache avec le médecin du travail le jour même afin de connaître ses préconisations et ce dernier s'est rendu disponible le mardi 17 avril 2018 à 15h30 pour constater sur site les conditions de travail. Suite aux relances de l'employeur, le médecin du travail lui a écrit qu''un fauteuil ergonomique avec maintien lombaire, appuie-tête et accoudoirs serait suffisant pour le poste de M. [N] ». (pièce n° 15). L'employeur justifie en avoir passé commande.

Dès lors, M. [N] soutient vainement qu'aucune concertation n'a été mise en place avec lui afin de trouver une solution adaptée aux recommandations de la médecine du travail tout en satisfaisant aux exigences de l'exploitation de l'entreprise.

Il résulte plutôt de ce qui précède que l'employeur n'a pas méconnu son obligation de sécurité et dès lors le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il l'a condamné au paiement d'une indemnité; la demande formulée de ce chef devant être rejetée.

- Sur le manquement à l'obligation de loyauté.

Selon l'article L1222-1 du code du travail, le contrat de travail s'exécute de bonne foi.

M. [N] expose que l'employeur a eu à son égard un comportement explicite et réitéré visant à le priver des droits dont il bénéficie, à commencer par son droit à refuser la modification de son contrat de travail. Par ailleurs, la décision de supprimer de manière unilatérale le lit d'appoint sans considération de la recommandation de la médecine du travail le 15 mars 2018, caractériserait une intention uniquement dolosive à son égard ainsi qu'une fraude à la loi, ayant porté atteinte à sa santé. Il ajoute que ce préjudice se poursuit encore aujourd'hui compte tenu du recours contre le jugement prud'homal. Il ne fait nul doute selon lui que l'employeur a tenté de le pousser à bout afin qu'il accepte une rupture conventionnelle alors qu'il n'y avait aucun intérêt.

Il reste que les changements envisagés dans l'organisation de l'hôtel relevaient du pouvoir de direction de l'employeur et qu'aucun manquement à l'obligation de sécurité n'a été objectivé. En outre, l'exercice du droit d'appel n'apparaît pas avoir été inspiré par une intention dolosive.

Relevant néanmoins que l'employeur a modifié unilatéralement le contenu des attributions du salarié en lui ajoutant de nouvelles tâches, ce dernier a manqué à l'obligation de loyauté lui incombant et dès lors le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il l'a condamné au paiement d'une indemnité de 5000 euros de ce chef.

Sur l'article 700 du code de procédure civile.

Les parties succombant partiellement dans les appels principal et incident qu'elles ont formés, conserveront à charge les frais irrépétibles et dépens qu'elles ont engagés. Les demandes de condamnation de ces chefs seront donc rejetées.

PAR CES MOTIFS

La cour,

DÉCLARE recevable la demande nouvelle formée par M. [Y] [U] [N] au titre de l'indemnité spéciale de licenciement mais sur le fond, la rejette.

CONFIRME le jugement entrepris sauf en ce qui concerne le manquement à l'obligation de sécurité.

Statuant à nouveau de ce seul chef,

DIT que la société Hôtel Léopold n'a pas manqué à l'obligation de sécurité lui incombant et rejette la demande indemnitaire formée de ce chef.

DÉBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

DIT que chaque partie conservera à charge ses propres frais irrépétibles et ses propres dépens d'appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 6
Numéro d'arrêt : 20/01827
Date de la décision : 10/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-10;20.01827 ?
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