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10/05/2023 | FRANCE | N°18/13404

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 6, 10 mai 2023, 18/13404


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 6 - Chambre 6



ARRET DU 10 MAI 2023



(n° 2023/ , 2 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/13404 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B62LX



Décision déférée à la Cour : Jugement du 23 Octobre 2018 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CRETEIL - RG n° 16/02767





APPELANTE



SAS ALBAN MULLER INTERNATIONAL

[Adresse 4]

[Localité 2]

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Représentée par Me Jean-Claude CHEVILLER, avocat au barreau de PARIS, toque : D0945





INTIMÉE



Madame [Y] [T]

[Adresse 1]

[Localité 3]



Représentée par Me Aurélien WULVERYCK, avocat au ...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 6

ARRET DU 10 MAI 2023

(n° 2023/ , 2 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/13404 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B62LX

Décision déférée à la Cour : Jugement du 23 Octobre 2018 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CRETEIL - RG n° 16/02767

APPELANTE

SAS ALBAN MULLER INTERNATIONAL

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représentée par Me Jean-Claude CHEVILLER, avocat au barreau de PARIS, toque : D0945

INTIMÉE

Madame [Y] [T]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Aurélien WULVERYCK, avocat au barreau de PARIS, toque : J091

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 14 mars 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Christine DA LUZ, Présidente de chambre

Madame Nadège BOSSARD, Conseillère

Monsieur Stéphane THERME, Conseiller

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame Christine DA LUZ, Présidente de chambre, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier : Madame Julie CORFMAT, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Madame Christine DA LUZ, Présidente de chambre et par Madame Julie CORFMAT, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DES FAITS ET DU LITIGE

Le 17 juillet 2000, Mme [Y] [T] a été engagée en CDI en qualité de responsable de zone cosmétique langue anglaise USA & GB, coefficient 400 de la Convention collective nationale des Industries Chimiques

Le 1 er octobre 2000, Mme [T] a été promue au coefficient 460 de la Convention Collective.

Par avenant du 2 janvier 2003, Mme [T] a été nommée au poste de chef de projet, Statut Cadre, Coefficient 460 de la Convention Collective.

La société Alban Muller International et Mme [T] ont signé un avenant le 2 juillet 2012 par lequel cette dernière a désormais été affectée à un poste de chargée de Marketing Opérationnel. Elle a été placée sous la subordination de Mme [S], la responsable Communication et Marketing de la société Alban Muller International.

Le 3 septembre 2015, la société Alban Muller International a convoqué Mme [T] à un entretien préalable à un éventuel licenciement. Cet entretien s'est tenu le 15 septembre 2015.

Le 21 septembre 2015, la société Alban Muller International a notifié à Mme [T] son licenciement pour insuffisance professionnelle.

Mme [T] a été dispensée de l'exécution de son préavis. Elle a quitté les effectifs de la société Alban Muller International le 22 décembre 2015.

Le 9 septembre 2016, Mme [T] a saisi le conseil de prud'hommes de Créteil aux fins notamment de contester le bien fondé de son licenciement, voir reconnaître l'existence d'un harcèlement moral à son préjudice et obtenir des rappels de salaires pour heures supplémentaires et repos compensateurs.

Par jugement du 23 octobre 2018, le conseil de prud'hommes a:

- dit que le licenciement de Mme [T] n'était pas fondé sur une cause réelle et sérieuse,

- condamné la société Alban Muller International à verser à Mme [T] les sommes suivantes:

72.000 euros au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

1.300 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

-débouté Mme [T] de ses autres demandes.

La société Alban Muller International a relevé appel de ce jugement par déclaration en date du 26 novembre 2018.

En l'état de ses ultimes conclusions notifiées par RPVA le 18 décembre 2020, la société Alban Muller International forme les demandes suivantes:

-infirmer le jugement du 7 novembre 2018 en ce qu'il l'a condamnée au titre d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

-le confirmer pour le surplus

Et en conséquence,

-dire et juger le licenciement de Mme [T] repose sur une cause réelle et sérieuse ;

-dire et juger que Mme [T] ne rapporte aucune preuve de faits de nature à laisser présumer un harcèlement moral ;

-dire et juger que la convention de forfait annuel en jours conclue par Mme [T] et Alban Muller International est valable ;

- débouter Mme [T] de l'ensemble de ses demandes

- condamner Mme [T] au paiement de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

En l'état de ses ultimes conclusions notifiées par RPVA le 25 mars 2020, Mme [T] demande à la cour de:

-juger que la convention de forfait en jours est nulle,

-juger qu'elle a été victime de harcèlement moral,

-juger que son licenciement est sans cause réelle ni sérieuse ;

En conséquence,

-confirmer le jugement en ce qu'il a dit le licenciement sans cause réelle ni sérieuse mais l'infirmer pour le surplus,

-condamner la société à verser à Mme [T] les sommes suivantes :

- 30.750,00 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral lié au harcèlement moral,

- 23.037,13 euros à titre des heures supplémentaires réalisées et non réglées,

- 2.303,71 euros à titre des congés payés afférents,

- 7.104,76 euros à titre des repos dont la salariée aurait dû bénéficier de 2013 à 2015,

- 710,47 euros à titre de congés payés afférents,

- 30.750,00 euros à titre d'indemnité pour travail dissimulé,

- 92.250,00 euros à titre d'indemnité pour licenciement abusif,

- 8.000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Ordonner la remise d'un bulletin de paie, d'un certificat de travail et d'une attestation pôle emploi sous astreinte de 50 euros par document et par jour de retard

Laisser les dépens à la charge de la partie défenderesse.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 17 janvier 2023.

MOTIFS

Sur l'insuffisance professionnelle

L'insuffisance professionnelle se définit comme l'inaptitude du salarié à exécuter son travail de manière satisfaisante, au regard de son statut, de ses responsabilités et des compétences requises pour l'exercice de ses fonctions.

Elle est de nature qualitative et ce motif n'entraîne pas comme dans le cas d'un licenciement disciplinaire l'énumération précise et exhaustive des griefs, la seule référence à cette insuffisance constituant un motif de licenciement matériellement vérifiable pouvant être précisé et discuté devant le juge prud'homal.

Caractérisée par le manque de compétences du salarié pour exécuter les tâches qui lui sont confiées, elle doit donc reposer sur des éléments concrets et ne peut être fondée sur la seule appréciation purement subjective de l'employeur.

Le 21 septembre 2015, la société Alban Muller International a notifié à Mme [T] son licenciement pour insuffisance professionnelle dans les termes suivants:

« Au cours de l'entretien que vous avez eu avec [J] [V], Directrice Générale, en septembre 2011, il vous avait été demandé quels étaient vos souhaits d'évolution au sein de la société. Vous n'aviez, d'après les notes d'entretien de la Directrice générale, plus de projection sur votre poste dans les 5 années à venir.

Vous m'avez d'ailleurs précisé lors de notre entretien, avoir fait connaître à cette occasion, votre souhait d'évoluer sur un poste de stratégie marketing, étant issue d'une formation dans ce domaine.

Cette fonction n'existait pas encore à l'époque, mais [J] [V] étant favorable à votre évolution sur un autre poste compte tenu des remontées terrain mitigées quant à votre travail au poste de chef de projets, vous avez alors répondu qu'un poste en marketing opérationnel pouvait être envisagé, à la condition de définir les missions répondant aux besoins immédiats de l'entreprise.

Vous avez pu me préciser au cours de notre entretien du 15/09/15, que ce poste avait été pour vous l'opportunité de mettre un pied dans le marketing, pour ensuite obtenir un poste plus stratégique en vue de travailler plus en amont sur les études de marché (veille concurrentielle), et le lancement des produits en lien étroit avec la R&D sur les projets.

Dès le début de l'année 2012, vous avez donc commencé à prendre vos fonctions sur le poste de Responsable du marketing opérationnel. Un avenant à votre contrat de travail a plus tard été officialisé, en date du 02/07/2012. Il a alors été convenu d'une période probatoire de 4 mois sur ce nouveau poste, avec l'arrêté, d'un commun accord, d'"une feuille de route" devant ainsi nous permettre mutuellement de vous évaluer sur ces nouvelles responsabilités.

Les premiers différends sont apparus car vous refusiez le rattachement hiérarchique avec la Responsable Communication, mettant en cause la légitimité de son autorité en considérant que vous aviez une ancienneté plus importante que la sienne, et l'ayant vue vous-même entrer dans la société 8 ans plus tôt en qualité de "stagiaire".

Parallèlement il a été rapidement décelé en interne, certaines difficultés que vous aviez à agir en toute autonomie sur votre poste, le Président lui-même considérant que vos différentes présentations n'étaient pas suffisamment pertinentes, et nécessitaient des réajustements constants de sa part avant toute officialisation.

La Responsable communication s'étant absentée dès le début 2013 dans le cadre d'un congé de maternité, vous avez été amenée à travailler directement avec [J] [V]. Devant la nécessité de prioriser les différents travaux, vous avez été amenée à travailler aux côtés de la Direction et des équipes commerciales pour l'organisation des différents salons.

Les choses s'étant globalement bien passées, [J] [V] a pensé qu'une réorientation de votre poste sur des aspects plus liés à l'événementiel pourrait alors donner satisfaction à tous.

Les échanges autour de cette question ont été longs puisque ce n'est qu'en juin 2014 que nous avons réussi à nous mettre d'accord sur la nouvelle définition d'un poste intitulé "Responsable Evénementiel", articulé prioritairement autour de l'organisation et la coordination des évènements.

Parallèlement, et afin de vous tester sur votre capacité à tenir un poste plus stratégique, qui était votre souhait, nous vous avons confié la responsabilité de la veille marché et de l'analyse de la concurrence, avec notamment la possibilité d'assister au comité de sélection des projets pour conseiller les équipes en fonction des demandes du marché, et en amont de la sélection des projets.

Les désaccords autour de votre poste étaient toujours présents puisque vous n'avez jamais souhaité signer l'avenant qui vous avait été proposé alors même que vous étiez en accord avec les missions arrêtées, et sur lesquelles vous travaillez encore aujourd'hui.

Vous m'avez à ce titre précisé lors de notre entretien du 15/09/15 que le facteur bloquant à la signature de votre avenant était lié à des budgets que vous jugiez pas suffisamment conséquents, mais qu'en dépit de cette signature, vous vous présentiez auprès des commerciaux et des distributeurs comme tel.

Le bilan de cette dernière année écoulée est le suivant :

Principalement, le rendu de votre travail est jugé insatisfaisant (présentations commerciales non pertinentes, trop longues, erreurs de typographie, fautes d'orthographe, oublis, erreurs de traduction entre le français et l'anglais).

Vous m'avez alors précisé qu'en effet, votre façon de faire des présentations n'était pas celle du Président, et que vous-même étiez amenée à reprendre sa typographie.

Cette remarque est bien révélatrice d'un désaccord entre ce qui vous est demandé et les résultats de votre travail.

Tout cela est malheureusement fort préjudiciable aux intérêts de l'entreprise. Le dernier exemple en date remontant à cet été, où vous avez été amenée à échanger 28 fois par e-mails avec [J] [V] sur la période du 28/07 au 05/08, pour la réalisation d'un totem. Au cours des échanges, vous avez d'ailleurs été amenée à vous en excuser.

Par ailleurs, à ce jour, la possibilité qui vous avait été laissée de faire vos preuves sur l'analyse de la concurrence et du marché est restée sans suite dans la mesure où vous ne vous êtes pas encore impliquée dans cette mission en un an. Ce constat n'est donc pas concluant pour vous confier d'avantage de responsabilités, que ce soit dans le marketing opérationnel, stratégique ou le développement futur d'une gamme Alban Muller. En réponse à ce reproche, vous m'avez précisé que vous aviez été très occupée par le "day to day". Cela révèle à notre sens certaines difficultés à prioriser vos tâches de travail et démontre que vous consacrez trop de temps à vos présentations.

Vous reprochez également à l'entreprise de ne pas faire partie du COMEX, ni d'avoir un poste plus stratégique. Comme j'ai pu vous l'exprimer au cours de notre entretien, aucun poste stratégique à part entière n'existe au sein de la société Alban Muller. Dans le cadre d'une petite PME familiale, tout poste même de Directeur, intègre en grande majorité des fonctions opérationnelles, nécessaires et inévitables au bon fonctionnement de l'entreprise.

Vos remarques lors de notre entretien du 15/09/15 n'ont fait que renforcer le fait que nous n'arrivions plus à trouver un terrain d'entente, et ce depuis plusieurs années. La qualité de votre travail n'est pas en phase avec ce qui est attendu de vous et nous ne pouvons poursuivre dans ces relations contractuelles causant du tort aux intérêts légitimes de l'entreprise. »

La société reproche en premier lieu à Mme [T] d'avoir refusé d'être placée sous la responsabilité de Mme [S] dès lors que cette dernière disposait d'une ancienneté moindre et était entrée dans la société en tant que stagiaire. Mme [T] aurait donc généré des difficultés de management et exécuté de manière 'imparfaite' son contrat de travail. Elle lui reproche également de n'avoir pas été en mesure d'exécuter les fonctions pour lesquelles elle avait été recrutée dans le respect de son coefficient. C'est ainsi notamment que ses présentations PowerPoint n'auraient pas répondu aux consignes données, et qu'en dépit de plusieurs demandes de la société, elle n'aurait jamais réalisé la veille technologique qui lui avait été demandée. Elle se prévaut enfin de la nécessité de reprendre constamment le travail de la salariée et met en cause son manque d'autonomie.

Le powerpoint versé par la société en pièce 8, composé uniquement de diapositives, de même que la liasse de documents en pièce 15, composés principalement d'images publicitaires en anglais entrecoupées de quelques courriels lapidaires dans le cadre de la préparation d'un totem sont insuffisants à démontrer une quelconque 'incapacité à rendre un travail satisfaisant et à comprendre ce qui est demandé'. Les courriels ultérieurs versés dans les pièces 15 à 18 font état d'échanges entre Mme [T] et la directrice générale Mme [V] ou encore avec Mme [S], sa N+1, aux termes desquels des instructions lui sont données sans pour autant faire apparaître des anomalies ou dysfonctionnements sérieux. Enfin, force est de relever que l'employeur ne verse aucune pièce relative à une quelconque remise en cause du rattachement hiérarchique avec la responsable communication, Mme [S], cette dernière ayant au contraire établi une attestation rendant compte de manière très élogieuse du dévouement et des compétences professionnelles de Mme [T] (pièce 12). Il a encore moins été démontré un quelconque manque d'autonomie.

Les éléments produits aux débats par l'employeur sont donc totalement inconsistants et ce, d'autant plus qu'en 15 ans de carrière, la salariée n'a jamais fait l'objet d'aucun avertissement.

Il est constant également que la société ne lui a jamais proposé aucune formation pour améliorer ses résultats ni même procédé à une quelconque évaluation annuelle.

Mme [T] verse pour sa part un courriel de félicitation d'une collègue allemande en date du 6 janvier 2015 pour sa présentation powerpoint et l'autorisation de l'utiliser pour un séminaire en Allemagne. Elle produit également l'attestation d'une collègue, Mme [K], attestant de l'efficacité de Mme [T] pour gérer un grand nombre de projets, notamment avec le principal client de l'entreprise, la société Elemis mais également les recommandations d'autres collègues et partenaires de travail (ses pièces 22, 24 à 29).

Il résulte abondamment de tout ce qui précède que le licenciement pour insuffisance professionnelle est injustifié. Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a dit que ce licenciement était sans cause réelle et sérieuse.

Il est constant qu'à la date de présentation de la lettre recommandée notifiant le licenciement, Mme [T] avait au moins deux ans d'ancienneté dans une entreprise de 11 salariés et plus ; il y a donc lieu à l'application de l'article L. 1235-3 du code du travail dans sa rédaction applicable à l'espèce, dont il ressort que le juge octroie une indemnité au salarié qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Compte tenu notamment de l'effectif de l'entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération de Mme [T] (5125 euros bruts), de son âge (46 ans), de son ancienneté (15 ans), de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard (n'étant pas discuté qu'elle a rapidement retrouvé du travail après le licenciement), la cour retient que l'indemnité à même de réparer intégralement le préjudice de Mme [T] a justement été évaluée par les premiers juges à la somme de 72 000 euros.

Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il a condamné la société à payer ce montant à Mme [T] à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

- Sur l'appel incident.

Sur la clause de forfait annuel en jours

Le contrat de travail de Mme [T] prévoit une clause de forfait annuel de 217 jours par an.

L'article L. 3121-64 du code du travail, en sa version applicable au contrat de travail, dispose que: 'I-L'accord prévoyant la conclusion de conventions individuelles de forfait en heures ou en jours sur l'année détermine :

1° Les catégories de salariés susceptibles de conclure une convention individuelle de forfait, dans le respect des articles L. 3121-56 et L. 3121-58 ;

2° La période de référence du forfait, qui peut être l'année civile ou toute autre période de douze mois consécutifs ;

3° Le nombre d'heures ou de jours compris dans le forfait, dans la limite de deux cent dix-huit jours s'agissant du forfait en jours ;

4° Les conditions de prise en compte, pour la rémunération des salariés, des absences ainsi que des arrivées et départs en cours de période ;

5° Les caractéristiques principales des conventions individuelles, qui doivent notamment fixer le nombre d'heures ou de jours compris dans le forfait.

II.-L'accord autorisant la conclusion de conventions individuelles de forfait en jours détermine

1° Les modalités selon lesquelles l'employeur assure l'évaluation et le suivi régulier de la charge de travail du salarié ;

2° Les modalités selon lesquelles l'employeur et le salarié communiquent périodiquement sur la charge de travail du salarié, sur l'articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle, sur sa rémunération ainsi que sur l'organisation du travail dans l'entreprise ;

3° Les modalités selon lesquelles le salarié peut exercer son droit à la déconnexion prévu au 7° de l'article L. 2242-8.

L'accord peut fixer le nombre maximal de jours travaillés dans l'année lorsque le salarié renonce à une partie de ses jours de repos en application de l'article L. 3121-59. Ce nombre de jours doit être compatible avec les dispositions du titre III du présent livre relatives au repos quotidien, au repos hebdomadaire et aux jours fériés chômés dans l'entreprise et avec celles du titre IV relatives aux congés payés.'

L'UES Alban Muller a signé avec les organisations syndicales un accord dit « RTT » enregistré le 27 décembre 1999. Par la suite, un avenant intitulé : Avenant n°1 à l'accord RTT annualisé pour l'UES Alban Muller a été signé avec les partenaires sociaux le 27 avril 2000 et enregistré le 19 mai 2000. L'avenant RTT n°1 organise le régime et la mise en 'uvre du forfait annuel en jours.

Son article 2 contient l'ensemble des mentions obligatoires telles que les catégories de cadres intéressés au regard de leur autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps, les modalités de décompte des journées et des demi-journées travaillées et de prise des repos, les conditions de contrôle de son application, les modalités de suivi de l'organisation du travail des salariés concernés, de l'amplitude de leurs journées d'activité et de la charge de travail qui en résulte. L'article 4 instaure un « Suivi individuel ».

Ces dispositions assurent des garanties en matière de respect du temps de travail et de la charge de travail, de sorte que le dispositif du forfait annuel en jours est régulier.

Il reste néanmoins que la clause de forfait jours insérée dans le contrat de travail de Mme [T] ne fait aucune référence à cet accord.

Surtout, cette clause de forfait-jours, n'est assortie d'aucune disposition permettant d'assurer une bonne répartition dans le temps du travail de l'intéressée, et, donc, d'assurer la protection de la sécurité et de la santé de celle-ci. Elle est ainsi rédigée: 'votre rémunération annuelle correspond à un forfait de nombre de jours de travail dans l'année civile ne pouvant dépasser 217 jours.'

Aucune fiche mensuelle de décompte de jours concernant la salariée n'est produite par l'employeur, ni aucun compte rendu d'entretien individuel sur son temps de travail, ce qui démontre l'absence de suivi effectif par la société de la mise en oeuvre du forfait jour.

La clause de forfait annuel en jours est ainsi inopposable à Mme [T].

Sur les heures supplémentaires

En cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux articles L. 3171-2 à L. 3171-4 du code du travail. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence de rappels de salaire, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

Le forfait annuel en jours étant inopposable à Mme [T], la durée hebdomadaire de son temps de travail était de 35heures.

Mme [T] verse en pièces 23 a à 23 c des tableaux très explicites de ses horaires de travail, pour les années 2013 à 2015, extraits des relevés de la badgeuse de la société, (logiciel Octime) qui indiquent pour chaque semaine le nombre d'heures travaillées, ses dates d'absence et de congés.

L'employeur, à qui incombe le contrôle des heures de travail produit le même tableau, dont il souligne d'ailleurs la fiabilité, et n'émet aucun grief sérieux à l'encontre du calcul opéré par Mme [T] si ce n'est que la pièce produite en première instance par cette dernière aurait été émaillée de nombreuses incohérences.

Il reste qu'en l'état des pièces détaillées produites aux débats à hauteur d'appel, non utilement contredites par l'employeur, il apparaît que Mme [T] a accompli sur les années considérées des heures supplémentaires à hauteur de 480 heures et une minute. Dès lors, il doit lui être reconnu un rappel de salaire de 20 939, 95 euros outre 2 093, 99 euros au titre des congés payés afférents. Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a rejeté ces chefs de demande et la société Alban Muller International sera condamnée au paiement de ces montants.

En outre, les heures supplémentaires accomplies au-delà du contingent annuel d'heures supplémentaires (conventionnelle ou, à défaut, réglementaire) ouvrent droit à une contrepartie obligatoire en repos selon l'article L. 3121-11 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige.

Cette contrepartie est fixée pour chaque heure supplémentaire dépassant le contingent à :

- 50% pour les entreprises de 20 salariés au plus ;

- 100% de ses heures dans les entreprises de plus de 20 salariés.

En l'espèce, l'effectif de la société Alban Muller International est supérieur à 20 salariés et la convention collective des Industries Chimiques applicable fixe le contingent annuel d'heures supplémentaires à 130 heures.

Dès lors, toute heure supplémentaire réalisée au-delà de ce contingent donne lieu à une contrepartie obligatoire en repos équivalente à 100% d'une heure normale.

En tenant compte du salaire horaire de Mme [T] de 33,80 euros, il sera accordé à cette dernière la somme totale de 4 206,07 euros correspondant au repos dont elle aurait dû bénéficier sur les trois dernières années. Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a rejeté ce chef de demande et la société Alban Muller International sera condamnée au paiement de ce montant outre 420,60 euros au titre des congés payés afférents.

Sur l'indemnité pour travail dissimulé

Pour caractériser le travail dissimulé prévu par l'article L.8221-5 du code du travail la preuve de l'élément intentionnel de l'employeur doit être rapportée.

Si des condamnations en paiement de rappel d'heures supplémentaires et de repos compensateurs sont prononcées, la preuve de l'élément intentionnel de l'employeur n'est pas pour autant rapportée.

La demande d'indemnité formée à ce titre par Mme [T] sera donc rejetée.

Sur le harcèlement moral

Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Selon l'article L.1152-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral et pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.

L'article L.1154-1 du même code prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et il incombe alors à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, Mme [T] fait valoir qu'elle a subi des humiliations, s'est trouvée exclue des réunions et n'était plus que très rarement destinataire de courriels, ce qui a impacté négativement son état de santé.

Il reste que les faits articulés par Mme [T] sont fondés sur les seules attestations de Mme [S], elle-même impliquée dans un litige prudhomal à l'encontre de la société Alban Muller International - dans le cadre duquel il n'est pas contesté que Mme [T] a versé une attestation en faveur de la requérante - et ayant donné lieu à un jugement définitif du conseil de prud'hommes de Créteil du 20 mars 2018 ayant rejeté l'intégralité de ses prétentions.

L'examen des pièces médicales versées aux débats (pièces 13, 14, 33 et 34) révèle pour sa part que les praticiens (médecins et psychologue traitants) ont recueilli les propos de l'intéressée sans constater personnellement le lien de cause à effet avec ses conditions de travail.

Enfin, si Mme [T] a ajouté qu'en 2015, alors qu'elle faisait encore partie des effectifs de la société, ses employeurs auraient diffusé une annonce de recherche d'un salarié pour un poste de chef de produit marketing et digital cosmétique, poste pourtant convoité par la salariée (sa pièce n°21), il reste que ce document, dont la date est illisible, apparaît se rapporter à un poste différent de celui occupé par Mme [T] et n'est pas davantage opérant.

Pris dans leur ensemble, ces éléments ne laissent pas présumer un harcèlement moral. Dès lors, Mme [T] sera déboutée de sa demande indemnitaire de ce chef et le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.

Sur les autres demandes.

La société Alban Muller International, qui succombe à titre principal, supportera les dépens et sera condamnée à verser à Mme [T] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Il y a lieu d'ordonner à la société Alban Muller International de remettre à Mme [T] un bulletin de paie, un certificat de travail et une attestation pôle emploi conforme au présent arrêt mais de rejeter la demande d'astreinte de ce chef.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

INFIRME le jugement du conseil de prud'hommes en ce qu'il a rejeté la demande de Mme [Y] [T] au titre de l'irrégularité de la convention de forfait jours, l'a déboutée en conséquence de ses demandes de rappels de salaires au titre des heures supplémentaires, des repos compensateurs et des congés payés afférents et le confirme pour le surplus,

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et ajoutant:

DIT que la clause de forfait jour est inopposable à Mme [Y] [T]

CONDAMNE la société Alban Muller International à payer à Mme [Y] [T]:

- la somme de 20 939, 95 euros au titre des heures supplémentaires outre 2 093, 99 euros au titre des congés payés afférents,

- la somme de 4 206,07 euros au titre des repos compensateurs outre 420,60 euros au titre des congés payés afférents.

CONDAMNE la société Alban Muller International aux dépens.

CONDAMNE la société Alban Muller International à payer à Mme [T] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

ORDONNE à la société Alban Muller International de remettre à Mme [T] un bulletin de paie, un certificat de travail et une attestation pôle emploi conforme au présent arrêt mais rejette la demande d'astreinte de ce chef.

DÉBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 6
Numéro d'arrêt : 18/13404
Date de la décision : 10/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-10;18.13404 ?
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