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10/05/2023 | FRANCE | N°18/07952

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 9, 10 mai 2023, 18/07952


REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 6 - Chambre 9



ARRÊT DU 10 MAI 2023

(n° , 6 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/07952 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B557J



Décision déférée à la Cour : Jugement du 27 Mars 2018 - Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY - Section Activités diverses - RG n° F16/01925





APPELANT



Monsieur [U] [Y]

[Adresse 1]

[Localité 4]
>

Représenté par Me Sandrine COHEN, avocat au barreau d'ESSONNE, toque : PN 37







INTIMÉE



SA [L]

[Adresse 5]

[Adresse 5]

[Localité 3]



Représentée par Me Véronique MEURIN de la...

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 9

ARRÊT DU 10 MAI 2023

(n° , 6 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/07952 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B557J

Décision déférée à la Cour : Jugement du 27 Mars 2018 - Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY - Section Activités diverses - RG n° F16/01925

APPELANT

Monsieur [U] [Y]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représenté par Me Sandrine COHEN, avocat au barreau d'ESSONNE, toque : PN 37

INTIMÉE

SA [L]

[Adresse 5]

[Adresse 5]

[Localité 3]

Représentée par Me Véronique MEURIN de la SCP TOURAUT ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : D1275

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 8 Février 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. Philippe MICHEL, président, chargé du rapport, et M. Fabrice MORILLO, conseiller.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

M. Philippe MICHEL, président de chambre

M. Fabrice MORILLO, conseiller

Mme Nelly CHRETIENNOT, conseillère

Greffier : Mme Pauline BOULIN, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire

- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Monsieur Philippe MICHEL, président et par Madame Pauline BOULIN, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Selon un contrat de travail à durée indéterminée du 31 janvier 2006, M. [Y] a été engagé par la société [L] à compter du 1er mars 2006 en qualité d'agent de maintenance, niveau II, échelon I, coefficient 170 de la convention collective régionale des industries métallurgiques, mécaniques et connexes de la région parisienne du 16 juillet 1954.

La société emploie au moins 11 salariés.

Après avoir été convoqué par lettre du 4 janvier 2016 à un entretien préalable au licenciement fixé au 8 janvier 2016, M. [Y] a été licencié pour « faute réelle et sérieuse », par courrier du 29 janvier 2016.

Contestant le bien fondé de son licenciement, M. [Y] a saisi le conseil de prud'hommes de Bobigny le 9 mai 2016, afin d'obtenir, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, la condamnation de la société [L] à lui verser les sommes de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La société [L] a conclu au débouté de M. [Y] et à la condamnation de ce dernier à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement du 27 mars 2018, le Conseil de Prud'hommes de Bobigny a débouté M. [Y] de l'ensemble de ses demandes, l'a condamné aux éventuels dépens, et a débouté la société de sa demande reconventionnelle.

Le 21 juin 2018, M. [Y] a interjeté appel de ce jugement notifié le 24 mai 2018.

Aux termes de ses dernières conclusions signifiées par voie électronique le 19 octobre 2020, M. [Y] demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris, de condamner la société à lui verser les sommes de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Par ordonnance du 15 octobre 2020, confirmée par un arrêt de déféré du 9 septembre 2021, le conseiller de la mise en état s'est déclaré compétent pour statuer sur les demandes d'irrecevabilité des conclusions de l'appelant et a débouté la société [L] de ses demandes à ce titre.

Aux termes de ses dernières conclusions signifiées par voie électronique le 16 septembre 2021, la société [L] demande à la cour de :

- Juger que la déclaration d'appel du 21 juin 2018 n'a pas saisi utilement la cour et n'emporte aucune dévolution du litige à la cour,

- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. [Y] de l'ensemble de ses demandes,

à titre subsidiaire,

- Limiter le montant de l'indemnité éventuellement accordée,

en tout état de cause,

- Condamner M. [Y] à lui verser la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

L'instruction a été clôturée le 3 janvier 2023 et l'affaire fixée à l'audience du 8 février 2023.

MOTIFS

Sur la déclaration d'appel

La société [L] soutient que la cour n'a pas été saisie d'une quelconque critique du jugement puisque la déclaration d'appel de M. [Y] est libellé comme suit : « Appel total en ce que le Conseil de Prud'hommes a débouté M. [L] de l'ensemble de ses demandes » et donc omet de préciser les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l'appel est limité, étant précisé que la mention d'un « appel total » ne peut être regardée comme emportant la critique de l'intégralité des chefs du jugement.

M. [Y] réplique que la société [L] a été déboutée de sa demande d'irrecevabilité, suivant ordonnance de mise en état du 15 octobre 2020.

Cela étant, l'ordonnance du conseiller de la mise en état du 15 octobre 2020 confirmée par l'arrêt du 9 septembre 2021 n'a porté que sur les effets attachés à l'erreur affectant la déclaration d'appel en ce qu'elle mentionne « Appel total en ce que le Conseil de Prud'hommes a débouté M. [L] de l'ensemble de ses demandes » au lieu de « Appel total en ce que le Conseil de Prud'hommes a débouté M. [Y] de l'ensemble de ses demandes ».

Il appartient donc à la cour d'apprécier si la déclaration d'appel telle qu'elle est rédigée a un effet dévolutif.

Selon l'article 562 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, l'appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent, la dévolution ne s'opérant pour le tout que lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible.

Par ailleurs, l'article 901 4° du code de procédure civile dispose que la déclaration d'appel doit mentionner, à peine de nullité de cette déclaration, les chefs du jugement expressément critiqués.

En outre, seul l'acte d'appel opère la dévolution des chefs critiqués du jugement.

Il en résulte que lorsque la déclaration d'appel tend à la réformation du jugement sans mentionner les chefs de jugement qui sont critiqués, l'effet dévolutif n'opère pas.

En l'espèce, la déclaration d'appel de M. [Y] emporte effet dévolutif puisque si elle contient la formule « appel total », elle précise néanmoins à la suite de celle-ci, les chefs de jugement expressément critiqués à savoir ceux par lesquels M. [Y] a été débouté de l'ensemble de ses demandes.

Dès lors, il sera dit que la déclaration d'appel du 21 juin 2018 emporte dévolution et saisi utilement la cour.

Sur le licenciement

Selon l'article L.1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles ; si un doute subsiste, il profite au salarié.

Ainsi l'administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n'incombe pas spécialement à l'une ou l'autre des parties, l'employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables.

La lettre de licenciement est ainsi rédigée :

« Le 7 décembre 2015 en début d'après-midi, vous réalisez la visite d'entretien d'une chaudière PRESTIGE chez Monsieur [B] demeurant [Adresse 2].

Le 8 décembre 2015, à 10h30, le client nous appelle pour signaler une très forte odeur de gaz.

Vous intervenez immédiatement avec votre responsable de secteur Monsieur [M] et constatez que le client a fermé son compteur Gaz par sécurité.

À l'ouverture du compteur gaz, Monsieur [M] applique en votre présence de la mousse de détection de fuite pour réaliser le contrôle.

Vous constatez immédiatement avec Monsieur [M] une fuite de gaz importante au niveau du raccordement du robinet gaz et de l'écrou du tube gaz côté chaudière.

Monsieur [M] remplace le joint gaz présent entre le robinet de barrage gaz et le tube gaz de la chaudière. Après remplacement, il effectue de nouveau le contrôle d'étanchéité gaz et constate que tout est revenu à la normale. Lors de notre entretien, vous nous informez que lors de la visite d'entretien réalisé par vos soins, vous avez desserré l'écrou du tube gaz de la chaudière au niveau du robinet gaz. Ceci vous a permis de nettoyer le filtre gaz de la chaudière.

Vous affirmez avoir contrôlé l'étanchéité gaz sans rien détecter de particulier, et que vous êtes conscient des conséquences d'une fuite de gaz, votre responsable sensibilisant régulièrement l'équipe à ce sujet.

Nous rappelons que vous êtes le dernier intervenant sur cette chaudière et que l'existence de cette fuite importante montre que vous n'avez pas effectué ou pas réalisé correctement votre contrôle d'étanchéité du circuit gaz de la chaudière.

En effet, Monsieur [M] en votre présence a identifié sans aucune difficulté cette fuite importante.

Or, ce contrôle fait partie de votre check-list de contrôle lors d'une opération d'entretien et doit être réalisé avec soin.

Ce manque de respect des consignes a exposé notre client à une situation très dangereuse, qui aurait pu conduire à l'explosion de son habitation.

Le pire a été évité car le client a eu la présence d'esprit de fermer le compteur gaz de son domicile.

Aussi compte tenu de la gravité des faits que nous vous reprochons, de vos explications recueillies lors de cet entretien, et après une longue réflexion, nous avons le regret de vous notifier par la présente votre licenciement pour faute réelle et sérieuse . »

À l'appui de son appel, M. [Y] invoque, en premier lieu, l'absence de faute de sa part et, en second lieu, la disproportion de la sanction.

Il relève, en effet, que le grief repose exclusivement sur la déduction faite par l'employeur de ce que la fuite est nécessairement due à un manquement de sa part au motif qu'il était le dernier intervenant sur la chaudière, alors que l'employeur n'est pas en mesure d'établir objectivement ce manquement ni de combattre l'hypothèse d'un dysfonctionnement du détecteur qui est sérieuse car elle repose sur la récurrence des cas constatés, l'expérience acquise par lui-même et les propres doutes émis par l'employeur.

Il soutient, également, que le licenciement est disproportionné au regard de son ancienneté et en comparaison des mesures disciplinaires prononcées à l'encontre d'autres salariés ayant commis des fautes identiques ou de même nature.

Pour confirmation du jugement entrepris, la société [L] réplique que M. [Y] se contente uniquement, sans le démontrer, « d'émettre des doutes sur l'efficacité » de la bombe aérosol habituellement utilisée par les techniciens pour vérifier l'étanchéité après une intervention et que cette simple affirmation non démontrée, et contestée, ne pourra être retenue par la cour comme constituant un doute pouvant profiter au salarié.

Elle affirme que la sanction disciplinaire infligée à M. [Y] est proportionnée à la faute commise au regard de deux indicateurs qui sont l'importance de la fuite de gaz constatée chez le client et le temps de signalement de celle-ci.

Elle en déduit que la faute reprochée à M. [Y] est objectivement avérée et que l'échelle des sanctions est respectée.

Cela étant, la seule hypothèse de la défectuosité de la bombe aérosol de détection des fuites émise par M. [Y] à partir de considérations générales reposant sur une probabilité tirée de prétendues expériences passées ne suffit pas à générer un doute devant profiter au salarié sur la matérialité des griefs et leur imputation au salarié résultant de la proximité dans le temps entre l'intervention de M. [Y] sur l'installation du client et la détection de la fuite de gaz.

Toutefois, si le manquement du salarié pouvait légitiment conduire l'employeur à exercer son pouvoir disciplinaire, la sanction apparaît disproportionnée pour une faute unique, s'apparentant à une faute d'inattention, commise par un salarié justifiant d'une ancienneté de dix ans dans l'entreprise sans antécédent disciplinaire et dont l'implication et le sérieux dans son travail n'ont fait l'objet d'aucune appréciation négative.

Les licenciements d'autres salariés évoqués par l'employeur sont sans influence sur ce constat d'autant que la société [L] ne précise aucun élément sur la situation professionnelle individuelle des intéressés (ancienneté dans l'entreprise, antécédents disciplinaires, évaluations de la qualité du travail...)

Dès lors, le licenciement de M. [Y] par la société [L] sera déclaré sans cause réelle et sérieuse, par infirmation du jugement entrepris.

En application de l'article L1235-3 du code du travail dans sa rédaction applicable au présent litige, si un licenciement intervient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse et qu'il n'y a pas réintégration du salarié dans l'entreprise, il est octroyé à celui-ci, à la charge de l'employeur, une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Compte tenu de l'ancienneté (10 ans), de l'âge (43 ans) et de la rémunération (2 444 euros) du salarié à la date de la rupture et compte-tenu également du fait que M. [Y] se contente d'évoquer « un préjudice tant immédiat que professionnel » sans évoquer sa situation professionnelle postérieure à la rupture, il convient de fixer les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse revenant au salarié à la somme de 15 000 euros.

En application de l'article 1235-4 du code du travail, la société [L] sera condamnée à rembourser à l'organisme concerné les indemnités de chômage versées à M. [Y] entre le licenciement et le présent arrêt dans la limite d'un mois d'indemnités.

Sur les frais non compris dans les dépens

Conformément aux dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, la société [L], qui succombe en appel, sera condamnée à verser à M. [Y] la somme de 2 500 euros au titre des frais exposés par l'appelant qui ne sont pas compris dans les dépens.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

DIT que la déclaration d'appel du 21 juin 2018 emporte dévolution et saisi utilement la cour,

INFIRME le jugement entrepris,

Statuant à nouveau,

DIT que le licenciement de M. [Y] par la société [L] est sans cause réelle et sérieuse,

CONDAMNE la société [L] à verser à M. [Y] la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

CONDAMNE la société [L] à rembourser à l'organisme concerné les indemnités de chômage versées à M. [Y] entre le licenciement et le présent arrêt dans la limite d'un mois d'indemnités,

CONDAMNE la société [L] à verser à M. [Y] la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société [L] aux dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 9
Numéro d'arrêt : 18/07952
Date de la décision : 10/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-10;18.07952 ?
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