La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

20/04/2023 | FRANCE | N°21/04863

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 5, 20 avril 2023, 21/04863


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 6 - Chambre 5



ARRET DU 20 AVRIL 2023



(n° 2023/ , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/04863 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDYYG



Décision déférée à la Cour : Jugement du 19 Mai 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de FONTAINEBLEAU - RG n° 20/00063



APPELANT



Monsieur [L] [W]

[Adresse 1]

[Localité 3]

né le 12 Septembre

1976 à [Localité 4]



Représenté par Me Olivier DELL'ASINO, avocat au barreau de FONTAINEBLEAU



INTIMEE



S.A.S. FEHR TECHNOLOGIES IDF agissant poursuites et diligences de ses représen...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5

ARRET DU 20 AVRIL 2023

(n° 2023/ , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/04863 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDYYG

Décision déférée à la Cour : Jugement du 19 Mai 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de FONTAINEBLEAU - RG n° 20/00063

APPELANT

Monsieur [L] [W]

[Adresse 1]

[Localité 3]

né le 12 Septembre 1976 à [Localité 4]

Représenté par Me Olivier DELL'ASINO, avocat au barreau de FONTAINEBLEAU

INTIMEE

S.A.S. FEHR TECHNOLOGIES IDF agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 5]

[Localité 2]

Représentée par Me Edmond FROMANTIN, avocat au barreau de PARIS, toque : J151

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 9 mars 2023 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Catherine BRUNET, Présidente de chambre chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Catherine BRUNET, Présidente de chambre, Présidente de formation,

Madame Marie-Christine HERVIER, Présidente de chambre,

Madame Séverine MOUSSY, Conseillère

Greffier : Madame Philippine QUIL, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Madame Catherine BRUNET, Présidente et par Madame Philippine QUIL, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Monsieur [L] [W] a été engagé par la société Fehr Technologies Ile de France ( ci-après la société) par un contrat de travail à durée indéterminée en qualité d'agent de production ce à compter du 22 septembre 2008.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des industries de carrières et de matériaux.

La société occupait à titre habituel au moins onze salariés lors de la rupture des relations contractuelles.

Par lettre du 22 février 2019, la société a demandé au salarié de veiller à des contrôles qualité plus rigoureux puis par courrier du 9 mai 2019, de s'assurer de l'exhaustivité des contrôles au sein de son équipe.

Par lettre du 23 mai 2019, la société lui a notifié un avertissement au motif que ses ' (...) contrôles ne dépassent pas 50% des murs décoffrés (via les fiches de contrôle) sur les mois d'avril et mai 2019. (...) '.

Par lettre du 27 mai 2019, la société a notifié à M. [W] un rappel relatif à ses absences selon elle injustifiées.

M. [W] a été convoqué par lettre du 27 juin 2019 à un entretien préalable fixé au 9 juillet 2019.

Par lettre du 16 juillet 2019, il a été licencié pour faute grave.

Contestant son licenciement, M. [W] a saisi le conseil de prud'hommes de Fontainebleau qui, par jugement du 19 mai 2021 auquel la cour renvoie pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties l'a débouté de l'ensemble de ses demandes, l'a condamné à verser à la société Fehr Technologies Ile de France la somme de 50 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et a dit que ' chacun fera sien ses dépens '.

M. [W] a régulièrement interjeté appel de ce jugement le 31 mai 2021.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 13 février 2023 auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des moyens et prétentions en application de l'article 455 du code de procédure civile, M. [W] demande à la cour de :

- infirmer le jugement en ce qu'il l'a débouté de l'ensemble de ses demandes et l'a condamné à payer à la société Fehr Technologies Ile de France une somme de 50 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et dit que « chacun fera sien ses dépens » ;

- déclarer son appel recevable ;

- condamner la société Fehr Technologies Ile de France à lui payer les sommes suivantes:

* 4 734,46 euros bruts d'indemnité compensatrice de préavis,

* 473,45 euros bruts d'indemnité compensatrice de congé payé sur l'indemnité compensatrice de préavis,

* 6 558,65 euros nets d'indemnité légale de licenciement,

* 40 000 euros en réparation du dommage subi par le licenciement injustifié à titre principal et par le licenciement sans cause réelle et sérieuse à titre subsidiaire,

* 5 000 euros en réparation du préjudice moral causé par la notification d'une faute grave,

* 4 783,55 euros T.T.C. au titre des frais de défense devant le conseil de prud'hommes et la somme de 2 651,55 euros au titre des frais de défense devant la cour d'appel de Paris, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- ordonner la diffusion de l'arrêt sur tous les sites internet et intranet de la société Fehr Technologies Ile de France pendant une durée de trois mois, l'affichage devant être automatique dès la connexion initiale et resté affiché pendant la durée nécessaire à la lecture du texte ;

- ordonner à la société Fehr Technologies Ile de France de remettre à M. [W] un certificat de travail, une attestation Pôle emploi et un bulletin de salaire conformes à l'arrêt prononcé dans un délai de 8 jours à compter de sa notification et sous astreinte de 100 euros par jour de retard par document manquant ;

- Ordonner la capitalisation de l'intérêt légal sur le fondement de l'article 1343-2 du code civil.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 26 novembre 2021 auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des moyens et prétentions en application de l'article 455 du code de procédure civile, la société Fehr Technologies Ile de France demande à la cour de:

- confirmer le jugement ;

- déclarer les demandes de M. [W] irrecevables et en tout cas mal fondées ;

- le débouter de ses fins et conclusions ;

- le condamner aux entiers frais et dépens ;

- le condamner à lui payer la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 8 mars 2023.

MOTIVATION

Sur le licenciement

La lettre de licenciement qui fixe les limites du litige est ainsi rédigée :

' (...) Nous vous avons indiqué avoir constaté un ensemble de manquements concernant divers domaines :

- Manquements réitérés dans l'exercice de vos fonctions

- Comportement inadapté et insubordination envers l'encadrement

Pour le premier point, nous avons relevé que vous ne réalisez pas vos missions de manière consciencieuse.

En effet, nous vous rappelons que suite à des problèmes qualité sur les murs fabriqués, nous avons mis en place début de l'année 2019, des fiches de contrôle « produit » pour éradiquer la non qualité au sein de notre usine.

Nous constatons que malgré la formation qui vous a été dispensée, votre engagement écrit en date du 4 janvier 2019 et nos différents rappels à l'ordre oraux et écrits (rappel à l'ordre des 22.02.2019 et 09.05.2019, avertissement du 24.05.2019) vous persistez dans vos manquements.

Les fiches contrôle ne sont soient pas renseignées ou au mieux, que partiellement complétées. En effet, nous pouvons prendre pour exemples, des fiches inexploitables car ni l'équipe, la date, le numéro d'affaire AB, l'indice, le numéro de dépôt, les lignes 5 et 6 ne sont mentionnés ou encore les fiches de contrôles en date des 18 juin et 20 juin 2019 sur lesquelles il manque plusieurs informations (les lignes 5 et 6, la ligne conforme).

Le non-respect par vos soins des règles de contrôle qualité interne n'est pas acceptable au vu des risques graves pris par la société au niveau de la sécurité lors de l'assemblage des murs sur les chantiers de nos clients.

En date du 20 juin 2019, vous n'avez pas respecté les annotations mentionnées sur les fiches de dépôts des affaires suivantes : affaire AB-55030-T77E et l'affaire AB-57610-T77E.

En effet, vous avez interverti 2 murs et qui plus est, vous n'avez pas réalisé le contrôle du produit livré. Vous avez positionné le mur 7 de l'affaire AB-55030-T77E sur le dépôt 13, et non sur le dépôt 10 comme mentionné sur la fiche de dépôt et vous stocké un autre mur sur le dépôt 10.

Le dépôt de l'affaire AB-55030-T77E a été livré chez le client. Ce dernier a constaté qu'un des murs livrés ne correspondait pas à la fiche de dépôt et nous en a informé. Le service qualité a dû mandater un transporteur pour livrer le mur correspondant et récupérer le mauvais mur. Il va de soi que si vous aviez effectué les contrôles finaux requis, cette erreur n'aurait en aucun cas pu se produire.

Semaine 24, Monsieur [G] [N], assistant en technique de production, vous a demandé de lui ramener le mur 14 de l'affaire AB-56651-T77E pour qu'il puisse le démolir en partie pour expertise technique. Or, vous lui avez ramené le mur 12 au lieu du 14. Monsieur [G] [N] a cassé le mauvais mur. Cette erreur a nécessité une nouvelle production du mur 12 et un retard de livraison chez notre client avec un impact financier.

L'ensemble des éléments cités ci-dessus illustre un laxisme avéré, un manque de rigueur et une absence de respect des règles professionnelles dans l'exercice de votre mission. La persistance de cette attitude est inacceptable et impacte l'image de marque, le résultat financier de la société et la sécurité sur les chantiers de nos clients.

Par votre attitude réfractaire, vous portez préjudice à la société Fehr Technologies Ile de France et vous faites prendre des risques que nous ne pouvons plus tolérer.

Nous regrettons d'autant plus votre comportement sachant que vous avez participé au chantier d'amélioration de votre secteur, au cours duquel des méthodes de travail avaient été décidées collégialement, entre autres pour garantir un niveau élevé de qualité de nos produits.

2. En ce qui concerne votre comportement inadapté envers l'encadrement. Nous avons relevé que vous vous permettez de vous adresser de manière méprisante et irrespectueuse à l'égard de l'encadrement.

Monsieur [M] [H], directeur d'exploitation vous a déjà rappelé à l'ordre à plusieurs reprises oralement et par écrit sur la nécessité de procéder aux contrôles qualité. Or, vous persistez dans vos manquements et continuez à faire ce qui bon vous semble sans tenir compte de ses instructions et consignes de travail.

Qui plus est, vous adoptez une attitude insolente à son égard et à l'égard de votre responsable hiérarchique (NB : « à son égard », vise Monsieur [M] [H], Directeur d'Exploitation).

Pour illustrer nos propos, nous pouvons prendre les exemples suivants :

- Le lundi 13 mai 2019, Monsieur [M] [H] vous a rappelé vos missions et la nécessité de réaliser les contrôles sur lesquels vous vous étiez engagés, vous vous êtes alors permis de lui répondre « que cela ne rentrait pas dans vos missions», puis vous avez poursuivi avec « je me casse », tout en jetant votre casque au loin

- Il en est de même le jour où Monsieur [M] [H] vous a demandé de ramasser la boisson chocolatée que vous aviez renversée. Outre le fait d'avoir dû renouveler à plusieurs reprises la demande, votre comportement a une nouvelle fois été inapproprié : élèvement de la voix, grands gestes, éclatement de portes

- Le mercredi 26 juin 2019, au début de votre poste d'après-midi, vous vous êtes adressé, devant témoin, à Monsieur [I] [J], votre responsable hiérarchique, de la manière suivante « Eh tête de con, t'as fait quoi pour le ventilateur ' »

Vous comprendrez bien que ce type d'attitude est incompatible avec ce que nous sommes en droit d'attendre d'un salarié respectueux de sa société et de sa hiérarchie, et nous ne pouvons en aucun cas le cautionner.

Lors de l'entretien, vous avez reconnu les faits et nous déplorons qu'à aucun moment, vous ne vous êtes engagé à ne plus les reproduire.

Il va de soi que les points ci-dessus n'augurent pas nécessairement de l'attitude que nous sommes en droit d'attendre d'un salarié consciencieux, diligent et respectueux.

En effet, les griefs susvisés, pris ensemble ou séparément, constituent des manquements professionnels graves.

Nous sommes par conséquent au regret de vous notifier par la présente, votre licenciement pour faute grave, qui prendra effet à compter de la date d'envoi de cette lettre, soit le 16 juillet 2019.(...) '.

M. [W] soutient que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse. Il fait valoir que la fiche de poste établie en 2016 ne comporte pas la fonction de contrôle visuel des murs et l'obligation de signaler les malfaçons au chef d'équipe, qu'il n'avait pas de pouvoir hiérarchique sur l'équipe de décoffrage, que le problème de la remontée des fiches de contrôle est général au sein du service de la production et qu'il incombe à l'employeur de démontrer qu'il était possible de réaliser ces contrôles malgré les exigences de production, qu'il a effectué le contrôle figurant en annexe 1et que rien ne permet de lui imputer les faits afférents à l'annexe 2. Il conteste les faits afférents à son comportement.

La société soutient que le licenciement du salarié est fondé sur une faute grave. Elle fait valoir que si la preuve de la faute grave incombe à l'employeur, la preuve de la cause réelle et sérieuse est partagée.

Il résulte des articles L. 1234-1 et L. 1234-9 du code du travail que la faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et nécessite son départ immédiat sans indemnité. L'employeur qui invoque une faute grave doit en rapporter la preuve.

Sur l'absence de réalisation consciencieuse des missions

A l'appui de ce grief, la société produit des pièces annexées à la lettre de licenciement : en annexe 1, deux fiches 'contrôle qualité expédition', en annexe 2 une 'liste de composition des dépôts' (également pièce 14).

M. [W] soutient en premier lieu que l'activité de contrôle ne figurait plus sur sa fiche de poste de 2016. Cependant, il a signé le 4 janvier 2019 un engagement à effectuer les contrôles détaillés figurant sur la fiche qualité décoffrage pour chaque mur décoffré. Ce contrôle entrait donc dans ses attributions. La cour relève sur les deux fiches 'contrôle qualité expédition' des 18 et 20 juin 2019 produites aux débats que M. [W] reconnaît avoir renseignées, que l'équipe, la date, le numéro d'affaire AB, l'indice et le numéro de dépôt sont renseignés contrairement à ce qu'indique la société dans la lettre de licenciement. Cependant comme elle le relève, les lignes 5 et 6 n'ont pas été renseignées. M. [W] conteste être l'auteur de la fiche 'liste de composition des dépôts' et la société n'établit pas que cette fiche a été renseignée par ses soins. Aucun élément n'est produit quant à une interversion de deux murs, le mécontentement d'un client (affaire AB-55030-T77E) et une erreur concernant le mur 14.

Sur le comportement inadapté envers l'encadrement

A l'appui de ce grief, la société produit une attestation de M. [M] [H], directeur d'exploitation, supérieur hiérarchique du salarié, et un écrit de M. [J] daté du 26 juin 2019.

M. [W] fait valoir que l'attestation de M. [H] est une simple allégation d'une personne qui représente l'employeur et est dénué de toute portée probante.

La société soutient que le salarié n'a pas respecté de manière réitérée les règles fixées en matière de contrôle qualité ce qui caractérise selon elle un manquement à l'autorité hiérarchique puis qu'il a commis les faits qui lui sont reprochés à l'encontre de M. [H] et de M. [J].

La cour constate que M. [H] et M. [J] sont tous les deux salariés de la société placés sous un lien de subordination, que l'écrit de M. [J] ne mentionne pas qu'il a connaissance de sa production en justice et que leurs dires ne sont pas corroborés par des éléments objectifs. Elle retient en conséquence que ces écrits sont dénués de valeur probante suffisante et que le grief de 'comportement inadapté' envers l'encadrement n'est pas fondé.

Il résulte de cette analyse que M. [W] n'a pas renseigné deux lignes sur deux fiches 'contrôles qualité expédition'. Cependant, la cour constate en premier lieu que M. [W] a effectué un contrôle, en second lieu qu'il a mentionné que les pièces soumises à son contrôle n'étaient pas conformes ce qui constituait une alerte pour la société quant à la qualité des produits et en dernier lieu, que la société ne justifie pas de conséquences éventuelles de cette absence d'indication sur les lignes 5 et 6 auprès du client. Elle retient en conséquence qu'un manquement à l'autorité hiérarchique n'est pas caractérisé et que si l'absence de renseignement complet des deux fiches est réel, il ne constitue pas une cause sérieuse de licenciement.

Dès lors, le licenciement de M. [W] est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

La décision des premiers juges sera infirmée à ce titre.

Sur les conséquences de la rupture

En l'absence de faute grave, conformément aux dispositions des articles L. 1234-5 et L. 1234-1 du code du travail, il est dû à M. [W] une indemnité compensatrice de préavis de 4 734,46 euros outre la somme de 473,45 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés afférents.

Par application des dispositions combinées des articles L. 1234-9 et R 1234-2 du code du travail, il lui est dû la somme de 6 558,65 euros à titre d'indemnité de licenciement.

S'agissant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, M. [W] sollicite que le barème issu des dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige, soit écarté en ce qu'il ne permet pas une réparation intégrale du licenciement, en invoquant les dispositions de l'article 10 de la convention OIT n° 158 et l'article 24 de la Charte sociale européenne. Il fait valoir qu'il ne peut pas lui être opposé l'absence d'effet direct de la Charte sociale européenne dans la mesure où il n'invoque pas son application directe mais l'interprétation de la notion d'indemnité adéquate utilisée communément par son article 24 et par l'article 10 de la convention OIT n° 158.

La société soutient que ce barème est licite. Elle ajoute que M. [W] ne justifie pas de son préjudice.

Aux termes de l'article L. 1235-3 du code du travail, si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis. Si l'une ou l'autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés par le même article.

Selon l'article L. 1235-3-1 du même code, l'article 1235-3 n'est pas applicable lorsque le juge constate que le licenciement est entaché d'une des nullités prévues à son deuxième alinéa. Dans ce cas, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l'exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l'employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Enfin, selon l'article L. 1235-4 du code du travail, dans le cas prévu à l'article L. 1235-3, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé. Ce remboursement est ordonné d'office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l'instance ou n'ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.

M. [W] soutient qu'il n'invoque pas l'application directe de la Charte sociale européenne mais seulement l'interprétation de l'indemnisation adéquate définie par son article 24. Cependant le caractère déterminant en droit interne de cette interprétation dépend de l'effet direct ou non de la Charte.

Aux termes de l'article 24 de la Charte sociale européenne, en vue d'assurer l'exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les parties s'engagent à reconnaître:

a) le droit des travailleurs à ne pas être licenciés sans motif valable lié à leur aptitude ou conduite, ou fondé sur les nécessités de fonctionnement de l'entreprise, de l'établissement ou du service ;

b) le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée.

A cette fin les Parties s'engagent à assurer qu'un travailleur qui estime avoir fait l'objet d'une mesure de licenciement sans motif valable ait un droit de recours contre cette mesure devant un organe impartial.

L'annexe de la Charte sociale européenne précise qu'il est entendu que l'indemnité ou toute autre réparation appropriée en cas de licenciement sans motif valable doit être déterminée par la législation ou la réglementation nationales, par des conventions collectives ou de toute autre manière appropriée aux conditions nationales.

La Charte réclame des Etats qu'ils traduisent dans leurs textes nationaux les objectifs qu'elle leur fixe. En outre, le contrôle du respect de cette charte est confié au seul Comité européen des droits sociaux dont la saisine n'a pas de caractère juridictionnel et dont les décisions n'ont pas de caractère contraignant en droit français.

Sous réserve des cas où est en cause un traité international pour lequel la Cour de justice de l'Union européenne dispose d'une compétence exclusive pour déterminer s'il est d'effet direct, les stipulations d'un traité international, régulièrement introduit dans l'ordre juridique interne conformément à l'article 55 de la Constitution, sont d'effet direct dès lors qu'elles créent des droits dont les particuliers peuvent se prévaloir et que, eu égard à l'intention exprimée des parties et à l'économie générale du traité invoqué, ainsi qu'à son contenu et à ses termes, elles n'ont pas pour objet exclusif de régir les relations entre Etats et ne requièrent l'intervention d'aucun acte complémentaire pour produire des effets à l'égard des particuliers.

Il résulte dès lors de ce qui précède que l'article 24 de la Charte sociale européenne n'a pas d'effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers de sorte que sa définition de l'indemnité adéquate ne peut pas être valablement invoquée par M. [W].

Aux termes de l'article 10 de la Convention n° 158 de l'Organisation internationale du travail (OIT), si les organismes mentionnés à l'article 8 de la présente convention arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié, et si, compte tenu de la législation et de la pratique nationales, ils n'ont pas le pouvoir ou n'estiment pas possible dans les circonstances d'annuler le licenciement et/ou d'ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d'une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée.

Ces stipulations sont d'effet direct en droit interne dès lors qu'elles créent des droits entre particuliers, qu'elles n'ont pas pour objet exclusif de régir les relations entre Etats et ne requièrent l'intervention d'aucun acte complémentaire.

Le terme 'adéquat' signifie que l'indemnité pour licenciement injustifié doit, d'une part être suffisamment dissuasive pour éviter le licenciement injustifié, et d'autre part raisonnablement permettre l'indemnisation de la perte injustifiée de l'emploi.

Il résulte des dispositions du code du travail précitées, que le salarié dont le licenciement est injustifié bénéficie d'une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux variant en fonction du montant du salaire mensuel et de l'ancienneté du salarié et que le barème n'est pas applicable lorsque le licenciement du salarié est nul ce qui permet raisonnablement l'indemnisation de la perte injustifiée de l'emploi. En outre, le juge applique d'office les dispositions de l'article L. 1235-4 du code du travail. Ainsi, le caractère dissuasif des sommes mises à la charge de l'employeur est également assuré et les trois articles du code du travail précités sont de nature à permettre le versement d'une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l'article 10 de la Convention n° 158 de l'OIT.

En conséquence, il n'y a pas lieu d'écarter les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail qui sont compatibles avec les stipulations de l'article 10 de la Convention de l'OIT et il appartient à la cour d'apprécier la situation concrète du salarié pour déterminer le montant de l'indemnité due entre les montants minimaux et maximaux déterminés par cet article.

Aux termes de l'article L.1235-3 du code du travail, si un licenciement survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis. Si l'une ou l'autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés dans le tableau ci-dessous soit en l'espèce pour une ancienneté de 10 ans dans une entreprise employant habituellement moins de onze salariés, un montant compris entre 3 et 10 mois de salaire.

Compte tenu notamment de l'effectif de l'entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à M. [W], de son âge, 42 ans, de son ancienneté, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, étant précisé qu'il justifie avoir perçu des prestations de Pôle emploi jusqu'au mois de janvier 2020, il y a lieu de lui allouer une somme de 20000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La société sera condamnée au paiement de ces sommes et la décision des premiers juges sera infirmée sur ces chefs de demande.

Sur les dommages et intérêts pour préjudice moral causé par la notification d'une faute grave

La société souligne que les deux demandes indemnitaires de M. [W] reposent sur le même préjudice.

M. [W] ne justifie pas suffisamment de l'existence d'un préjudice distinct de celui déjà retenu et indemnisé par l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, étant observé au surplus qu'elle tient compte des circonstances de la rupture.

Il sera débouté de cette demande et la décision des premiers juges sera confirmée à ce titre.

Sur la diffusion de la décision

Aucune circonstance de l'espèce ne conduit à ordonner la diffusion de la présente décision sur les sites internet et intranet de la société.

Sur le remboursement des indemnités de chômage à Pôle emploi

Conformément aux dispositions de l'article. L.1235-4 du code du travail, il y a lieu d'ordonner à la société Fehr Technologies Ile de France de rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage versées à M. [W] du jour du licenciement au jour du présent arrêt, dans la limite de 3 mois d'indemnités.

Sur le cours des intérêts

En application des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, les créances salariales produisent intérêt au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation et les créances indemnitaires produisent intérêt au taux légal à compter de la décision qui les prononce, la capitalisation des intérêts étant ordonnée conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du même code.

Sur la remise des documents

Il sera ordonné à la société Fehr Technologies Ile de France de remettre à M. [W] une attestation Pôle emploi, un certificat de travail et un bulletin de salaire conformes à la présente décision sans qu'il y ait lieu à prononcer une astreinte.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Partie perdante, la société Fehr Technologies Ile de France sera condamnée au paiement des dépens et le jugement sera infirmé à ce titre.

La société Fehr Technologies Ile de France sera condamnée à payer à M. [W] la somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure de première instance, la décision des premiers juges étant infirmée à ce titre. Elle sera condamnée à lui payer la somme de 2 000 euros au même titre pour la procédure d'appel. La société sera déboutée de sa demande à ce titre et la décision des premiers juges sera confirmée sur ce chef de demande pour ce qui concerne la société.

PAR CES MOTIFS

LA COUR statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

INFIRME le jugement sauf en ce qu'il a débouté M. [L] [W] de sa demande au titre d'un préjudice moral causé par la notification d'une faute grave et en ce qu'il a débouté la société Fehr Technologies Ile de France de sa demande au titre des frais irrépétibles,

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

DIT le licenciement de M. [L] [W] dépourvu de cause réelle et sérieuse,

CONDAMNE la société Fehr Technologies Ile de France à payer à M. [L] [W] les sommes suivantes :

- 4 734,46 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;

- 473,45 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés afférents ;

- 6 558,65 euros à titre d'indemnité de licenciement,

avec intérêts au taux légal à compter de la réception par la société Fehr Technologies Ile de France de la convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation du conseil de prud'hommes et capitalisation de ceux-ci dès lors qu'ils seront dus pour une année entière;

CONDAMNE la société Fehr Technologies Ile de France à verser à M. [L] [W] les sommes suivantes :

- 20 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- 4 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure de première instance ;

- 2 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel,

avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision et capitalisation de ceux-ci dès lors qu'ils seront dus pour une année entière ;

DIT n'y avoir lieu à ordonner la diffusion de la présente décision sur les sites internet et intranet de la société Fehr Technologies Ile de France,

ORDONNE à la société Fehr Technologies Ile de France de rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage versées à M. [L] [W] du jour du licenciement au jour du présent arrêt, dans la limite de 3 mois d'indemnités,

ORDONNE à la société Fehr Technologies Ile de France de remettre à M. [L] [W] une attestation Pôle emploi, un certificat de travail et un bulletin de salaire conformes à la présente décision,

DIT n'y avoir lieu à astreinte,

DÉBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

CONDAMNE la société Fehr Technologies Ile de France aux dépens de première instance et d'appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 21/04863
Date de la décision : 20/04/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-04-20;21.04863 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award