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19/04/2023 | FRANCE | N°21/03419

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 6, 19 avril 2023, 21/03419


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 6 - Chambre 6



ARRET DU 19 AVRIL 2023



(n° 2023/ , 11 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/03419 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDQTS



Décision déférée à la Cour : Jugement du 25 Février 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MEAUX - RG n° 20/00125





APPELANT



Monsieur [K] [Y]

Chez M. [N] [Y] - [Adresse 1]

[Localité 2]
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Représenté par Me Valérie LANES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2185





INTIMÉE



S.A.R.L. LE KAMPOTOIS

[Adresse 3]

[Localité 2]



Représentée par Me Charles-Edouard FORGAR, avo...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 6

ARRET DU 19 AVRIL 2023

(n° 2023/ , 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/03419 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDQTS

Décision déférée à la Cour : Jugement du 25 Février 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MEAUX - RG n° 20/00125

APPELANT

Monsieur [K] [Y]

Chez M. [N] [Y] - [Adresse 1]

[Localité 2]

Représenté par Me Valérie LANES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2185

INTIMÉE

S.A.R.L. LE KAMPOTOIS

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représentée par Me Charles-Edouard FORGAR, avocat au barreau de PARIS, toque : P0112

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 07 mars 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur Christophe BACONNIER, Président de chambre

Madame Nadège BOSSARD, Conseillère

Monsieur Stéphane THERME, Conseiller

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Monsieur Stéphane THERME, Conseiller, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier : Madame Julie CORFMAT, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Monsieur Christophe BACONNIER, Président de chambre et par Madame Julie CORFMAT, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE :

M. [Y] a été engagé par la société Le Kampotois du 12 septembre 2016 au 12 février 2017, en qualité de plongeur, dans le cadre d'un contrat de travail à durée déterminée à temps partiel de 104h mensuel pour 'accroissement temporaire d'activité' avec une répartition contractuelle des horaires de 11h à l5h du mardi au dimanche.

L'entreprise exploite un restaurant de cuisine chinoise ; la convention collective applicable est celle des hôtels, bars et restaurants.

Le contrat de travail s'est poursuivi au delà du terme prévu.

Par lettre recommandée du 25 novembre 2019, M. [Y] a pris acte de la rupture de son contrat de travail.

M. [Y] a saisi le conseil de prud'hommes de Meaux le 24 février 2020 aux fins de demander la requalification de son contrat de travail à temps plein, des rappels de salaire et la requalification de sa prise d'acte en licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Par jugement du 25 février 2021, le conseil de prud'hommes a :

Dit que la demande de M. [Y] au titre du rappel de salaire à temps complet est prescrite,

Condamné la société Le Kampotois à verser à M. [Y] la somme de 801,60 euros au titre du rappel de salaire de congés payés,

Dit que cette somme sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 17 juin 2020, date de la convocation devant le bureau de jugement,

Dit qu'il y aura lieu, pour le défendeur, d'établir un certificat de travail et un bulletin de salaire valant solde de tout compte, conformes au jugement et ce, sans qu'une astreinte ne soit nécessaire,

Débouté M. [Y] de toutes ses autres demandes à l'encontre de la société Le Kampotois,

Débouté la société Le Kampotois de sa demande reconventionnelle fondée sur l'article 700 du code de procédure civile,

Laissé les frais irrépétibles à chacune des parties ainsi que les dépens éventuels.

M. [Y] a formé appel par acte du 06 avril 2021.

Par conclusions déposées au greffe et notifiées le 1er septembre 2021, auxquelles la cour fait expressément référence, M. [Y] demande à la cour de :

Réformer le jugement entrepris en ce qu'il a dit que la demande de M. [Y] au titre du rappel de salaire à temps complet est prescrite, en ce qu'il a débouté M. [Y] de ses demandes tendant à requalifier le contrat de travail prétendument à temps partiel en contrat de travail à temps complet, à requalifier la prise d'acte du contrat de travail de M. [Y] en licenciement sans cause réelle et sérieuse et ce en ce qu'il l'a débouté de ses demandes de rappel de salaire sur la base d'un temps complet du 13 février 2017 au 31 mars 2019, de congés payés incidents, de rappel de salaire du 1er avril 2019 au 25 novembre 2019, de congés payés incidents, d'indemnité compensatrice de préavis, de congés payés incidents, d'indemnité légale de licenciement, d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d'indemnité pour travail dissimulé par dissimilation d'emploi salarié sur le fondement de l'article L.8223-1 du code du travail, de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de l'absence de remise des documents de rupture et de paiement du solde de tout compte, de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de l'absence de visite d'information et de prévention, d'article 700 du code de procédure civile, de remise des bulletins de salaire d'avril 2019 à janvier 2020 inclus, d'un certificat de travail, d'une attestation destinée à Pole Emploi et d'un bulletin de salaire récapitulatif conformes, sous astreinte de 50 euros par jour de retard et par document, de sa demande de justification par la société du paiement des cotisations sociales auprès des organismes sociaux depuis le mois d'avril 2019 et de sa demande tendant à voir ordonner à la société le Kampotois de régulariser les cotisations sociales auprès des organismes sociaux, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, de liquidation des astreintes, de dépens, d'intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud'hommes, de capitalisation des intérêts et de dépens.

Réformer également le jugement entrepris du jugement en ce qu'il a débouté M. [Y] de sa demande tendant à voir écarter le montant maximal d'indemnisation prévu à l'article L. 1235-3 du code du travail en raison de son inconventionnalité et de dommages et intérêts en réparation du préjudice financier, de retraite et moral subi par la perte de son emploi.

Infirmer partiellement le jugement en ce qu'il a limité le montant de l'indemnité compensatrice de congés payés arrêtée au 31 mars 2019 à la somme de 801,60 euros au lieu de la somme de 3 209,46 euros.

Et statuant à nouveau,

Requalifier le contrat de travail de M. [Y] prétendument à temps partiel en contrat de travail à temps complet.

Requalifier la prise d'acte du contrat de travail de M. [Y] en licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Dire et juger que doit être écarté le montant maximal d'indemnisation prévu à l'article L. 1235-3 du code du travail en raison de son inconventionnalité, ce plafonnement violant les dispositions de l'article 24 de la Charte sociale européenne, les articles 4 et 10 de la convention 158 de l'OIT et le droit au procès équitable.

Condamner la société le Kampotois à payer à M. [Y] les sommes suivantes :

8 974,27 euros à titre de rappel de salaire sur la base d'un temps complet du 24 février 2017 au 31 mars 2019

897,42 euros au titre des congés payés incidents

11 916,22 euros à titre de rappel de salaire du 1er avril 2019 au 25 novembre 2019

subsidiairement, la somme de 8 908,38 euros

1 191,62 euros au titre des congés payés incidents

subsidiairement, la somme de 890,83 euros

3 209,46 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés arrêtée au 31 mars 2019

subsidiairement, la somme de 2 399,34 euros

3 042,44 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis

subsidiairement, la somme de 2 274,48 euros

304,24 euros au titre des congés payés incidents

subsidiairement, la somme de 227,44 euros

1 281,21 euros à titre d'indemnité légale de licenciement

subsidiairement, la somme de 957,82 euros

12 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

subsidiairement, si la cour ne devait pas écarter le montant maximal d'indemnisation prévu à l'article L. 1235-3 du code du travail comme étant contraire aux dispositions de l'article 24 de la Charte sociale européenne, des articles 4 et 10 de la convention 158 de l'OIT et du droit au procès équitable, condamner alors la société le Kampotois à payer à M. [Y] les sommes suivantes :

6 084,88 euros au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse due en application de l'article L.1235-3 du code du travail et subsidiairement à la somme de 4 548,96 euros,

6 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice financier et moral subi par la perte de son emploi et par les circonstances entourant la rupture du contrat de travail.

9 127,32 euros à titre d'indemnité pour travail dissimulé par dissimilation d'emploi salarié sur le fondement de l'article L.8223-1 du code du travail

subsidiairement, la somme de 6 823,44 euros

2 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de l'absence de remise des documents de rupture et de paiement du solde de tout compte

1 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de l'absence de visite d'information et de prévention

4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Ordonner la remise des bulletins de salaire d'avril 2019 à janvier 2020 inclus, d'un certificat de travail, d'une attestation Pôle Emploi conformes, et d'un bulletin de salaire récapitulatif conforme à l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard et par document à

compter à compter de la signification de l'arrêt à intervenir.

Et, à défaut de justification, par la société le Kampotois, du paiement des cotisations sociales auprès des organismes sociaux depuis le mois d'avril 2019, ordonner à la société le Kampotois de régulariser les cotisations sociales auprès des organismes sociaux, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir.

Dire que la cour se réservera le droit de liquider les astreintes.

Condamner la société le Kampotois aux entiers dépens, lesquels comprendront, outre le droit de plaidoirie, l'intégralité des frais de signification et d'exécution que pourrait avoir à engager la société le Kampotois,

Dire que les intérêts courront à compter de la saisine du conseil de prud'hommes.

Ordonner la capitalisation des intérêts sur le fondement de l'article 1343-2 du code civil.

Débouter la société le Kampotois de sa demande reconventionnelle.

Par conclusions déposées au greffe et notifiées le 29 septembre 2021, auxquelles la cour fait expressément référence, la société le Kampotois demande à la cour de :

Sur l'action en requalification du contrat de travail à temps partiel à temps plein :

Confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Meaux en ce qu'il a :

- Dit que la demande de M. [Y] au titre du rappel de salaire à temps complet est prescrite ;

Subsidiairement, et statuant de nouveau :

- Rejeter la demande de M. [Y] en requalification du contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps plein et les demandes de paiement subséquentes ;

Sur la prise d'acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur et les demandes subséquentes :

Confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Meaux en ce qu'il a :

- Rejeté [implicitement] la demande de requalification de la prise d'acte du contrat de travail de M. [Y] en licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- Condamné la société le Kampotois à verser à M. [Y] la somme de 801,60 euros au titre du rappel de salaire de congés payés ;

- Dit que cette somme sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 17 juin 2020, date de la convocation devant le bureau de jugement ;

- Dit qu'il y aura lieu, au défendeur, d'établir un certificat de travail et un bulletin de salaire valant solde de tout compte, conformes au présent jugement et ce, sans qu'une astreinte ne soit nécessaire ;

- Dit que les rémunérations et indemnités mentionnées à l'article R.1454-14 du code du travail, sont de droit exécutoires en application de l'article R.1454-28 du code du travail ;

- Débouté M. [Y] de toutes ses autres demandes à l'encontre de la société le Kampotois ;

Subsidiairement, et statuant de nouveau :

- Limiter les demandes indemnitaires de M. [Y] au paiement d'une indemnité forfaitaire de licenciement de 3 048,24 euros bruts ;

En tout état de cause,

Condamner M. [Y] au paiement d'une somme 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et à l'intégralité des dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 7 février 2023.

MOTIFS

Sur le rappel de salaire

M. [Y] expose qu'il a travaillé à temps plein après la poursuite de son contrat de travail à durée indéterminée en contrat à durée déterminée et demande en conséquence la requalification de son contrat de travail en temps plein et forme une demande de rappel de salaire à ce titre.

La société Le Kampotois fait valoir en premier lieu que la demande est prescrite.

La demande de M. [Y] ayant la nature d'une demande de rappel de salaires, les règles de l'article L. 3245-1 du code du travail sont applicables. Il dispose que : 'L'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat.'

La demande est fondée sur la poursuite des relations contractuelles après la fin du contrat de travail à durée déterminée, dont le terme était au 12 février 2017. La fiche de paie correspondante au dernier mois n'a été éditée qu'à la fin de celui-ci, la date pour le chèque établi en paiement du salaire correspondant étant le 28 février 2017, le délai de prescription n'a pu commencer à courir qu'à la fin du mois de février 2017 et ainsi l'action dont le délai était de trois mois n'était pas atteinte par la prescription au moment du dépôt de la requête le 24 février 2020.

La demande peut porter sur l'intégralité des sommes demandées par l'appelant.

Le jugement qui a dit la demande irrecevable sera infirmé de ce chef.

Il n'est pas discuté que le contrat s'étant poursuivi après le terme prévu, en l'absence de contrat de travail écrit il est présumé à temps plein et qu'il incombe à l'employeur de rapporter la preuve de la durée exacte hebdomadaire ou mensuelle convenue et que le salarié n'était pas placé dans l'impossibilité de prévoir à quel rythme il devait travailler et qu'il n'avait pas à se tenir constamment à la disposition de l'employeur.

La société Le Kampotois explique que le rythme s'est poursuivi selon le contrat de travail initial, du mardi au dimanche de 11h à 15h. Elle ne produit aucun élément concernant le temps de travail effectivement accompli par son salarié, sur l'organisation du rythme de travail, ni que ses horaires auraient été portés à la connaissance de celui-ci, alors que de son côté M. [Y] produit l'attestation d'un autre salarié de l'entreprise qui témoigne qu'il a travaillé à temps complet et effectuait régulièrement des heures supplémentaires. L'employeur conteste cette attestation, sans produire aucun élément contraire.

Il n'est pas établi que M. [Y] connaissait son emploi du temps et qu'il n'avait pas à se tenir constamment à la disposition de son employeur et il doit ainsi être considéré qu'il était engagé à temps plein.

M. [Y] est fondé en sa demande de rappel de salaires sur ce motif. Il produit un décompte et ses bulletins de paie justifiant des sommes demandées au titre de la différence entre les montants qu'il a perçus et ceux résultant d'un emploi à temps plein.

La société Le Kampotois sera condamnée à payer à M. [Y] la somme de 8 974,27 euros au titre des rappels de salaire jusqu'au mois de mars 2019 ainsi que la somme de 897,42 euros au titre des congés payés afférents.

Le jugement sera infirmé de ce chef.

Sur la rupture du contrat de travail

Il est constant que M. [Y] était en situation irrégulière et ne disposait pas d'un titre lui permettant de travailler. La société Le Kampotois explique avoir d'abord suspendu le contrat de travail pour ce motif, puis y avoir mis fin.

Les dispositions de l'article L. 8251-1 du code du travail sont d'ordre public et les règles du licenciement ne sont pas applicables à la rupture du contrat de travail au motif de l'irrégularité du séjour du salarié.

Si l'employeur était fondé à suspendre le contrat puis à y mettre fin et qu'aucun formalisme n'est imposé par le code du travail, il incombe cependant à l'employeur d'en rapporter la preuve. En outre, à la rupture du contrat de travail le salarié bénéficie des dispositions prévues par l'article L. 8252-2 du code du travail, à moins que l'employeur ait mis en oeuvre une procédure disciplinaire.

La société Le Kampotois ne produit aucun élément démontrant la suspension ou la rupture du contrat de travail de M. [Y] avant le courrier de prise d'acte du 25 novembre 2019, date à laquelle le salarié a mis fin à son contrat de travail.

Dans son courrier de prise d'acte M. [Y] expose avoir travaillé à temps plein, que son employeur a toujours refusé de régulariser cette situation et ne lui a plus donné de travail, lui ayant interdit l'accès à l'entreprise, s'est abstenu d'établir des fiches de paie, n'a pas organisé de visite médicale et a procédé à une dissimulation d'emploi salarié.

La société Le Kampotois n'a pas répondu à ce courrier. Il est constant qu'après le mois d'avril 2019 M. [Y] s'est présenté dans les locaux de l'entreprise mais que l'employeur n'a pas voulu qu'il y travaille.

L'appelant produit l'attestation d'un autre salarié qui indique qu'il travaillait à temps complet et effectuait régulièrement des heures supplémentaires, que le patron profitait de sa situation précaire pour l'obliger à accomplir des heures supplémentaires sans en être payé.

La réalité des griefs est ainsi établie. La prise d'acte produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur les conséquences financières

L'article L. 8252-1 du code du travail dispose que : 'Le salarié étranger employé en méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l'article L. 8251-1 est assimilé, à compter de la date de son embauche, à un salarié régulièrement engagé au regard des obligations de l'employeur définies par le présent code :

1° Pour l'application des dispositions relatives aux périodes d'interdiction d'emploi prénatal et postnatal et à l'allaitement, prévues aux articles L. 1225-29 à L. 1225-33 ;

2° Pour l'application des dispositions relatives à la durée du travail, au repos et aux congés prévues au livre Ier de la troisième partie ;

3° Pour l'application des dispositions relatives à la santé et la sécurité au travail prévues à la quatrième partie ;

4° Pour la prise en compte de l'ancienneté dans l'entreprise.

Il en va de même pour les articles L. 713-1 et suivants du code rural et de la pêche maritime pour les professions agricoles.'

L'article L. 8252-2 dispose quant à lui que : 'Le salarié étranger a droit au titre de la période d'emploi illicite :

1° Au paiement du salaire et des accessoires de celui-ci, conformément aux dispositions légales, conventionnelles et aux stipulations contractuelles applicables à son emploi, déduction faite des sommes antérieurement perçues au titre de la période considérée. A défaut de preuve contraire, les sommes dues au salarié correspondent à une relation de travail présumée d'une durée de trois mois. Le salarié peut apporter par tous moyens la preuve du travail effectué ;

2° En cas de rupture de la relation de travail, à une indemnité forfaitaire égale à trois mois de salaire, à moins que l'application des règles figurant aux articles L. 1234-5, L. 1234-9, L. 1243-4 et L. 1243-8 ou des stipulations contractuelles correspondantes ne conduise à une solution plus favorable.

3° Le cas échéant, à la prise en charge par l'employeur de tous les frais d'envoi des rémunérations impayées vers le pays dans lequel il est parti volontairement ou a été reconduit.

Lorsque l'étranger non autorisé à travailler a été employé dans le cadre d'un travail dissimulé, il bénéficie soit des dispositions de l'article L. 8223-1, soit des dispositions du présent chapitre si celles-ci lui sont plus favorables.

Le conseil de prud'hommes saisi peut ordonner par provision le versement de l'indemnité forfaitaire prévue au 2°.

Ces dispositions ne font pas obstacle au droit du salarié de demander en justice une indemnisation supplémentaire s'il est en mesure d'établir l'existence d'un préjudice non réparé au titre de ces dispositions.'

M. [Y] est resté à la disposition de son employeur et est ainsi fondé à demander les rappels de salaire du début du mois d'avril 2019 jusqu'à la date de la prise d'acte, sur la base d'un salaire à temps plein soit 1 521,22 euros. La société Le Kampotois sera condamnée à lui payer la somme de 11 916,22 euros outre celle de 1 191,62 euros au titre des congés payés afférents.

Compte tenu de l'ancienneté de l'appelant la durée du préavis aurait été de deux mois. La société Le Kampotois sera condamnée à payer à M. [Y] la somme de 3 042,44 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre celle de 304,24 euros au titre des congés payés afférents.

M. [Y] avait une ancienneté de trois années et de quatre mois complets. Sur la base du salaire à temps plein ainsi retenu, l'indemnité de licenciement, calculée selon les modalités des articles R. 1234-1 et R. 1234-2 du code du travail, est de 1 267,67 euros. La société Le Kampotois sera condamnée au paiement de cette somme.

C'est M. [Y] qui est à l'origine de la rupture du contrat, une prise d'acte justifiée par plusieurs fautes de l'employeur, qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Il est fondé à demander une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

L'article L.1235-3 du code du travail dispose que :

'Si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis.

Si l'une ou l'autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés dans le tableau ci-dessous.

Pour déterminer le montant de l'indemnité, le juge peut tenir compte, le cas échéant, des indemnités de licenciement versées à l'occasion de la rupture, à l'exception de l'indemnité de licenciement mentionnée à l'article L. 1234-9.

M. [Y] avait une ancienneté de trois années et le barème prévoit une indemnité comprise entre trois et quatre mois.

L'appelant demande que ce barème soit écarté et invoque son inconventionnalité avec l'article 24 de la charte sociale européenne, les articles 4 et 10 de la convention 158 de l'OIT et le droit au procès équitable.

Les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail, qui limitent le droit matériel des salariés quant au montant de l'indemnité susceptible de leur être allouée en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, ne constituent pas un obstacle procédural entravant leur accès à la justice.

Elles n'ont pas pour effet de violer les dispositions de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales consacrant un droit à l'accès au juge et au procès équitable, puisque précisément il appartient au juge saisi au fond de statuer.

Au regard de l'importance de la marge d'appréciation laissée aux parties contractantes par les termes précités de la Charte sociale européenne révisée, ces dispositions de ladite Charte ne sont pas d'effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers.

Dès lors, tant ce texte que les décisions du comité européen des droits sociaux ne peuvent être utilement invoqués par l'appelante pour voir écarter les dispositions de l'article L.1235-3 du code du travail.

Les dispositions des articles L. 1235-3, L. 1235-3-1 et L. 1235-4 du code du travail, dans leur rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, qui permettent raisonnablement l'indemnisation de la perte injustifiée de l'emploi et assurent le caractère dissuasif des sommes mises à la charge de l'employeur, sont de nature à permettre le versement d'une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de la Convention n° 158 de l'Organisation internationale du travail ( OIT ).

Il en résulte que les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail sont compatibles avec les stipulations de la Convention précitée.

Le revenu mensuel de M. [Y] était de 1 521,22 euros. Il ne produit pas d'élément concernant sa situation professionnelle. La société Le Kampotois sera condamnée à lui payer la somme de 4 800 euros au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

M. [Y] a droit au paiement du solde des congés payés dont il bénéficiait, qui était de 24 jours à la fin du mois de mars selon son bulletin de paie.

La société Le Kampotois doit être condamnée à payer à M. [Y] la somme de 1 200,24 euros au titre du solde des congés payés.

Le jugement sera infirmé de ces chefs.

Sur l'indemnité pour travail dissimulé

L'article L. 8252-2 du code du travail prévoit que lorsque l'étranger non autorisé a été employé dans le cadre d'un travail dissimulé, il peut bénéficier des dispositions de l'article L. 8223-1.

L'article L. 8223-1 prévoit que 'En cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours dans les conditions de l'article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l'article L. 8221-5 a droit à une indemnité égale à six mois de salaire.'

L'article L. 8221-5 dispose que : 'Est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur :

1° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche ;

2° Soit de se soustraire intentionnellement à la délivrance d'un bulletin de paie ou d'un document équivalent défini par voie réglementaire, ou de mentionner sur le bulletin de paie ou le document équivalent un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;

3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale en vertu des dispositions légales.'

M. [Y] accomplissait un temps de travail à temps plein, alors que ses fiches de paie mentionnent un temps de travail correspondant à un temps partiel, pendant plusieurs mois et sans régularisation malgré les demandes du salarié. L'attestation du collègue de M. [Y] confirme la volonté de l'employeur de minorer les heures effectuées par ses salariés.

Ces éléments démontrent le caractère intentionnel du comportement de la société Le Kampotois, caractérisant ainsi le travail dissimulé.

La société le Kampotois doit être condamnée à payer à M. [Y] la somme de 9 127,32 euros au titre de l'indemnité pour travail dissimulé.

Le jugement sera infirmé de ce chef.

Sur la remise des documents

La remise d'un bulletin de paie récapitulatif conforme, d'une attestation destinée à Pôle Emploi rectifiée et d'un certificat de travail sera ordonnée dans le délai d'un mois suivant la signification de la décision. Il n'y a pas lieu à ordonner d'astreinte.

M. [Y] ne produit aucun élément démontrant un préjudice consécutif à l'absence de remise de ces documents et doit être débouté de sa demande de dommages et intérêts.

Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur les dommages et intérêts pour manquement à la visite d'information et de prévention

M. [Y] ne justifie d'aucun préjudice consécutif à l'absence de visite médicale et doit être débouté de sa demande.

Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur la condamnation de l'employeur à la régularisation des cotisations sociales

Le versement par l'employeur des cotisations sociales est une conséquence de plein droit des rappels de salaires prononcées dans le cadre de l'instance.

Il n'y a pas lieu de statuer de ce chef.

Sur les intérêts

Conformément aux dispositions des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation à comparaître devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes, et les dommages et intérêts alloués à compter de la présente décision.

La capitalisation des intérêts sera ordonnée selon les dispositions de l'article 1343-2 du code civil par année entière.

Sur les dépens et frais irrépétibles

La société Le Kampotois qui succombe au principal supportera la charge des dépens qu'elle a exposés. Il n'y a pas lieu à allouer d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

INFIRME le jugement du conseil de prud'hommes, sauf en ce qu'il a débouté M. [Y] de ses demandes d'indemnité, pour préjudice moral et de retraite, de dommages et intérêts pour défaut de remise des documents de fin de contrat et de dommages et intérêts pour absence de visite médicale,

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés,

DIT recevables les demandes de rappel de salaires et de congés payés afférents,

REQUALIFIE le contrat de travail en contrat de travail à temps plein,

CONDAMNE la société Le Kampotois à payer à M. [Y] les sommes suivantes :

- 8 974,27 euros au titre des rappels de salaire jusqu'au mois de mars 2019 ainsi que 897,42 euros au titre des congés payés afférents,

- 11 916,22 euros au titre des rappels de salaire d'avril à novembre 2019 ainsi que 1 191,62 euros au titre des congés payés afférents,

- 3 042,44 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis 304,24 euros au titre des congés payés afférents,

- 1 267,67 euros au titre de l'indemnité de licenciement,

- 4 800 euros au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 1 200,24 euros au titre du solde des congés payés,

- 9 127,32 euros au titre de l'indemnité pour travail dissimulé,

DIT que les créances salariales sont assorties d'intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation à comparaître devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes les dommages et intérêts alloués à compter de la présente décision, avec capitalisation des intérêts selon les dispositions de l'article 1343-2 du code civil,

CONDAMNE la société Le Kampotois aux dépens,

DÉBOUTE les parties de leur demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 6
Numéro d'arrêt : 21/03419
Date de la décision : 19/04/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-04-19;21.03419 ?
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