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19/04/2023 | FRANCE | N°17/17921

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 3, 19 avril 2023, 17/17921


Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 3



ARRET DU 19 AVRIL 2023



(n° , 11 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/17921 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B4EGI



Décision déférée à la Cour : Jugement du 14 Septembre 2017 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 14/16272



APPELANTE



SAS BIODOO

prise en la personne de ses représentants lé

gaux

[Adresse 2]

[Localité 7]

immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Paris sous le numéro 431 349 927



Représentée par Me Michel GUIZARD, de la SELARL GUIZ...

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 3

ARRET DU 19 AVRIL 2023

(n° , 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/17921 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B4EGI

Décision déférée à la Cour : Jugement du 14 Septembre 2017 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 14/16272

APPELANTE

SAS BIODOO

prise en la personne de ses représentants légaux

[Adresse 2]

[Localité 7]

immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Paris sous le numéro 431 349 927

Représentée par Me Michel GUIZARD, de la SELARL GUIZARD & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque L0020

Assistée de Me Sylvie MITTON SMADJA, avocate au barreau de PARIS

INTIMEES

SCI SCI JIMAC

prise en la personne de ses représentants légaux

[Adresse 5]

[Localité 8]

immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Paris sous le numéro 316 418 854

Représentée par Me Olivier BERNABE, avocat au barreau de PARIS, toque B0753

Assistée de Me Gina MARUANI, de la SAS JACQUIN-MARUANI ASSOCIES, avocate au barreau de PARIS

SASU NATURALIA FRANCE

prise en la personne de ses représentants légaux

[Adresse 1]

[Localité 9]

immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Paris sous le numéro 302 474 648

Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 07 Février 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Madame Nathalie RECOULES, Présidente de chambre, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Nathalie RECOULES, Présidente de chambre

M. Douglas BERTHE, Conseiller

Mme Emmanuelle LEBEE, magistrate honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles

Greffier, lors des débats : M.Damien GOVINDARETTY

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Nathalie RECOULES, Présidente de chambre et par Madame Laurène BLANCO greffière, présente lors de la mise à disposition.

Exposé du litige

Par acte sous seing privé du 27 mars 2008, la SCI Jimac a donné à bail en renouvellement à la SAS Naturalia France (ci-après, la SAS Naturalia), aux droits de laquelle vient la SAS BioDoo, divers locaux dépendant d'un immeuble situé [Adresse 6] à destination de « vente de produits naturels (alimentation diététique, produits de beauté ' à l'exclusion de tous produits malodorants ou nocifs), produits artisanaux et articles cadeaux ».

Aux termes d'un protocole d'accord en date du 22 janvier 2009, la SCI Jimac et la SAS Naturalia ont, notamment, convenu d'étendre la destination des locaux à l'activité de soins, d'agréer les travaux effectués par la SAS Naturalia, d'autoriser le preneur à exercer son activité commerciale dans le sous-sol des locaux loués, de faire intervenir la bailleresse à l'acte de cession de son fonds de commerce par la locataire au profit de la SAS BioDoo, de verser à la SCI Jimac une indemnité forfaitaire d'un montant de 59.800 euros, toutes taxes comprises, de dire que le cédant demeurait solidairement et indéfiniment tenu par ces engagements après cession du bail.

Par avenant au bail en date du 22 janvier 2009 à effet du 1er janvier 2009, la SCI Jimac et la SAS Naturalia ont convenu de modifier la destination du bail, de porter le loyer à la somme annuelle en principal de 55.000 euros, puis de 60.000 euros au 1er mai 2009 et de dire qu'il sera calculé lors de révision triennale suivante en fonction de la variation de l'indice du coût de la construction publié par l'INSEE.

Par acte sous seing privé du 22 janvier 2009, la SAS Naturalia a cédé son fonds de commerce à la SAS BioDoo.

Par acte extrajudiciaire du 10 octobre 2014, la SCI Jimac a fait signifier à la SAS BioDoo un commandement de payer visant la clause résolutoire pour un montant, en principal, de 25.214,56 euros, représentant des rappels de loyer révisés depuis le 1er mai 2012, des rappels de travaux de ravalement et des rappels de taxe foncière.

Par acte des 5 et 12 novembre 2014, la SAS BioDoo a assigné la SCI Jimac devant le tribunal de grande instance de Paris en contestation du commandement délivré.

Par acte des 24 et 25 novembre 2014, la SCI Jimac a assigné la SAS BioDoo et la SAS Naturalia devant le tribunal de grande instance de Paris en paiement de diverses sommes.

Par ordonnance du 30 novembre 2015 du juge de la mise en état, les deux affaires sont été jointes.

Par jugement en date du 14 septembre 2017, le tribunal de grande instance de Paris a :

- dit et jugé le commandement de payer délivré le 10 octobre 2014 à la SAS BioDoo à la demande de la SCI Jimac justifié à hauteur de 9.273,59 euros ;

- dit et jugé le commandement de payer délivré le 10 octobre 2014 à la SAS BioDoo à la demande de la SCI Jimac injustifié pour le surplus des sommes qui y sont visées ;

En conséquence,

- condamnent in solidum la SAS BioDoo et la SAS Naturalia à payer à la SCI Jimac la somme de 3.753,59 euros au titre des frais de ravalement ;

- dit et jugé que cette condamnation portera intérêts au taux légal à compter du 10 octobre 2014 à l'encontre de la SAS BioDoo et à compter de la présente décision à l'encontre de la SAS Naturalia ;

- condamné in solidum la SAS BioDoo et la SAS Naturalia à payer à la SCI Jimac la somme de 5.520 euros au titre des taxes foncières 2009, 2010, 2011, 2012 et 2013 ;

- dit et jugé que cette somme produisant intérêt au taux légal à compter du 17 juin 2014 à l'encontre de la SAS BioDoo, et à compter de la présente décision à l'encontre de la SAS Naturalia ;

- constaté l'acquisition de la clause résolutoire stipulée au bail du 27 mars 2008 liant la SCI Jimac à la SAS BioDoo à la date du 10 novembre 2014 à 24h00 ;

- débouté la SAS BioDoo de sa demande en délais de paiement ;

- dit et jugé que, faute pour la SAS BioDoo de quitter les lieux dans le délai d'un mois, la SCI Jimac pourra faire procéder à son expulsion avec l'assistance de la force publique, si besoin est ;

- fixé l'indemnité d'occupation due par la SAS BioDoo à la SCI Jimac, à compter du 11 novembre 2014 à 0h00 et jusqu'à la libération effective des lieux par la remise des clés, à une somme égale au montant du dernier loyer contractuel en cours, outre les taxes et les charges, et en tant que de besoin, la condamne à la lui payer ;

- condamné in solidum la SAS BioDoo et la SAS Naturalia à payer à la SCI Jimac la somme de 3.062,40 euros au titre des taxes foncières 2014 et 2015 ;

- condamné in solidum la SAS BioDoo et la SAS Naturalia à payer à la SCI Jimac la somme de 990 euros au titre de la taxe sur les ordures ménagères 2014 et 2015 ;

- condamné la SCI Jimac à payer à la SAS BioDoo la somme de 167,90 euros en remboursement des frais de relance indûment supportés par elle ;

- condamné in solidum la SAS BioDoo et la SAS Naturalia à payer à la SCI Jimac la somme de 5.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- ordonné l'exécution provisoire de la présente décision ;

- condamné in solidum la SAS BioDoo et la SAS Naturalia aux dépens, en ce compris le coût du commandement de payer du 10 octobre 2014.

Par déclaration en date du 25 septembre 2017, la SAS BioDoo a interjeté appel partiel du jugement du 14 septembre 2017.

Par premier arrêt en date du 23 octobre 2019, la cour d'appel de Paris a :

- confirmé le jugement en ce que le tribunal a condamné in solidum la SAS BioDoo et la Nauralia à payer à la SCI Jimac la somme de 990 euros au titre de la taxe sur les ordures ménagères 2014 et 2015, et en ce que le tribunal a condamné la SCI Jimac à payer à la SAS BioDoo la somme de 167,90 euros au titre des frais de relance indûment supportés par elle ;

- infirmé le jugement déféré pour le surplus ;

Statuant à nouveau et y ajoutant ;

- déclaré nul et de nul effet le commandement de payer délivré le 10 octobre 2014 à la SAS BioDoo à la demande de la SCI Jimac ;

- débouté la SCI Jimac de sa demande d'acquisition de la clause résolutoire stipulée au bail du 27 mars 2008 liant la SCI Jimac à la SAS BioDoo, de sa demande d'expulsion et de sa demande de fixation d'une indemnité d'occupation ;

- débouté la SCI Jimac de sa demande de résiliation judiciaire du bail ;

- débouté la SCI Jimac de sa demande de caducité du protocole d'accord du 22 janvier 2009 ;

- condamné la SCI Jimac à rembourser à la SAS BioDoo la somme de 3.753,59 euros au titre des frais de ravalement ainsi que les intérêts afférents réglés ;

- condamné la SCI Jimac à rembourser à la SAS BioDoo au titre des taxes foncières réglées les sommes suivantes :

5.520 euros pour les années de 2009 à 2013 ;

3.062,40 euros pour les années 2014 et 2015 ;

1.450,80 euros pour l'année 2016 ;

1.441,20 euros pour l'année 2017 ;

1.125,07 euros pour l'année 2018 ;

Soit au total 12.599,47 euros ainsi que les intérêts afférents réglés ;

- déclaré recevable la demande de la SCI Jimac de remise en état des locaux ;

- condamné in solidum la SAS BioDoo et la SAS Naturalia à verser à la SCI Jimac, au titre de la remise en état des locaux, la somme de 442,80 euros, déduction faite du dépôt de garantie ;

- déclaré la SCI Jimac tenue de réparer le préjudice subi par la SAS BioDoo des conséquences de l'exécution forcée du jugement ;

- avant dire droit au fond sur le montant du préjudice subi par la SAS BioDoo, tous droits et moyens des parties demeurant réservés à cet égard, désigné en qualité d'expert, M. [B] [W], remplacé par M. [V] avec mission de de donner à la cour tous éléments permettant de déterminer le montant du préjudice subi par la SAS BioDoo, du fait de son expulsion du local commercial, situé [Adresse 6], s'agissant de la perte du fonds de commerce ;

- sursis à statuer sur le montant du préjudice subi par la SAS BioDoo, du fait de l'exécution forcée du jugement, et les frais irrépétibles ;

- réservé les dépens.

L'expert a déposé son rapport le 4 avril 2022.

Dans ses conclusions déposées le 14 juin 2022 après dépôt du rapport d'expertise, la SAS BioDoo, appelante demande à la cour de :

- condamner la SCI Jimac à lui payer, au titre de la réparation du préjudice subi des conséquences de l'exécution forcée du jugement de première instance dont appel, les sommes suivantes :

749.565 euros à titre d'indemnisation des préjudices économiques subis ;

27.200 euros à titre d'indemnisation du préjudice moral subi ;

le tout avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir avec capitalisation en application de l'article 1343-2 du Code civil ;

- condamner la SCI Jimac à lui payer la somme de 20.000 euros sur le fondement de l'article 700 du CPC, au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en appel ;

- condamner la SCI Jimac aux entiers dépens d'appel en ce compris les frais d'expertise judiciaire dont distraction au profit de Me [D] en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Au soutien de ses prétentions, la SAS BioDoo fait valoir que :

sur le fondement légal de l'arrêt du 23 octobre 2019 avant dire droit, la SCI Jimac a été tenue de réparer le préjudice subi par la SAS BioDoo des conséquences de l'exécution forcée du jugement, ce en application de l'article L111-10 du Code des procédures civiles d'exécution ;

sur les préjudices économiques et financiers, l'expert a considéré que l'indemnité d'éviction due à la société est une indemnité de transfert, constituée d'une indemnité principale correspondante à la valeur du droit au bail des locaux perdus et d'indemnités accessoires :

sur l'indemnité principale, la valeur du droit au bail correspond à la différence entre la valeur locative de marché des locaux et le loyer effectivement acquitté ou qui aurait été acquitté en cas de renouvellement du bail ; en l'espèce, la SAS BioDoo dispose d'une valeur d'usage de son droit au bail, d'autant plus élevée que la commercialité de la rue dans laquelle sont situés les locaux est élevée ; l'expert judiciaire a donc justement apprécié la valeur du droit au bail perdu à 136.000 euros dans son rapport ;

sur les indemnités accessoires :

l' indemnité de remploi : au sens de l'article L.145-14 du code de commerce, la SAS BioDoo a fourni des efforts financiers afin d'opérer le transfert de son activité dans un local à proximité en tenant compte de ne pas perdre la majeure partie de sa clientèle ; l'indemnité d'éviction pourra inclure, en l'espèce, les montants du droit d'entrée réglé par la SAS BioDoo à son nouveau bailleur (35.000 euros), du nouveau droit au bail des seuls locaux situés à proximité disponibles à la vente et susceptibles de recevoir son concept (235.000 euros), des honoraires de l'agence immobilière (30.000 euros), soit au total 300.000 euros ;

les frais de déménagement : l'expert judiciaire a admis dans son rapport (p.28) que le coût de déménagement (2.660 euros) est moins élevé que le coût d'un déménageur ;

le trouble commercial : indépendamment du fait de la gestion de son expulsion et des troubles générés par le déménagement (16.000 euros), elle a subi au surplus un préjudice résultant de la mobilisation de ses ressources humaines disponibles pour déplacer le magasin au détriment de l'ouverture de nouveau magasin ailleurs dans [Localité 10] ou en province, dont le coût de contribution est évalué à 100.000 euros, soit un total de 116.000 euros à ce titre ;

les frais de réinstallation : elle a été obligée d'aménager et d'équiper les locaux dans lesquels elle s'est réinstallée de façon conforme à l'activité exercée pour un montant total de 163.957,06 euros justifié par factures, ajoutant sur ce point les montants omis par l'expert judiciaire ; elle conteste l'application d'un abattement pour vétusté de 20% proposée par l'expert qui n'est pas conforme au principe de la réparation intégrale établi par la jurisprudence et qui indemnise « (') sans abattement, quel que soit leur coût à leur valeur à neuf (') (Cass.3ème 21 nov. 2012, n°11-15373) » ; enfin si les frais de réinstallation devaient être ramenés au prorata des surfaces des deux locaux suivants, elle considère qu'il y a lieu de prendre en considération les surfaces de vente des locaux et les surfaces des cabines de soins séparément et non la surface globale, afin de garantir une indemnisation équivalente au préjudice subi chacune des surfaces ayant fait l'objet d'aménagement distincts selon leur usage, soit 1.506,95 euros x 69.55m² (97m²-27,45m²) = 104.808,37 euros HT ;

les frais administratifs : les frais exposés retenus par l'expert judiciaire correspondent aux montants engagés pour les formalités, soit un total de 22.247,50 euros ;

le double loyer : l'expert judiciaire a retenu à juste titre un double loyer pendant une période d'un mois et demi, jusqu'à ce que le nouveau site de transfert de la SAS BioDoo soit pleinement opérationnel, soit sur la base de 63.705 euros/an auquel s'ajoutent les charges (5.812 euros sur un an), un montant indemnisable de : (63.705 € + 5.812 €) x 1,5/12 = 8.700 euros ;

sur le préjudice moral : la cour a jugé non fondée l'action en acquisition de la clause résolutoire poursuivie par la SCI Jimac, la poursuite virulente de l'expulsion par cette dernière lui a causé un préjudice moral et a entraîné une perte d'image et de réputation vis-à-vis de ses salariés au cours de l'intervention de l'huissier de la SCI Jimac et par des convocations du commissaire de police, dont il a résulté un préjudice évaluable à 20% de la perte du droit au bail, soit 27.200 euros.

Dans ses conclusions signifiées le 18 janvier 2023, la SCI Jimac demande à la cour de :

- débouter la SAS BioDoo de l'ensemble de ses prétentions ;

- condamner la SAS BioDoo au paiement de la somme de 21.906 euros, au titre des réparations liées aux dégradations des lieux loués ;

- fixer l'indemnité d'éviction due à la SAS BioDoo sera limitée à la somme de 123.200 euros ;

- condamner la SAS BioDoo à payer à la SCI Jimac la somme de 20.000 euros sur le fondement de l'article 700 du CPC au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en appel ;

- condamner la SAS BioDoo aux entiers dépens de la présente procédure en ce compris les frais d'expertise judiciaire dont distraction au profit de Me Bernabe en application des dispositions de l'article 699 du CPC.

La SCI Jimac fait valoir que :

sur les caractéristiques des locaux loués, la SAS BioDoo n'a pas entretenu convenablement les locaux pendant son occupation et les a même dégradés lors de son départ, le constat favorable effectué par l'expert judiciaire représentant l'état des locaux entretenus par le nouvel exploitant et non par la SAS BioDoo ;

sur l'estimation du montant de l'indemnité d'éviction due à la SAS BioDoo :

- le montant de l'indemnité principale de transfert en l'absence de perte de clientèle et en application des articles L.145-14 et L.145-17 du Code de commerce doit tenir compte qu'en l'espèce, la SAS BioDoo n'a eu aucun mal à se réinstaller dans la même rue, ce qui lui a été bénéfique selon les constatations de l'expert judiciaire et dont il n'a résulté aucun préjudice pour elle ;

- les frais de remploi : l'expert judiciaire a retenu des frais de remploi à hauteur de 30.000 euros sans aucune comparaison entre le fonds acquis à [Adresse 3] et celui exploité à [Adresse 4] ;

- les frais de déménagement : en absence de facture relative aux frais de déménagement fournie par la SAS BioDoo, la jurisprudence qui écarte la prise en compte des frais de réinstallation et de déménagement doit être appliquée ;

- le trouble commercial : la SAS BioDoo reconnaît elle-même avoir mobilisé cinq de ses salariés pour la somme de 2.660 euros lors du déménagement ;

- les frais de réinstallation : en tenant compte, à titre liminaire, de l'amélioration de la situation de la SAS BioDoo au regard de sa réinstallation dans ses nouveaux locaux, les frais de réinstallation doivent être proportionnels aux surfaces de l'ancien magasin et limités aux coûts des seuls installations non amortis des locaux délaissés à l'effet d'éviter un enrichissement sans cause ; en l'espèce, les factures ne correspondent pas aux aménagements de la boutique appartenant à la SAS BioDoo, de plus, depuis 2018, cette dernière a nécessairement amorti une partie de ses travaux ; le taux de vétusté de 20 % retenu par l'expert est insuffisant au regard de la réalité de l'état de dégradation et de non-entretien des anciens locaux ;

- les frais administratifs : la somme retenue par l'expert judiciaire est exorbitante puisque cette somme est engagée au regard des besoins propres de la SAS BioDoo et qu'elle ne relève pas de la responsabilité de la SCI Jimac ;

- le double loyer : l'expert a retenu un mois et demi de loyer sans aucune communication des éléments, ni vérification de franchises ;

Sur le préjudice moral : la SAS BioDoo a volontairement quitté les locaux loués sis à [Adresse 6], puis a pu formaliser, très rapidement, le rachat de son droit au bail favorable en valorisant son exploitation.

Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, pour plus ample informé de l'exposé et des prétentions des parties, il est renvoyé à l'assignation introductive d'instance et aux conclusions déposées.

Décision

Conformément aux dispositions des articles 4 et 954 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions. Il n'y a pas lieu de statuer sur les demandes aux fins de voir 'constater' ou de 'juger', lorsqu'elles ne constituent pas des prétentions visant à conférer un droit à la partie qui les requiert mais ne sont en réalité que de simples allégations ou un rappel des moyens invoqués.

Sur la demande de révocation de l'ordonnance de clôture :

Aux termes de l'article 803 du code de procédure civile, l'ordonnance de clôture ne peut être révoquée que s'il se révèle une cause grave depuis qu'elle a été prononcée.

Par conclusions signifiées le 24/01/23 la SCI Jimac sollicite la révocation de l'ordonnance de clôture et la fixation d'un nouveau calendrier de procédure.

Au soutien de sa demande, elle fait valoir qu'elle n'a eu connaissance que tardivement de la date de la clôture, laquelle ne mentionnait pas l'heure de la clôture. Elle a adressé ses conclusions récapitulatives le jour même de son prononcé, mais pour des raisons étrangères à sa volonté, à savoir l'intervention d'un nouveau conseil et la maladie d'une collaboratrice, ses conclusions ont été signifiées postérieurement au prononcé de l'ordonnance.

Dans ses conclusions de procédure signifiées le 31 janvier 2023, la société BioDoo conclut au rejet de la demande et à l'irrecevabilité des écritures et des pièces communiquées par la SCI Jimac le 18 janvier 2023 à 14h24, en absence de cause postérieure à l'ordonnance de clôture.

Contrairement à ce que soutient la SCI Jimac, par message RPVA du 21 novembre 2022, le conseiller de la mise en état a déjà autorisé exceptionnellement le report de la clôture au 18 janvier 2023 en précisant que la date d'audience restait inchangée. La date du prononcé de l'ordonnance de clôture n'a donc pas été portée tardivement à la connaissance de la SCI Jimac.

En outre, la SCI Jimac invoque des raisons graves étrangères à sa volonté. D'une part, le changement de collaborateur en charge du dossier au sein du cabinet est une question d'organisation interne, sans effet sur le déroulé de la procédure, d'autant que le conseil de la SCI Jimac est constitué depuis le 19 octobre 2017. D'autre part, il n'est versé aucun justificatif au soutien de l'allégation relative à la maladie de ce collaborateur.

Ainsi, en absence de cause grave postérieure au prononcé de l'ordonnance de clôture, la demande sera rejetée.

La cour déclarera irrecevables les conclusions signifiées par la SCI Jimac le 18 janvier 2023.

Sur la demande en réparation du préjudice subi :

L'article L111-10 du code des procédures civiles d'exécution rappelle que l'exécution forcée peut être poursuivie jusqu'à son terme en vertu d'un titre exécutoire non définitif aux risques du créancier, qui doit rétablir le débiteur dans ses droits en nature ou par équivalent si le titre est ultérieurement modifié.

En l'espèce, la cour a, dans son arrêt du 23 octobre 2023, déclaré la SCI Jimac tenue de réparer le préjudice subi par la société Biodoo des conséquences de l'exécution forcée du jugement rendu par le tribunal de grande instance de Paris le 14 septembre 2017.

Conformément aux dispositions de l'alinéa 2 de l'article L145-14 du code de commerce, l'indemnité d'éviction due au locataire qui a perdu son bail comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre.

L'indemnité doit être égale au préjudice causé par l'éviction du locataire et doit être fixée en tenant compte de la valeur du droit au bail des locaux dont le locataire a été évincé. Elle ne doit entraîner ni enrichissement, ni appauvrissement du locataire évincé.

L'expert désigné par la cour a, dans son rapport déposé le 20 mars 2022, rappelé ce principe indemnitaire et la composition de l'indemnité constituée d'une indemnité principale correspondant soit à la valeur marchande du fonds de commerce, en cas de disparition de celui-ci, soit à la valeur du droit au bail, en cas de transfert de ce fonds et d'indemnités accessoires.

Sur l'indemnité principale :

L'expert a rappelé que la société Biodoo a pu déplacer son activité dans des locaux situés à proximité des locaux dont elle a été évincée, passant du 52 au [Adresse 3]. La société Biodoo a ainsi pris à bail les nouveaux locaux le 25 juillet 2018 à effet au 3 septembre 2018 et a quitté les locaux anciens le 16 octobre 2018.

Il s'ensuit que l'indemnité principale doit être appréciée selon la valeur du droit au bail, également appelée valeur de transfert, et non à la valeur de remplacement du fonds de commerce, le fonds de commerce n'ayant pas disparu mais ayant été simplement déplacé.

La valeur du droit au bail correspond à la différence entre le loyer que le locataire aurait réglé si son bail avait été renouvelé et la valeur locative de marché, laquelle s'analyse comme la contrepartie financière annuelle de l'usage d'un bien immobilier dans le cadre de la signature d'un nouveau bail ou de la cession d'un bail en cours. À cette différence entre ces deux valeurs, un coefficient prenant en compte la qualité de l'emplacement et la nature de l'activité est appliqué pour déterminer la valeur du droit au bail.

En l'espèce, l'expert a constaté que les locaux dont la société Biodoo a été évincée jouissaient d'un « très bon emplacement commercial, au sein d'un secteur commerçant et résidentiel abritant une population offrant un fort pouvoir d'achat » et que les locaux dont la locataire a été évincée et ceux pris à bail offrent une qualité commerciale sensiblement identique.

L'expert a justement considéré, par ailleurs, que par l'effet de l'avenant signé le 22 janvier 2009, qui a modifié la destination contractuelle du bail en y adjoignant des activités nouvelles en contrepartie d'une modification du loyer contractuel, le bailleur aurait pu prétendre à l'application d'un loyer déplafonné en cas de renouvellement du bail.

En conséquence, l'expert a pris en compte la valeur locative de renouvellement, laquelle, selon l'article L145-33 du code de commerce, intègre, notamment, la destination contractuelle, les charges et conditions du bail et les facteurs locaux de commercialité.

De ce fait, sur la base de la différence entre la valeur locative de marché et la valeur de renouvellement, appliquée aux surfaces pondérées du local sis [Adresse 6], l'expert a estimé la valeur du droit au bail à la somme de 136.000 euros

Ce montant résultant de l'application de la méthode dite « différentielle », qui évalue le préjudice du preneur par différence entre la valeur locative et le loyer que le preneur aurait acquitté s'il était resté dans les lieux, prend en compte la valeur du droit au bail des locaux dont le preneur a été évincé et est adaptée au cas d'espèce.

La cour fera sienne le montant de l'indemnité principale proposée, soit la somme de 136.000 euros.

Sur les indemnités accessoires

Frais de remploi ou d'agence :

Ces frais comprennent les frais et droits que doit supporter le locataire évincé pour se réinstaller.

L'expert a considéré qu'en l'espèce, les frais de remploi étaient limités au frais d'agence immobilière des locaux pris à bail au n°[Adresse 3] qui, selon facture s'élèvent à 30.000 euros H.T.

La société Biodoo sollicite, en outre, le montant du droit d'entrée et le coût de la cession du droit au bail qu'elle a versés pour accéder aux locaux du n°[Adresse 3].

La cour retient que ces versements en capital ne présentent pas le caractère de frais de remploi ou d'agence et ne sauraient être retenus, en ce qu'ils visent à obtenir l'indemnisation du coût de l'accession au local de remplacement, recherché du fait de l'éviction laquelle est indemnisée via la valeur du droit au bail examinée ci-dessus.

La cour fera sienne la proposition de l'expert au titre des frais de remploi, soit la somme de 30.000 euros.

Frais de déménagement :

Comme le relève l'expert, aucune facture n'a été versée par la société Biodoo au titre des frais qu'elle aurait engagés à ce titre alors que ce poste de préjudice est indemnisé sur justificatif.

L'appelante expose avoir limité ce poste de dépense en ayant recouru à une équipe interne de 5 salariés pendant une semaine.

La cour relève néanmoins qu'aucune pièce ne vient corroborer ces allégations ni justifier de leur coût et qu'en conséquence ce poste de préjudice ne pourra donner lieu à indemnisation.

Trouble commercial :

Ce préjudice résulte de la gestion de son expulsion par le locataire et, s'agissant d'un déplacement, du temps passé pour le transfert.

L'expert rappelle que ce poste d'indemnisation est généralement déterminé entre 1 à 3 mois de la masse salariale et propose de retenir 2 mois en l'espèce en raison de la proximité des locaux mais qui ont néanmoins nécessité la gestion de la réalisation de travaux.

La cour fera sienne ce montant, soit la somme de 16.000 euros.

Frais de réinstallation

Il s'agit du préjudice résultant de l'obligation dans laquelle s'est trouvée la société Biodoo d'aménager et d'équiper les locaux nouvellement loués en vue de pouvoir exercer son activité.

L'expert a évalué ce préjudice sur la base du montant des factures de travaux fournies par l'appelante, ramené au prorata des surfaces du l'ancien local, auquel il a appliqué un abattement de 20 % pour ramener à la valeur d'usage, soit la somme de 76.500 euros.

En l'espèce, la société Biodoo fait grief à l'expert de ne pas avoir intégré la totalité des factures fournies, de ne pas avoir tenu compte dans le calcul au prorata des surfaces des deux locaux du seul rapport entre les surfaces de vente et les surfaces de cabine de soin à l'exclusion des surfaces annexes et, enfin, d'avoir appliqué un coefficient de vétusté de 20 %.

La cour constate que la seule facture Wanzl versée en pièce n°68 porte le n°90139254 pour le montant retenu par l'expert, soit la somme de 9.801,55 euros H.T, et que ne sont pas versées aux débats les autres factures alléguées, à savoir les factures n°90139740 et n°90139739.

Par ailleurs, le principe de la réparation intégrale du préjudice subi du fait de l'éviction des locaux sis [Adresse 6] justifie que soit appliqué un coefficient de vétusté pour tenir compte de l'état d'usage des locaux évincés dont les aménagements ont été amortis.

La cour retiendra la proposition de l'expert de ce chef de préjudice, soit la somme de 76.500 euros outre le coût de la maîtrise d''uvre évoqué infra.

Frais administratifs

Ces frais correspondent essentiellement aux formalités accomplies auprès du registre du commerce, aux frais juridiques, frais de résiliation de contrats..

En l'espèce, ces frais correspondent aux frais d'enregistrement d'acquisition du droit au bail, aux du coût de maîtrise d''uvre, aux honoraires d'avocat au titre de la rédaction de l'acte de cession et aux frais d'huissier.

La cour retiendra la somme de 22.247,50 euros sur ce poste.

Double loyer

L'indemnisation du paiement d'un double loyer pendant la période de déménagement et d'aménagement des nouveaux locaux doit être à juste titre fixée à hauteur de la proposition faite par l'expert, correspondant à la période d'immobilisation des nouveaux locaux du fait de la réalisation des travaux et aménagement à compter de leur mise à disposition effective.

La cour retiendra la somme de 8.700 euros sur ce poste.

Sur le préjudice moral

Si le bailleur doit assumer le coût lié au risque qu'il a pris de mener l'expulsion avant que le titre exécutoire ne soit définitif, en l'état la perte d'image ou de réputation alléguée par la société Biodoo vis-à-vis de ses salariés n'est pas caractérisée par l'exercice de son droit par le bailleur dont il assume, par ailleurs, les risques financiers.

La demande à ce titre sera rejetée.

Sur les frais accessoires

Le jugement du tribunal de grande instance de Paris en date du 14 septembre 2017 sera infirmé en ce qu'il a condamné la société Biodoo à supporter la charge des dépens et à payer la somme de 5.000 euros à la SCI Jimac au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La SCI Jimac succombant en ses demandes supportera la charge des dépens d'appel comprenant les frais d'expertise et les frais d'huissier engagés au titre de la présente instance dont distraction au profit de M° [D].

La SCI Jimac sera, en outre, condamnée à payer à la société Biodoo la somme de 20.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS 

La cour,

INFIRME le jugement du tribunal de grande instance de Paris en date du 14 septembre 2017 en ce qu'il a condamné la société Biodoo à supporter la charge des dépens et à payer la somme de 5.000 euros à la SCI Jimac au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Statuant de nouveau,

Condamne la SCI Jimac à payer à la société Biodoo la somme de 289.447,50 euros ;

Condamne la SCI Jimac à payer à la société Biodoo la somme de 20.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SCI Jimac aux dépens d'appel comprenant les frais d'expertise et les frais d'huissier engagés au titre de la présente instance dont distraction au profit de M° [D].

LE GREFFIER LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 3
Numéro d'arrêt : 17/17921
Date de la décision : 19/04/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-04-19;17.17921 ?
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