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18/04/2023 | FRANCE | N°20/04122

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 13, 18 avril 2023, 20/04122


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 13



ARRET DU 18 AVRIL 2023



(n° , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/04122



Décision déférée à la Cour : Jugement du 04 Février 2020 - Tribunal Judiciaire de BOBIGNY - RG n° 17/09682





APPELANT



Monsieur [E] [Y]

[Adresse 3]

[Localité 1]

Représenté par Me Mich

el GUIZARD de la SELARL GUIZARD ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0020



INTIMES



Madame [T] [N]

[Adresse 5]

[Localité 7]

Représentée par Me Jeanne BAECHLIN de la SCP SCP Jeann...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 13

ARRET DU 18 AVRIL 2023

(n° , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/04122

Décision déférée à la Cour : Jugement du 04 Février 2020 - Tribunal Judiciaire de BOBIGNY - RG n° 17/09682

APPELANT

Monsieur [E] [Y]

[Adresse 3]

[Localité 1]

Représenté par Me Michel GUIZARD de la SELARL GUIZARD ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0020

INTIMES

Madame [T] [N]

[Adresse 5]

[Localité 7]

Représentée par Me Jeanne BAECHLIN de la SCP SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034

Ayant pour avocat plaidant Me Sabine du GRANRUT, avocat au barreau de Paris

Monsieur [B] [N]

Chez Mme [H] [N]

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représenté par Me Nathalie SARDA, avocat au barreau de PARIS, toque : L0125

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 14 Février 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre, et devant Mme Marie-Françoise d'ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre, chargée du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre

Mme Marie-Françoise d'ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre

Mme Estelle MOREAU, Conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Florence GREGORI

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 18 avril 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre et par Victoria RENARD, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

***

Selon bail commercial du 31 mars 2012, M. [E] [Y] exploitait un fonds de commerce sous le nom d'enseigne Escale Sud, dans un local de 25 m² exclusivement destiné à l'activité de restauration, vente à emporter et vente de boissons, situé [Adresse 6] à [Localité 8] moyennant le paiement d'un loyer de 600 euros mensuel.

Le 31 octobre 2013, il a cédé son fonds de commerce de restauration rapide à Mme [H] [N] au prix de 40 000 euros.

L'acte de cession a été rédigé par Mme [T] [N], en qualité d'avocate, rédactrice unique et mère de la cessionnaire.

M. [B] [N], père de la cessionnaire, a été désigné en qualité de séquestre amiable conformément à l'article 5 de l'acte de cession.

Le 27 novembre 2013, l'Urssaf de Picardie a formé opposition sur le prix de vente du fonds de commerce au titre de sa créance provisoire de 16 322,91 euros à l'encontre de M. [Y].

Par jugement du 6 novembre 2014, M. [Y] a été placé en redressement judiciaire sur assignation de l'Urssaf, lequel a été converti en liquidation judiciaire par jugement du 8 janvier 2015.

Par jugement du 19 janvier 2017, le tribunal de commerce de Soissons a prononcé la clôture de la procédure collective de M. [Y] pour extinction du passif.

Par acte des 24 et 29 août 2017, M. [Y] a fait assigner Mme [N] et M. [N] devant le tribunal de grande instance de Bobigny leur reprochant d'être par leurs fautes respectives concernant le traitement de sa dette au profit de l'Urssaf de Picardie, responsables de son placement en redressement puis liquidation judiciaire.

Par jugement du 4 février 2020, le tribunal judiciaire de Bobigny a :

- débouté M. [Y] de ses demandes,

- dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire du présent jugement,

- condamné M. [Y] à payer à Mme [N] et M. [N] la somme de 3 000 euros chacun sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. [Y] aux dépens,

- rejeté le surplus des demandes.

Par déclaration du 24 février 2020, M. [Y] a interjeté appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions, notifiées et adressées au greffe le 10 février 2021, M. [E] [Y] demande à la cour de :

- infirmer en toutes ses dispositions le jugement,

statuant à nouveau,

- constater, dire et juger que M. [N], en qualité de séquestre, engage sa responsabilité civile professionnelle,

- constater, dire et juger que Mme [N], en qualité d'avocate, engage sa responsabilité civile professionnelle,

- constater, dire et juger qu'il subit un préjudice en lien de causalité avec les manquements de Mme [N] et de M. [N],

- condamner in solidum Mme [N] et M. [N] à lui verser :

la somme de 300 000 euros au titre de la perte des contrats conclus du fait de l'ouverture de la procédure collective,

la somme de 30 000 euros au titre du préjudice moral subi du fait de l'ouverture de la procédure collective,

la somme de 7 112,49 euros hors taxes au titre des honoraires du mandataire liquidateur,

- condamner in solidum Mme [N] et M. [N] à lui verser la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions, notifiées et adressées au greffe le 25 août 2020, Mme [T] [N] demande à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

en conséquence,

- débouter M. [Y] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions telles que formées à son encontre,

- condamner M. [Y] à lui payer la somme de 10 000 euros au titre de ses frais irrépétibles sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [Y] aux entiers dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés par Mme [J] [I] conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées le 1er juillet 2020, M. [B] [N] demande à la cour de :

- déclarer M. [Y] mal fondé en son appel du jugement,

en conséquence,

- confirmer le jugement entrepris,

- débouter M. [Y] de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- condamner M. [Y] à lui verser la somme de 8 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [Y] aux entiers dépens dont distraction au profit de Mme [M] [F].

La clôture de l'instruction a été prononcée le 13 décembre 2022.

SUR CE,

Sur la faute de Mme [N], en sa qualité d'avocate

Le tribunal n'a retenu aucune faute à l'encontre de l'avocate, considérant que :

- si M. [Y] reproche à l'avocate, rédactrice de l'acte de cession, de ne pas avoir tenu compte de ses dettes afférentes à sa seconde activité de travaux en bâtiment et d'être, par l'établissement d'un état de ses dettes erroné, directement à l'origine de son placement en redressement puis en liquidation judiciaire, il ne démontre pas que Mme [N] a eu connaissance de ses activités de restauration rapide et de petits travaux au moment de la vente,

- contrairement à ce qu'il allègue, les documents comptables qu'il a communiqués, notamment les bilans réalisés pour les années 2011/2012, ne mentionnent pas sa seconde activité de travaux comme en atteste son ancien expert-comptable,

- la liste des dettes établie par Mme [N], sur les déclaration de M. [Y] et les informations transmises par les créanciers a été paraphée par ce dernier le 31 octobre 2013 avec une particulière mauvaise foi alors qu'elle ne faisait pas état des dettes relatives à son autre activité, ce qu'il ne pouvait ignorer,

- le fait que Mme [N] ait retenu une créance de l'Urssaf de 5 284,30 euros selon décompte provisoire établi le 15 octobre 2013 n'est pas fautif dès lors que ce créancier n'a pas communiqué de décompte définitif au titre de l'activité de restauration rapide avant la cession ni au delà de la période obligatoire de placement sous séquestre,

- il n'est pas établi que l'avocate a agi contrairement aux intérêts du cédant en procédant aux formalités de radiation en l'état des informations qu'elle détenait,

- elle n'a pas commis de faute en se méprenant sur le paiement au profit de l'Urssaf qu'aurait effectué le séquestre.

M. [Y] fait valoir que :

- il était immatriculé sous le même numéro pour son activité principale de travaux pour le bâtiment et pour son activité secondaire de restauration rapide,

- Mme [N] était parfaitement informée de ses deux branches d'activité et de ses dettes sociales et fiscales d'un montant de 53 060,09 euros au 31 décembre 2012, au vu des comptes des trois derniers exercices communiqués et notamment, des montants réclamés par l'Urssaf au titre de nombreuses contraintes dont elle a eu connaissance avant la signature de l'acte de cession du fonds de commerce de restauration rapide, de sorte qu'elle ne pouvait ignorer que la dette de l'Urssaf était supérieure à la somme de 5 284,30 euros,

- elle a limité la créance de l'Urssaf en retenant un montant provisoire alors qu'elle savait qu'elle allait augmenter puisque trois salariés travaillaient dans le fonds de commerce et omis celle du Trésor public,

- elle oublie son devoir de conseil en prétendant qu'il a librement signé l'acte de cession et la liste des créances annexées,

- il existait un conflit d'intérêts puisqu'intervenant pour sa fille, son indépendance n'était pas entière,

- elle a opéré une distinction fictive entre les deux branches d'activité de M. [Y] pour minorer artificiellement ses dettes et faire en sorte que le prix de cession proposé par sa fille couvre le montant des dettes isolées arbitrairement car, à défaut, la cession n'aurait pu intervenir,

favorisant ainsi sa fille en manquant à ses obligations de conseil, d'indépendance et d'équilibre entre les parties dans la rédaction de son acte,

- elle a manqué à son obligation de loyauté en servant les intérêts de sa fille et en couvrant les agissements de son mari qu'elle a imposé comme séquestre pour tenter de conserver une partie des fonds séquestrés et n'a pas hésité à mentir au mandataire judiciaire en prétendant que les créanciers dont l'Urssaf avaient été réglés.

Mme [N] réplique n'avoir commis aucune faute dans la rédaction de l'acte de cession, en ce que :

- M. [Y] avait été radié du registre des métiers de son activité de maçonnerie, agencement intérieur, plomberie et électricité le 21 juin 2013 et son établissement secondaire dédié à cette activité avait fermé le 13 juillet 2013,

- elle n'a appris l'existence d'une autre activité exercée par M. [Y] qu'à la faveur de l'opposition effectuée par l'Urssaf le 27 novembre 2013,

- elle a établi l'acte de cession conformément aux informations à sa disposition et sans aucune faute, l'état des créances ayant été établi en conformité avec les éléments en sa possession au jour de la signature de l'acte, et alors qu'elle a levé un état des créances qu'elle a ensuite annexé à la cession, qu'elle a nommé un séquestre en charge de la répartition des fonds et sollicité un relevé des créances auprès de l'Urssaf de Picardie,

- l'Urssaf n'ayant pas adressé de décompte définitif pour l'activité de restauration rapide, mais ayant seulement fixé sa créance provisoire à 5 284, 30 euros, et n'ayant pas communiqué de créance définitive au-delà de la période obligatoire de placement sous séquestre, elle a considéré en toute bonne foi que la dette avait été réglée et ce n'est que lorsque que le mandataire liquidateur a sollicité le paiement d'une somme différente qu'elle a eu connaissance de la situation,

- M. [Y] ne peut se prévaloir de sa propre turpitude ni lui reprocher une absence de vérification de l'état de ses dettes alors qu'il a sciemment omis de faire état de son activité antérieure et des dettes dont il était personnellement redevable,

- les documents comptables n'établissent pas l'existence de son activité de travaux de petits bâtiments, comme l'atteste son ancien expert-comptable, le bilan des années 2011 et 2012 ne concernant que la seule activité de restauration rapide, et le cabinet comptable n'étant missionné que pour cette activité,

- en l'absence de comptabilité pour cette activité et d'inscription en cours de validité au répertoire des métiers et au registre du commerce et des sociétés, elle ne pouvait avoir connaissance d'une créance à l'encontre de l'appelant qui ne l'a lui même pas évoquée,

- M. [Y] s'est s'abstenu de délivrer une information complète et a manqué à son obligation d'information loyale et de bonne foi dans le cadre de la cession intervenue,

- elle n'a commis aucune faute, ayant établi l'acte conformément à ses devoirs déontologiques.

L'avocat, en sa qualité de rédacteur d'acte est redevable envers les parties d'une obligation d'information et d'un devoir de conseil, mais également tenu de s'assurer de la validité et de l'efficacité de l'acte.

L'article 7.2 du Règlement Intérieur National applicable à la profession d'avocats précise que : L'avocat rédacteur d'un acte juridique assure la validité et la pleine efficacité de l'acte selon les prévisions des parties. Il refuse de participer à la rédaction d'un acte, ou d'une convention, manifestement illicite ou frauduleux. Sauf s'il en est déchargé par les parties, il est tenu de procéder aux formalités légales ou réglementaires requises par l'acte qu'il rédige et de demander le versement préalable des fonds nécessaires. L'avocat seul rédacteur d'un acte veille à l'équilibre des intérêts des parties.

Lorsqu'il a été saisi par une seule des parties, il informe l'autre partie de la possibilité qu'elle a d'être conseillée et de se faire assister par un autre avocat.

Contrairement aux allégations de M. [Y], l'extrait relatif à son immatriculation principale au registre du commerce et des sociétés sous le n° 490 563 368 à jour au 10 janvier 2017 démontre que son activité principale depuis le 7 juin 2006 était celle de restauration rapide sans qu'aucune activité secondaire de travaux dans le bâtiment ne soit mentionnée.

Bien plus, il est établi que M. [Y] a été inscrit au répertoire des métiers sous le même numéro d'immatriculation du 22 juin 2006 au 3 juillet 2009 (et non 3 juillet 2013 comme indiqué par erreur par Mme [N]) au titre d'une activité de petits travaux du bâtiments sous l'enseigne Allo services puis du 2 février 2012 au 21 juin 2013 au titre d'une activité de maçonnerie, agencement intérieur, plomberie et électricité sous l'enseigne AZ rénovation, ces deux activités étant exercées à [Localité 1].

Ainsi, reproche-t-il vainement à Mme [N] de ne pas avoir tenu compte de ses deux activités distinctes alors que son activité de travaux a été radiée du répertoire des métiers tenu par la chambre des métiers antérieurement à la date de la cession et qu'il était inscrit s'agissant de son activité de restauration rapide au registre du commerce et des sociétés.

L'expert-comptable de M. [Y] a attesté que les bilans qu'il a établis pour les exercices 2011 et 2012 ne concernaient que l'activité de restauration et qu'il a constaté au vu des comptes annuels du 31 décembre 2012 que les dettes sociales et fiscales s'élevaient à la somme de 53 060,09 euros et la marge brute globale à 41,32 %, cette assertion n'étant que le fruit de la lecture des écritures comptables où les dettes sont mises en balance avec les créances et M. [Y] en tire faussement la conclusion que cette somme n'était pas réglée au jour de la cession le 31 octobre 2013 alors que l'acte de cession mentionne que le résultat net de l'exercice a été de 4 098,73 euros.

L'article L. 141-1 du code du commerce dans sa version applicable au jour de la cession ne mentionnait pas la liste de ses créanciers au titre des éléments que le vendeur était tenu d'énoncer à peine de nullité de l'acte.

En toute hypothèse, M. [Y] est mal fondé à reprocher à l'avocat rédacteur de l'acte de ne pas l'avoir informé de ses propres dettes qu'il ne pouvait ignorer.

M. [Y] soutient faussement que Mme [N] aurait été informée des contraintes émises par l'Urssaf de Picardie avant la cession alors que les contraintes produites par les intimés sont celles qui justifiaient l'opposition effectuée par l'Urssaf le 27 novembre 2013, la signification de l'opposition par acte d'huissier de justice mentionnant expressément que les copies desdites contraintes étaient jointes à l'acte.

Par ailleurs, il indique lui avoir remis préalablement à la cession le décompte de l'Urssaf à la date du 15 octobre 2013 faisant état d'une dette de 5 284,30 euros au titre de l'année 2010 et du deuxième trimestre 2013 et, même si ce décompte était provisoire, l'Urssaf ayant mentionné les réserves d'usage, Mme [N] n'a pas été destinataire d'un décompte définitif au 31 octobre 2013, date de la cession et il ne peut lui être reproché d'avoir retenu cette somme au titre des sommes à séquestrer.

Elle n'a donc commis aucun manquement à son obligation de diligence quant à l'efficacité de l'acte.

L'annexe 1 de l'acte de cession intitulée ' Liste des dettes de [E] [Y] et des chèques de règlement de ces dettes sur la répartition du prix de vente' mentionne que des dettes du cédant (loyers, honoraires d'expert comptable, congés payés, etc.) ont été directement payées par la cessionnaire au moyen de chèques émis sur le compte de son père pour un montant de 22 304,10 euros, que le montant de 11 813,16 euros correspondant à d'autres dettes dont celle de l'Urssaf a été placé sous séquestre et le solde du prix, soit la somme de 5 882,74 euros, a été versé à M. [Y] le jour de la vente.

Cette annexe a été paraphée par le cédant et le cessionnaire et une mention des chèques émis a été portée dans l'acte de cession au titre du paragraphe relatif au paiement du prix, l'acte précisant encore que le prix était payé par 'des deniers du père de la cessionnaire, provenant d'un don manuel consenti le jour de la signature'.

M. [Y] n'établit pas le manquement à son obligation de conseil qu'aurait commis Mme [N] à ce titre et celui-ci ne saurait être retenu du fait qu'il a signé la liste incomplète de ses dettes alors qu'il n'a pas fourni à son avocate les informations qu'il ne pouvait ignorer s'agissant de l'ampleur de ses dettes.

L'article 4 du règlement national intérieur de la profession d'avocat prévoit que :

L'avocat ne peut être ni le conseil ni le représentant ou le défenseur de plus d'un client dans une même affaire s'il y a conflit entre les intérêts de ses clients ou, sauf accord des parties, s'il existe un risque sérieux d'un tel conflit.

Il y a conflit d'intérêts dans la fonction de conseil, lorsque, au jour de sa saisine, l'avocat qui a l'obligation de donner une information complète, loyale et sans réserve à ses clients ne peut mener sa mission sans compromettre, soit par l'analyse de la situation présentée, soit par l'utilisation des moyens juridiques préconisés, soit par la concrétisation du résultat recherché, les intérêts d'une ou plusieurs parties.

Il est relevé, d'une part, que M. [Y] avait connaissance du fait que Mme [T] [N] était la mère d'[H] [N], cessionnaire du fonds de commerce, d'autre part, que le prix de cession d'un fonds de commerce n'est pas corrélé au montant des dettes du cédant- qu'en toute hypothèse l'avocate ignorait et qu'il appartenait au cédant de porter à sa connaissance- mais établi en fonction du résultat net du fonds lequel a été de 10 842 euros en 2010, 2 401 euros en 2011 et 4 098 euros en 2012 et enfin, que M. [Y] avait acquis ce fonds en 2019 pour un prix de 30 000 euros et qu'il l'a cédé à Mme [N] pour un prix de 40 000 euros malgré un résultat net moyen depuis son achat du fonds très faible de sorte qu'il n'est aucunement justifié que l'avocate aurait favorisé sa fille en manquant à ses obligations de conseil, d'indépendance et d'équilibre entre les parties dans la rédaction de son acte au détriment du cédant.

Enfin, il ne peut être reproché à Mme [N] d'avoir couvert les agissements de son mari puisque dès que le mandataire liquidateur a sollicité par lettre du 17 juin 2016, les justificatifs des règlements des sommes séquestrées en expliquant que toutes les créances visées au titre du séquestre sauf une avaient été déclarées au passif de M. [Y] et que ces justificatifs lui permettraient de contester ces créances, Mme [N] a adressé le 27 juin suivant un chèque de 10 423,82 euros émis sur le compte de M. [N], désigné en qualité de séquestre, après déduction d'une dette de TVA de M. [Y] d'un montant de 7 609 euros, en expliquant qu'elle n'était pas encore en possession des justificatifs réclamés et qu'elle solliciterait le remboursement des sommes déjà payées dès qu'elle les obtiendrait.

En conséquence, le jugement est confirmé en ce qu'il n'a retenu aucune faute à l'encontre de Mme [N].

Sur la faute de M. [N], en sa qualité de séquestre

Le tribunal qui a relevé que M. [Y] reprochait à M. [N] de lui avoir versé à tort la somme de 5 882,74 euros avant l'expiration des délais légaux d'opposition et de ne pas avoir réglé sa dette auprès de l'Urssaf, occasionnant ainsi le placement en redressement, puis en liquidation judiciaire de sa société, n'a pas statué sur la caractérisation des fautes mais seulement sur le lien de causalité entre les fautes alléguées et le préjudice.

M. [Y] soutient que M. [N] n'a pas respecté ses obligations de séquestre en ce que :

- il n'a pas fait la répartition de la somme séquestrée entre les différents créanciers dans le délai prévu à l'article L 143-21 du code de commerce,

- il ne l'a pas averti du montant de la créance réclamée par l'Urssaf et n'a adressé aucun règlement à l'Urssaf alors qu'il détenait une somme de 11 813,16 euros séquestrée et que, pour le moins, la somme de 5 284,30 euros devait lui être versée,

- il a agi de manière particulièrement critiquable en plaçant la somme séquestrée sur son compte personnel,

- alors que la provision réclamée par l'Urssaf était supérieure à la somme qu'il détenait, il aurait dû transférer la somme à la caisse des dépôts et consignations ou à un séquestre judiciaire,

- il a versé une partie du prix au cédant avant la fin du délai d'opposition.

M. [N] répond que :

- l'Urssaf n'a jamais adressé son décompte définitif de créance au titre de l'activité de restauration rapide et il a considéré, en toute bonne foi, qu'après l'expiration de la période obligatoire de séquestre, sa créance avait été réglée,

- M. [Y] a fait procéder à sa radiation du registre du commerce et des sociétés le 13 mars 2014 pour cessation totale d'activité,

- les créances relatives au fonds de commerce de restauration rapide ont été réglées selon l'ordre légal,

- le mandataire judiciaire a exigé de sa part le règlement de la somme de 10 423,82 euros sous peine de poursuites pénales, ce qui a abouti à un paiement de plus de 40 000 euros,

- il n'a donc commis aucune faute relative à un prétendu retard de paiement de l'Urssaf.

L'article L141-12 du code de commerce dans sa version applicable au jour de la cession prévoyait que :

Sous réserve des dispositions relatives à l'apport en société des fonds de commerce prévues aux articles L. 141-21 et L. 141-22, toute vente ou cession de fonds de commerce, consentie même sous condition ou sous la forme d'un autre contrat, ainsi que toute attribution de fonds de commerce par partage ou licitation, est, dans la quinzaine de sa date, publiée à la diligence de l'acquéreur sous forme d'extrait ou d'avis dans un journal habilité à recevoir les annonces légales dans l'arrondissement ou le département dans lequel le fonds est exploité et, dans la quinzaine de cette publication, au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales.

L'article L.141-14 du même code dans sa version applicable au jour de la cession précisait que :

Dans les dix jours suivant la dernière en date des publications visées à l'article L. 141-12, tout créancier du précédent propriétaire, que sa créance soit ou non exigible, peut former au domicile élu, par simple acte extrajudiciaire, opposition au paiement du prix. L'opposition, à peine de nullité, énonce le chiffre et les causes de la créance et contient une élection de domicile dans le ressort de la situation du fonds. (...). Aucun transport amiable ou judiciaire du prix ou de partie du prix n'est opposable aux créanciers qui se sont ainsi fait connaître dans ce délai.

L'article L.143-21 du code de commerce dans sa version applicable au jour de la cession disposait que :

Tout tiers détenteur du prix d'acquisition d'un fonds de commerce chez lequel domicile a été élu doit en faire la répartition dans les cinq mois de la date de l'acte de vente.

A l'expiration de ce délai, la partie la plus diligente peut se pourvoir en référé devant la juridiction compétente du lieu de l'élection du domicile, qui ordonne soit le dépôt à la Caisse des dépôts et consignations, soit la nomination d'un séquestre répartiteur.

L'article 5 de l'acte de cession de fonds prévoyait enfin que :

Dans le cas où le montant des inscriptions et oppositions serait supérieur à la somme séquestrée, le séquestre pourra, sans le concours et hors la présence des parties, après le paiement des taxes et impôts privilégiés, remettre le dépôt à la Caisse des Dépôts et Consignations ou aux mains d'un séquestre judiciaire, à la charge des inscriptions grevant le fonds cédé et des oppositions frappant le prix, et ce, même avant l'expiration du délai de trois mois prévu à l'article L.143-21 du code de commerce.

La somme de 40 000 euros correspondant au prix de cession n'a pas été intégralement placée entre les mains de M. [N] en qualité de séquestre amiable puisqu'avant qu'il ne soit désigné, le cédant et la cessionnaire ont convenu du paiement de certains créanciers et du versement au cédant d'une somme de 5 882,74 euros, ainsi que mentionné dans l'acte de cession, de sorte que seule la somme de 11 813,16 euros a été séquestrée..

En conséquence, il ne peut lui être reproché d'avoir réglé certains créanciers ni d'avoir versé une somme au cédant avant la publication de la cession faisant courir le délai d'opposition.

De même, il ne peut lui être reproché d'avoir placé la somme séquestrée sur son compte personnel alors qu'il ressort de l'acte de cession qu'il devait assumer le paiement du prix sur ses propres deniers pour le compte de sa fille.

En revanche, il a commis une faute en ne répartissant pas dans le délai de cinq mois la somme qu'il détenait et surtout en ne réglant aucune somme à l'Urssaf de Picardie qui avait formé opposition.

En l'absence d'information sur l'existence d'inscriptions et d'autres oppositions, il ne peut lui être fait grief de ne pas avoir déposé les fonds à la caisse des dépôts et consignations ou entre les mains d un séquestre judiciaire.

En conséquence, il est retenu un manquement de M. [N] à ses obligations de séquestre.

Sur le préjudice et le lien de causalité

Le tribunal a jugé que :

- M. [N], en sa qualité de séquestre, n'aurait pu disposer de la somme de 16 322,91 euros demandée par l'Urssaf le 27 novembre 2013 et celle-ci aurait poursuivi ses démarches même si la somme de 5 284,30 euros avait été versée,

- M. [Y] qui connaissait l'entièreté de sa dette auprès de l'Urssaf ne prouve pas avoir reversé la somme de 5 882,74 euros qu'il soutient avoir indûment perçue ni même avoir réglé partiellement l'Urssaf,

- il a poursuivi son activité en bâtiment après la cession et l'ouverture de la procédure collective et n'a pas réglé sa créance auprès de l'Urssaf, bien que son chiffre d'affaires et les marges qu'il prétend avoir réalisées auraient permis de désintéresser l'Urssaf et d'éviter la procédure collective ouverte ensuite.

M. [Y] soutient que si M. [N] n'avait pas manqué à ses obligations en qualité de séquestre, il aurait détenu une somme lui permettant de désintéresser l'Urssaf et d'éviter le prononcé de sa liquidation judiciaire.

Il soutient avoir subi :

- un préjudice d'un montant de 300 000 euros correspondant à sa perte de marge pendant trois ans en raison de l'annulation ou la perte de contrats de chantiers, son entreprise individuelle ayant été radiée à la demande de Mme [N] le 13 mars 2014 et sa liquidation ayant été prononcée le 6 novembre 2014,

- un préjudice au regard des frais de la procédure collective qu'il a supportés, notamment le règlement des honoraires du liquidateur, à hauteur de 7 112,49 euros hors taxes,

- un préjudice moral de 30 000 euros, aux motifs, d'une part, qu'il ne pouvait imaginer que l'Urssaf n'avait pas été réglée alors que Mme [N] lui a remis un chèque de 5 882, 74 euros, n'étant pas redevable de cotisations auprès de l'Urssaf pour son activité de travaux car il n'employait aucun salarié et, d'autre part, qu'il a subi des désagréments et une mauvaise publicité attachés à l'ouverture d'une procédure collective.

M. [N] répond que :

- M. [Y] n'a été en état de cessation des paiements que plus d'un an après la cession de fonds de commerce du 30 octobre 2013,

- entre la cession du fonds de commerce et la date de la liquidation judiciaire, M. [Y] a continué à travailler dans le bâtiment et au vu des bénéfices qu'il prétend faire, il aurait pu régler la créance de l'Urssaf de sorte que la liquidation judiciaire lui est entièrement imputable et n'est pas en lien de causalité avec les fautes alléguées,

- son préjudice financier n'est aucunement établi.

M. [Y] ne rapporte pas la preuve d'un lien de causalité entre les manquements de M. [N] qui n'a pas réparti la somme séquestrée dans le délai de cinq mois prévu à l'article L.143-21 du code de commerce dans sa version applicable au jour de la cession et qui n'a versé aucune somme à l'Urssaf de Picardie malgré son opposition et l'ouverture d'une procédure collective et les préjudices qui en ont découlé, y compris le préjudice moral, puisque la somme de 11 813,16 euros séquestrée n'aurait pas suffi à régler la somme que l'Urssaf lui réclamait et que, surtout, cette dernière l'a assigné dès le 13 octobre 2014 devant le tribunal de commerce en ouverture d'une procédure collective pour une créance d'un montant de 24 868,58 euros, en vertu de contraintes de 2010, 2011, 2012, 2013 et 2014 et que si la créance de l'Urssaf a été réduite à 10 549 euros, le passif a été admis pour un montant de 32 194,06 euros comprenant des créances fiscales et la créance de la société Malakoff Mederic.

Le jugement est donc confirmé en ce qu'il a débouté M. [Y] de ses demandes d'indemnisation.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Les dispositions relatives aux dépens et aux frais de procédure de première instance sont confirmées.

Les dépens d'appel doivent incomber à M. [Y], partie perdante, lequel est également condamné à payer à Mme [N] une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

En revanche, M. [N] dont la faute a été retenue est débouté, en équité, de sa demande sur le même fondement.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

Confirme le jugement en toutes ses dispositions dont appel,

Condamne M. [E] [Y] aux dépens, dont distraction au profit de Mme [J] [I] et Mme [M] [F],

Condamne M. [E] [Y] à payer à Mme [T] [N] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejette la demande de condamnation formée par M. [B] [N] sur le même fondement.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 4 - chambre 13
Numéro d'arrêt : 20/04122
Date de la décision : 18/04/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-04-18;20.04122 ?
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