REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 10
ARRÊT DU 17 AVRIL 2023
(n° , 7 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/02258 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDBVJ
Décision déférée à la Cour : Jugement du 17 Septembre 2020 -TJ de Bobigny RG n° 18/08123
APPELANTE
Madame [O] [T]
Domiciliée[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Rémi BAROUSSE de la SELASU TISIAS, avocat au barreau de PARIS, toque : C2156
INTIMEES
S.A. MMA IARD
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
Ayant son siège social
[Adresse 2]
[Localité 4]
N° SIRET : 440 048 882
Représentée par Me Jeanne BAECHLIN de la SCP SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034
Représentée par Me Guillaume REGNAULT de la SCP RAFFIN & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS
Représentée par Me Delphine MABEAU, avocat au barreau de PARIS
S.C. MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES
Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 4]
N° SIRET : 775 652 126
Représentée par Me Jeanne BAECHLIN de la SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034
Représentée par Me Guillaume REGNAULT de la SCP RAFFIN & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS
Représentée par Me Delphine MABEAU, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 23 Janvier 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Edouard LOOS, Président
Monsieur Jacques LE VAILLANT, Conseiller
Madame Sylvie CASTERMANS, Magistrate honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame Sylvie CASTERMANS, Magistrate honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Madame Sylvie MOLLÉ
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Edouard LOOS, Président et par Sylvie MOLLÉ, Greffier présent lors du prononcé.
FAITS ET PROCÉDURE
Madame [O] [T] a investi le 15 février 2010 la somme de 6 000 euros dans le programme de défiscalisation dit Girardin Industriel mis en place par la société Erivam Gestion dont l'activité consiste en l'élaboration, la conception et le pilotage d'opération de défiscalisation dans les territoires d'Outre Mer. La dite société a souscrit une police d'assurances n° 118.263.249 auprès MMA Iard Assurances Mutuelles venant aux droits de la société Covea Risks.
Elle a, à cette fin, signé 'un mandat de recherche' auprès de la société Erivam Gestion afin de rechercher et lui présenter avant le 30 décembre de l'année en cours une ou plusieurs opérations auxquelles le mandant pourrait souscrire, de prise de participation dans une ou plusieurs sociétés en participation (SEP) ayant pour activité la location de longue durée et exerçant leur activité dans les départements et territoires d'outre-mer dans des secteurs éligibles aux dispositions de l'article 199 undecies du code général des impôts ouvrant droit, pour les associés des SEP, à une réduction d'impôt égale à 60 % de la quote-part de l'investissement productif en photovoltaïque.
Elle a également accepté de signer un 'engagement de libération d'apport' puis une 'convention d'exploitation en commun'afin d'organiser les relations entre la société Erivam Gestion en qualité de gérant des SEP et l'investisseur en qualité d'associé portant sur la location de longue durée du matériel photovoltaïque pour une durée de 5 ans à des sociétés d'exploitation dénommées Eurl Pvolteus situées en Guadeloupe.
Suivant courrier du 19 mars 2010, la société Erivam Gestion accusait réception de la souscription du chèque de 6 000 euros et informait Madame [O] [T] du bénéfice d'une réduction d'impôt sur ses revenus au titre de l'année 2010.
Suivant jugement du 23 octobre 2012, la société Erivam Gestion était placée en liquidation judiciaire et Me [W] [B] sis à [Localité 5] désigné liquidateur.
Suivant courrier recommandé en date du 5 décembre 2012, M. ou Mme [T] [K] faisaient l'objet d'un avis rectificatif d'imposition par l'administration fiscale qui lui réclamait la somme de 6 387 euros au motif que les conditions d'éligibilité au bénéfice du dispositif fiscal prévu à l'article 199 undecies B du code général des impôts n'étaient pas réunies faute d'obtention par la société Erivam Gestion et les sociétés Pvolteus de l'attestation de conformité du consensuel et de l'installation et du raccordement des centrales à ERDF avant le 31 décembre de l'année de l'investissement.
Par acte d'huissier de justice en date du 18 avril 2018, Madame [O] [T] a fait assigner les sociétés MMA Iard Assurances Mutuelles et MMA Iard devant le tribunal judiciaire de Bobigny, afin de faire engager leur responsabilité contractuelle et obtenir réparation des préjudices subis.
Par jugement contentieux rendu le 17 septembre 2020, le tribunal judiciaire de Bobigny a statué comme suit :
- Rejette la fin de non recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir de Madame [O] [T],
- Déclare que l'action engagée par Madame [O] [T] à l'encontre de MMA Iard Assurances Mutuelles et MMA Iard est prescrite,
- Déclare, en conséquence, irrecevables toutes ses demandes,
- Condamne Madame [O] [T] à payer à MMA Iard Assurances Mutuelles et MMA Iard la somme de 2 000 euros à titre d'indemnité de procédure sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire du jugement,
- Condamne Madame [O] [T] aux entiers dépens avec application de l'article 699 du code de procédure civile.
Par déclaration du 3 février 2021, Madame [O] [T] a interjeté appel du jugement.
Par dernières conclusions signifiées le 7 janvier 2023, Madame [O] [T] demande à la cour de :
- Réformer le jugement du tribunal judiciaire de Bobigny du 12 novembre 2020 en ce qu'il a jugé que l'action de Madame [O] [T] était prescrite,
Et, statuant à nouveau,
- Dire que son action est recevable ;
- Constater que Madame [O] [T] dispose d'une créance de responsabilité à l'encontre de la société Erivam Gestion ;
- Fixer les préjudices subis par Madame [O] [T] à 9 290 euros pour le préjudice matériel au titre de son investissement 2010 et à 3 000 euros pour le préjudice immatériel ;
- Condamner in solidum les sociétés MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles à payer à Madame [O] [T] la somme de 9 290 euros pour le préjudice matériel au titre de son investissement 2010 et celle de 3 000 euros pour le préjudice immatériel ;
- Condamner in solidum les sociétés MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles à payer à Madame [O] [T] les intérêts au taux légal à compter du 18 avril 2018, avec capitalisation conformément à l'article 1343-2 du code civil, sans que le plafond de garantie soit opposable à la condamnation au titre des intérêts ;
- Dire que, s'agissant d'un sinistre sériel, aucune franchise individuelle n'est opposable à Madame [O] [T] ;
- Dire n'y avoir lieu à séquestre ;
- A titre subsidiaire, Condamner in solidum la société MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles au titre de leur responsabilité civile individuelle à payer à Mme [O] [T] la somme de 12 290 euros à titre de dommages et intérêts ;
- Condamner in solidum la société MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles à payer à Madame [O] [T] la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner in solidum la société MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles aux entiers dépens.
Par dernières conclusions signifiées le 6 janvier 2023, la société MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles demandent à la cour de :
Vu l'article 2224 du code civil, les articles 1134 et 1147 du code civil, les articles L112-6, L 124-1-1 et L 124-3 du code des assurances,
- Confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 17 septembre 2020 par le tribunal judiciaire de Bobigny ;
Et par conséquent,
A titre principal :
- Juger irrecevables comme prescrites les demandes formulées par Madame [T] au titre de l'investissement effectué en 2010 ;
- Juger par conséquent qu'aucune garantie n'est due ;
A titre subsidiaire,
- Juger que Madame [T] ne rapporte pas la preuve d'une créance de responsabilité civile à l'encontre de la Sarl Erivam Gestion ;
- Juger sans objet, par conséquent, la demande de condamnation formée à l'encontre des sociétés MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles, venant aux droits de la compagnie Covéa Risks, es qualité d'assureurs de la société Erivam Gestion ;
A titre plus subsidiaire,
- Juger que les sociétés MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles, venant aux droits de la compagnie Covéa Risks, assurent la responsabilité civile professionnelle de la Sarl Erivam Gestion dans la limite globale de 1 500 000 euros dans le cadre du sinistre sériel résultant de la souscription des produits de défiscalisation qu'elle a élaborés, et ce après déduction du montant des règlements qui auraient pu être effectués par les sociétés MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles au titre des autres réclamations répondant du même sinistre, au sens contractuel, intervenu au jour de ladite réclamation ;
- Juger en tout état de cause qu'un plafond de garantie unique s'applique pour toutes les réclamations, dont celle de Madame [T], formées pendant la période de garantie subséquente ;
- Juger en cas de condamnation, que, dans la mesure où le plafond de garantie de la police n°118.263.249 est épuisé, celle-ci ne pourra être exécutée au-delà de la somme de 1 500 000 euros au titre de cette police (ni directement entre les mains de l'intimé, ni par voie de consignation) ;
- Juger que la somme correspondant à la franchise par sinistre, soit 50 000 euros, à charge de la Sarl Erivam Gestion, doit être déduite du montant de la condamnation éventuellement prononcée à l'encontre des sociétés MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles, venant aux droits de la compagnie Covéa Risks, dans le cas où la cour devait retenir la responsabilité de la Sarl Erivam Gestion ;
- Juger que ce même montant serait déduit de chacune des condamnations prononcées au profit de chacun des investisseurs si la cour ne retenait pas une globalisation des sinistres dans le cas présent.
- Juger que la compagnie MMA Iard n'a nullement engagé sa responsabilité en prévoyant des limitations contractuelles de garantie.
En tout état de cause,
- Débouter l'appelante de ses demandes, fins et conclusions
- Condamner Madame [T], ou tout autre succombant à payer aux sociétés MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles, venant aux droits de la compagnie Covéa Risks, la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner Madame [T] ou tout autre succombant aux entiers dépens de la présente instance, qui seront recouvrés par Me Baechlin, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
SUR CE,
Sur la prescription
Le premier juge a constaté la prescription de l'action de Mme [T] au motif que, faute de la justification d'observations ou d'une réclamation contentieuse consécutives à la notification de la proposition de rectification du 5 décembre 2012, le délai de prescription de cinq ans a commencé à courir 30 jours après, soit le 5 janvier 2013, et qu'il était donc expiré lors de l'assignation du 18 avril 2018.
Mme [T] expose qu'elle a adressé des observations à l'administration par courrier du 25 janvier 2013, son conseil ayant le 7 mars 2013 écrit à l'administration que sa cliente « conteste la régularité du redressement fiscal et les pénalités ; que l'administration a proposé une transaction en contrepartie de la renonciation à toute réclamation, ce que Mme [T] a finalement accepté ; que c'est le le 20 décembre 2013 que l'administration a établi la transaction et demandé à Mme [T] de la lui retourner signée dans un délai de 10 jours. Elle précise que son époux et elle-même ont adopté le régime matrimonial de la communauté universelle.
Elles soutient que son préjudice n'a été constitué de manière définitive que le 20 décembre 2013, date à laquelle la transaction a été acceptée, le délai de prescription n'ayant commencé à courir qu'à partir de cette date : que l'assignation du 18 avril 2018 a interrompu le délai avant qu'il arrive à son terme le 20 décembre 2018.
L'assureur expose qu'il appartient à Madame [T] de justifier qu'elle est effectivement concernée par la proposition de rectification établie à l'encontre de M. [T] ; qu'en l'espèce, il s'est écoulé plus de 5 ans entre la date de la proposition de rectification (du 5 décembre 2012 et l'assignation du 18 avril 2018 alors que Madame [T] savait dès le mois de mars 2013 qu'elle avait subi une situation dommageable puisque son conseil avait alors contesté la régularité du redressement fiscal, comme elle l'explique elle-même dans ses écritures ; que l'assignation ayant été délivrée le 18 avril 2018, l'action de la requérante est donc prescrite.
Ceci étant exposé, il convient tout d'abord de souligner que la proposition de rectification fiscale a été établie à l'attention de Monsieur ou Madame [T]. L'investissement ayant été réalisée par Mme [T], le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir de Madame [O] [T].
L'article 2244 du code civil dispose que « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. »
L'action directe de la victime contre l'assureur responsabilité qui trouve son fondement dans le droit de la victime à réparation de son préjudice se prescrit par le même délai que son action contre le responsable.
En l'espèce, Mme [T] invoque la responsabilité contractuelle de la société Erivam.
La prescription d'une action en responsabilité contractuelle ne court qu'à compter de la réalisation d'un dommage ou de la date à laquelle il a été révélé à la victime.
Il convient tout d'abord de souligner que la proposition de rectification fiscale a été établie à l'attention de Monsieur ou Madame [T]. L'investissement ayant été réalisée par Mme [T], le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a estimé que Mme [T] avait un intérêt à agir.
Mme [T] justifie de la réclamation contentieuse qu'elle a formée le 25 janvier 2013 à l'encontre de la proposition de rectification du 5 décembre 2012, de la réclamation formée par le conseil des époux [T] le 7 mars 2013 et de la transaction du 20 décembre 2013 acceptée par Mme [T] qui ne concerne que les pénalités d'assiette et de recouvrement et des intérêts de retard.
Par courrier du 7 mars, l'avocate des époux [T] a informé l'administration fiscale que « son client entend maintenir sa positon et conteste la régularité du redressement fiscal » mais que son client lui a « donné pour instructions de contester les pénalités qui lui été appliquée s » et que c'est pour cette raison qu'elle « sollicite, dans l'intérêt de celui-ci, l'abandon des intérêts ainsi que de la pénalité au titre de l'article 1758 du code général des impôts ».
C'est donc au plus tard au 7 mars 2013, que Mme [T] était parfaitement informée qu'elle avait subi un situation dommageable liée à la reprise de l'avantage fiscal dont elle ne contestait plus le principal, de sorte que, l'assignation ayant été délivrée le 18 avril 2018, son action est prescrite.
Le jugement entrepris sera dès lors confirmé en ce qu'il a déclaré les demandes formées par Mme [T] irrecevables.
La décision déférée sera également confirmée en ses dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile.
Mme [T] succombant en son appel sera condamnée aux dépens de la présente procédure et déboutée de sa demande d'indemnité de procédure. Elle sera condamnée, sur ce même fondement, à payer à l'intimée la somme de 1 000 euros.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
CONDAMNE Madame [O] [T] aux dépens d'appel qui seront recouvrés par Maître Baechlin, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;
DÉBOUTE Madame [O] [T] de sa demande d'indemnité de procédure ;
CONDAMNE Madame [O] [T] à payer aux sociétés MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles, venant aux droits de la compagnie Covéa Risks, la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile .
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
S.MOLLÉ E.LOOS