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13/04/2023 | FRANCE | N°21/00295

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 5, 13 avril 2023, 21/00295


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5



ARRET DU 13 AVRIL 2023



(n° 2023/ , 12 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/00295 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CC5UG



Décision déférée à la Cour : Jugement du 23 Novembre 2020 -Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de BOBIGNY - RG n° F 16/03376





APPELANTE



S.A.S. [K] FRANCE

[Adresse

1]

[Localité 4]



Représentée par Me Olivier BERNABE, avocat au barreau de PARIS, toque : B0753



INTIME



Monsieur [J] [N]

[Adresse 2]

[Localité 3]



Assisté de Me Thomas RONZ...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5

ARRET DU 13 AVRIL 2023

(n° 2023/ , 12 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/00295 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CC5UG

Décision déférée à la Cour : Jugement du 23 Novembre 2020 -Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de BOBIGNY - RG n° F 16/03376

APPELANTE

S.A.S. [K] FRANCE

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Olivier BERNABE, avocat au barreau de PARIS, toque : B0753

INTIME

Monsieur [J] [N]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Assisté de Me Thomas RONZEAU, avocat au barreau de PARIS, toque : P0499

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 06 décembre 2022, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Séverine MOUSSY, Conseillère chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Marie-José BOU, Présidente de chambre, Présidente de formation,

Madame Catherine BRUNET, Présidente de chambre,

Madame Séverine MOUSSY, Conseillère

Greffier : Madame Cécile IMBAR, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, initialement prévue le 2 mars 2023 et prorogée au 13 avril 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile, prorogé à ce jour,

- signé par Madame Marie-José BOU, Présidente et par Madame Philippine QUIL, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Par contrat d'adaptation à un emploi en date du 27 avril 1987 dont la date de fin d'adaptation à l'emploi était fixée au 31 octobre 1987, la société Ets Brun & Cie devenue SAS [K] France (ci-après la société) en 1991, a embauché M. [J] [N] en qualité de représentant à raison de 39 heures de travail par semaine.

Par avenant au contrat de travail à durée indéterminée en date du 23 janvier 2012 avec prise d'effet au 1er février 2012, M. [N] a été nommé directeur commercial, agences [Localité 6] et [Localité 5].

La relation contractuelle est soumise à la convention collective de commerces de gros du 23 juin 1970 et la société employait au moins onze salariés lors de la rupture de cette relation.

Lui reprochant des comportements inappropriés à l'égard de ses collaborateurs et notamment de Mme [B] [T], la société a convoqué M. [N], par lettre recommandée datée du 12 mai 2016, à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 23 mai 2016, avec mise à pied à titre conservatoire.

Par lettre recommandée datée du 1er juin 2016, la société a notifié à M. [N] son licenciement pour faute grave.

Dans une lettre recommandée datée du 12 juillet 2016 en réponse à celle du salarié du 18 juin 2016, la société a maintenu les griefs contestés par M. [N].

Contestant son licenciement et estimant ne pas être rempli de ses droits, M. [N] a saisi le conseil de prud'hommes de Bobigny le 27 juillet 2016.

Par jugement du 23 novembre 2020 auquel il est renvoyé pour l'exposé des prétentions initiales et de la procédure antérieure, le conseil de prud'hommes de Bobigny a :

- écarté des débats les pièces n°241 et 242 produites par M. [N] ;

- dit que licenciement de M. [N] par la société était dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

- condamné la société à payer à M. [N] les sommes de :

* 3 143 euros au titre du rappel de salaire correspondant à la période de mise à pied conservatoire, outre la somme de 314,20 euros au titre des congés payés afférents ;

* 19 582,92 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre celle de 1 958,29 euros au titre des congés payés afférents ;

avec intérêts au taux légal à compter du 29 juillet 2016 ;

* 75 062,49 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement ;

* 200 000 euros à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

avec intérêts au taux légal à compter du jugement ;

- ordonné, en tant que besoin, le remboursement par la société aux organismes concernés des indemnités de chômage versées à M. [N] du jour de son licenciement à ce jour, à concurrence de trois mois dans les conditions prévues à l'article L.1235-4 du code du travail et dit que le secrétariat greffe en application de l'article R. 1235-2 du code du travail adresserait à la direction générale de Pôle emploi une copie certifiée conforme du jugement en précisant si celui-ci a fait ou non l'objet d'un appel ;

- ordonné l'exécution provisoire ;

- autorisé la consignation des sommes ainsi prononcées à titre de condamnation de la société entre les mains de la Caisse des dépôts et consignations dans un délai d'un mois à compter de la notification ou signification du présent jugement jusqu'au caractère définitif de celui-ci ou de la décision statuant sur l'éventuel recours contre ce dernier ;

- dit que, faute de consignation dans ce délai, l'exécution provisoire de la décision précitée retrouvera son entier effet ;

- condamné la société à payer à M. [N] la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles ;

- condamné la société aux dépens et frais d'exécution.

Par déclaration du 17 décembre 2020, la société a interjeté appel du jugement notifié le 3 décembre 2020.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 23 novembre 2022 auxquelles la cour renvoie pour plus ample exposé des prétentions et moyens en application de l'article 455 du code de procédure civile, la société demande à la cour de :

- déclarer son appel recevable et bien fondé ;

- infirmer le jugement ;

statuant à nouveau,

- déclarer les demandes de M. [N] mal fondées ;

- débouter M. [N] de l'intégralité de ses fins et prétentions ;

- le condamner au paiement d'une somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- le condamner aux frais et dépens de première instance et d'appel ;

- déclarer l'appel incident de M. [N] mal fondé ;

- le débouter de ses fins et conclusions.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 21 novembre 2022 auxquelles la cour renvoie pour plus ample exposé des prétentions et moyens en application de l'article 455 du code de procédure civile, M. [N] demande à la cour de :

- déclarer mal fondée la société en son appel et ses demandes ;

- rejeter toutes ses demandes ;

- confirmer le jugement en ce qu'il a dit que son licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société à lui payer les sommes de 3 143 euros au titre du rappel de salaire correspondant à la période de mise à pied conservatoire et de 314,20 euros au titre des congés payés afférents ;

- infirmer le jugement en ses dispositions ayant condamné la société à lui payer les sommes suivantes :

* 19 582,92 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre celle de 1 958,29 euros au titre des congés payés afférents ;

* 75 062,49 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement ;

* 200 000 euros au titre de l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

statuant à nouveau,

- le déclarer recevable et bien-fondé dans l'ensemble de ses demandes ;

en conséquence,

- condamner la société à lui payer les sommes suivantes :

* 474 193,20 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

* 136 065,03 euros nets au titre d'indemnité conventionnelle de licenciement ;

* 23 709,66 euros bruts au titre d'indemnité compensatrice de préavis ;

* 2 370,90 euros bruts au titre de congés payés sur indemnité de préavis ;

avec intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud'hommes, soit le 27 juillet 2016 ;

* 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

* l'intégralité des dépens, lesquels devront comprendre les frais d'huissier en vue de l'exécution forcée ;

- condamner la société à lui payer la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre de l'appel et les dépens.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 23 novembre 2022.

MOTIVATION

La cour observe que la société n'a pas critiqué dans sa déclaration d'appel le chef du dispositif du jugement concernant les pièces n°241 et 242 produites par M. [N] et que l'appel incident de celui-ci ne porte pas sur ce chef du dispositif. Par conséquent, la cour n'en est pas saisie.

Sur la rupture du contrat de travail

La lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, est rédigée dans les termes suivants :

« (') Nous avons eu à déplorer de votre part des agissements constitutifs de fautes, ce dont nous vous avons fait part lors de notre entretien du 23 mai 2016.

En effet, le 02 mai 2016, vous avez pris part à un déjeuner avec notre collaboratrice [B] [T] qui a eu d'importantes conséquences. Cette dernière a intégré la société le 1er décembre 2015 en qualité de responsable client industrie et était placée sous la responsabilité de [R] [D], responsable régionale des ventes. Cette dernière présentant un état pathologique de grossesse, elle est absente depuis le 14 janvier 2016. En votre qualité de directeur commercial, vous assurez donc le management de [B] [T] depuis cette date. Le 14 mars 2016, vous avez jugé concluante la période d'essai de [B] [T]. Vous avez justifié de votre décision auprès de [M] [I], responsable des ressources humaines, par les propos suivants : « Elle a un potentiel exceptionnel ».

Le 29 avril 2016, [B] [T] sollicite par email un rendez-vous pour le 02 mai car vous avez tous les deux prévus d'être présents à l'agence commerciale de Seyssinet ' Pariset (38). Dans son email, elle souhaite vous faire part de son ressenti sur les six premiers mois passés au sein de notre société et des difficultés managériales qu'elle rencontre. Le départ précipité de sa responsable et la découverte du métier l'ont conduit dans un état de stress. Elle souhaite donc échanger avec vous, son référent en l'absence de sa responsable, en espérant être écoutée et trouver des solutions ensemble. Dans ce texte, elle ne mentionne en aucun cas un départ potentiel de la société.

Le 02 mai 2016, vous décidez d'aller déjeuner ensemble, seuls. Lors de ce déjeuner, [B] [T] a l'occasion de vous présenter à nouveau son mal-être. Et c'est alors que vous réagissez de façon brutale en lui disant qu'elle n'est pas passée à l'âge adulte, qu'elle ne pense pas aux conséquences d'un départ pour l'équipe ou pour sa responsable alors enceinte, que son recrutement a coûté 20 000 € à l'entreprise et qu'à défaut d'être itinérante, elle régressera. Vous ajoutez que si un cabinet de recrutement venait à contacter [K], nous ferions état d'un gros échec avec [B] [T] et ferions en sorte qu'elle ne retrouve pas de travail, lui rendant ainsi son avenir incertain.

Puis, vous complétez votre discours en précisant que vous ne recruterez plus de femme à ce poste en raison de leur fragilité et de leur grossesse éventuelle. Enfin, vous concluez cette discussion en demandant à [B] [T] de démissionner car aucune négociation n'est possible pour vous, alors même qu'elle ne vous a fait aucune mention d'un quelconque départ. La pression était telle pour elle qu'un profond malaise s'installe alors jusqu'à la fin du déjeuner.

Le 02 mai 2016, de retour à l'agence commerciale vous travaillez avec [B] [T] à la transmission des dossiers commerciaux en vue de son départ, telles que la visite du client Viatemis qui était programmée le 24 mai 2016 et dont vous avez exigé les éléments. Ceci alors même que la rupture n'a pas été officialisée et que la volonté claire et non équivoque de rompre le contrat n'a pas été exprimée par [B] [T] à ce moment, négligeant par la même occasion les règles relatives au préavis puisque vous aviez l'intention de retirer des missions à notre collaboratrice.

Cette même après-midi, vous faites état de la situation par email à [M] [I], responsable des ressources humaines, en précisant que [B] [T] souhaite quitter la société et que vous avez tenté de la raisonner. Vous précisez que l'intéressée est prête à démissionner et à « rester le temps que nous le souhaitons ».

Le 03 mai au matin, [B] [T] se rend à un rendez-vous commercial et vous la contactez à multiples reprises par téléphone. L'après-midi, [B] [T] fait constater son état de santé par son Médecin traitant qui estime qu'elle n'est pas en mesure de travailler. Il dresse un premier avis d'arrêt travail jusqu'au 11 mai 2016. (A ce jour, l'arrêt a été prolongé jusqu'au 10 juin 2016.) De retour chez elle, [B] [T] rédige sa lettre de démission qu'elle expédie le 04 mai 2016 à l'attention du service des ressources humaines. Elle vous transfère néanmoins les éléments pour que vous assuriez les rendez-vous commerciaux du 04 mai 2016. En réponse, vous lui demandez par email si elle a envoyé sa lettre de démission. L'absence pour maladie et la lettre de démission expédiée précipitamment ne sont donc pas en mesure d'optimiser la passation de consignes que vous annonciez dans votre email du 02 mai 2016.

Par vos propos et votre comportement, nous estimons que vous avez porté atteinte à la dignité de notre collaboratrice, altéré sa santé et compromis son avenir professionnel. Votre attitude négative, brutale et menaçante à l'égard de notre collaboratrice dont vous aviez la responsabilité l'a poussée à la démission alors même qu'elle cherchait du soutien auprès de son référent. Vous avez donc manqué à vos obligations de manager. De plus les propos tenus à l'encontre des femmes occupant le poste de responsable de client industrie sont constitutifs non seulement d'un comportement machiste mais aussi d'une discrimination puisque vous souhaitez opérer une distinction entre les futurs candidats au poste à raison de leur sexe.

Compte tenu de la gravité des événements et des informations portées à notre connaissance dans ce contexte par des salariés, nous avons initié un audit des agences dont vous avez la responsabilité à [Localité 7] (38) et [Localité 8] (35). Cet audit a été mené par [M] [I], responsable des ressources humaines, qui s'est déplacé sur les sites concernés, dans le but de comprendre avec quel style managérial vous dirigez les équipes.

Des collaborateurs ont souhaité spontanément relater certains événements lors d'entretiens individuels. Alertés par cette démarche, des collaborateurs ayant quitté la société ont pris contact avec [M] [I]. Il a été fait état de situations inadmissibles au cours desquels certains collaborateurs ont été confrontés à :

votre communication souvent abrupte, car certains collaborateurs relatent que régulièrement vous n'usez pas des formules de politesse au téléphone par exemple ou que vous raccrochez le téléphone de manière brusque sans laisser le temps à votre interlocuteur de terminer sa phrase ;

votre insistance téléphonique, qui se manifeste par des appels très fréquents, même lorsque les collaborateurs sont en arrêt maladie, à des heures inconvenables (07h30 ou 19h30) et qui s'accompagne d'un message déplacé si la personne n'a pas pu répondre ;

votre domination et excès d'autorité sur certains collaborateurs qui expriment leur opinion ou qui ne sont pas de votre avis, allant jusqu'à les désavouer face à des clients.

Parmi les propos recueillis, nous avons été en particulier informés d'une conversation téléphonique que vous avez eue avec un ancien collaborateur, écoutée par un représentant du personnel et retranscrite. Cette appel faisait suite à l'envoi d'un avertissement au commercial concerné. Vous avez tenu les propos suivants : « Branleur, je te parle comme je veux, je ne t'écoute pas car tu n'es pas crédible, tu ne m'intéresses pas et tu n'as pas à répondre à la lettre », « j'en ai rien à foutre que tu sois mal à l'aise avec moi, je tournerai avec toi la semaine prochaine » ou encore lui conseillant de « prendre une carte de la CGT».

Nous apprenons que certaines situations conflictuelles ont détérioré les conditions de travail et conduit des collaborateurs à être déclarés malades et à stopper leur activité. Les termes employés par vos subordonnés pour qualifier ces absences maladie font état de dépression, de burn-out, de difficultés à trouver le sommeil, d'incidence sur leur vie personnelle, etc. Les traitements associés à ces pathologies ont souvent été des antidépresseurs.

Lors de l'audit, nous avons pu remettre en perspective des restrictions médicales rendues par des Médecins du travail pour des itinérants dont vous aviez la responsabilité. Nous savons désormais que certains collaborateurs ont été jugés inaptes au poste d'itinérants non pas en raison des liens entre leurs pathologies et le métier. Il s'avère que ces inaptitudes relèvent plutôt des relations de travail qu'ils avaient avec vous. Il fallait donc comprendre que ces personnes n'étaient plus en mesure de travailler avec vous, mais auraient sans doute pu continuer à exercer leur métier.

Dans sa globalité, l'audit montre de réels et importants problèmes liés à votre style managérial. Votre management a pu être qualifié de « directif », « dictatorial », voire de « harcèlement ». Vous adoptez un comportement insidieux, un acharnement qui progressivement gomme toute personnalité. Les plus anciens collègues témoignent, qu'en moyenne, une à deux personnes par an se disaient souffrir de votre conduite.

Par ailleurs, depuis mars 2016, la société Wikane assure un audit dans le cadre de nos objectifs de croissance. Elle inspecte nos process pour trouver toute innovation potentielle et optimiser notre productivité. À cette occasion, la consultante a eu l'opportunité de rencontrer divers interlocuteurs de l'entreprise. Il apparaît qu'elle a recueilli des avis qui convergent avec l'audit mené par nos soins sur votre style managérial.

Nous avions déjà eu l'occasion, notamment lors des entretiens annuels d'évaluation, de vous signaler vos problèmes de communication et de vous inviter à prendre du recul dans vos pratiques managériales. Nous ignorions cependant la gravité de la situation et les conséquences subies par vos équipes, qui nous ont désormais été révélées. Nous ne pouvons que constater que vous n'avez pas pris en considérations nos demandes.

Votre comportement envers notre collaboratrice [B] [T] est inacceptable et la pousser à la démission est gravement préjudiciable à l'entreprise. De plus, nous avons recueilli des témoignages qui prouvent que votre conduite a pu mettre à mal la dignité de certains collègues, voire provoquer des troubles sur leur santé. Par votre management par autorité, vous mettez en péril les valeurs familiales du groupe [K] basées sur le respect et pour lesquels le Conseil d'Administration a mis en place un code de conduite que vous n'êtes pas censé ignoré. En votre qualité de membre du comité de direction, vous êtes le garant des valeurs de l'entreprise et votre posture nuit à l'image que les collaborateurs s'en font. Par ailleurs, nous nous interrogeons sur l'impact que votre comportement pourrait avoir eu auprès de nos clients par le passé, voire à venir, notamment au regard de vos remarques sexistes entraînant ainsi des dommages commerciaux.

Vous mettez en cause la bonne marche de l'entreprise et nous sommes contraints de prendre des mesures nécessaires pour assurer la sécurité de nos collaborateurs.

Nous vous avons notifié une mise à pied titre conservatoire par courrier en date du 12 mai 2016, présenté à votre domicile la 14 mai 2016. Cette information vous a également été transmise lors d'une conversation téléphonique avec le soussigné dès l'après-midi du 13 mai 2016. Pour autant, nous avons pu constater que vous avez continué à communiquer avec vos équipes et à échanger des emails. De surcroît, toujours dans cette période, vous avez exercé des pressions sur vos subordonnés afin de recueillir des informations sur la procédure en cours, plaçant ainsi vos collaborateurs dans une situation ambiguë que certains ont déplorée. Vous auriez dû vous abstenir de tout contact avec les clients et de surcroît vous interdire toute pression sur vos subordonnés durant la période de mise à pied à titre conservatoire.

Les explications recueillies auprès de vous, au cours de notre entretien du 23 mai 2016 ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation concernant vos agissements. En conséquence, nous avons décidé de vous licencier pour faute grave.

Compte tenu de la gravité de celle-ci et de ses conséquences, votre maintien dans l'entreprise s'avère impossible. Nous vous confirmons pour les mêmes raisons la mise à pied à titre conservatoire dont vous faites l'objet depuis le 14 mai 2016. Le licenciement prend donc effet immédiatement dès notification de la présente lettre et votre solde de tout compte sera arrêté à cette date, sans indemnité de préavis, ni de licenciement. (').

Sur la rupture du contrat de travail

* sur le bien-fondé du licenciement

La société soutient que le licenciement pour faute grave est justifié au regard des griefs invoqués qui, selon elle, rendent impossible le maintien de M. [N] dans l'entreprise.

Ce à quoi M. [N] réplique qu'il n'a commis aucune faute. Il conteste les faits tels qu'ils sont rapportés par Mme [T] et notamment avoir tenu des propos irrespectueux à l'égard de celle-ci. Il soutient qu'il a toujours eu un comportement irréprochable à l'égard de ses collaborateurs et en veut pour preuve les attestations d'une dizaine de personnes qui ont travaillé sous son encadrement. M. [N] qualifie les attestations de salariés et d'anciens salariés de la société d'attestations de complaisance établies à la demande de l'employeur pour la procédure de licenciement et conteste les faits qui y sont relatés.

M. [N] conteste également pratiquer un management fautif et dénonce une absence de méthodologie dans la conduite de l'audit interne dont les entretiens ne sont pas restitués dans leur exhaustivité. Il fait valoir que l'agence de [Localité 6] l'a défendu mais que la décision de le licencier avait déjà été prise par la direction des ressources humaines et que son licenciement procède d'une démarche partiale.

En application des articles L. 1234-1 et L. 1234-9 du code du travail la faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié constituant une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et nécessite son départ immédiat sans indemnité. L'employeur qui invoque une faute grave doit en rapporter la preuve.

* sur le grief tiré de l'attitude de M. [N] à l'égard de Mme [T] et des propos allégués à son égard

Au soutien de ce grief, la société produit le courriel de Mme [T] à M. [N] du 29 avril 2016, le courriel de M. [N] à Mme [T] du 4 mai 2016 et la lettre de démission de Mme [T] datée du 3 mai 2016. Elle produit également une attestation de Mme [T] ainsi que les arrêts de travail de celle-ci.

La société verse encore aux débats :

- des éléments de l'audit interne mené par le directeur des ressources humaines, M. [M] [I], et plus particulièrement, les propos signés de cinq personnes dont deux anciens salariés de la société [K] France ayant eu M. [N] comme supérieur hiérarchique : M. [X], Mme [P] [E], M. [Z], M. [F] et M. [C] ;

- des courriers de 1999 du supérieur hiérarchique de M. [N] ;

- les évaluations de M. [N] de 2011, 2014 et 2015 ;

- le courriel de M. [M] [I] à M. [A] [M], directeur général de la société, en date du 10 mai 2016.

La cour relève que seuls Mme [T] et M. [N] étaient présents lors du déjeuner du 2 mai 2016, chacun des protagonistes en donnant une version différente. Il n'en demeure pas moins, à travers l'examen de la chronologie des événements et du contenu des courriels que :

- ce déjeuner est intervenu après le courriel en date du 29 avril 2016 dans lequel Mme [T] sollicitait de M. [K] un entretien pour évoquer ses premiers mois au sein de la société, son ressenti et son état de stress (« je vous avoue me sentir mal ») ainsi que ses inquiétudes en raison d'un manque de formation, l'absence de supérieur hiérarchique sur son lieu de travail et le manque d'organisation. Mme [T] y évoquait son sentiment d'être « lâchée dans la nature » mais également sa « volonté de découvrir le métier » et indiquait que « [K] était et reste un véritable défis pour moi » ;

- dès le 2 mai 2016, M. [N] a informé en fin d'après-midi le directeur des ressources humaines de ce que, lors du déjeuner, Mme [T] lui avait fait part de son désir de quitter l'entreprise. Il a précisé, à ce propos, avoir essayé de la raisonner mais qu'elle lui avait indiqué ne pas être capable de mener « cette vie » et de réussir dans ce métier ; qu'elle était donc prête à démissionner mais qu'elle était d'accord pour rester « le temps que nous le souhaitons ». M. [N] a conclu son message en demandant à M. [I] s'il pouvait lancer des recherches « pour un jeune commercial motivé et résistant » ;

- le 4 mai 2016, Mme [T] a envoyé une lettre de démission datée du 3 mai et a présenté un arrêt de travail à compter de cette date jusqu'au 1er juillet suivant ;

- toujours le 4 mai 2016, M. [N] a demandé à Mme [T] si elle avait envoyé sa lettre.

L'employeur souligne que M. [N] avait validé la période d'essai de Mme [T] en l'absence de la responsable directe, Mme [R] [D], arrêtée pour un état pathologique de grossesse.

La lettre de démission rédigée par Mme [T] ne mentionne aucun motif et Mme [T] y indique qu'elle effectuera son préavis de trois mois. Néanmoins, il ressort du courriel du directeur des ressources humaines au directeur général en date du 10 mai 2016 que celui-ci a échangé, d'une part, avec Mme [T] et, d'autre part, avec M. [N]. A cet égard, M. [I] évoque dans le courriel « la détresse de [B] » que « [J] ne prend pas en considération ». Ce courriel est donc révélateur du positionnement de M. [N] en termes de management. Ainsi M. [I] écrit-il à M. [M] :

« Tout a bien commencé avec [R], bonne entente. Puis, avec [J], la situation a changé. Son management est particulier. Elle n'a pas eu de conseil, « en tant que titulaire du poste, elle doit savoir faire ». Elle s'est sentie lâchée dans la nature sans réelle soutien.

Il y a 2 mois environ, elle a craqué auprès d'[S] mais elle a su trouver les mots pour la remotiver.

Son email ci-dessous du 29 avril devait servir à planter le décor. Elle s'y confie ouvertement en espérant une écoute. Tu remarqueras qu'elle ne mentionne aucunement la démission.

Lors de la réunion du 02 mai avec [J], c'est la douche froide. Selon elle, il a été simplement méchant. Elle me précise que nous avons de la chance car elle ne l'a pas enregistré ! Parmi les propos qu'il aurait tenus :

elle n'est pas passée à l'âge adulte

ne plus être sur le terrain, c'est régressé

la prochaine fois, il n'embauchera plus de femme à ce poste

elle ne pense pas aux autres car elle met l'agence en difficulté

il n'y a pas de négo possible, c'est la démission

Le 03 mai, elle pose sa démission suite à cet entretien. Elle est très contente de [K] mais ne peut plus croiser [J]. Elle est en arrêt maladie jusqu'au 11 mai inclus car elle ne dort plus et est abattue. »

Dans une attestation circonstanciée datée du 18 mai 2016, Mme [T] confirme les attentes qu'elle avait en sollicitant un entretien, le 29 avril précédent, avec M. [N] et déclare qu'elle n'avait jamais eu l'intention de démissionner mais qu'à l'issue du déjeuner, M. [N] lui a intimé de démissionner et l'a menacée de lui nuire en cas de contrôle de référence lors d'un prochain recrutement en faisant état d'un « gros échec » chez [K].

Les propos de M. [N] rapportés par Mme [T] correspondent à ceux qui figurent dans le courriel de M. [I]. Mme [T] dénonce des propos sexistes sur les femmes, leur fragilité et le risque de grossesse. Elle déclare encore s'être sentie « stigmatisée, humiliée et harcelée » car elle attendait des solutions de la part de son responsable et qu'au retour du déjeuner, elle a travaillé avec M. [N] à la transmission des informations en vue de son départ alors qu'elle ne l'avait pas encore décidé, ni officialisé. Elle déclare enfin avoir honoré un rendez-vous commercial le matin du 3 mai mais qu'en raison des appels à plusieurs reprises de M. [N] sur son portable et des pressions, elle s'est rendue ensuite chez son médecin. Mme [T] réitère en fin d'attestation qu'elle a envoyé sa lettre de démission sous la contrainte et en raison des pressions exercées par M. [N].

Il ressort de l'ensemble de ces éléments que Mme [T] n'avait jamais manifesté l'intention de démissionner avant le 3 mai 2016 et qu'elle avait sollicité aide et soutien de son supérieur hiérarchique ; qu'une lettre de démission a été envoyée deux jours après le déjeuner avec M. [N] qui a expressément interrogé Mme [T] sur l'envoi de cette lettre ; que concomitamment à ces événements, Mme [T] a présenté un arrêt de travail d'une durée de plus deux mois.

Il résulte encore du courriel de M. [I] au dirigeant de la société que le management de M. [N] était particulier et que celui-ci avait refusé de faire preuve de compréhension face aux difficultés et à l'état de stress d'une jeune collaboratrice ayant peu d'expérience et étant privée de l'encadrement de sa responsable directe quasiment depuis ses débuts dans la société.

La cour relève enfin que, dès le 2 mai 2016, M. [N] s'est empressé de solliciter du directeur des ressources humaines la recherche d'un candidat ' étant relevé que seul le masculin était employé - « motivé et résistant » - précision qui conforte les propos de nature sexiste rapportés par Mme [T].

La cour conclut de ce faisceau d'éléments que M. [N] a conduit de manière brutale et comminatoire un entretien avec une jeune collaboratrice qui lui demandait de l'aide et dont il connaissait l'état de stress en tenant, en outre, des propos de nature discriminatoire; que ce comportement a contribué à l'arrêt de travail de Mme [T] et l'a incitée à présenter sa démission alors qu'elle n'en avait pas l'intention.

* sur le grief tiré de la communication abrupte et du style managérial directif et autoritaire de M. [N]

Le procès-verbal de la réunion du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (ci-après CHSCT) du 16 juin 2016 se fait l'écho de la décision de la direction de mener des audits dans les agences de [Localité 5] et de [Localité 6], à la suite des faits dénoncés par Mme [T], afin de qualifier le style managérial de M. [N]. Il se fait également l'écho de la décision de mettre à pied M. [N] à titre conservatoire puis de le licencier pour faute grave au motif que son style managérial avait pu provoquer des troubles sur la santé de certains collaborateurs dans le passé.

Si l'employeur s'appuie sur les propos de cinq salariés ou anciens salariés recueillis dans le cadre d'un audit interne qui ne précise pas le nombre d'auditions menées et, le cas échéant, une synthèse de leur contenu, la cour relève que ces propos sont toutefois signés de leurs auteurs et non seulement consignés par le directeur des ressources humaines ; qu'ils émanent pour deux d'entre eux d'anciens salariés ; que la date d'entrée et, le cas échéant, la date de sortie de la société sont indiquées ainsi que les fonctions et la période pendant laquelle ces personnes ont travaillé sous l'encadrement de M. [N].

C'est ainsi que M. [G] [X], qui a travaillé dans la société [K] France du 3 mai 2010 au 6 décembre 2012 en qualité de responsable clients industrie, déclare avoir eu de bonnes relations au début avec M. [N] mais que le climat s'est détérioré progressivement car M. [N] en voulait toujours davantage. M. [X] évoque une forte pression. Il dénonce un management directif et fait part de son ressenti d'alors : sentiment de dévalorisation ; proche du burn out ; impact sur sa santé : irritabilité, troubles du sommeil ; amélioration six mois après avoir quitté l'entreprise) :

« Il [M. [N]] me disait qu'il avait besoin d'un commercial confirmé, qu'il voulait « tirer plus de moi » et je ne me sentais plus à la hauteur. Une domination s'est alors installée et j'avais l'impression d'être « une grosse merde ». J'ai alors échangé avec mes collègues commerciaux itinérants de la région afin d'entreprendre une action commune car ils souffraient des mêmes problèmes. Mais ils n'ont pas souhaité agir de concert. En revanche, si j'avais à revivre une telle situation, je pense que je saisirai un Conseil de Prud'hommes car le comportement de [U] est inacceptable. »

M. [Y] [Z] a été recruté en 1995 et a travaillé sous la responsabilité de M. [N] jusqu'en 2015. Il déclare que M. [N] a tendance à se focaliser sur le négatif et à insister sur cet aspect sans jamais féliciter ; qu'il fait monter la pression et que son caractère peut être considéré comme méchant. Il déclare également que M. [N] avait une communication abrupte et coupante, sans politesse et qualifie son management de dictatorial car il voulait être obéi sans discussion ; qu'il n'a pas hésité à le désavouer auprès d'un client. M. [Z] déclare encore avoir eu des arrêts de travail à cause de M. [N] et rapporte que son médecin traitant et son psychologue ont estimé qu'il ne pouvait plus retravailler avec M. [N]. M. [Z] a été muté en 2015 sur un poste de conseiller commercial interne et a changé de responsable.

M. [W] [F] a été recruté en 1995. Il déclare qu'il a trouvé le management de M. [N] très particulier ; qu'en dix ans, il a connu des situations avec tension et qu'il a même souhaité démissionner fin 2016, ce qui a provoqué l'intervention du directeur général. M. [F] déclare que le management de M. [N] est déresponsabilisant et stressant avec trop d'interventions auprès des équipes ; qu'il est stressant car M. [N] est lui-même stressé mais que ces deux ou trois dernières années, M. [N] a pris conscience de cela et que, désormais, il lui exprime son désaccord quand c'est le cas. Il dit que M. [N] a mis « de l'eau dans son vin » et qu'avec ses observations, son comportement s'est amélioré. Il déclare toutefois ne pas être surpris par le départ de Mme [T] et qu'en moyenne, il y avait un ou deux collaborateurs par an qui souffraient du management de M. [N]. Il ajoute qu'il déconseillerait à un ami de postuler chez [K] à un poste sous la responsabilité de M. [N].

M. [V] [C] a travaillé un peu plus d'un an dans la société [K] France de 2008 à 2009 en qualité de conseiller commercial itinérant. Il déclare que cela avait bien commencé mais qu'au bout de six à sept mois, M. [N] a tenu des propos de plus en plus virulents, qu'il exerçait une supervision exagérée et a commencé à s'acharner sur lui lors de crises qu'il piquait à l'agence ou lors d'appels téléphoniques répétés à 7h30 ou à 19h30. Il déclare se souvenir que M. [N] l'avait traité d'« incapable » et avait regretté de lui avoir confié son secteur. Il déclare également que sur la fin de son expérience chez [K], M. [N] était devenu « carrément agressif » :

« Toujours au téléphone, il me demandait ce que je faisais à l'agence et me traitait de « syndicaliste » pour me signifier que j'étais un fainéant à ses yeux. Un jour, il m'a même dit : « heureusement que tu n'es pas en face de moi » ! [U] est également devenu plus insistant et ses appels étaient de 2 à 3 par jour pour me saper le moral ou se concluant par des raccrochages au nez.

J'ai eu l'opportunité de mettre le haut-parleur lors d'une conversation très tendue entre [U] et moi. Ma collègue [O] [P], alors élue au CE, a alors entendu les propos que [U] a eu à mon égard. Parmi le florilège de paroles déplacées, nous avons relevé : « branleur, je te parle comme je veux, je ne t'écoute pas car tu n'es pas crédible », « j'en ai rien à foutre que tu sois mal à l'aise avec moi, je tournerai avec toi la semaine prochaine », ou encore qu'il me conseillait de « prendre une carte de la CGT ». Il souhaitait m'accompagner davantage en tournée auprès des clients. Lors de ces rendez-vous commerciaux, il en profitait pour me désavouer face aux clients.

A l'agence, je ne pouvais pas retenir mes émotions après mes conversations avec [U]. J'étais en pleurs et sur les nerfs. En arrêt maladie, [U] m'appelait pour me demander de travailler à distance. En novembre 2009, le Médecin du travail m'avait demandé de ne plus travailler sous la responsabilité de [U] et avait demandé de me « sédentariser » temporairement. Certains représentants du personnel m'avaient conseillé d'entamer une démarche contentieuse mais je ne voulais ressasser tous ces problèmes.

Le management de [U] m'a paru normal au début. Puis, il est vite devenu oppressant sans réelles raisons apparentes. Il souhaite que tout le monde adhère à ses méthodes sans tenir compte du caractère de ses collaborateurs. »

Mme [O] [P] [E] a été recrutée en 2003. Elle déclare avoir été prise en grippe à un moment par M. [N] qui a fait preuve d'acharnement ; elle dénonce sa communication (il raccrochait au nez) ; elle rapporte qu'en 2007, le directeur général s'est déplacé pour remettre la situation à plat entre M. [N] et elle. Elle dit se souvenir de nombreux clashs avec des collègues et notamment de l'acharnement de M. [N] envers [V] [C] ; elle dit avoir été témoin d'une conversation téléphonique violente. Elle déclare qu'elle a eu l'impression d'être discriminée parce qu'elle était une femme et jeune. Elle qualifie son management d'inexistant, sournois et déclare qu'elle avait l'impression qu'il cherchait à diviser pour mieux régner.

Les propos recueillis lors de ces auditions permettent de mettre en évidence des méthodes de management brutales, stressantes voire humiliantes de la part de M. [N] avec des répercussions sur la santé des personnes.

La circonstance que d'autres salariés ayant travaillé sous la responsabilité de M. [N] attestent qu'il était certes exigeant mais courtois et humain n'invalide pas pour autant les déclarations circonstanciées et concordantes des cinq personnes exposées précédemment. Il n'en ressort d'ailleurs pas que tous les collaborateurs de M. [N] ne supportaient pas son management mais que certains préféraient ne rien dire tandis que d'autres étaient déstabilisés, perdaient confiance en eux et présentaient des troubles de santé. S'agissant de la communication de M. [N], ce n'est pas tant sa communication écrite que verbale qui est mise en cause de sorte que les évaluations écrites que M. [N] a pu rédiger concernant M. [Z] ou Mme [P] par exemple ne sont pas de nature à contredire utilement ce qui est dit de sa communication verbale.

La cour relève en outre que, dans ses évaluations entre 2011 et 2015, il avait été demandé à M. [N] de faire porter ses efforts sur les relations humaines et la communication et qu'il avait été invité à prendre du recul sur le plan émotionnel. Par exemple, en 2011 : « un juste milieu entre pression et motivation doit être trouvé au sein de son équipe ».

En revanche, l'audit de la société Wikane, de surcroît versé aux débats en langue anglaise, présente un intérêt limité dans le cas présent dès lors qu'il est très schématique et ne se réfère pas expressément au management de M. [N]. Seule la phrase : « Management style at Sales and Purchasing is weakening motivation of the employees in those departments » fait référence à des pratiques de management mais aucun élément ne permet de les imputer avec certitude et exclusivement à M. [N] ' les éléments de la cause faisant apparaître, par ailleurs, qu'il y avait deux directeurs commerciaux, M. [N] et M. [L] [H].

Eu égard à l'ensemble de ces éléments, la cour considère que les techniques de management de M. [N] étaient inadaptées et source de souffrance au travail pour plusieurs collaborateurs.

La cour conclut que les griefs invoqués par l'employeur sont établis, qu'ils rendent impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et nécessitent son départ immédiat sans indemnité. La décision des premiers juges sera donc infirmée à ce titre.

Corollairement, M. [N] sera débouté de ses demandes au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents, de l'indemnité conventionnelle de licenciement et de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ainsi que de sa demande au titre du rappel de salaire concernant la période de mise à pied à titre conservatoire et des congés payés afférents. La décision des premiers juges sera infirmée sur tous ces chefs de demande.

Sur les autres demandes

* sur le remboursement à Pôle emploi

Compte tenu de la solution du litige en appel, la décision des premiers juges en ce qu'elle a ordonné le remboursement par l'employeur à Pôle emploi des indemnités de chômage versées à M. [N] du jour du licenciement au jour du jugement, dans la limite de trois mois d'indemnités, sera infirmée.

* sur les dépens et sur l'article 700 du code de procédure civile

M. [N] sera condamné aux dépens de première instance et d'appel, la décision des premiers juges étant infirmée sur les dépens.

Les parties seront déboutées de leurs demandes respectives au titre de l'article 700 du code de procédure civile et la décision des premiers juges au titre des frais irrépétibles sera infirmée.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR, statuant par arrêt contradictoire et par mise à disposition,

INFIRME le jugement en toutes ses dispositions déférées à la cour;

Et statuant à nouveau et y ajoutant,

DIT que le licenciement pour faute grave de M. [J] [N] est fondé ;

DÉBOUTE M. [J] [N] de l'ensemble de ses demandes financières subséquentes ;

DIT n'y avoir lieu d'ordonner à la société [K] France le remboursement à Pôle emploi des indemnités de chômage versées à M. [N] du jour du licenciement au jour du jugement, dans la limite de trois mois d'indemnités ;

DÉBOUTE les parties du surplus de leurs demandes ;

CONDAMNE M. [J] [N] aux dépens de première instance et d'appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 21/00295
Date de la décision : 13/04/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-04-13;21.00295 ?
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