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11/04/2023 | FRANCE | N°20/01649

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 13, 11 avril 2023, 20/01649


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 13



ARRET DU 11 AVRIL 2023



(n° , 8 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/01649 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CBK25



Décision déférée à la Cour : Jugement du 02 Décembre 2019 -Tribunal de Grande Instance de Paris - RG n° 19/00656



APPELANTE



Madame [J] [I]

[Adresse 2]

[Localité 1]

Représentée

par Me Sophie FREZAL, avocat au barreau de PARIS

Ayant pour avocat plaidant Me Romain DEGOUTTE, avocat au barreau de ROUEN



INTIMES



AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT

[Adresse 4]

...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 13

ARRET DU 11 AVRIL 2023

(n° , 8 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/01649 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CBK25

Décision déférée à la Cour : Jugement du 02 Décembre 2019 -Tribunal de Grande Instance de Paris - RG n° 19/00656

APPELANTE

Madame [J] [I]

[Adresse 2]

[Localité 1]

Représentée par Me Sophie FREZAL, avocat au barreau de PARIS

Ayant pour avocat plaidant Me Romain DEGOUTTE, avocat au barreau de ROUEN

INTIMES

AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT

[Adresse 4]

[Adresse 8]

[Localité 6]

Représenté par Me Yves CLAISSE de la SELARL CENTAURE AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0500

AUTRE PARTIE :

LE PROCUREUR GENERAL PRES LA COUR D'APPEL DE PARIS

[Adresse 3]

[Localité 5]

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 07 Février 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Marie-Françoise d'ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre, et Madame Estelle MOREAU, Conseillère, chargée du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre

Madame Marie-Françoise d'ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre

Madame Estelle MOREAU, Conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Victoria RENARD

MINISTÈRE PUBLIC : L'affaire ayant été communiquée le 23 décembre 2021, le ministère public ayant fait connaitre son avis le 07 décembre 2022

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 11 avril 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre et par Victoria RENARD, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

***

Le 27 novembre 2011, les policiers du commissariat de police de [Localité 7] intervenaient au domicile de Mme [J] [I] qui déclarait d'abord avoir été victime d'un viol commis dans le parc jouxtant son domicile par un homme porteur d'une cagoule qu'elle désignait comme étant probablement M. [U] [D], puis que les faits avaient été commis par son ancien compagnon, M. [L] [M], qu'elle avait rencontré plus tôt dans l'après-midi à l'appartement de celui-ci. A l'issue de l'enquête, un avis de classement sans suite était adressé à Mme [I] le 4 janvier 2012, laquelle déposait une plainte avec constitution de partie civile devant le juge d'instruction du tribunal de grande instance de Lisieux le 22 février 2012.

Sur réquisitions conformes du 11 mai 2017, le juge d'instruction a rendu, le 21 août 2017, une ordonnance de mise en accusation de M. [M] devant la cour d'assises du Calvados du chef de viol sur la personne de Mme [J] [I]. Le 30 janvier 2018, la cour d'assises a acquitté M. [M].

C'est dans ces circonstances que par acte du 10 janvier 2019, Mme [I] a fait assigner l'agent judiciaire de l'Etat devant le tribunal de grande instance de Paris aux fins d'engagement de la responsabilité de l'Etat pour fonctionnement défectueux du service public de la justice sur le fondement de l'article L.141-1 du code de l'organisation judiciaire.

Par jugement du 2 décembre 2019, le tribunal de grande instance de Paris a :

- condamné l'agent judiciaire de l'Etat à payer à Mme [I] les sommes de :

- 4 000 euros à titre de dommages et intérêts,

- 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamne l'agent judiciaire de l'Etat aux dépens,

- ordonné l'exécution provisoire,

- rejeté les demandes plus amples ou contraires.

Par déclaration du 16 janvier 2020, Mme [I] a interjeté appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions notifiées et déposées le 7 avril 2021, Mme [J] [I] demande à la cour de :

- dire son appel régulier et recevable,

- infirmer la décision rendue par le tribunal,

- condamner l'agent judiciaire de l'Etat à lui verser la somme de 15 000 euros en réparation de sa perte de chance d'obtenir la condamnation de M. [L] [M] et la réparation de son préjudice,

- condamner l'agent judiciaire de l'Etat à lui verser la somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral résultant de la faute lourde commise par les services judiciaires,

- condamner l'agent judiciaire de l'Etat à lui verser la somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral résultant du manquement à son droit de voir son affaire jugée dans un délai raisonnable,

- condamner l'agent judiciaire de l'Etat à lui verser la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'au paiement des entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées le 14 octobre 2020, l'Etat pris en la personne de l'agent judiciaire demande à la cour de :

- réformer le jugement en ce qu'il a retenu la faute lourde de l'Etat et l'a condamné à payer à Mme [I] les sommes de 4 000 euros à titre de dommages et intérêts au titre du déni de justice, et 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens, et le confirmer pour le surplus,

statuant à nouveau,

- dire que l'Etat n'a pas commis de faute lourde,

- débouter Mme [I] de ses demandes de condamnation à lui payer la somme de 15 000 euros en réparation de sa perte de chance d'obtenir la condamnation de M. [M], la somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral résultant du manquement de son droit de voir son affaire jugée dans un délai raisonnable ainsi que la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens,

à titre subsidiaire,

- réduire les demandes de Mme [I] à de plus justes proportions.

Selon avis notifié le 7 décembre 2022, le ministère public demande à la cour de confirmer le jugement entrepris.

La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du 13 décembre 2022.

SUR CE

Sur la responsabilité de l'Etat pour faute lourde :

Le tribunal a retenu que :

- les enquêteurs ont commis une grave négligence, constitutive d'une faute lourde, en ne respectant pas les dispositions procédurales et les prescriptions techniques pour permettre l'exploitation dans des conditions normales des éléments de preuve découverts, en l'occurence les vêtements de Mme [I],

- en revanche, les fautes reprochées aux enquêteurs, d'une part, au titre du défaut d'audition des témoins rapidement, sans que Mme [I] explique pourquoi il était urgent de les entendre dans les premiers jours de l'enquête, et, d'autre part, au titre de l'absence de l'accomplissement de certaines diligences au cours de l'instruction, alors qu'il n'est pas établi que Mme [I] ait formé des demandes d'actes auprès du magistrat instructeur, ne sont pas de nature à engager la responsabilité de l'État,

- si la cour d'assises a considéré que l'ADN retrouvé sur un des vêtements de Mme [I] n'était pas suffisamment probant, quand bien même la preuve biologique aurait été retenue avec une force probante plus élevée, il n'est pas démontré avec une certitude suffisante que la cour et le jury auraient estimé que les autres éléments démontrant l'innocence de M. [M], sur lesquels la décision était également fondée, étaient de moindre importance, notamment la personnalité de Mme [I] avec une tendance au mensonge et à l'affabulation, la relation qu'elle avait eue avec l'accusé et son comportement le jour des faits,

- il n'est donc justifié d'aucun lien causal entre la faute du service public de la justice et le préjudice allégué.

Mme [I] fait valoir que les enquêteurs n'ont pas traité sérieusement sa plainte et ont commis de nombreuses négligences qui traduisent l'inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi en ce qu'ils :

- n'ont pas placé sous scellé les vêtements et sous-vêtements qu'elle portait lors de son agression et n'ont réalisé aucune investigation ou prélèvement sur ceux-ci, lesquels ont été conservés dans des conditions inconnues pendant près de 17 mois avant d'être retrouvés et placés sous scellés,

- n'ont pas procédé rapidement à l'audition des témoins,

- ne se sont pas rendus sur les lieux des faits notamment pour procéder à des recherches de traces ou indices, à un album photographique des lieux et à une enquête de voisinnage; lesquelles investigations ne pouvaient être réalisées à sa demande au cours de l'instruction ouverte huit mois après les faits.

Elle ajoute que le libellé du classement sans suite est caractéristique du manque de sérieux total avec lequel l'enquête a été menée.

Au titre du préjudice, elle soutient que :

- l'absence de constatations sur les lieux des faits, de réalisation d'un album d'état des lieux et d'enquête de voisinage, de saisie et placement sous scellé de ses vêtements et sous-vêtements dans des conditions légales, de réalisation des auditions des témoins indirects dans les heures ou même jours qui ont suivi les faits, ont été de nature à influer sur la décision de la cour d'assises du Calvados et l'absence de toute constatation technique et de toute saisie a entraîné de façon certaine la déperdition d'éléments susceptibles d'entrainer une déclaration de culpabilité et une condamnation à l'indemniser,

- elle a perdu une chance, devant être évaluée à 50%, de voir l'auteur des faits commis à son encontre condamné et d'obtenir la réparation de son dommage, et justifie ainsi d'un préjudice de perte de chance de 15 000 euros outre un préjudice moral de 10 000 euros,

L'Etat, pris en la personne de l'agent judiciaire, réplique que :

- Mme [I] se contente d'alléguer que les insuffisances de l'enquête traduisent l'inaptitude du service public de la justice sans démontrer aucune faute lourde,

- si les conditions de conservation des vêtements sont constitutives d'une négligence, celle-ci ne peut être qualifiée de faute lourde,

- à considérer la faute lourde caractérisée, la perte de chance réelle et sérieuse pour Mme [I] d'obtenir gain de cause devant la cour d'assises n'est pas rapportée et la réalité du préjudice moral tiré de la faute lourde n'est pas démontrée.

Le ministère public conclut à la confirmation du jugement, tout en soulignant que la cour d'assises ne s'est pas exclusivement fondée sur l'absence de preuve génétique pour acquitter M. [M] et que les préjudices allégués ne sont pas caractérisés.

Aux termes de l'article L.141-1 du code de l'organisation judiciaire, l'État est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice. Cette responsabilité n'est engagée que par une faute lourde ou par un déni de justice.

La faute lourde se définit comme toute déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l'inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi.

L'inaptitude du service public de la justice ne peut être appréciée que dans la mesure où l'exercice des voies de recours n'a pas permis de réparer le mauvais fonctionnement allégué. Il n'y a donc pas de faute lourde lorsque l'exercice des voies de recours a été favorable au demandeur ou lorsque la voie de recours qui était ouverte n'a pas été exercée, le juge n'ayant pas à s'assurer de l'issue possible de cette voie de recours.

Il est établi par les pièces produites aux débats qu'alors que le procureur de la République de [Localité 7] a donné pour instruction au commissariat de police de [Localité 7], saisi de l'enquête de flagrance ouverte pour viol à la suite du dépôt de plainte de Mme [I], de lever la garde à vue de M. [M], de lui transmettre la procédure en l'état et de conserver les vêtements placés sous scellés en vue d'une éventuelle expertise, ceux portés par Mme [I] ont été appréhendés à son domicile par les policiers s'étant rendus sur place le 27 novembre 2011 dès les faits dénoncés, mais n'ont pas été mis sous scellés, mais seulement 'conditionnés dans des sacs papier spécifiques', photographiés et remisés au service. Le placement sous scellé a été réalisé le 2 avril 2013 en exécution d'une commission rogatoire délivrée par le juge d'instruction. La cour d'assise a relevé que les scellés avaient été constitués 17 mois après les faits sans qu'aucun élément ne permette de connaître les conditions de conservation des effets, qu'aucun agent de police technique et scientifique n'était présent au moment du recueil des vêtements le jour des faits au domicile de la plaignante et qu'aucun procès-verbal ne détaille les diligences de cet agent technique intervenu seulement au commissariat.

Le défaut de placement sous scellés des vêtements portés par une victime prétendue de faits criminels de viol, dans les conditions techniques requises et de nature à en préserver l'intégrité, alors qu'ils constituent un élément de preuve essentiel des faits allégués, n'est pas une simple négligence mais une déficience caractérisée traduisant l'inaptitude du service public de la justice à remplir la mission, constitutive d'une faute lourde.

En revanche, Mme [I] échoue à établir le surplus des fautes lourdes qu'elle allègue au titre des manquements de l'enquête et de l'information judiciaire. A ce titre, outre que le seul libellé de l'avis de classement sans suite de sa plainte le 4 janvier 2012 ne saurait être constitutif d'une faute lourde, elle ne justifie pas de la nécessité de procéder d'urgence à l'audition de certains témoins entendus au cours de l'enquête de flagrance ou d'autres témoins qu'elle a cités dans sa plainte avec constitution de partie civile déposée le 22 février 2012 et qui ont effectivement été entendus en cours d'information judiciaire. Elle n'a formulé aucune demande d'acte pour pallier ces lacunes prétendues, en particulier aux fins de réalisation d'investigations non effectuées au cours de l'enquête de flagrance, alors qu'elle a formulé une demande d'expertise ADN de ses vêtements dès le 25 février 2012 à l'occasion de l'information judiciaire ouverte sur sa plainte avec constitution de partie civile et qu'elle pouvait étendre cette demande à d'autres actes qu'elle estimait nécessaires à la manifestation de la vérité.

Les premiers juges ont donc pertinemment retenu une seule faute lourde, ayant trait aux modalités de saisie et de conservation des vêtements de Mme [I].

L'expertise génétique réalisée le 1er octobre 2013 au cours de l'information judiciaire sur les vêtements de Mme [I] placés sous scellés tardivement, 17 mois après leur appréhension, a révélé la présence de l'ADN de M. [M] sur une partie des collants, un sous vêtement de Mme [I] et sa robe. La cour d'assises a certes retenu que les conditions de saisie et de conservation des vêtements de Mme [I] le jour des faits, élément déterminant de la mise en accusation, faisaient subsister un doute sérieux sur la provenance de l'ADN de M. [M] retrouvé au niveau du bas des collants de Mme [I]. Cependant, sa décision d'acquittement n'est pas exclusivement fondée sur ces seuls éléments, mais également sur le fait qu'il ne résulte pas de manière certaine du dossier et des débats que l'accusé avait consience de l'absence de consentement de Mme [I] s'agissant des contacts physiques survenus entre eux, en ce que leur relation était ancienne, avait revêtu un caractère amoureux mutuel, que les intéressés étaient restés en contacts réguliers tout en faisant état d'une attirance réciproque à chacune de leurs rencontres, dont une six mois avant les faits, et que c'est Mme [I] qui avait insisté pour voir M. [M] le jour des faits.

Mme [I] ne démontre pas, au regard des autres éléments du dossier, que la faute lourde de l'Etat lui a fait perdre une chance réelle et sérieuse d'obtenir une décision de culpabilité de M. [M], étant rappelé que le doute doit profiter à l'accusé.

Sa demande indemnitaire de ce chef a donc été pertinemment rejetée par les premiers juges.

Sur la responsabilité de l'Etat pour déni de justice

Le tribunal a retenu un délai excessif de procédure de 11 mois en ce que :

- s'il résulte de la chronologie de l'affaire que le juge d'instruction a fait preuve de diligences et que l'information judiciaire n'a pas connu de périodes de déshérence ou subi de délais particulièrement anormaux, est excessif à raison de 11 mois le délai de 17 mois qui s'est écoulé entre l'avis de fin d'information et le réquisitoire définitif du parquet alors même que l'article 175 du code de procédure pénale prévoit, sans sanction, qu'il doit intervenir dans un délai de 3 mois s'agissant d'un mis en examen non détenu provisoirement, et que, le cas échéant, le juge peut rendre son ordonnance de mise en accusation nonobstant l'absence de réquisitions du ministère public, étant rappelé que le délai de trois mois prévu par l'article 175 du code de procédure pénale ne constitue pas le fondement d'évaluation du délai déraisonnable,

- les délais dans lesquels l'ordonnance de mise en accusation a été rendue puis d'audiencement devant la cour d'assises ne sont pas critiquables,

- la demande formée au titre du préjudice moral en réparation du déni de justice subi est justifiée en son principe, dès lors qu'une information judiciaire ou un procès est nécessairement source d'inquiétude pour le justiciable, et doit être accueillie à hauteur de 4000 euros.

L'appelante soutient que :

- au regard de la chronologie de l'affaire, qui a été jugée le 30 janvier 2018, soit plus de 6 ans et 2 mois après sa plainte déposée le 27 novembre 2011, ou 5 ans et 5 mois depuis son dépôt de plainte avec constitution de partie civile le 22 février 2012, sa cause n'a pas été traitée dans un délai raisonnable,

- ni la nature de l'affaire, ni sa complexité, ni son comportement ne justifient la durée de cette procédure,

- sont en particulier excessifs :

- le délai de 3 mois et 15 jours pour fixer le montant de la consignation en qualité de partie civile,

-le délai de 40 mois pour instruire une affaire criminelle sans difficulté particulière,

- le délai de 8 mois pour que le juge d'instruction ordonne les expertises psychologiques de M. [M] et une enquête de personnalité alors que ces actes pouvaient être décidés à l'issue de la mise en examen de M. [M] le 11 avril 2014,

- elle a subi un préjudice lié au caractère déraisonnable du délai de procédure, dont elle rapporte la preuve, ayant été contrainte de médiatiser son affaire afin d'alerter les autorités judiciaires de sa détresse à ne pas voir sa procédure renvoyée devant la cour d'assises et jugée, lequel préjudice doit être évalué à 10 000 euros.

L'Etat, pris en la personne de l'agent judiciaire de l'Etat, répond que :

- seul le délai entre l'avis de fin d'information adressé par le juge d'instruction le 18 décembre 2015 et le réquisitoire définitif du 21 août 2017 peut être considéré comme déraisonnable, à hauteur de 11 mois,

- la durée de la procédure ne peut suffire à établir la réalité du préjudice moral allégué au titre du déni de justice, et la pétition de l'appelante ne saurait à elle seule caractériser l'existence et l'étendue dudit préjudice.

Le ministère public conclut à la confirmation de la décision.

Le déni de justice s'entend non seulement comme le refus de répondre aux requêtes ou le fait de négliger les affaires en l'état d'être jugées mais aussi plus largement, comme tout manquement de l'Etat à son devoir de protection juridictionnelle de l'individu qui comprend le droit pour le justiciable de voir statuer sur ses prétentions dans un délai raisonnable.

Le déni de justice est caractérisé par tout manquement de l'Etat à son devoir de permettre à tout

personne d'accéder à une juridiction pour faire valoir ses droits dans un délai raisonnable et s'apprécie in concreto, à la lumière des circonstances propres à chaque espèce en prenant en considération la nature de l'affaire, son degré de complexité, le comportement de la partie qui se plaint de la durée de la procédure et les mesures prises par les autorités compétentes.

Le délai déraisonnable de l'information judiciaire ne peut être apprécié globalement, entre le dépôt de plainte pénale et le jugement de l'affaire, ou entre la plainte avec constitution de partie civile du 20 février 2012 ou la date du réquisitoire introductif du 6 août 2012 et l'avis de fin d'information rendu le 18 décembre 2015, mais seulement selon les différentes étapes ayant émaillé la procédure.

Outre que le délai de l'enquête de flagrance qui a donné lieu à un avis de classement sans suite n'encourt aucune critique, le délai de 3 mois et 15 jours qui s'est écoulé entre la plainte avec constitution de partie civile de Mme [I] le 20 février 2012 et la fixation du montant de la consignation le 8 juin 2012 ne présente pas de caractère déraisonnable.

S'agissant du surplus des étapes procédurales, Mme [I] ne verse pas l'intégralité de la procédure d'information judiciaire permettant de déterminer son déroulement précis et les délais écoulés entre chaque acte. Il ressort cependant de ses explications et des pièces produites, en particulier l'arrêt de mise en accusation, qu'il a été procédé à l'expertise génétique des vêtements de Mme [I] une fois ceux-ci placés sous scellés et dont le rapport a été rendu le 1er octobre 2013, à une commission rogatoire au cours de laquelle ont été entendus divers témoins, des enquêtes de moralité des parties à la procédure, une expertise psychologique de Mme [I] le 12 novembre 2012, la convocation de M. [M] le 20 mars 2014 et sa mise en examen le 11 avril 2014, une confrontation entre Mme [I] et M. [M] le 2 octobre 2014, une enquête de personnalité, ainsi qu'une expertise psychologique et psychiatrique de M. [M] le 20 avril 2015.

Le tribunal, qui retrace une chronologie plus détaillée des actes dont il a eu connaissance, a pertinemment retenu qu'aucun déni de justice n'était caractérisé jusqu'à l'avis de fin d'information rendu par le juge d'instruction.

Mme [I] ne démontre aucun délai déraisonnable de procédure en raison de ce que M. [M] aurait fait l'objet d'une enquête de personnalité et d'une expertise psychologique le 15 décembre 2014 alors qu'il était mis en examen depuis le 11 avril 2014, puisque d'autres investigations étaient en cours.

En revanche, le délai de 17 mois qui s'est écoulé entre l'avis de fin d'information du 18 décembre 2015 et le réquisitoire définitif du 11 mai 2017 présente un caractère déraisonnable. Au vu des difficultés du dossier, du caractère inopérant du délai de trois mois prévu à l'article 175 du code de procédure pénale pour caractériser le délai déraisonnable de procédure et de l'absence de détenu dans ce dossier, justifiant qu'il ne soit pas réglé en priorité, le délai de 17 mois a pertinemment été jugé excessif à raison de 11 mois ainsi que le concluent l'agent judiciaire de l'Etat et le ministère public sollicitant la confirmation du jugement sur ce point.

Le surplus des délais ayant couru entre le réquisitoire définitif, l'ordonnance de mise en accusation et l'arrêt rendu par la cour d'assises n'emportent aucune critique.

Le délai déraisonnable du rendu du réquisitoire définitif exposant le point de vue du minitère public sur la caractérisation des faits allégués et la nécessité d'un renvoi de M. [M] devant la cour d'assises, a nécessairement été source de tracas et d'inquiétude pour Mme [I] qui était dans l'attente du dénouement de la procédure. Cependant, elle ne produit aucune pièce établissant l'ampleur du préjudice allégué et la médiatisation de son affaire, par ses soins, le 28 avril 2017, est inopérante à en caractériser l'étendue.

Le préjudice subi a été pertinemment évalué à la somme de 4 000 euros par les premiers juges au vu des éléments produits au débat.

Le jugement est donc confirmé en toutes ses dispositions.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :

Les dépens d'appel incombent à l'agent judiciaire de l'Etat sans qu'aucune considération tirée de l'équité ne justifie sa condamnation au paiement d'une indemnité de procédure supplémentaire.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

Confirme le jugement en toutes ses dispositions,

Déboute Mme [J] [I] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne l'agent judiciaire de l'Etat aux dépens d'appel.

LA GREFFI'RE LA PR''SIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 4 - chambre 13
Numéro d'arrêt : 20/01649
Date de la décision : 11/04/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-04-11;20.01649 ?
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