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06/04/2023 | FRANCE | N°22/16942

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 11, 06 avril 2023, 22/16942


Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 11



ARRET DU 06 AVRIL 2023



(n° , pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/16942

N° Portalis 35L7-V-B7G-CGPKO



Décision déférée à la Cour : ordonnance du 26 septembre 2022 -Juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris - RG n° 21/10587





APPELANTE



S.A. AXA FRANCE IARD

[A

dresse 5]

[Localité 12]

Représentée et assistée par Me Thierry MAZOYER de la SELARL CHEVRIER AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : E1045





INTIMES



Madame [Z] [W] épouse [E]...

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 11

ARRET DU 06 AVRIL 2023

(n° , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/16942

N° Portalis 35L7-V-B7G-CGPKO

Décision déférée à la Cour : ordonnance du 26 septembre 2022 -Juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris - RG n° 21/10587

APPELANTE

S.A. AXA FRANCE IARD

[Adresse 5]

[Localité 12]

Représentée et assistée par Me Thierry MAZOYER de la SELARL CHEVRIER AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : E1045

INTIMES

Madame [Z] [W] épouse [E]

[Adresse 7]

[Localité 9]

Née le [Date naissance 4] 1964

Représentée et assistée par Me Dominique ALRIC, avocat au barreau de PARIS, toque : B1043

Monsieur [L] [E]

[Adresse 7]

[Localité 9]

Né le [Date naissance 1] 1999

Représenté et assisté par Me Dominique ALRIC, avocat au barreau de PARIS, toque : B1043

Madame [P] [E]

[Adresse 7]

[Localité 9]

Née le [Date naissance 2] 2001

Représentée et assistée par Me Dominique ALRIC, avocat au barreau de PARIS, toque : B1043

S.A. ELECTRICTÉ DE FRANCE

[Adresse 3]

[Localité 11]

Représentée et assistée par Me Dominique ALRIC, avocat au barreau de PARIS, toque : B1043

CAISSE NATIONALE DES INDUSTRIES ELECTRIQUES ET GAZIERES

[Adresse 13]

[Adresse 13]

[Localité 8]

Représentée et assistée par Me Dominique ALRIC, avocat au barreau de PARIS, toque : B1043

S.A.S. CHAMONIX MONT BLANC HELICOPTERES

[Adresse 6]

[Localité 10]

Représentée par Me Olivier GROC de la SELEURL GROC, avocat au barreau de PARIS, toque : E1624

Assistée par Me Laurent THOUVENOT, avocat au barreau de THONON-LES-BAINS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 02 février 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Mme Nina TOUATI, présidente de chambre, chargée du rapport et devant Mme Dorothée DIBIE, conseillère.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Françoise GILLY-ESCOFFIER, présidente de chambre

Mme Nina TOUATI, présidente de chambre

Mme Dorothée DIBIE, conseillère

Greffier lors des débats : Mme Roxanne THERASSE

Greffier lors de la mise à disposition : Mme Emeline DEVIN

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Nina TOUATI, présidente de chambre pour la présidente empêchée et par Emeline DEVIN, greffière, présente lors de la mise à disposition à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

[A] [E], salarié de la société Électricité de France (la société EDF), a été mis à la disposition de l'une de ses filiales, la société Électricité d'Emosson (la société Emosson) qui assure l'exploitation de la centrale électrique de [Localité 14] en Haute-Savoie.

Le 14 septembre 2011, un hélicoptère de marque Eurocopter exploité par la société Chamonix Mont-Blanc Hélicoptère (la société CMBH) et assuré auprès de la société Axa France IARD (la société Axa), a été affrété par la société Emosson.

Cet hélicoptère, piloté par [D] [S], salarié de la société CMBH a décollé le 14 septembre 2011 vers 9h35 avec à son bord deux techniciens de la société Semer, sous-traitante de la société Emosson, [A] [E], [Y] [F], fils du dirigeant de la société CMBH et [T] [K], responsable de la société IC3M.

Après avoir déposé au pied d'un pylône du téléphérique du barrage d'Emosson les deux techniciens de la société Semer qui devaient procéder à des travaux de rénovation, l'hélicoptère a repris son vol et s'est écrasé au lieu-dit Barberine sur la commune de [Localité 14] après avoir heurté un câble du téléphérique.

[D] [S], [Y] [F], [A] [E] et [T] [K] sont décédés dans l'accident.

Par actes d'huissier en date des 12 et 16 juillet 2021, la société EDF, la Caisse nationale des industries électriques et gazières (la CNIEG), Mme [Z] [E], épouse de [A] [E], ainsi que leurs enfants, M. [L] [E] et Mme [P] [E], (les consorts [E]), ont assigné devant le tribunal judiciaire de Paris, la société CMBH et la société Axa corporate solutions en indemnisation des préjudices subis à la suite du décès de [A] [E].

La société Axa France IARD (la société Axa) est intervenue volontairement à l'instance

Par ordonnance du 26 septembre 2022, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris a :

- reçu l'intervention volontaire de la société Axa ;

- constaté le désistement des demandeurs à l'égard de la société Axa corporate solutions, lequel est parfait pour avoir été accepté par les défendeurs,

- déclaré recevables les demandes formées par la société EDF, la CNIEG et les consorts [E] ;

- renvoyé l'affaire à une audience de mise en état,

- rejeté toutes prétentions plus amples ou contraires des parties,

- réservé les frais et dépens.

Par déclaration du 30 septembre 2022, la société Axa a interjeté appel de cette ordonnance en critiquant toutes ses dispositions, hormis celles par lesquelles le juge de la mise en état a reçu son intervention volontaire et constaté le désistement des demandeurs à l'égard de la société Axa corporate solutions.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Vu les conclusions de la société Axa, notifiées le 23 janvier 2023, aux termes desquelles elle demande à la cour de :

Vu l'article L. 6421-du code des transports,

Vu les dispositions de la Convention de Montréal du 28 mai 1999,

- infirmer l'ordonnance du juge de la mise en état du 26 septembre 2022 en ce qu'elle a :

- déclaré recevables les demandes formées par la société EDF, la CNIEG et les consorts [E],

- rejeté toutes prétentions plus amples ou contraires,

- réservé les frais et dépens,

Et statuant à nouveau,

- déclarer irrecevables comme étant prescrites les demandes formées par la société EDF, la CNIEG et les consorts [E],

- débouter ce faisant la société EDF, la CNIEG et les consorts [E],

- condamner la société EDF à payer à la société Axa la somme de 5 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société EDF aux dépens d'appel et de première instance.

Vu les conclusions de la société EDF, de la CNIEG et des consorts [E], notifiées le 2 décembre 2022, par lesquelles ils demandent à la cour de :

- confirmer l'ordonnance du juge de la mise en état du 26 septembre 2022,

- rejeter les demandes fins et conclusions de l'appelante,

- renvoyer l'affaire devant le juge du fond,

- condamner la société Axa à verser à la société EDF et à la CNIEG une somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Vu les conclusions de la société CMBH, notifiées le 8 décembre 2022, aux termes desquelles elle demande à la cour de :

Vu l'article L. 6421-3 du code des transports,

Vu les dispositions de la convention de Montréal du 28 mai 1999,

- infirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue par le juge de la mise en état le 26 septembre 2022,

statuant à nouveau,

- déclarer irrecevables les demandes formées par la société EDF, la CNIEG et les consorts [E] comme étant prescrites,

- condamner la société EDF et la CNIEG à payer à la société CMBH la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société EDF et la CNIEG aux entiers dépens d'appel et de première instance,

en toutes hypothèses à titre subsidiaire, et si la responsabilité de la concluante devait être retenue, il conviendrait de condamner la société Axa à relever et garantir la société CMBH de l'ensemble des condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre,

- et dire que, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, Maître [O] [C] pourra recouvrer directement les frais dont il a fait l'avance sans en avoir reçu provision.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription

La société Axa et son assurée, la société CMBH, font valoir en substance que la responsabilité du transporteur aérien qui est titulaire d'une licence d'exploitation, ce qui est le cas de la société CMBH, est régie par l'article L. 6421-3 du code des transports, lequel renvoie à l'application de la convention de Montréal dont l'article 35,1° dispose que «L'action en responsabilité doit être intentée, sous peine de déchéance, dans le délai de deux ans à compter de l'arrivée à destination, ou du jour où l'aéronef aurait dû arriver, ou de l'arrêt du transport».

Elles soutiennent que l'objet principal du vol effectué le 14 septembre 2011 était le transport de passagers non la réalisation d'un travail aérien ; elles ajoutent que la société CMBH n'a effectué aucune prestation différente ou complémentaire à celle initialement commandée et s'est contentée, après avoir déposé les deux techniciens près du pylône du téléphérique, de redécoller pour regagner la centrale électrique.

Elles ajoutent que [A] [E] a pris place dans l'hélicoptère pour y être transporté comme passager, l'objectif de la prestation commandée à la société CMBH étant limité à une opération de transport d'employés et qu'il n'a eu aucun rôle actif pendant ce vol, ne faisant qu'accompagner un prestataire auquel avait été confiée une mission d'observation.

Elles en déduisent que l'action de la société EDF, de la CNIEG et des consorts [E] engagée après l'expiration du délai de deux ans suivant la date de l'accident est prescrite.

La société EDF, la CNIEG et les consorts [E], qui concluent à la confirmation de l'ordonnance déférée, objectent que le trajet en hélicoptère entre le barrage d'Emosson et la centrale de [Localité 14] ne correspondait pas à un transport aérien mais à une opération de travail aérien de reconnaissance des accès au sol permettant d'évacuer les occupants du téléphérique en cas de panne, ce qui résulte du rapport du Bureau enquête accident (le BEA), de l'attestation établie par la société Emosson et du programme de travail de [A] [E] le jour de l'accident.

Elles soutiennent que l'action en responsabilité et indemnisation engagée à l'encontre de l'exploitant de l'hélicoptère et de son assureur est soumise à la prescription de droit commun de 10 ans à compter des faits, de sorte que leur action introduite en juillet 2021 n'est pas prescrite.

**********

Sur ce, seules les opérations de transport aérien entrant dans les prévisions de l'article L. 6421-3 du code des transports, ce texte n'a pas vocation à s'appliquer à un vol dont l'objet principal est la réalisation d'un travail aérien et non un simple déplacement d'un point à un autre.

En l'espèce, il est constant que le 14 septembre 2011, l'hélicoptère exploité par la société CMBH et affrété par la société Emosson a effectué un premier vol aller entre la centrale hydroélectrique de [Localité 14] et le pylône n° 2 du téléphérique afin d'y déposer deux salariés de la société Semer qui devaient procéder à des travaux de rénovation.

S'agissant du vol de retour, M. [R], délégué technique au sein de la société Emosson, a clairement indiqué devant les services de gendarmerie lors de son audition du 23 janvier 2012, que ce vol au cours duquel [A] [E], responsable de l'usine de [Localité 14] est décédé « avait pour but de visiter le terrain à l'aplomb de la ligne du téléphérique afin d'identifier les chemins en cas d'évacuation des passagers du téléphérique ; il a précisé que [A] [E] « était à bord de l'hélicoptère pour accompagner M. [K] directeur de la société IC3M qui était mandaté par la société d'Emosson pour la rédaction de la consigne d'évacuation du téléphérique ».

M. [R], dont les déclarations présentent toute garantie de crédibilité, a précisé, dans une attestation établie le 25 novembre 2019, que le téléphérique litigieux est la propriété de la société Emosson et permet d'accéder depuis la vallée de la Barberine au barrage d'Emosson, que [A] [E], chef de la centrale de [Localité 14], avait eu recours aux services de la société CMBH le 14 septembre 2011 afin d'effectuer un survol de la ligne du téléphérique afin d'identifier des accès au sol permettant d'évacuer les personnes présentes dans la cabine du téléphérique en cas de panne et qu'il était le responsable de ce projet.

Le programme de travail de [A] [E] le 14 septembre 2011, versé aux débats, confirme que le vol de retour avait pour objet principal le survol de la ligne de téléphérique, étant observé que les gendarmes ont annexé à la procédure pénale une carte mémoire contenant une vidéo réalisée le jour de l'accident et contenant des images de ce vol, tournées, selon eux, juste après qu'ont été déposés les deux techniciens de la société Semer près du pylône n° 2.

Il résulte des données qui précèdent que si l'objet principal du vol aller de l'hélicoptère entre la centrale électrique et le pylône du téléphérique était le transport sur place de deux techniciens de la société Semer qui devaient procéder à la réalisation de travaux, le vol de retour entre le pylône du téléphérique et la centrale avait pour objet principal la reconnaissance aérienne des accès au sol permettant l'évacuation du téléphérique en cas de panne en vue de l'élaboration de consignes d'évacuation.

Il s'ensuit que l'article L. 6421-3 du code des transports n'a pas vocation à s'appliquer au vol de retour dont l'objet principal était la réalisation d'un travail aérien et que l'action en responsabilité et indemnisation engagée par la société EDF la CNIEG et les consorts [E] n'est pas soumise à la prescription de deux ans prévue à l'article 35,1° de la Convention pour l'unification de certaines règles relatives au transport aérien international du 28 mai 1999 (Convention de Montréal).

Cette action est soumise à la prescription de dix ans prévue à l'article 2226 du code civil qui dispose dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, applicable au litige, que « L'action en responsabilité née à raison d'un événement ayant entraîné un dommage corporel, engagée par la victime directe ou indirecte des préjudices qui en résultent, se prescrit par dix ans à compter de la date de la consolidation du dommage initial ou aggravé. »

La société EDF, la CNIEG et les consorts [E] ayant assigné la société CMBH et son assureur, la société Axa, par actes d'huissier en date des 12 et 16 juillet 2021, soit moins de dix ans avant la date du décès de [A] [E], leur action n'est pas prescrite.

L'ordonnance du juge de la mise en état doit ainsi être confirmée.

Sur les demandes annexes

Les dispositions de l'ordonnance relatives aux dépens et aux frais irrépétibles doivent être confirmées.

La société Axa, qui succombe en son recours, supportera la charge des dépens.

L'équité commande d'allouer à la société EDF et à la CNIEG en application de l'article 700 du code de procédure civile une somme globale de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés devant la cour et de rejeter la demande de la société Axa formulée au même titre.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe,

Et dans les limites de l'appel,

- Confirme l'ordonnance rendue le 26 septembre 2022 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

- Condamne la société Axa France IARD à payer à la société Electricité de France et à la Caisse nationale des industries électriques et gazières, en application de l'article 700 du code de procédure civile, la somme globale de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés devant la cour,

- Rejette la demande formée par la société Axa France IARD au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamne la société Axa France IARD aux dépens d'appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 4 - chambre 11
Numéro d'arrêt : 22/16942
Date de la décision : 06/04/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-04-06;22.16942 ?
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