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06/04/2023 | FRANCE | N°21/05083

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 5, 06 avril 2023, 21/05083


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 6 - Chambre 5



ARRET DU 06 AVRIL 2023



(n° 2023/ , 11 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/05083 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDZ5C



Décision déférée à la Cour : Jugement du 16 Avril 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 20/05797





APPELANT



Monsieur [T] [K]

[Adresse 1]

[Adresse 1]



Représenté

par Me Arthur BOUCHAT, avocat au barreau de PARIS, toque : A785





INTIMÉE



S.A.S. EFFY CONNECT

[Adresse 2]

[Adresse 2]



Représentée par Me Nicolas DURAND GASSELIN, avocat au barreau de PARIS...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5

ARRET DU 06 AVRIL 2023

(n° 2023/ , 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/05083 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDZ5C

Décision déférée à la Cour : Jugement du 16 Avril 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 20/05797

APPELANT

Monsieur [T] [K]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représenté par Me Arthur BOUCHAT, avocat au barreau de PARIS, toque : A785

INTIMÉE

S.A.S. EFFY CONNECT

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Nicolas DURAND GASSELIN, avocat au barreau de PARIS, toque : P0505

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 02 mars 2023, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Catherine BRUNET, présidente de chambre chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Catherine BRUNET, Présidente de chambre, Présidente de formation,

Madame Marie-José BOU, Présidente de chambre,

Madame Séverine MOUSSY, Conseillère

Greffier : Madame Julie CORFMAT, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Madame Catherine BRUNET, Présidente et par Madame Philippine QUIL, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Monsieur [T] [K] a été engagé par la société Quelle Energy, devenue la société Effy Connect (ci-après la société), par contrat de travail à durée indéterminée du 26 août 2010 en qualité de conseiller de clientèle.

Par deux contrats de travail des 2 janvier et 2 avril 2012, il a été promu successivement aux fonctions de conseiller de clientèle confirmé puis de commercial.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des bureaux d'études techniques, des cabinets d'ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils du 15 décembre 1987 dite SYNTEC et la société occupait à titre habituel au moins onze salariés lors de la rupture des relations contractuelles.

Le 26 octobre 2017, M. [K] a été élu en qualité de délégué du personnel.

Par courrier du 9 janvier 2018, un avertissement lui a été notifié au motif de nombreux retards.

Un nouvel avertissement lui a été notifié par lettre du 25 juillet 2019 remise en main propre le 26 juillet aux motifs de retards répétés et d'une insubordination envers son manager.

Par courrier du 3 septembre 2019, M. [K] a été convoqué à un entretien préalable fixé au 11 septembre et une mise à pied à titre conservatoire lui a été notifiée.

Par courrier du 29 octobre 2019, le syndicat CGT l'a mandaté pour le représenter à l'occasion de la négociation du protocole d'accord en vue des élections du Comité Social et Economique de la société.

Par décision du 15 novembre 2019, l'inspection du travail a autorisé son licenciement.

Par lettre du 19 novembre 2019, M. [K] a été licencié pour faute grave.

Considérant que son licenciement ne pouvait pas être fondé sur une faute grave mais sur une cause réelle et sérieuse, qu'il avait été victime d'une discrimination syndicale et d'un manquement de la société à ses obligation de sécurité et d'exécution loyale du contrat de travail, M. [K] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris qui, par jugement du 16 avril 2021 auquel la cour renvoie pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties l'a débouté de l'ensemble de ses demandes, a débouté la société Effy Connect de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et a laissé les dépens à la charge du salarié.

M. [K] a régulièrement interjeté appel de ce jugement le 8 juin 2021.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 8 septembre 2021 auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des moyens et prétentions en application de l'article 455 du code de procédure civile, M. [K] demande à la cour d'infirmer le jugement et y ajoutant, de :

- juger que son licenciement ne repose pas sur une faute grave mais sur une cause réelle et sérieuse,

En conséquence,

- condamner la société Effy Connect à lui verser les sommes suivantes :

* 7 258,42 euros au titre de l'indemnité de préavis,

* 725,84 euros au titre des congés payés sur préavis,

* 8 465,13 euros au titre d'indemnité de licenciement (9 ans, 4 mois d'ancienneté à l'issue du préavis),

* 9 073,02 euros au titre de la mise à pied conservatoire (du 3 septembre 2019 au 19 novembre 2019 : 2,5 mois) ;

- juger qu'il a été victime de discrimination syndicale, que la société Effy Connect a manqué à son obligation de protection de sa santé et de sa sécurité et qu'elle a exécuté déloyalement le contrat de travail ;

- condamner la société Effy Connect à lui verser les sommes suivantes :

* 10 887,63 euros de dommages et intérêts au titre de la discrimination syndicale (3 mois de salaire),

* 10 887,63 euros de dommages et intérêts (3 mois de salaire) au titre du manquement à l'obligation de protection de sa santé et de sa sécurité,

* 7 258,42 euros de dommages et intérêts (2 mois de salaire) au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail ;

- condamner la société Effy Connect à lui verser la somme de 4 800 euros au titre des frais irrépétibles ;

- condamner la société Effy Connect aux entiers dépens.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 1er décembre 2021 auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des moyens et prétentions en application de l'article 455 du code de procédure civile, la société Effy Connect demande à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [K] de l'ensemble de ses demandes;

- infirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande reconventionnelle ;

- juger irrecevables les demandes de M. [K] ;

A titre subsidiaire,

- constater les manquements graves de M. [K] ;

- juger que son licenciement repose bien sur une faute grave ;

- débouter M. [K] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

A titre infiniment subsidiaire,

- constater que M. [K] ne rapporte pas d'explications à ses demandes indemnitaires;

- dire et juger que M. [K] ne rapporte la preuve d'aucun préjudice ;

- débouter M. [K] de l'ensemble de ses demandes ;

En tout état de cause,

- condamner M. [K] à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner M. [K] aux éventuels dépens.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 22 février 2023.

MOTIVATION

Sur le licenciement

La lettre de licenciement est ainsi libellée :

' (...) Le 3 septembre 2019, nous vous avons convoqué à un entretien préalable à une sanction disciplinaire pour aller jusqu'au licenciement qui devait se tenir dans nos locaux le mercredi 11 septembre 2019 à 10h30 avec Monsieur [R] [A], Chief Operating Officer et Madame [E] [I], Directrice des Ressources Humaines.

Vous ne vous êtes pas présenté à cet entretien.

Compte tenu de votre mandat de délégué du personnel, nous avons saisi l'inspecteur du travail, qui après enquête contradictoire, a autorisé, par décision en date du 15 novembre 2019, votre licenciement.

Dans ces conditions, nous avons pris la décision de vous notifier par la présente votre licenciement pour faute grave.

Les motifs qui nous ont conduits à prendre cette décision sont les suivants :

Le 26 aout 2010, vous avez intégré la société Effy Connect, anciennement dénommée Quelle Energie, en qualité de Commercial sédentaire, Statut Etam, Position 2.2 coefficient 310.

A ce titre, conformément à votre contrat de travail, votre rôle consiste à signer de nouveaux contrats auprès d'une cible d'artisans spécialistes de la rénovation énergétique à qui nous proposons des opportunités de chantiers qualifiés.

Depuis le 18 mars 2019, vous assurez la mission de 'commercial pour le projet PAC'.

A ce titre, vous devez être présent à votre poste de travail à compter de 9 heures 30.

Le 26 juillet 2019 à 10h00, vous aviez un rendez-vous prévu avec votre manager, [S] [J] et [E] [I], DRH, laquelle devait vous remettre un avertissement à la suite de l'entretien préalable qui s'est tenu le 17 juillet 2019.

A 9h56, votre manager, surprise de votre absence à votre poste de travail en a informé par mail la DRH.

Vous vous êtes finalement présenté au bureau de la DRH à 10h.

Lors de ce rendez-vous, [E] [I] vous a fait remarquer que malgré un premier avertissement en date du 9 janvier 2018, vous persistiez à ne pas respecter vos horaires de travail.

Vous avez alors répondu : 'je n'étais pas en retard, le rdv étant à 10h, j'en ai profité pour aller voir l'équipe PAC à 9h30", ce qui est inexact, une telle réunion n'ayant pas eu lieu.

Vos réponses témoignent une nouvelle fois du manque d'importance que vous accordez aux règles de l'entreprise, en particulier à la nécessité d'être ponctuel.

A cet égard, nous vous rappelons que le règlement intérieur applicable au sein de notre société prévoit que 'Les salariés doivent se conformer aux horaires de travail applicables fixés par leur service. Le non-respect de ces horaires peut entraîner des sanctions'.

De même, 'Tout retard non justifié pourra entraîner des sanctions disciplinaires prévues à l'article 11 ci-après exposé. Est considéré comme retard le non-respect des horaires fixés de la note de service. Les salariés se trouveront à leur poste de travail à l'heure fixée pour le début et la fin du travail.'

Lors de la remise de ce nouvel avertissement, vous avez souri.

Ce comportement est totalement déplacé et inapproprié à la situation. Vous ne semblez pas prendre au sérieux ni comprendre les faits reprochés.

Une nouvelle fois, votre manager a tenté de vous expliquer les règles de l'entreprise et votre obligation de les respecter.

Vous avez alors prétexté que vous n'étiez pas en mesure de respecter vos horaires notamment au regard de votre mandat de DP. Vous avez à nouveau expliqué que vous étiez là pour les salariés. Votre manager vous a alors répondu qu'il fallait néanmoins prévenir de vos absences ou vos retards, comme tous les salariés. Vous avez alors répondu avec une grande virulence 'je suis DP, je fais ce que je veux'. Voyant la tournure que prenait la discussion, la DRH a alors décidé de clôturer précipitamment le rdv à 10h15.

Après cet entretien, vous n'avez débuté votre journée de travail qu'à 10 heures 53 comme le démontre les extractions des logiciels salesforce et 3CX.

Là encore, votre comportement n'est pas acceptable.

Au-delà de vos retards récurrents et répétés, nous avons pris connaissance d'un fait particulièrement grave qui témoigne d'un comportement totalement inacceptable qui rend, de plus fort, impossible votre maintient dans l'entreprise.

Le 31 juillet, le directeur de projet 'PAC', Monsieur [U] [X], a alerté par mail, la DRH, sur une situation inconfortable et intolérable vécue par une salariée de son équipe, Madame [F] [V].

En effet, Monsieur [U] [X] a expliqué que Madame [F] [V] l'avait contacté, 'visiblement paniquée', durant ses congés payés pour l'avertir que vous étiez venu la voir le 26 juillet 2019 à 10h15 'pour lui demander de le couvrir pour sa visible absence dans la matinée. Mise devant le fait accompli, elle n'a pas réagi aussitôt mais m'en a fait part par téléphone. Il s'avère que cela l'affecte depuis (...) Etant en période d'essai et visiblement mise de fait dans une position inconfortable par [T], cette situation lui est déplaisante'.

Dès connaissance de ce fait, la DRH a rencontré la salariée pour comprendre la situation.

La DRH s'est retrouvée face à une salariée déstabilisée, en pleurs, visiblement intimidée et qui craignait de perdre son poste si elle acceptait de confirmer votre version, et peur de se retrouver face à vous si elle n'accédait pas à votre demande.

Elle a alors expliqué que vous aviez insisté à deux reprises pour l'isoler de l'équipe, malgré son refus. Sous votre insistance, elle a accepté de descendre avec vous. Lors de votre échange avec elle, vous avez à de nombreuses reprises dénigré la société, sans qu'elle sache quoi répondre. Vous lui avez demandé de vous 'couvrir' et de dire que 'vous étiez avec eux sur le plateau à 9h30 pour faire un point'.

Votre attitude visant à déstabiliser et intimider une jeune collaboratrice est parfaitement inacceptable d'autant plus que cela n'est pas la première fois.

Comme nous l'avons déjà précisé dans l'avertissement qui vous a été remis en main propre le 26 juillet 2019, 'nous ne saurons tolérer que vous ayez ce type de propos et comportement envers l'une de nos collaboratrices'.

Afin de rendre crédible votre mensonge concernant votre retard du 26 juillet, vous avez envoyé un mail à cette salariée à 11h35 qui disait :

Salut [F]

Merci d'avoir pris le temps ce matin pour le point sur la pac et je suis content que les choses avancent bien de votre côté

De mon côté, je continue les recrutements pro sur la pac

Bonne journée à toi

Cela confirme que vous avez délibérément menti à la DRH et à votre manager sur votre retard et avez établi un faux document pour le justifier.

Vous avez fait pression et avez intimidé une salariée pour couvrir votre mensonge.

De tels faits sont inadmissibles et ne sauraient être tolérés dans notre Société. Ils s'ajoutent à votre dossier disciplinaire.

Au vu de la gravité des faits qui vous sont reprochés, votre licenciement pour faute grave reposant sur les griefs précédemment évoqués, prend effet à compter de l'envoi de la présente lettre. (...)'.

Dans sa décision du 15 novembre 2019, l'inspectrice du travail a retenu sur le premier grief concernant le non-respect des horaires de travail, que ' (...) Les faits reprochés sont ainsi établis et caractérisent un comportement fautif. Ces faits sont non prescrits et n'ont pas fait l'objet de sanction antérieure (...)' ; sur le second grief concernant une intimidation et une pression exercée sur une jeune collaboratrice, qu' 'en présence (d'un) doute, la matérialité des faits ne peut être regardée comme établie.' Elle a ensuite indiqué :

' Considérant, s'agissant de la gravité des faits fautifs établis, ce qui suit :

Monsieur [K] a fait l'objet de mesures disciplinaires antérieures, sanctionnant des faits de même nature (2 avertissements pour plusieurs retards injustifiés variant de 30 min à 1h30 lui ont été notifiés au cours des deux années précédant l'engagement de la présente procédure). Le salarié n'a pas apporté de justification probante à l'appui de la contestation de ces avertissements.

Considérant, s'agissant de l'existence d'un lien avec le mandat, ce qui suit :

Il n'a pas été mis en évidence de lien entre la présente procédure et le mandat exercé par le salarié.(...) '.

Sur la recevabilité de la demande de M. [K] au titre du licenciement

La société soutient qu'en vertu du principe de la séparation des pouvoirs, l'autorisation de licencier un salarié protégé accordé par l'administration du travail interdit au juge judiciaire de statuer sur cette décision. Elle fait valoir que l'inspectrice du travail a constaté le non-respect des horaires de travail par l'appelant puis qu'ensuite, elle a examiné la gravité de la faute reprochée. Elle souligne que M. [K] n'a pas contesté cette décision devant la juridiction administrative et qu'elle s'impose à la juridiction prud'homale. Elle en déduit qu'il est irrecevable à contester son licenciement devant le juge judiciaire.

M. [K] soutient que la décision administrative ne prive pas le juge judiciaire de sa faculté de juger si la faute justifiant le licenciement est une faute grave ou une faute simple et si le licenciement doit être requalifié.

Si le juge judiciaire ne peut, en l'état de la décision de la juridiction administrative, apprécier le caractère réel et sérieux des motifs retenus pour justifier le licenciement compte tenu du principe de la séparation des pouvoirs, il reste compétent pour apprécier le degré de gravité de la faute privative des indemnités de rupture et justifiant la mise à pied conservatoire. Cependant, il ne peut pas apprécier des éléments invoqués par le salarié qui ont été contrôlés par l'autorité administrative dans le cadre de la procédure d'autorisation.

En conséquence, la demande de M. [K] est recevable mais la cour doit veiller à ne pas examiner des éléments déjà appréciés par l'autorité administrative, en l'espèce l'inspectrice du travail, dans le cadre de sa décision.

Pour soutenir que son licenciement ne peut pas être fondé sur une faute grave, le salarié invoque le délai entre la connaissance des faits et l'enclenchement de la procédure de licenciement, la préexistence du comportement fautif, l'épuisement du pouvoir disciplinaire sur les fautes antérieures au 26 juillet 2019, une discrimination syndicale et l'absence de réel et de sérieux du grief retenu à son encontre.

Sur la discrimination syndicale comme unique motif à l'existence et à la soudaineté de la procédure

M. [K] soutient qu'il a fait l'objet d'un traitement différencié s'agissant de la sanction de ses retards et souligne la proximité entre son licenciement et le lancement de nouvelles élections professionnelles.

La société fait valoir que l'inspectrice du travail a relevé une absence de lien entre la procédure et le mandat exercé par le salarié.

Le moyen afférent à un licenciement dont l'origine serait une discrimination syndicale ne peut pas être examiné par la cour en vertu du principe de la séparation des pouvoirs dès lors que l'inspectrice du travail a retenu que le licenciement était sans lien avec l'exercice d'un mandat, en prenant en compte le mandat de délégué du personnel du salarié et sa qualité de candidat aux fonctions de membre élu de la délégation du personnel du comité social et économique.

Sur l'épuisement du pouvoir disciplinaire sur les fautes antérieures au 26 juillet 2019

Le salarié fait valoir qu'il était en congés payés du 5 août au 23 août 2019 puis en arrêt maladie du 26 août au 2 septembre puis mis à pied le 3 septembre 2019. Il en déduit que son retard du 26 juillet 2019 ne pouvait pas faire l'objet de poursuites et qu'en tout cas, les fautes antérieures ont été purgées par l'avertissement du 26 juillet 2019.

La société fait valoir que l'inspectrice du travail a retenu que ces faits n'avaient pas fait l'objet de sanction antérieure.

Le moyen afférent à l'épuisement du pouvoir disciplinaire ne peut pas non plus être examiné par la cour en raison du même principe dès lors que l'inspectrice du travail a retenu que le premier grief était afférent au retard du salarié le 26 juillet 2019, que ce fait n'avait pas fait l'objet de sanction antérieure et s'agissant des sanctions antérieures a indiqué : ' (...) Considérant, s'agissant de la gravité des faits fautifs établis, ce qui suit: Monsieur [K] a fait l'objet de mesures disciplinaires antérieures, sanctionnant des faits de même nature (2 avertissements pour plusieurs retards injustifiés variant de 30 min à 1h30 lui ont été notifiés au cours des deux années précédant l'engagement de la présente procédure). Le salarié n'a pas apporté de justification probante à l'appui de la contestation de ces avertissements.(...)'.

Sur le délai entre la connaissance des faits et l'enclenchement de la procédure de licenciement

M. [K] soutient que la société n'a pas engagé la procédure de licenciement dans un délai restreint dans la mesure où 34 jours ont séparé la faute de la mise à pied et de la convocation à entretien préalable. Il en déduit qu'une faute grave ne peut pas être retenue à son encontre.

La société fait valoir que le salarié était en congés payés du 5 au vendredi 23 août 2019 puis a été placé en arrêt de travail pour maladie du lundi 26 août au 2 septembre 2019 et qu'elle n'a été alertée que le 31 juillet du comportement allégué de M. [K] à l'égard de Mme [V].

Elle produit un courriel adressé le 30 juillet 2019 par cette salariée à M. [X], directeur de projets, et le courriel de ce dernier du 31 juillet 2019 à Mme [I], directrice des ressources humaines. Il convient donc de retenir que l'employeur a eu connaissance de l'intégralité des faits qu'il allait retenir à l'appui du licenciement le 31 juillet 2019. La cour constate que M. [K] a bénéficié de congés payés pour la période du 5 au 23 août 2019 puis qu'il a été placé en arrêt de travail pour maladie du 26 août au 2 septembre 2019 ce qu'au surplus il ne conteste pas. Compte tenu de ses absences de l'entreprise, l'écoulement du délai entre la connaissance des faits ayant causé son licenciement et l'engagement de la procédure de licenciement ne peut avoir pour effet de retirer à la faute son caractère de gravité.

Sur la préexistence d'un comportement fautif et l'absence de réel et sérieux du grief retenu par l'employeur pour le licencier

M. [K] soutient que la réitération de ses retards ne rendait pas impossible la poursuite du contrat de travail dès lors que l'employeur ne l'avait pas licencié avant. Il ajoute que ces retards étaient liés à sa pathologie qui n'a pas été prise en compte par la société. Il fait valoir également que le motif de son licenciement, s'être présenté le 26 juillet 2019 à 10 heures sans qu'aucune pression n'ait été exercée à l'encontre de Mme [V], constitue une faute simple et que la faute grave retenue est disproportionnée.

La société fait valoir que la faute grave est établie dans la mesure où le salarié a fait l'objet de sanctions antérieurement pour le même motif, qu'il aurait dû prendre son poste à 9 heures 30 le 26 juillet et qu'il s'est connecté pour la première fois à 10 heures 53. Elle soutient que M. [K] a dans ce délai fait pression sur Mme [V].

Le second grief énoncé dans la lettre de licenciement ne peut pas être examiné par la cour dès lors qu'aux termes de sa décision, l'inspectrice du travail a retenu que le second grief à savoir 'intimidation et pression exercée sur une jeune collaboratrice', Mme [V], n'était pas établi. De la même manière, la cour ne peut pas examiner la matérialité des faits fondant le premier grief, l'inspectrice du travail ayant retenu que M. [K] devait prendre son poste à 9 heures 30, qu'il est arrivé à son rendez-vous à 10 heures 04 et qu'il s'est 'logué' sur un outil informatique à 10 heures 53. Cependant, comme indiqué précédemment, la cour peut apprécier si ces faits étaient de nature à empêcher la poursuite immédiate du contrat de travail.

La cour considère que le retard à la prise de poste de 34 minutes d'un salarié ayant acquis 9 ans d'ancienneté et sa connexion à un outil informatique 53 minutes plus tard alors qu'entre temps, il a eu un rendez-vous avec le service des ressources humaines, n'empêche pas la poursuite immédiate du contrat de travail même s'il a fait l'objet précédemment de deux avertissements.

En conséquence, le licenciement de M. [K] est fondé sur une cause réelle et sérieuse.

La décision des premiers juges sera infirmée.

Conformément à l'article 15 de la convention collective applicable et à l'article L. 1234-1 du code du travail, au vu de l'attestation Pôle emploi et des bulletins de salaire produits, il est dû à M. [K] la somme de 7 258,42 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre celle de 725,84 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés afférents.

Par application des dispositions de l'article 19 de la convention collective applicable et des articles L. 1234-9 et R. 1234-1 du code du travail, M. [K] a droit à une indemnité de licenciement calculée sur la base d'un quart de mois par année d'ancienneté soit la somme de 8 465,13 euros .

Enfin, en l'absence de faute grave, M. [K] ne pouvait pas être mis à pied à titre conservatoire de sorte qu'il lui est dû la somme de 9 073,02 euros à ce titre.

La société sera condamnée au paiement de ces sommes et la décision des premiers juges sera infirmée sur ces chefs de demande.

Sur la discrimination syndicale

M. [K] soutient qu'il a été victime d'une discriminaton syndicale au cours de l'exécution du contrat de travail et que cette discrimination est la cause de son licenciement.

La société fait valoir que l'autorité administrative a retenu que le licenciement du salarié était sans lien avec son mandat. Elle ajoute qu'il n'a pas été victime de discrimination syndicale au cours de l'exécution de son contrat de travail et qu'il ne démontre pas l'existence d'un préjudice.

La cour a précédemment retenu qu'en vertu du principe de la séparation des pouvoirs, elle ne pouvait pas statuer sur le caractère discriminatoire du licenciement invoqué par M. [K].

Par contre, elle peut rechercher si au cours de l'exécution du contrat de travail, il a été victime d'une discrimination syndicale.

Selon l'article L. 1132-1 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire directe ou indirecte notamment en matière de rémunération en raison de ses activités syndicales.

Il résulte des dispositions de l'article L. 1134-1 du même code, que quand survient un litige à ce titre, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin , toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

A l'appui de son allégation, M. [K] invoque le fait d'avoir été le seul salarié surveillé et sanctionné pour ses retards ce dont il s'est plaint au mois de juillet 2019 auprès de l'inspection du travail et de ne pas avoir perçu une 'prime égalitaire' perçue par un autre conseiller commercial en décembre 2019.

La cour constate que M. [K] a adressé le 17 juillet 2019 à Mme [W] [Y], inspectrice du travail, un courriel afin de solliciter un rendez-vous pour lui exposer 'des situations vécues au travail' sans évoquer comme il l'indique sans ses écritures, une inégalité pour ce qui concerne la gestion des retards. Mme [Y] a rendu le 15 novembre 2019 la décision autorisant le licenciement. Il résulte de cette décision qu'elle a examiné les avertissements antérieurs, qu'elle a retenu que le salarié n'apportait pas de justification probante à l'appui de la contestation de ces avertissements et qu'elle a déduit de l'ensemble qu'il n'y avait pas de lien entre le mandat et le licenciement. La cour retient en conséquence qu'elle ne peut pas rechercher si les avertissements prononcés à l'encontre de M. [K] procédaient d'une discrimination syndicale afin de respecter le principe de la séparation des pouvoirs.

S'agissant de la 'prime égalitaire', la cour constate que l'autorité administrative n'a pas été amenée à apprécier cet élément.

M. [K] produit un bulletin de salaire de M. [P] faisant apparaître au mois de décembre 2019 le paiement de cette prime pour un montant de 2 500 euros.

Il présente ainsi un élément de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination et il incombe à la société de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

La société fait remarquer à juste titre que le paiement de cette prime est intervenue alors que le salarié était déjà licencié. Elle produit seulement une attestation de Mme [I], directrice des ressources humaines, qui indique qu'il a été décidé au cours d'une réunion du 9 décembre 2019 à laquelle assistaient tous les salariés, de leur allouer une prime dite égalitaire dont une des conditions d'octroi était la présence dans l'entreprise au 31 décembre 2019. Cependant, cet écrit n'a pas de valeur probante suffisante dans la mesure où il est établi par la directrice des ressources humaines placée sous un lien de subordination et impliquée dans la gestion de la situation du salarié, au surplus non signé. En conséquence, la cour retient que la société ne justifie pas de ce que le paiement de cette prime était assujetti à une condition de présence au 31 décembre 2019 ou au moins, au 19 novembre 2019, date du licenciement et qu'elle échoue à démontrer que sa décision de ne pas payer à M. [K] cette prime est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Aux termes de l'article L. 1134-5 du code du travail, les dommages et intérêts réparent l'entier préjudice résultant de la discrimination.

En conséquence et compte tenu du préjudice avéré subi par le salarié, la société sera condamnée à lui payer la somme de 2 500 euros à titre de dommages et intérêts pour discrimination syndicale.

La décision des premiers juges sera infirmée à ce titre.

Sur les dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de protection de la santé et de la sécurité

M. [K] soutient que l'employeur a manqué à son obligation de prévention et de sécurité en ce qu'il n'a pas respecté les préconisations du médecin du travail du 2 août 2013 et du 18 décembre 2017. Il fait valoir également qu'il souffrait du niveau sonore de l'open space ce qui l'a rendu sourd, de douleurs dorsales et d'une maladie rare.

La société soutient qu'elle n'a pas manqué à son obligation à ce titre et qu'elle n'a pas été destinataire des correspondances du médecin traitant du salarié. Elle souligne que M. [K] ne démontre pas que les différentes pathologies dont il souffre, ont un lien avec ses conditions de travail. Elle ajoute qu'il ne démontre pas que les recommandations du médecin du travail n'ont pas été suivies d'effet.

Il résulte des dispositions combinées des articles L. 4121-1, L. 4121-2 et L. 4121-3 et suivants du code du travail que l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs parmi lesquelles figurent des actions de prévention des risques professionnels et de pénibilité au travail, ce sur le fondement de principes généraux de prévention parmi lesquels figurent notamment : éviter les risques, évaluer les risques qui ne peuvent pas être évités, combattre les risques à la source, adapter le travail à l'homme, planifier la prévention. Par application des dispositions de l'article L. 4 624-1 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige pour ce qui concerne la recommandation du médecin du travail du 2 août 2013 et des articles L. 4624-3 et L. 4624-6 du même code dans leur rédaction applicable au litige pour la recommandation du médecin du travail du 18 décembre 2017, l'employeur est tenu de prendre en considération les propositions émises par le médecin du travail concernant notamment des mesures individuelles d'aménagement, d'adaptation ou de transformation du poste de travail.

Il appartient à l'employeur de justifier des mesures qu'il a mises en oeuvre.

Si la société soutient à juste titre qu'il n'est pas justifié qu'elle a été destinataire des correspondances adressées par le médecin traitant du salarié au médecin du travail ni qu'elle a été informée de la maladie dont souffre M. [K], elle ne produit aucun élément pour justifier qu'elle a respecté les préconisations du médecin du travail du 2 août 2013 qui lui demandait 'd'adapter le nombre de déplacement en fonction de l'évolution' et celles du 18 décembre 2017 ainsi formulées : ' Aménagement recommandé : siège ergonomique avec maintien lombaire '.

Dès lors, la cour retient qu'elle a manqué à son obligation de prévention ce qui a causé à M. [K] un préjudice dont il justifie par la production de pièces médicales et qui sera indemnisé par l'allocation de la somme de 4 000 euros à titre de dommages et intérêts.

La décision des premiers juges sera infirmée à ce titre.

Sur les dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail

La cour constate que M. [K] indique au terme de ses développements sur le licenciement ' ainsi qu'à l'indemniser de l'exécution déloyale du contrat de travail dans le cadre de son exécution, à hauteur de 7 258,42 euros (2 mois de salaire) '. Cependant, la cour a retenu que son licenciement était fondé sur une cause réelle et sérieuse et l'appelant ne développe pas d'autre moyen au soutien de sa demande.

En conséquence, il en sera débouté.

La décision des premiers juges sera confirmée à ce titre.

Sur le cours des intérêts

Il sera rappelé qu'en application des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, les créances salariales produisent intérêt au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation et les créances indemnitaires produisent intérêt au taux légal à compter de la décision qui les prononce.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Partie perdante, la société Effy Connect sera condamnée au paiement des dépens. Le jugement sera infirmé en ce qu'il a mis les dépens à la charge de M. [K].

La société sera condamnée à payer à M. [K] la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, la décision des premiers juges étant infirmée à ce titre. La société sera déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles et la décision des premiers juges sera confirmée sur ce chef de demande.

PAR CES MOTIFS

LA COUR statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

INFIRME le jugement sauf en ce qu'il a débouté M. [T] [K] de sa demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail et en ce qu'il a débouté la société Effy Connect de sa demande au titre des frais irrépétibles,

Et statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

DÉCLARE recevables les demandes de M. [T] [K],

DIT son licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse,

CONDAMNE la société Effy Connect à payer à M. [T] [K] les sommes suivantes:

- 7 258,42 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;

- 725,84 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés afférents ;

- 8 465,13 euros à titre d'indemnité de licenciement ;

- 9 073,02 euros au titre de la mise à pied à titre conservatoire ;

- 2 500 euros à titre de dommages et intérêts pour discrimination syndicale ;

- 4 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de protection de la santé et de la sécurité ;

- 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

RAPPELLE que les créances salariales produisent intérêt au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation et les créances indemnitaires produisent intérêt au taux légal à compter de la présente décision,

DÉBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

CONDAMNE la société Effy Connect aux dépens.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 21/05083
Date de la décision : 06/04/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-04-06;21.05083 ?
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