La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

06/04/2023 | FRANCE | N°21/04996

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 5, 06 avril 2023, 21/04996


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 6 - Chambre 5



ARRET DU 06 AVRIL 2023



(n°2023/ , 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/04996 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDZPT



Décision déférée à la Cour : Jugement du 15 Avril 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MEAUX - RG n° F 19/00199





APPELANT



Monsieur [Y] [O]

[Adresse 2]

[Localité 3]



Représent

é par Me Daniel KNINSKI, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, toque : 64



INTIMEE



S.A.S. MINITRANSPORT

[Adresse 1]

[Localité 4]



Représentée par Me Marie-constance DU COUËDIC, avocat au ba...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5

ARRET DU 06 AVRIL 2023

(n°2023/ , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/04996 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDZPT

Décision déférée à la Cour : Jugement du 15 Avril 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MEAUX - RG n° F 19/00199

APPELANT

Monsieur [Y] [O]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représenté par Me Daniel KNINSKI, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, toque : 64

INTIMEE

S.A.S. MINITRANSPORT

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Marie-constance DU COUËDIC, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 7 janvier 2023, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Séverine MOUSSY, Conseillère chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Marie-José BOU, Présidente de chambre, Présidente de formation,

Madame Marie-Christine HERVIER, Présidente de chambre,

Madame Séverine MOUSSY, Conseillère

Greffier : Madame Cécile IMBAR, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Madame Marie-José BOU, Présidente et par MadamePhilippine QUIL, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Le 5 mai 1995, la société Minitransport (ci-après la société) a embauché M. [Y] [O] en qualité d'attaché de direction commerciale avec le statut de cadre, groupe 1, moyennant une rémunération brute mensuelle de 17 500 francs sur treize mois ' une voiture de fonction étant mise à sa disposition.

Le 9 mai 1995, M. [O] a été dispensé de période d'essai.

La relation contractuelle est soumise à la convention collective des transports routiers et la société employait au moins onze salariés lors de la rupture de cette relation.

Par lettre remise en main propre contre décharge en date du 13 décembre 2018, la société Minitransport a convoqué M. [O] à un entretien préalable à un éventuel licenciement pour motif économique fixé au 20 décembre 2018.

Au cours de cet entretien, l'employeur a remis à M. [O] la documentation se rapportant au contrat de sécurisation professionnelle (ci-après CSP) auquel M. [O] pouvait adhérer au plus tard le 10 janvier 2019.

Par lettre recommandée du 31 décembre 2018, la société a notifié à M. [O] son licenciement pour motif économique ' le salarié ayant adhéré au dispositif du CSP.

Le contrat de travail a pris fin le 10 janvier 2019.

Par lettre recommandée du 7 mars 2019, la société a pris note du souhait de M. [O] de bénéficier de la priorité de réembauchage et lui a communiqué, à sa demande, les critères d'ordre mis en place.

Contestant son licenciement et estimant ne pas être rempli de ses droits, M. [O] a saisi le conseil de prud'hommes de Meaux le 14 mars 2019.

Par jugement du 15 avril 2021 auquel il est renvoyé pour l'exposé des prétentions initiales et de la procédure antérieure, le conseil de prud'hommes de Meaux a dit que le licenciement pour motif économique était justifié, débouté M. [O] de l'ensemble de ses demandes, débouté la société de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et a condamné M. [O] aux dépens.

Par déclaration du 3 juin 2021, M. [O] a interjeté appel du jugement notifié le 4 mai 2021.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 17 janvier 2023 auxquelles la cour renvoie pour plus ample exposé des prétentions et moyens en application de l'article 455 du code de procédure civile, M. [O] demande à la cour de:

- infirmer en toutes ses dispositions le jugement ;

statuant à nouveau,

- dire et juger que le licenciement économique qui lui a été notifié est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

- constater que la société ne justifie pas d'avoir effectué quelque effort de reclassement que ce soit à son profit ;

- constater que la société ne justifie aucunement des conditions dans lesquelles ont été mis en 'uvre les critères d'ordre des licenciements économiques en son sein ;

- condamner, en conséquence, la société à lui verser les sommes suivantes :

* 97 050 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

* subsidiairement, 97 050 euros à titre de dommages-intérêts pour non-respect de l'obligation de reclassement ;

* très subsidiairement, 97 050 euros pour non-respect des critères d'ordre de licenciement ;

* 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 23 janvier 2023 auxquelles la cour renvoie pour plus ample exposé des prétentions et moyens en application de l'article 455 du code de procédure civile, la société Minitransport demande à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M [O] de l'intégralité de ses demandes et l'a condamné aux dépens de l'instance ;

- juger que le licenciement de M. [O] est fondé sur une cause réelle et sérieuse ;

- juger qu'elle a respecté ses obligations en matière de reclassement ;

- jugé qu'elle a respecté ses obligations au titre des critères d'ordre de licenciement ;

- par conséquent, débouter M. [O] de l'intégralité de ses demandes ;

- condamner M. [O] à verser à la Société 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 25 janvier 2023.

MOTIVATION

Sur la rupture du contrat de travail

La lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, est rédigée dans les termes suivants :

« Nous avons le regret de vous informer de notre décision de procéder à la rupture de votre contrat de travail pour les raisons économiques suivantes.

Située à Compans dans le département de la Seine-et-Marne, la société Mini Transport assure la livraison de colis et le transport logistique.

L'activité de la Société est donc directement dépendante de l'évolution du secteur du transport routier sur lequel elle évolue.

Or, le secteur du transport routier connaît une période très difficile, avec un renforcement important de la concurrence, mais aussi et surtout de l'évolution des besoins.

Ainsi, en France, le transport routier de marchandises connaît une baisse particulièrement importante depuis 2008 et la crise économique. La tendance est donc désormais lourde, puisque cela fait plus de 10 ans que le marché est à la baisse.

Cette tendance a impacté la société Mini Transport, qui rencontre de nombreuses difficultés depuis plusieurs années. Ainsi, depuis la reprise de la société par le Groupe Monaco Logistique alors qu'elle était une filiale d'une société italienne en liquidation judiciaire, la société n'a encore jamais réussi à être bénéficiaire.

En 2015, la société perdait déjà 155.000 euros. En 2016, le résultat opérationnel de la société était de -417. 000 euros (la vente d'un terrain ramenait toutefois un produit exceptionnel de 284.000 euros pour limiter la perte à 182.000 euros).

En février 2017,1 nouvel actionnaire privé reprenait la société Mini Transport au Groupe MONACO LOGISTIQUE, avec la ferme volonté de développer l'activité et de trouver de nouveaux marchés afin de revenir à l'équilibre.

Le résultat opérationnel de la société en 2017 était toutefois largement négatif (moins de 100.000 euros), mais l'actionnaire principal, par le biais d'un abandon de créances, permettait toutefois à la société de continuer ses efforts de développement, qui devait se poursuivre en 2018.

La direction a donc essayé d'accélérer le développement 2018 afin de stopper cette baisse du chiffre d'affaires. Ainsi, deux recrutements ont été entrepris au cours du premier trimestre afin de développer de nouveaux marchés. Malheureusement, ces efforts de développement ont été des échecs.

Chaque mois de l'année 2018 aura été déficitaire :

- -40 000 euros en janvier,

- -60 000 euros en février,

- -32 000 euros en mars,

- -33 000 euros en avril,

- -52 000 euros en mai,

- -30 000 euros en juin,

- -41 000euros en juillet,

- -80 000 euros en août,

- -31 000 euros en septembre.

Au total, le déficit sur les neuf premiers mois de 2018 s'élève à plus de 400.000 euros.

Au niveau du chiffre d'affaires, celui-ci n'a cessé de diminuer depuis 2015 : 516.920 euros de diminution du chiffre d'affaires entre 2015 et 2016 et 100.000 euros de plus entre 2016 et 2017.

Autre indicateur très important, la marge brute n'a cessé de se dégrader. Elle s'établissait à 190.825 euros au 1er trimestre 2018, à 229.052 euros au 2eme semestre 2018 alors que les efforts de développement entrepris nécessitaient une marge brute de 300.000 euros minimum, et rechutait violemment au 3eme trimestre à 184.000 euros.

En résumé, ce sont tous les indicateurs économiques de la société qui démontrent les difficultés économiques de celle-ci : le chiffre d'affaires est en baisse constante depuis plus de trois exercices, la société déficitaire structurellement depuis plus de 3 ans également, la crise s'est aggravée en 2018 puisque la société perd de l'argent tous les mois depuis début 2018 et la marge brute de la société ne cesse de diminuer malgré les efforts de développement entrepris.

Cette situation de baisse notable d'activité combinée à une situation économique structurellement difficile conduisent aujourd'hui la direction à envisager toutes les solutions pour sortir Mini Transport de la crise qu'elle doit affronter et qui met en danger sa pérennité sur le long terme.

À la lumière des difficultés susmentionnées, il a été décidé depuis de nombreux mois de prendre des mesures drastiques de réduction des coûts, tout en tentant de maintenir l'emploi.

Nous avons notamment pris des décisions de non renouvellement de postes dès lors que nous le pouvions.

Par ailleurs, nous avons pris la décision d'interrompre de nombreux contrats (VALSPED par exemple), faute de rentabilité et de trafic suffisant, les coûts du sous-traitant étant trop élevés pour traiter correctement les clients, de manière compétitive. Nous avons donc décidé de nous concentrer sur les clients à plus forte rentabilité.

Malgré tout cela, les mesures qui ont été prises jusqu'à présent sont insuffisantes et il est désormais nécessaire que notre Société se restructure à nouveau afin de faire face à ses difficultés économiques.

Nous avons ainsi décidé de mettre en place une réorganisation qui se déclinera sous deux volets principaux, à savoir un volet immobilier et un volet social.

Le volet immobilier de la réorganisation consistera notamment à libérer les locaux et l'immeuble que nous occupons actuellement. En effet, ce bien immobilier constitue un actif important de la société, et nous espérons que le fait de le libérer nous permettra de générer des revenus substantiels :

. Soit en cédant ce bien, ce qui permettra de générer de la trésorerie et ainsi de combler tout ou partie des dettes générées par l'exploitation au cours des dernières années ;

. Soit en le mettant en location, ce qui générera moins de trésorerie à court terme mais sera une source de revenus supplémentaires sur le long terme.

Dans ce cadre, nous serons amenés à travailler dans d'autres locaux, situés à la même adresse et sur le même terrain qu'actuellement.

Toutefois, compte tenu de ce qui précède, il est malheureusement évident que le volet immobilier de cette réorganisation ne sera pas suffisant et que, afin de faire face à nos difficultés économiques, nous n'avons pas d'autre choix que d'être extrêmement rigoureux sur la tenue de nos dépenses, et de maîtriser au mieux l'ensemble des coûts que notre société doit supporter.

Cela implique notamment que nous devions supprimer des postes, dès lors que ceux-ci ne sont plus indispensables à la bonne marche de l'entreprise, et ce dans l'intérêt de la bonne gestion de la société et la préservation de sa compétitivité.

Cette réorganisation impliquera donc la suppression d'un certain nombre de postes.

Compte tenu des réorganisations déjà mises en place, nous faisons face aujourd'hui à une baisse significative du volume de contacts clients.

Par ailleurs, nous faisons le constat que la majorité des transports sont commandés par d'autres transporteurs et non par des clients. Cela signifie en pratique pour ces transports, nous n'avons qu'à réaliser des cotations, et aucun démarchage particulier.

Or, ce type de cotations peuvent parfaitement être réalisées par un (e) assistant (e) commercial (e).

Le volume actuel de contacts clients ne justifie donc pas la présence de 2 commerciaux.

* *

*

C'est dans ce cadre que nous sommes malheureusement contraints de supprimer le poste de Commercial que vous occupez actuellement. ('). »

* sur le bien-fondé du licenciement pour motif économique

M. [O] soutient que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse aux motifs que les pièces produites par l'employeur ne permettent pas d'établir un effondrement du chiffre d'affaires entre 2016 et 2018 ; que la société a procédé à deux recrutements en 2018 pour développer de nouveaux marchés, en vain selon l'employeur, et qu'il devait être mis fin à ces deux embauches en priorité par préférence à son contrat de travail ; que seuls deux licenciements pour motif économique ont été décidés, le sien et celui de M. [T] [L], manutentionnaire ; que l'employeur aurait dû lui proposer de se positionner sur de nouveaux marchés. M. [O] soutient qu'il n'y a pas de motif économique exogène mais que son licenciement procède d'un choix de la direction ; que l'employeur a décidé de réduire en même temps son chiffre d'affaires en mettant fin à des contrats commerciaux ; que, lors de son licenciement, la société disposait d'un patrimoine immobilier important et qu'elle ne justifie pas que le volet immobilier évoqué dans la lettre de licenciement serait insuffisant ; que son poste était indispensable à la pérennité du chiffre d'affaires et au développement d'autres trafics ; que la valorisation en 2020 du patrimoine immobilier de la société est de nature à permettre la contestation de la réalité et du sérieux du motif économique.

Ce à quoi la société réplique qu'elle a reçu un courrier du commissaire aux comptes le 20 novembre 2018 l'alertant sur sa situation comptable alarmante puisqu'un déficit de 401 000 euros était mis en évidence ; qu'elle a alors transmis au commissaire aux comptes et aux délégués du personnel les mesures qu'elle envisageait de prendre pour éviter un dépôt de bilan. Elle fait valoir qu'elle a exposé dans une note les motifs de la réorganisation envisagée au rang desquels la baisse du chiffre d'affaires depuis plus de trois exercices, qui est un motif expressément prévu par l'article L. 1233-3 du code du travail. Elle fait encore valoir que les mesures prises antérieurement s'étaient avérées insuffisantes de sorte qu'elle n'avait pas d'autres choix que de se restructurer.

Aux termes de l'article L. 1233-3 du code du travail, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment :

1° A des difficultés économiques caractérisées soit par l'évolution significative d'au moins un indicateur économique tel qu'une baisse des commandes ou du chiffre d'affaires, des pertes d'exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l'excédent brut d'exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés.

Une baisse significative des commandes ou du chiffre d'affaires est constituée dès lors que la durée de cette baisse est, en comparaison avec la même période de l'année précédente, au moins égale à :

a) Un trimestre pour une entreprise de moins de onze salariés ;

b) Deux trimestres consécutifs pour une entreprise d'au moins onze salariés et de moins de cinquante salariés ;

c) Trois trimestres consécutifs pour une entreprise d'au moins cinquante salariés et de moins de trois cents salariés ;

d) Quatre trimestres consécutifs pour une entreprise de trois cents salariés et plus ;

2° A des mutations technologiques ;

3° A une réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ;

4° A la cessation d'activité de l'entreprise.

La matérialité de la suppression, de la transformation d'emploi ou de la modification d'un élément essentiel du contrat de travail s'apprécie au niveau de l'entreprise.

Les difficultés économiques, les mutations technologiques ou la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise s'apprécient au niveau de cette entreprise si elle n'appartient pas à un groupe et, dans le cas contraire, au niveau du secteur d'activité commun à cette entreprise et aux entreprises du groupe auquel elle appartient, établies sur le territoire national, sauf fraude.

Pour l'application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu'elle contrôle dans les conditions définies à l'article L. 233-1, aux I et II de l'article L. 233-3 et à l'article L. 233-16 du code de commerce.

Le secteur d'activité permettant d'apprécier la cause économique du licenciement est caractérisé, notamment, par la nature des produits, biens ou services délivrés, la clientèle ciblée, ainsi que les réseaux et modes de distribution, se rapportant à un même marché.

Les dispositions du présent chapitre sont applicables à toute rupture du contrat de travail résultant de l'une des causes énoncées au présent article, à l'exclusion de la rupture conventionnelle visée aux articles L. 1237-11et suivants et de la rupture d'un commun accord dans le cadre d'un accord collectif visée aux articles L. 1237-17 et suivants.

La société employait 14 salariés lors de la rupture du contrat de travail de M. [O] de sorte que, pour l'appréciation de la baisse significative du chiffre d'affaires, elle relève du 1° b) de l'article L. 1233-3 précité.

Aucune des parties n'évoque l'existence d'un groupe de sorte que les difficultés économiques seront appréciées au niveau de l'entreprise.

La société produit le courrier de procédure d'alerte que le commissaire aux comptes lui a adressé le 20 novembre 2018 dont il résulte que la situation comptable au 30 septembre 2018 faisait apparaître un résultat déficitaire de 401 000 euros et que les résultats mensuels sur les neuf mois précédents étaient tous déficitaires. Le commissaire aux comptes relevait que cette situation économique pesait sur la situation financière et l'état de la trésorerie à court terme puisque les dettes fournisseurs et les dettes sociales étaient payées avec retard et estimait que les faits étaient « de nature à compromettre la continuité de l'exploitation de la société et à générer à terme une obligation de déposer le bilan ».

La société démontre ainsi la baisse significative d'un indicateur économique certes autre que le chiffre d'affaires mais prévu au 1° de l'article L. 1233-3 du code du travail à savoir les pertes d'exploitation de sorte que ce moyen est inopérant.

M. [O] soutient, à titre subsidiaire, que la société a manqué à son obligation de reclassement et fait valoir que l'employeur ne justifie pas de ses efforts de reclassement.

Ce à quoi la société réplique que, dans le cadre de la réorganisation, elle a supprimé cinq postes et qu'elle n'était pas susceptible de reclasser les personnes concernées faute de possibilité. Elle ajoute que, compte tenu de ses pertes importantes, elle n'a eu d'autres choix que de cesser ses activités et de procéder au licenciement pour motif économique de tous les salariés en mars 2020.

Suivant l'article L. 1233-4 du code du travail, le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l'entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l'entreprise fait partie et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.

Pour l'application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu'elle contrôle dans les conditions définies à l'article L. 233-1, aux I et II de l'article L. 233-3 et à l'article L. 233-16 du code de commerce.

Le reclassement du salarié s'effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d'une rémunération équivalente. A défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, le reclassement s'effectue sur un emploi d'une catégorie inférieure.

L'employeur adresse de manière personnalisée les offres de reclassement à chaque salarié ou diffuse par tout moyen une liste des postes disponibles à l'ensemble des salariés, dans des conditions précisées par décret.

Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises.

En l'espèce, la société verse aux débats le journal de paye de l'année 2017 et celui de l'année 2018 ainsi qu'un tableau de ses effectifs en 2018. Or, ces éléments sont insuffisants à démontrer que l'employeur a rempli son obligation de reclassement ou qu'il n'était pas en capacité de reclasser M. [O], y compris sur un emploi d'une catégorie inférieure à la sienne. A cet égard, la cour observe que la société ne produit pas le registre unique du personnel à l'appui de ce qu'elle soutient et de ce qu'elle a exposé dans sa note économique communiquée aux délégués du personnel. Partant, le licenciement de M. [O] est dépourvu de cause réelle et sérieuse et la décision des premiers juges sera infirmée à ce titre.

* sur l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Aux termes de l'article L. 1235-3 du code du travail, si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis. Si l'une ou l'autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés dans le tableau soit en l'espèce entre trois et dix-sept mois.

M. [O] justifie avoir retrouvé un emploi en qualité de cadre en contrat à durée indéterminée à compter du 6 mars 2019 auprès de la société Rhenus Freight Logistics mais à l'issue d'une période d'essai de huit mois et moyennant une rémunération brute mensuelle de 4 500 euros inférieure, par conséquent, de plus de 900 euros à celle qu'il percevait au sein de la société Minitransports.

Compte tenu de l'effectif de l'entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée au salarié, de son âge - 58 ans - de son ancienneté - 23 ans - de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle ainsi que des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, il sera alloué à M. [O], en application de l'article L. 1235-3 du code du travail, une somme de 81 945 euros, suffisant à réparer son entier préjudice. La décision des premiers juges sera infirmée à ce titre.

Sur les intérêts

La cour rappelle que les intérêts au taux légal portant sur les condamnations de nature indemnitaire sont dus à compter de la décision qui les prononce.

Sur le remboursement à Pôle emploi

Conformément aux dispositions de l'article. L.1235-4 du code du travail, la cour ordonne à la société de rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage versées à M. [O] du jour du licenciement au jour du présent arrêt, dans la limite de trois mois d'indemnités.

Sur les dépens et sur l'article 700 du code de procédure civile

La société sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel - le jugement étant infirmé en ce qu'il a condamné M. [O] aux dépens de première instance.

La société sera également condamnée à payer à M. [O] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. La décision des premiers juges sera confirmée en ce qu'elle avait débouté la société de sa demande au titre des frais irrépétibles et sera infirmée en ce qu'elle avait débouté M. [O] de sa demande au titre de ces mêmes frais.

Enfin, la société sera déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR, statuant par arrêt contradictoire et par mise à disposition,

INFIRME le jugement sauf en ce qu'il a débouté la société Minitransport de sa demande au titre des frais irrépétibles;

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et ajoutant :

DIT que le licenciement pour motif économique de M. [Y] [O] est dépourvu de cause réelle et sérieuse;

CONDAMNE la société Minitransport à payer à M. [Y] [O] la somme de 81 945 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse;

RAPPELLE que les intérêts au taux légal portant sur les condamnations de nature indemnitaire sont dus à compter de la décision qui les prononce;

ORDONNE à la société Minitransport de rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage versées à M. [Y] [O] du jour du licenciement au jour du présent arrêt, dans la limite de trois mois d'indemnités;

CONDAMNE la société Minitransport à payer à M. [Y] [O] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile;

DÉBOUTE les parties du surplus de leurs demandes;

CONDAMNE la société Minitransport aux dépens de première instance et d'appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 21/04996
Date de la décision : 06/04/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-04-06;21.04996 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award