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06/04/2023 | FRANCE | N°21/04960

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 5, 06 avril 2023, 21/04960


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 6 - Chambre 5



ARRET DU 06 AVRIL 2023



(n°2023/ , 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/04960 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDZJQ



Décision déférée à la Cour : Jugement du 12 Mai 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY - RG n° 19/00569





APPELANT



Monsieur [O] [T]

[Adresse 2]

[Localité 3]



Assisté de

Me David LEVY, avocat au barreau de PARIS, toque : L0101



INTIMEE



S.A.R.L. CÔTE D'AMOUR

[Adresse 1]

[Localité 4]



Représentée par Me Marcel BOUHENIC, avocat au barreau de PARIS, toque : R080
...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5

ARRET DU 06 AVRIL 2023

(n°2023/ , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/04960 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDZJQ

Décision déférée à la Cour : Jugement du 12 Mai 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY - RG n° 19/00569

APPELANT

Monsieur [O] [T]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Assisté de Me David LEVY, avocat au barreau de PARIS, toque : L0101

INTIMEE

S.A.R.L. CÔTE D'AMOUR

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Marcel BOUHENIC, avocat au barreau de PARIS, toque : R080

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 03 février 2023, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Marie-José BOU, Présidente de chambre chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Marie-José BOU, Présidente de chambre, Présidente de formation,

Madame Marie-Christine HERVIER, Présidente de chambre,

Madame Séverine MOUSSY, Conseillère

Greffier : Madame Cécile IMBAR, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Madame Marie-José BOU, Présidente et par Madame Philippine QUIL, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

M. [O] [T] a été engagé verbalement par la société Côte d'amour à compter du 1er novembre 2015 en qualité de responsable informatique, statut cadre.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale du commerce de gros des tissus, tapis et linge de maison.

M. [T] percevait en dernier lieu une rémunération mensuelle de 4 807,94 euros.

La société occupait à titre habituel au moins onze salariés lors de la rupture des relations contractuelles.

M. [T] a été convoqué par lettre du 9 novembre 2018 à un entretien préalable fixé au 20 novembre suivant et mis à pied à titre conservatoire.

Par lettre du 26 novembre 2018, il a été licencié pour faute lourde.

Contestant son licenciement, M. [T] a saisi le conseil de prud'hommes de Bobigny qui, par jugement du 12 mai 2021 auquel la cour se réfère pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, a :

- dit que le licenciement de M. [T] ne repose pas sur une faute lourde, mais sur une faute grave,

- débouté M. [T] du surplus de ses demandes,

- débouté la société de sa demande d'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société aux entiers dépens.

Par déclaration transmise le 1er juin 2021 par voie électronique, M. [T] a relevé appel de ce jugement. L'affaire a été enrôlée sous deux numéros de procédures distincts. Par ordonnance du 7 mars 2022, leur jonction a été ordonnée.

Par dernières conclusions transmises par voie électronique le 13 janvier 2023, M. [T] demande à la cour de :

- infirmer le jugement en ce qu'il a dit que son licenciement ne repose pas sur une faute lourde mais sur une faute grave et l'a débouté de ses demandes,

et statuant à nouveau :

- le juger recevable et bien fondé en ses demandes,

- juger que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

- condamner la société à lui payer les sommes suivantes :

* 14 423,82 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis

* 1 442,38 euros à titre de congés payés sur préavis

* 4 807,94 euros à titre d'indemnité de licenciement

* 2 440,90 euros à titre de rappel de salaire pour la période de mise à pied conservatoire

* 244,09 euros au titre des congés payés afférents

* 19 231,76 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse

* 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture vexatoire

* 3 500 sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonner à la société de lui remettre un bulletin de paie, un certificat de travail et une attestation Pôle emploi conformes à la décision à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard et par document à compter du prononcé de la décision,

- ordonner la capitalisation des intérêts à compter du jour de l'introduction de l'instance sur tous les chefs de demande,

- débouter la société de l'ensemble de ses demandes,

- condamner la société aux entiers dépens.

Par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 29 novembre 2021, la société demande à la cour de :

1) à titre principal

- infirmer le jugement entrepris,

- juger irrecevable pour défaut d'intérêt à agir l'instance introduite par M. [T] à son encontre,

2) à titre subsidiaire

- infirmer le jugement entrepris

- juger que le licenciement est intervenu pour faute lourde

- en conséquence, débouter M. [T] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions

3) à titre infiniment subsidiaire

- confirmer le jugement entrepris

- juger que le licenciement est intervenu pour faute grave

- en conséquence, débouter M. [T] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions

4) en toute hypothèse

- condamner M. [T] à lui payer la somme de 3 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties susvisées pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 18 janvier 2023.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir

L'intimée explique que la famille [T] exerce des activités commerciales au travers de diverses sociétés, dont la société Côte d'amour, structurées sous la société holding CTFI, laquelle est détenue à parts égales par les quatre branches de la famille, dont l'indivision successorale d'[I] [T]. Elle fait valoir qu'à la suite du décès de ce dernier, ses héritiers dont M. [O] [T] ont élévé plusieurs contestations à l'égard de leurs oncles mais que les membres du groupe [T] sont parvenus à un accord transactionnel global le 17 septembre 2020 mettant fin à leurs conflits dont le litige prud'homal en cause. Elle soutient que M. [T] a signé cette transaction par laquelle il s'est désisté de l'action engagée devant le conseil de prud'hommes et qu'il n'a plus d'intérêt à agir.

M. [T] s'oppose à l'irrecevabilité soulevée en contestant l'existence d'un accord transactionnel. Il prétend qu'au vu des documents communiqués, la société Côte d'amour n'est pas partie à ce prétendu accord qui ne vise pas l'instance prud'homale dont s'agit.

En application de l'article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond pour défaut de droit d'agir, tel le défaut d'intérêt.

Aux termes de l'article 2044 du code civil, la transaction est un contrat par lequel les parties, par des concessions réciproques, terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître. Ce contrat doit être rédigé par écrit.

L'article 2048 du même code dispose que les transactions se renferment dans leur objet : la renonciation qui y est faite à tous droits, actions et prétentions, ne s'entend que de ce qui est relatif au différend qui y a donné lieu.

L'article 2049 de ce code prévoit que les transactions ne règlent que les différends qui s'y trouvent compris, soit que les parties aient manifesté leur intention par des expressions spéciales ou générales, soit que l'on reconnaisse cette intention par une suite nécessaire de ce qui est exprimé.

Selon l'article 2052 de ce code, la transaction fait obstacle à l'introduction ou à la poursuite entre les parties d'une instance d'une action en justice ayant le même objet.

Au soutien de sa fin de non-recevoir, la société Côte d'amour produit un courriel (pièce n°1) adressé le 17 septembre 2020 par Me Bouhenic à M. [K] [T], à '[Courriel 5]', à '[Courriel 6]' et à [Courriel 7], avec copie à M. [N], intitulé accord et récapitulant 'l'accord intervenu oralement entre vous' comme suit :

- accord sur une évaluation linéaire sans réserve et sans exception des immeubles à 7% ;

- affectation de la trésorerie disponible au remboursement des comptes courants au 31.12.2019 ;

- cessions coupons attachés à la même date ;

- paiement par chaque cessionnaire des droits de mutation sur les parts acquises ;

- comptes de référence au 31.12.2019 ;

- récupération par la succession [I] [T] de certaines SCI ;

- différentiel compensé par une soulte ;

- valorisation spécifique pour une des SCI ;

- mise en vente des biens non partagés en nature et prix partagé au prorata des participations ;

- valorisation des sociétés commerciales à 1 euro et cession des titres et comptes courants moyennant 1 euro symbolique détenus par les membres de la succession [I] [T] au profit des autres associés/actionnaires avec pour corollaire absence de participation de ces membres aux dettes de [K] [T] à l'égard de BNP Paribas, ladite succession abandonnant ses comptes courants dans ces sociétés et M. [K] [T] abandonnant ses réclamations pour les sommes avancées pour le compte de la succession dans le dossier Neuf tex ;

- 'L'ensemble est un tout indivisible valant transaction au sens des articles 2044 et sv du code civil avec désistement de toutes instances et actions dont la relation entre les parties a pu être la cause ou l'occasion. Les parties renoncent au surplus à toute nouvelle réclamation amiable, administrative ou judiciaire à l'encontre des autres parties'.

La société Côte d'amour produit ce même courriel (pièce n°2) comportant en bas de page quatre signatures.

Il ne résulte pas de ces éléments que la société Côte d'amour soit partie audit accord. Le différend relatif à la contestation du lienciement de M. [O] [T] n'y est pas évoqué et rien ne révèle que les parties signataires aient entendu l'y inclure. La fin de non-recevoir pour défaut d'intérêt à agir fondée sur l'existence d'une transaction doit être rejetée.

Sur le fond

Sur le licenciement

La lettre de licenciement qui fixe les limites du litige est ainsi rédigée :

'Nous avons eu à déplorer de votre part un agissement fautif.

1) Il s'est révélé, le 20/10/2018, que vous étiez en possession d'une copie d'un projet de lettre de CÔTE D'AMOUR à la société CDF relatif à une négociation commerciale ; copie que vous ne pouviez détenir autrement que d'une manière frauduleuse.

La preuve que vous étiez en possession de ladite copie est établie par le fait que vous l'avez remise de votre propre initiative et en ma présence à un huissier lors de la dernière assemblée générale des associés de la CÔTE D'AMOUR.

Or, ce document qui a trait aux négociations commerciales est totalement extérieur à vos fonctions techniques de Responsable de l'informatique.

Vous ne pouviez donc être en possession de la ladite copie, si ce n'est :

- Soit par la commission d'un vol, profitant des moyens et des possibilités techniques que vous procure votre fonction de Responsable de l'informatique CÔTE D'AMOUR,

- Soit en qualité de receleur du vol de cette copie.

Au cours de notre entretien du 20 novembre 2018, vous avez eu l'outrecuidance de prétendre que cette copie vous aurait été remise par moi-même.

Non seulement je le conteste formellement mais il est évident que cette allégation est fausse puisque :

- D'une part, vous n'apportez aucun élément de preuve vous permettant d'expliquer à quelle occasion et pour quelle raison je vous l'aurais remise.

- D'ailleurs, si je vous l'avais remise, cela n'aurait été que pour vous informer d'une situation. Or, loin de détenir la moindre information, vous avez produit cette copie pour demander des explications au cours de l'assemblée générale des associés.

- Dans ces conditions, en votre qualité de salarié, vous avez commis un acte frauduleux pour servir vos intérêts d'associé de CÔTE D'AMOUR.

La commission d'un vol ou d'un recel de vol dans l'entreprise nuit nécessairement aux intérêts de celle-ci.

2) A titre subsidiaire, nous vous reprochons votre insuffisance professionnelle

En effet vous avez proposé, en votre qualité de Responsable de l'informatique de mettre en place un nouveau système informatique de gestion pour un budget de 200.000 euros.

Vous aviez la totale responsabilité de la mise en 'uvre de ce projet qui à ce jour a nécessité un dépassement tel du budget qu'il se trouve plus que doublé, ce qui déjà traduit votre carence, soit dans la conception du projet, soit dans sa conduite.

En outre, vous n'assumez pas vos fonctions puisque :

- Vous avez été incapable de recueillir l'ensemble des dysfonctionnements du nouveau système informatique auxquels sont confrontés nos collaborateurs pour les transmettre à la société prestataire.

- Vous avez confondu les capacités initiales du nouveau système que vous avez choisi et les possibilités de développement de ce nouveau système moyennant des investissements supplémentaires (par exemple : la carte de fidélité),

- Vous avez négligé d'organiser la formation des personnels réceptionnant le stock, de sorte que les états informatiques de stock ne sont pas fiables.

- Dans l'ancien système informatique nous disposions d'une remontée de chiffre d'affaires par heure alors que le nouveau système ne le permet toujours pas.

Sur ce point aussi, les explications que vous avez présentées au cours de notre entretien du 20 novembre 2018 ne peuvent en aucun cas justifier la gravité de vos carences et manquements.

Ces griefs auraient suffi en eux-mêmes à justifier un licenciement pour faute grave.

Compte tenu du grief visé au paragraphe 1 de la présente lettre, le licenciement est prononcé pour faute lourde.

En conséquence, compte tenu de la gravité du grief exposé au paragraphe 1 ci-dessus, votre maintien, même temporaire dans l'entreprise s'avère impossible. Le licenciement prend donc effet immédiatement à la date de la présente lettre, sans indemnité de préavis, de congés payés, ni de licenciement.

Nous vous rappelons que vous faites l'objet d'une mise à pied conservatoire. Par conséquent, la période non travaillée du 12 novembre 2018 à la date de la présente lettre, nécessaire pour effectuer la procédure de licenciement, ne sera pas rémunérée. (')'.

M. [O] [T] fait valoir que la copie du document évoquée dans la lettre de licenciement lui a été remise par son oncle et associé à la suite de l'entrée dans le capital social de l'entreprise d'un nouvel actionnaire et que l'employeur ne produit aucune pièce à l'appui de ses accusations de vol ou de recel, mensongères selon lui. Il avance que l'insuffisance professionnelle ne constitue pas une faute et que les pièces produites par l'employeur sont étrangères à une prétendue insuffisance professionnelle dans le cadre de l'exercice de ses fonctions de responsable informatique. Il invoque que c'est en sa qualité de président de la société Neuftex qu'il a piloté la mise en place de l'outil informatique déployé dans les boutiques 'Toto' exploitées par cette société, ajoutant avoir correctement réalisé cette mise en place.

L'intimée réplique que le projet de lettre entre les sociétés Côte d'amour et CDF, qui a trait à la gestion de l'entreprise, relève de la compétence exclusive de son gérant. Elle note qu'en sa qualité d'associé et responsable informatique salarié, M. [T] n'avait aucune raison d'en être informé, en déduisant qu'il n'a pu être en possession de cette lettre qu'en la dérobant ou en étant le receleur d'un vol commis par un tiers, ce qui caractérise une faute lourde. Elle prétend aussi que le groupe [T] a confié à la société Côte d'amour le soin d'assurer des services pour la société Neuftex et qu'au titre de cette prestation, M. [T] a initié, négocié et conclu un partenariat avec un nouveau prestataire informatique qui s'est révélé catastrophique du fait de son insuffisance professionnelle, faute de tout cahier des charges et en raison du surdimensionnement du projet.

La faute lourde est celle commise par un salarié avec l'intention de nuire à l'employeur ou à l'enreprise. Elle est sanctionnée par le licenciement immédiat et entraîne pour le salarié la perte du droit aux indemnités de préavis et de licenciement, seule l'indemnité compensatrice de congés payés restant due. La charge de la preuve de la faute lourde incombe à l'employeur.

Il résulte du procès-verbal de l'assemblée générale ordinaire de la société Côte d'amour du 29 octobre 2018 qu'à cette occasion, M. [O] [T] a produit et lu une lettre envoyée par cette société à la société CDF précisant que si un business plan était réalisé, la société Côte d'amour verserait une commission complémentaire d'apporteur d'affaires de 360 000 euros par an à la société CDF. M. [T] a ensuite notamment demandé si une convention de rémunération avait été conclue ou pas, notant qu'aucun accord n'était évoqué à ce titre dans le rapport sur les conventions réglementées.

Mais la société Côte d'amour ne produit aucun élément de preuve établissant que M. [O] [T] a obtenu une copie de cette lettre par vol ou recel de vol alors que l'explication selon laquelle elle a été remise à ce dernier par son oncle, M. [J] [T], est crédible compte tenu de sa qualité d'associé dans la société et que la demande d'explications de M. [O] [T] lors de l'assemblée générale n'exclut pas cette remise. Le grief de vol ou de recel et plus généralement d'acte frauduleux commis par le salarié n'est donc pas démontré.

L'insuffisance professionnelle, qui se caractérise par l'inaptitude objective et durable du salarié à exécuter son travail de façon satisfaisante, ne peut en principe constituer une faute qui implique un manquement à une obligation professionnelle. L'insuffisance professionnelle est fautive si elle procède d'une abstention volontaire ou d'une mauvaise volonté délibérée.

Au cas présent, la lettre de licenciement fait état de l'insuffisance professionnelle de M. [T] mais en précisant que les faits énoncés à ce titre auraient suffi à justifier un licenciement pour faute grave. La cour en déduit que l'employeur considère que les carences imputées à M. [T] au titre de sa prétendue insuffisance professionnelle ont un caractère disciplinaire.

Il résulte des pièces produites par l'intimée (organigramme du groupe [T] et contrat du 1er mars 2016) que les sociétés Côte d'amour et Neuftex sont deux filiales de la société CTFI et que ces deux sociétés ont conclu un contrat de prestation de services visant à donner les moyens nécessaires au développement de l'activité de la société Neuftex moyennant rémunération. La société Côte d'amour prétend que c'est au titre de cette relation de prestataire à client que M. [O] [T], en sa qualité de repsonsable informatique salarié, a négocié et conclu un partenariat avec un nouveau prestataire pour la mise en place d'un outil de gestion du personnel Horoquartz et de gestion des magasins Cylande. Mais cette affirmation n'est étayée par aucun élément de preuve, la seule production du contrat précité n'en justifiant pas. En outre, les pièces versées aux débats par M. [O] [T] prouvent qu'il était le président, mandataire social, de la société Neuftex jusqu'à sa révocation en juillet 2018. Or la pièce n°9 de l'intimée relative aux projets Horoquartz et Cylande désigne notamment comme participants M. [O] [T] avec comme 'fonction projet' celle de 'gérant associé', ce qui corrobore son affirmation selon laquelle il a piloté la mise en place de l'outil informatique au titre de son seul mandat social. L'intervention de M. [T] dans ce partenariat en sa qualité de salarié de lasociété Côte d'amour n'étant pas établie, ses éventuelles carences à cette occasion ne peuvent fonder son licenciement.

De surcroît, les pièces de l'intimée ne démontrent pas l'imputabilité du dépassement du budget à une carence de M. [O] [T], ni les autres faits invoqués dans la lettre de licenciement (incapacité à recueillir les dysfonctionnements du nouveau système, confusion des capacités initiales du nouveau système avec ses possibilités de développement moyennant des investissements supplémentaires, absence d'organisation de la formation du personnel et absence de remontée du chiffre d'affaires par heure), la cour notant en particulier que les premières plaintes concernant les difficultés du logiciel ne sont avérées qu'en décembre 2019 et que la résiliation du partenariat avec CEGID n'est intervenue qu'en juillet 2020, de nombreux mois après la révocation du mandat social de M. [T] au sein de la société Neuftex et son licenciement par la société Côte d'amour. La cour relève aussi qu'il n'est pas caractérisé en quoi les carences de M. [T] seraient fautives.

Il s'en déduit que son licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse, le jugement étant infirmé en ce sens.

Sur les conséquences du licenciement sans cause réelle et sérieuse

M. [T] sollicite les sommes de 14 423,82 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, 1 442,38 euros à titre de congés payés sur préavis, 4 807,94 euros à titre d'indemnité de licenciement, 2 440,90 euros à titre de rappel de salaire pour la période de mise à pied conservatoire, 244,09 euros au titre des congés payés afférents, 19 231,76 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse et 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture vexatoire.

La société Côte d'amour ne conclut pas sur ces demandes, se bornant à soutenir que le licenciement pour faute lourde est justifié et subsidiairement qu'il repose sur une faute grave.

Sur l'indemnité compensatrice de préavis :

Le délai congé étant fixé à trois mois pour les cadres en vertu de la convention collective applicable, l'indemnité compensatrice de préavis due à M. [T] correspondant au montant des salaires et avantages que le salarié aurait perçus s'il avait accompli son travail jusqu'à l'expiration du préavis s'élève à la somme de 14 423,82 euros. La société Côte d'amour est condamnée à payer cette somme à M. [T] outre 1 442,38 euros au titre de l'indemnité compensatrice des congés payés afférents. Le jugement est infirmé de ces chefs.

Sur l'indemnité de licenciement :

Sur la base d'un salaire de référence de 4 807,94 euros et d'une ancienneté remontant au 1er novembre 2015, M. [T] est fondé à prétendre à une indemnité de licenciement de 4 807,94 en application de la convention collective en vigueur. Le jugement est infirmé en ce sens.

Sur l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :

Aux termes de l'article L. 1235-3 du code du travail, si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis. Si l'une ou l'autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés par le même article.

Employé depuis trois années complètes dans une entreprise comprenant au moins 11 salariés, M. [T] doit être indemnisé au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse à hauteur d'une somme comprise entre 3 et 4 mois de salaire brut.

Eu égard à l'ancienneté du salarié dans l'entreprise, son âge au moment du licenciement (né en 1975), aux circonstances du licenciement et à ce qu'il justifie de sa situation postérieure à la rupture (attestation de Pôle emploi établissant son inscription en continu sur la liste des demandeurs d'emploi du 1er janvier 2019 au 31 août 2021), la cour condamne la société Côte d'amour à payer à M. [T] la somme de 19 231,76 euros qu'il réclame à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Le jugement est infirmé de ce chef.

Sur le rappel de salaire au titre de la mise à pied conservatoire :

Au vu de ce qui précède et de son bulletin de salaire de novembre 2018, M. [T] est fondé en sa demande de rappel de salaire au titre de la période de mise à pied conservatoire d'un montant de 2 440,90 euros et en sa demande au titre de l'indemnité compensatrice des congés payés afférents de 244,09 euros.

Sur les dommages et intérêts pour licenciement vexatoire :

Les accusations de vol et de recel de vol qui ne sont fondées sur aucun élément sont vexatoires. Il en est résulté pour M. [T] un préjudice moral distinct de celui déjà indemnisé, qui sera réparé par l'allocation d'une somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts.

Sur le remboursement des indemnités de chômage :

En application de l'article L. 1235-4 du code du travail, la cour ordonne le remboursement par la société Côte d'amour à Pôle emploi des indemnités de chômage versées à M. [T] du jour de son licenciement au jour du présent arrêt dans la limite de six mois d'indemnités.

Sur les intérêts au taux légal et la demande de capitalisation

En application des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, les créances salariales produisent intérêt au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation, et les créances indemnitaires produisent intérêt au taux légal à compter du présent arrêt, la capitalisation des intérêts étant ordonnée conformément aux dispositions de l'article1343-2 du même code.

Sur la remise des documents

Il sera ordonné à la société Côte d'amour de remettre à M. [T] une attestation Pôle Emploi, un certificat de travail et un bulletin de salaire conformes à la présente décision dans le délai d'un mois à compter de sa notification, sans qu'il y ait lieu à prononcer une astreinte.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

La société Côte d'amour est condamnée aux dépens de première instance et d'appel et à payer à M. [T] une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, étant elle-même déboutée de sa demande fondée sur ces dispositions.

PAR CES MOTIFS

LA COUR statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe :

INFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a débouté la société Côte d'amour de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et l'a condamnée aux dépens ;

Statuant à nouveau dans la limite des chefs infirmés et ajoutant :

CONDAMNE la société Côte d'amour à payer à M. [T] les sommes de :

* 14 423,82 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis

* 1 442,38 euros à titre d'indemnité compensatrice des congés payés afférents

* 4 807,94 euros à titre d'indemnité de licenciement

* 2 440,90 euros à titre de rappel de salaire pour la période de mise à pied conservatoire

* 244,09 euros à titre d'indemnité compensatrice des congés payés afférents

* 19 231,76 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse

* 1 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire

* 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

RAPPELLE que les créances salariales produisent intérêt au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation et que les créances indemnitaires produisent intérêt au taux légal à compter du présent arrêt ;

ORDONNE la capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil ;

ORDONNE le remboursement par la société Côte d'amour à Pôle emploi des indemnités de chômage versées à M. [T] du jour de son licenciement au jour du présent arrêt dans la limite de six mois d'indemnités ;

ORDONNE à la société Côte d'amour de remettre à M. [T] une attestation Pôle Emploi, un certificat de travail et un bulletin de salaire conformes à la présente décision dans le délai d'un mois à compter de sa notification ;

DÉBOUTE les parties de toute autre demande ;

CONDAMNE la société Côte d'amour aux dépens d'appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 21/04960
Date de la décision : 06/04/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-04-06;21.04960 ?
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