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06/04/2023 | FRANCE | N°21/04663

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 5, 06 avril 2023, 21/04663


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 6 - Chambre 5



ARRET DU 06 AVRIL 2023



(n°2023/ , 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/04663 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDXUK



Décision déférée à la Cour : Jugement du 09 Avril 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CRETEIL - RG n° 19/00143





APPELANTE



S.N.C. AUX PROVINCES

[Adresse 2]

[Localité 4]



Repr

ésentée par Me Véronique DE LA TAILLE, avocat au barreau de PARIS, toque : K0148



INTIMEE



Madame [O] [V]

[Adresse 1]

[Localité 3]

née le 27 Septembre 1978 à [Localité 5]



Représentée par Me...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5

ARRET DU 06 AVRIL 2023

(n°2023/ , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/04663 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDXUK

Décision déférée à la Cour : Jugement du 09 Avril 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CRETEIL - RG n° 19/00143

APPELANTE

S.N.C. AUX PROVINCES

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Véronique DE LA TAILLE, avocat au barreau de PARIS, toque : K0148

INTIMEE

Madame [O] [V]

[Adresse 1]

[Localité 3]

née le 27 Septembre 1978 à [Localité 5]

Représentée par Me Sandra MORENO-FRAZAK, avocat au barreau d'ESSONNE

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 20 janvier 2023, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Marie-Christine HERVIER, Présidente de chambre chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Marie-Christine HERVIER, Présidente de chambre, Présidente de formation,

Madame Marie-José BOU, Présidente de chambre

Madame Séverine MOUSSY, Conseillère

Greffier : Madame Cécile IMBAR, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Madame Marie-Christine HERVIER, présidente et par Madame Philippine QUIL, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Par contrat de travail à durée indéterminée du 1er juin 2015, Mme [O] [V] a été embauchée par la SNC Aux Provinces en qualité de serveuse, niveau 1, échelon 1, moyennant une rémunération mensuelle brute de 1 851,03 euros pour une durée de travail de 151,67 heures.

La convention collective applicable à la relation de travail est celle des hôtels, cafés restaurants et la société employait moins de 11 salariés au moment de la rupture du contrat de travail.

Mme [V] a travaillé jusqu'au 8 novembre 2015 et a présenté des arrêts de travail que les parties s'accordent à faire remonter en dernier lieu au 9 novembre 2015 et bénéficie d'une pension d'invalidité, catégorie 1, selon attestation de la caisse primaire d'assurance maladie du 29 décembre 2020.

Le 21 janvier 2019, elle a pris acte de la rupture de son contrat de travail.

Le 15 mai 2019 elle a saisi le conseil de prud'hommes en formation de référé pour obtenir la remise du solde de tout compte.

Par requête du 29 janvier 2019, elle a saisi le conseil de prud'hommes de Créteil afin d'obtenir la requalification de la prise d'acte en licenciement sans cause réelle et sérieuse, des indemnités de rupture et des dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail et violation de l'obligation de sécurité. En réplique, la société Aux Provinces a soulevé la prescription des demandes et sollicité, à titre reconventionnel, la condamnation de Mme [V] à lui rembourser la somme de 300,67 euros au titre du paiement de la mutuelle. Par jugement du 9 avril 2021 auquel la cour renvoie pour l'exposé des demandes initiales et de la procédure antérieure, le conseil de prud'hommes de Créteil, section commerce, a :

- rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription soulevée par la société Aux Provinces,

- dit que la prise d'acte produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- condamné la société Aux Provinces à payer à Mme [V] les sommes suivantes :

* 7 404,12 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 1 851,03 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre 185,10 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis,

* 1 735,34 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement,

* 1 500 euros de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail et violation de l'obligation de sécurité,

* 1 300 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné à la société Aux Provinces de remettre à Mme [V] un bulletin de paie et une attestation destinée au Pôle emploi conformes au jugement, sous astreinte de 15 euros par jour de retard et par document, à compter du 15e jour suivant la notification du jugement, se réservant le contentieux de la liquidation de cette astreinte,

- ordonné l'exécution provisoire du jugement,

- débouté la société Aux Provinces de toutes ses demandes reconventionnelles, et mis les dépens à sa charge.

- rappelé que l'intérêt au taux légal est applicable de droit avec anatocisme, à partir de sa saisine pour les salaires et accessoires de salaire et à partir de la notification du jugement pour les dommages-intérêts.

La société Aux Provinces a régulièrement relevé appel du jugement le 20 mai 2021.

Aux termes de ses dernières conclusions n° 2, notifiées par voie électronique le 18 janvier 2022 auxquelles la cour renvoie pour plus ample exposé des prétentions et moyens conformément à l'article 455 du code de procédure civile, la société Aux Provinces prie la cour de :

- annuler ou infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription qu'elle soulevait, dit que la prise d'acte produisait les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, des chefs de condamnations prononcées à son encontre et en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes reconventionnelles,

- déclarer prescrites les demandes de Mme [V] et la déclarer irrecevable en ses demandes,

Subsidiairement,

- requalifier la prise d'acte de rupture du contrat de travail en démission,

- débouter Mme [V] de l'intégralité de ses demandes, à titre infiniment subsidiaire ramener au strict minimum les montants des indemnités qui lui seraient allouées,

En tout état de cause :

- débouter Mme [V] de l'intégralité de ses demandes,

- la condamner à lui rembourser la somme de 300,67 euros au titre du paiement de la mutuelle et à lui payer la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 19 octobre 2021 auxquelles la cour renvoie pour plus ample exposé des prétentions et moyens conformément à l'article 455 du code de procédure civile, Mme [V] prie la cour de:

- confirmer le jugement sauf sur le montant des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse qui doit être porté à 18'600 euros et le montant des dommages-intérêts pour exécution déloyale et violation de l'obligation de sécurité qui doit être porté à 5 000 euros,

Subsidiairement,

- confirmer le jugement,

En toutes hypothèses :

- ordonner la remise des bulletins de paie, de décembre 2015 à ce jour, sous astreinte de 50 euros par jour de retard et par document,

- condamner la société Aux Provinces à lui verser la somme de 1 800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouter la société Aux Provinces de l'ensemble de ses demandes et la condamner aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 4 janvier 2023.

MOTIVATION':

Sur l'annulation du jugement':

Aucun moyen n'étant soutenu à l'appui de cette demande figurant dans le dispositif des conclusions de l'appelante, elle est rejetée.

Sur la prescription des demandes':

L'article L. 1471-1 du code du travail précise que « toute action portant sur l'exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.'

La société Aux Provinces soulève la prescription des demandes de Mme [V] aux motifs que'la demande de dommages-intérêts pour violation de l'obligation de sécurité se prescrit par deux ans à compter du jour où le salarié a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer ses droits de sorte qu'ayant bénéficié d'arrêts de travail continus à partir du 9 novembre 2015, dernier jour travaillé et point de départ du délai de prescription, et n'ayant saisi le conseil de prud'hommes que le 31 janvier 2019, plus de deux ans se sont écoulés depuis la fin de la période travaillée, qu'il en résulte que, le fait générateur prescrit emportant la prescription, elle ne peut valablement présenter des demandes au titre de l'exécution ou la rupture du contrat de travail.

Mme [V] s'oppose à la demande en faisant valoir à bon droit que le délai de prescription de l'action en requalification de la prise d'acte en licenciement sans cause réelle et sérieuse portant sur la rupture du contrat de travail intervenue le 23 janvier 2019 est de douze mois à compter de la rupture du contrat de travail de sorte que son action n'est pas couverte par la prescription puisqu'elle a saisi le conseil de prud'hommes au fond le 23 novembre 2019.

S'agissant de la demande portant sur la violation de l'obligation de sécurité, dès lors que la violation alléguée s'est poursuivie dans le temps puisqu'au jour de la rupture du contrat de travail, la visite de reprise n'avait toujours pas été passée, le point de départ du délai de prescription de deux ans est le jour de la rupture et non pas le dernier jour travaillé comme le prétend à tort l'employeur, de sorte que le délai n'est pas acquis.

Le jugement est donc confirmé en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription soulevée par la société Aux Provinces.

Sur les effets de la prise d'acte de rupture du contrat de travail':

Lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets, soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les manquements invoqués empêchaient la poursuite du contrat de travail, soit, dans le cas contraire, d'une démission. La charge de la preuve des faits qu'il allègue à l'encontre de l'employeur à l'appui de sa prise d'acte pèse sur le salarié. L'écrit par lequel le salarié prend acte de la rupture du contrat de travail ne fixe pas les limites du litige.

Mme [V] reproche à l'employeur les manquements suivants :

- la non organisation de la visite de reprise malgré un arrêt de travail de plusieurs mois,

- la non remise des bulletins de salaire depuis le mois de décembre 2015.

S'agissant de l'absence d'organisation de la visite de reprise :

Mme [V] reproche à l'employeur de ne pas avoir organisé de visite de reprise alors qu'elle l'a informé, par SMS, le 7 septembre 2016 de sa reprise et a sollicité auprès de lui l'organisation d'une telle visite par courrier recommandé du 24 octobre 2016, réceptionné le 25, puis par courrier recommandé du 1er février 2017, saisissant également l'inspecteur du travail de la difficulté dès le 16 décembre 2016, et ce en vain, puisqu'elle n'a jamais bénéficié d'une telle visite, alors que son arrêt de travail a pris fin en juillet 2018 et qu'elle se tenait à la disposition de l'employeur.

La société Aux Provinces s'oppose à la demande en faisant valoir qu'elle s'est enquise à plusieurs reprises auprès de la salariée de la date de son retour ce qui entraînait immédiatement la réception d'un nouvel arrêt de travail et qu'elle ne pouvait donc pas prévoir un rendez-vous auprès de la médecine du travail sans connaître avec certitude la date du retour de la salariée.

Il ressort des échanges de SMS communiquées par la salariée, adressés à M. [Z], gérant de la société Aux Provinces qu'elle devait reprendre le travail le 6 septembre 2016 et qu'elle a prévenu l'employeur, le 7 septembre 2016, par SMS, qu'elle devait passer une visite médicale de reprise. Elle a réitéré sa demande par courriers recommandés du 24 octobre 2016 et du 1er février 2017, adressés à l'employeur et dûment réceptionnés ainsi que cela l'établissent les avis de réception communiqués. Il ressort du courrier de l'inspecteur du travail en date du 6 mars 2017 que celui-ci s'est déplacé dans l'établissement le 22 février 2017, que l'employeur lui a déclaré qu'il n'était pas en mesure d'organiser une telle visite parce qu'il n'avait pas adhéré à un service de santé au travail auparavant mais seulement depuis six mois, qu'il ne voulait pas organiser cette visite de reprise tant qu'il n'aurait pas la certitude que Mme [V] reprendrait son poste de travail et qu'il envisageait également de lui demander une avance pour financer l'examen.

La cour relève en premier lieu que même si la salariée ne verse pas aux débats ses arrêts de travail, il ressort des écritures des parties qu'elle a été arrêtée pour longue maladie plusieurs mois durant à partir du mois de novembre 2015, étant observé qu'il n'est versé aucun élément aux débats de nature à établir qu'il s'agissait dans un premier temps d'un accident du travail comme elle l'indique. En second lieu, elle a adressé un courrier à l'employeur le 24 octobre 2016 pour réclamer l'organisation de la visite médicale de reprise. La cour considère en conséquence que l'organisation d'une visite de reprise était obligatoire en application de l'article R. 4624-22 du code du travail dans sa version applicable au litige, puisque l'arrêt de travail pour maladie ne relevant pas du régime des risques professionnels était supérieur à 30 jours, afin de permettre au médecin du travail, seul compétent pour ce faire, de déterminer si elle était apte ou non à reprendre le travail, l'employeur ne pouvant valablement soumettre l'organisation de cette visite à l'assurance préalable que tel était bien le cas.

La cour considère le manquement établi et suffisamment grave, à lui seul, pour empêcher la poursuite du contrat de travail de sorte que la prise d'acte produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Le jugement est confirmé de ce chef.

Sur les conséquences du licenciement sans cause réelle et sérieuse':

Mme [V] sollicite la condamnation de l'employeur à lui verser une somme de 18'600 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse seule à même de permettre une indemnisation adéquate et une réparation appropriée de son préjudice, invoquant l'inconventionnalité du plafonnement prévu par l'article L. 1235-3 du code du travail au regard des dispositions de l'article 10 de la convention n° 158 de l'OIT, directement applicable, et l'article 24 de la charte européenne également d'effet direct selon elle.

La société Aux Provinces s'oppose à la demande en faisant valoir que l'ancienneté de Mme [V] n'est que de 3 mois et demi de sorte que conformément à l'article L. 1235-3 du code du travail applicable au litige, l'indemnisation ne peut excéder un mois de salaire.

Sur le moyen tendant à faire écarter l'application de l'article L. 1235-3 du code du travail':

Aux termes de l'article L. 1235-3 du code du travail, si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis. Si l'une ou l'autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés par le même article. Selon l'article L. 1235-3-1 du même code, l'article 1235-3 n'est pas applicable lorsque le juge constate que le licenciement est entaché d'une des nullités prévues à son deuxième alinéa. Dans ce cas, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l'exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l'employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois. Enfin, selon l'article L. 1235-4 du code du travail, dans le cas prévu à l'article L. 1235-3, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé. Ce remboursement est ordonné d'office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l'instance ou n'ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.

Aux termes de l'article 24 de la Charte sociale européenne, en vue d'assurer l'exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les parties s'engagent à reconnaître:

a) le droit des travailleurs à ne pas être licenciés sans motif valable lié à leur aptitude ou conduite, ou fondé sur les nécessités de fonctionnement de l'entreprise, de l'établissement ou du service ;

b) le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée.

A cette fin les Parties s'engagent à assurer qu'un travailleur qui estime avoir fait l'objet d'une mesure de licenciement sans motif valable ait un droit de recours contre cette mesure devant un organe impartial.

L'annexe de la Charte sociale européenne précise qu'il est entendu que l'indemnité ou toute autre réparation appropriée en cas de licenciement sans motif valable doit être déterminée par la législation ou la réglementation nationales, par des conventions collectives ou de toute autre manière appropriée aux conditions nationales. La Charte réclame des Etats qu'ils traduisent dans leurs textes nationaux les objectifs qu'elle leur fixe. En outre, le contrôle du respect de cette charte est confié au seul Comité européen des droits sociaux dont la saisine n'a pas de caractère juridictionnel et dont les décisions n'ont pas de caractère contraignant en droit français.

Sous réserve des cas où est en cause un traité international pour lequel la Cour de justice de l'Union européenne dispose d'une compétence exclusive pour déterminer s'il est d'effet direct, les stipulations d'un traité international, régulièrement introduit dans l'ordre juridique interne conformément à l'article 55 de la Constitution, sont d'effet direct dès lors qu'elles créent des droits dont les particuliers peuvent se prévaloir et que, eu égard à l'intention exprimée des parties et à l'économie générale du traité invoqué, ainsi qu'à son contenu et à ses termes, elles n'ont pas pour objet exclusif de régir les relations entre Etats et ne requièrent l'intervention d'aucun acte complémentaire pour produire des effets à l'égard des particuliers.

Il résulte dès lors de ce qui précède que l'article 24 de la Charte sociale européenne n'a pas d'effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers.

Aux termes de l'article 10 de la Convention n° 158 de l'Organisation internationale du travail (OIT), si les organismes mentionnés à l'article 8 de la présente convention arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié, et si, compte tenu de la législation et de la pratique nationales, ils n'ont pas le pouvoir ou n'estiment pas possible dans les circonstances d'annuler le licenciement et/ou d'ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d'une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée.

Comme le soutient à juste titre Mme [V], ces stipulations sont d'effet direct en droit interne dès lors qu'elles créent des droits entre particuliers, qu'elles n'ont pas pour objet exclusif de régir les relations entre Etats et ne requièrent l'intervention d'aucun acte complémentaire.

Le terme 'adéquat' signifie que l'indemnité pour licenciement injustifié doit, d'une part être suffisamment dissuasive pour éviter le licenciement injustifié, et d'autre part raisonnablement permettre l'indemnisation de la perte injustifiée de l'emploi.

Il résulte des dispositions du code du travail précitées, que le salarié dont le licenciement est injustifié bénéficie d'une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux variant en fonction du montant du salaire mensuel et de l'ancienneté du salarié et que le barème n'est pas applicable lorsque le licenciement du salarié est nul ce qui permet raisonnablement l'indemnisation de la perte injustifiée de l'emploi. En outre, le juge applique d'office les dispositions de l'article L. 1235-4 du code du travail. Ainsi, le caractère dissuasif des sommes mises à la charge de l'employeur est également assuré et les trois articles du code du travail précités sont de nature à permettre le versement d'une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l'article 10 de la Convention n° 158 de l'OIT.

Il n'y a donc pas lieu d'écarter les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail qui sont compatibles avec les stipulations de l'article 10 de la Convention de l'OIT et il appartient à la cour d'apprécier la situation concrète du salarié pour déterminer le montant de l'indemnité due entre les montants minimaux et maximaux déterminés par cet article.

Sur l'ancienneté de Mme [V] :

Mme [V] se prévaut d'une ancienneté de 3 ans et 9 mois comme l'a retenu le conseil de prud'hommes ne prenant pas en compte la suspension de son contrat de travail en raison de ses arrêts maladie, tandis que l'employeur indique que l'ancienneté n'est que de trois mois et demi correspondant au temps de travail effectif de la salarié jusqu'au 8 novembre 2015, dernier jour travaillé. La cour considère que la suspension du contrat de travail doit être prise en compte Mme [V] ne justifiant pas du caractère professionne de ses arrêts de travail, mais seulement pour la période comprise entre le 9 novembre 2015 et le 25 octobre 2016, date de la réception par l'employeur du courrier recommandé de la salariée lui demandant d'organiser une visite de reprise, ce dernier ne pouvant valablement opposer à Mme [V] la suspension du contrat de travail pour maladie au delà de cette date, dès lors que c'est en raison de sa carence fautive que la visite médicale de reprise mettant fin à la suspension du contrat de travail de la salariée n'a pas eu lieu. L'ancienneté est donc de 2 ans, et 6 mois, compte tenu des arêts de travail pour maladie figurant sur les bulletins de salaire antérieurement au mois de novembre 2015.

Sur l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse':

En application de l'article L. 1235-3 du code du travail, compte tenu de l'ancienneté de 2 années complètes de la salarié, l'indemnité de licenciement doit être comprise entre 0,5 et 3,5 mois de salaire brut, la société Aux Provinces employant moins de 11 salariés. Eu égard à l'âge de la salariée (née en 1978), aux circonstances de la rupture, au montant de son salaire mensuel brut (1'851';03 euros), à ce que Mme [V] justifie de sa situation postérieure à celle-ci, la cour condamne la société Aux Provinces à lui verser une somme de 6'000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse suffisant à réparer son entier préjudice. Le jugement est infirmé de ce chef.

Sur l'indemnité compensatrice de préavis':

Mme [V] sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a condamné la société Aux provinces à lui verser la somme de 1'851,03 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre 185,10 euros au titre de l'indemnité de congés payés sur préavis. La cour fait droit à sa demande dans la limite de celle-ci et le jugement est donc confirmé de ce chef.

Sur l'indemnité légale de licenciement':

Mme [V] sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a condamné la société Aux Provinces à lui verser une somme de 1'734,35 euros de ce chef. Sur la base d'une ancienneté de 2 ans et 8 mois, préavis inclus, et d'un salaire de référence de 1'851,03 euros la cour condamne la société Aux Provinces à lui verser la somme de 1 230,93 euros à ce titre, le jugement est infirmé de ce chef.

Sur les dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail'et violation de l'obligation de sécurité:

Mme [V] reproche à l'employeur de ne pas avoir organisé de visite de reprise jusqu'à ce qu'elle prenne acte de la rupture du contrat de travail et de ne pas lui avoir remis de bulletin de salaire.

La société Aux provinces s'oppose en vain à la demande en faisant valoir qu'elle repose sur des faits prescrits mais dès lors qu'ils se sont poursuivis jusqu'à la rupture du contrat de travail le délai de prescription n'a pas couru avant cette date.

L'exécution déloyale du contrat de travail comme la violation de l'obligation se sécurité s'agissant de l'absence de visite médicale de reprise, étant rappelé qu'il appartient à l'employeur de justifier des mesures prises pour assurer le respect de son obligation de sécurité, sont caractérisées et ont causé un préjudice à Mme [V] qui n'a pu reprendre son travail, de sorte que la cour condamne la société Aux Provinces à lui verser une somme de 5'000 euros de dommages-intérêts en réparation de son entier préjudice. Le jugement est infirmé de ce chef.

Sur la demande reconventionnelle':

La société Aux Provinces sollicite la condamnation de Mme [V] à lui rembourser la somme de 300,67 euros au titre du paiement de la mutuelle et l'infirmation du jugement qui l'a déboutée de ce chef de demande.

Mme [V] fait valoir que cette demande n'est pas justifiée tandis que la société Aux provinces explique que pendant toutes ces années, elle a poursuivi le paiement de la mutuelle et que lors de l'établissement du solde de tout compte, la dette créée par la Mutuelle a été déduite en invoquant les explications limpides de son comptable mais sans les produire de sorte que la cour la déboute de sa demande de remboursement. Le jugement est confirmé de ce chef.

Sur les autres demandes':

Le jugement est confirmé sur le point de départ des intérêts au taux légal portant sur les condamnations de nature salariale et la capitalisation des intérêts échus dus pour une année entière en application de l'article 1343-2 du code civil. Les intérêts au taux légal portant sur les condamnations de nature indemnitaire sont dus à compter de la décision qui les prononce.

La cour condamne la société Aux Provinces à remettre à Mme [V] un bulletin de paie récapitulatif, un certificat de travail et une attestation pour Pôle emploi conformes à la présente décision sans qu'il soit nécessaire d'ordonner une astreinte, la demande en ce sens est rejetée et le jugement infirmé sur ce point.

La société Aux Provinces, partie perdante, est condamnée aux dépens et doit indemniser Mme [V] des frais exposés par elle et non compris dans les dépens en sus de la somme allouée par le conseil de prud'hommes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur de la somme de 1'000 euros, sa propre demande sur le même fondement étant rejetée.

PAR CES MOTIFS

LA COUR statuant contradictoirement et par mise à disposition au greffe,

INFIRME le jugement sauf en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription soulevée par la société Aux Provinces et dit que la prise d'acte de rupture du contrat de travail produisait les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, sur le montant de l'indemnité compensatrice de préavis, de l'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis, en ce qu'il a débouté la société Aux Provinces de sa demande de remboursement et sur le quantum de la condamnation prononcée au titre de l'article 700 du code de procédure civile, le point de départ des intérêts au taux légal portant sur les condamnations de nature salariale et en ce qu'il a prononcé la capitalisation des intérêts,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant':

CONDAMNE la société Aux Provinces à verser à Mme [O] [V] les sommes de':

- 6'000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

- 1 230;93 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement,

- 5'000 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi pour exécution déloyale du contrat de travail et violation de l'obligation de sécurité,

DIT que les intérêts au taux légal portant sur les condamnations de nature indemnitaire sont dus à compter de la décision qui les prononce,

CONDAMNE la société Aux Provinces à remettre à Mme [O] [V] un bulletin de paie récapitulatif, un certificat de travail et une attestation pour Pôle emploi conformes à la présente décision,

DÉBOUTE les parties du surplus de leurs demandes,

CONDAMNE la société Aux Provinces aux dépens et à verser à Mme [O] [V] la somme de 1'000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 21/04663
Date de la décision : 06/04/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-04-06;21.04663 ?
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