La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

06/04/2023 | FRANCE | N°21/04659

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 5, 06 avril 2023, 21/04659


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 6 - Chambre 5



ARRET DU 06 AVRIL 2023



(n° 2023/ , 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/04659 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDXTI



Décision déférée à la Cour : Jugement du 08 Avril 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation de départage d'EVRY - RG n° F19/00307





APPELANTE



S.A.S. CARDONNEL INGENIERIE

[Adresse 1]

[Localité 4]



Représentée par Me Mathieu QUEMERE, avocat au barreau d'ESSONNE



INTIMEE



Madame [G] [O]

[Adresse 2]

[Localité 3]

née le 27 Juin 1968 à [Localité 5]



Représentée par Me Sandra MORENO-FRAZ...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5

ARRET DU 06 AVRIL 2023

(n° 2023/ , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/04659 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDXTI

Décision déférée à la Cour : Jugement du 08 Avril 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation de départage d'EVRY - RG n° F19/00307

APPELANTE

S.A.S. CARDONNEL INGENIERIE

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Mathieu QUEMERE, avocat au barreau d'ESSONNE

INTIMEE

Madame [G] [O]

[Adresse 2]

[Localité 3]

née le 27 Juin 1968 à [Localité 5]

Représentée par Me Sandra MORENO-FRAZAK, avocat au barreau d'ESSONNE

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 20 janvier 2023, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Marie-Christine HERVIER, Présidente de chambre chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Marie-Christine HERVIER, Présidente de chambre, Présidente de formation,

Madame Marie-José BOU, Présidente de chambre

Madame Séverine MOUSSY, Conseillère

Greffier : Madame Cécile IMBAR, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Madame Marie-Christine HERVIER, présidente et par Madame Philippine QUIL, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

La société Cardonnel ingénierie est un bureau d'études spécialisé dans le confort durable du bâtiment résidentiel et tertiaire. Elle fait partie du groupe Qualigaz et est détenue à 95 % par la société Evonia.

Mme [G] [O] a été engagée par la société Cardonnel ingénierie par contrat de travail à durée indéterminée à temps plein du 3 juin 2013 en qualité d'assistante technique polyvalente. A partir du 1er janvier 2017, par avenant régularisé le 27 avril 2017, Mme [O] a occupé les fonctions d'assistante commerciale et administrative, et elle percevait en dernier lieu une rémunération mensuelle brute de 3 000 euros pour une durée de travail hebdomadaire de 37 heures.

Les relations contractuelles entre les parties sont soumises à la convention collective nationale des bureaux d'études techniques, des cabinets d'ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils du 15 décembre 1987. La société Cardonnel ingénierie employait au moins onze salariés lors de la rupture des relations contractuelles.

Par courrier du 31 août 2018, la société Cardonnel ingénierie a informé Mme [O] qu'elle envisageait la suppression de son poste dans le cadre d'un projet de licenciement collectif et lui adressait des propositions de reclassement à des conditions de rémunération inférieures aux siennes sur un poste d'assistante de gestion PME en contrat à durée indéterminée ou sur des postes en contrat à durée déterminée dans l'établissement de Qualigaz, l'invitant à formuler une réponse avant le 17 septembre 2018.

Par mail du 7 septembre 2018, Mme [O] a répondu qu'elle souhaitait le maintien de sa rémunération actuelle.

Mme [O] a été convoquée, par courrier du 20 septembre 2018, à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 2 octobre 2018 à l'issue duquel lui a été remis un courrier d'information sur le contrat de sécurisation professionnelle lui notifiant les motifs économiques du licenciement. Le 3 octobre 2018, elle a accepté le contrat de sécurisation professionnelle et son contrat de travail a pris fin le 23 octobre 2018.

Contestant le bien-fondé de son licenciement, Mme [O] a saisi le conseil de prud'hommes d'Evry-Courcouronnes le 5 avril 2019 afin d'obtenir la condamnation de l'employeur à lui verser des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et une indemnité compensatrice de préavis. Par jugement du 8 avril 2021 auquel la cour renvoie pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, le conseil de prud'hommes de Paris, section activités diverses, statuant en formation de départage, a :

- dit le licenciement dénué de cause réelle et sérieuse ;

- condamné la société Cardonnel ingénierie à payer à Mme [O] les sommes de :

* 18 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 6 000 euros brut au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre 600 euros au titre des congés payés afférents ;

- rappelé que les sommes portent intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement, soit à la date du 8 avril 2021 ;

- ordonné à la société Cardonnel ingénierie de remettre à Mme [O] un bulletin de paie conforme au jugement dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement ;

- ordonné à la société Cardonnel ingénierie de rembourser au Pôle Emploi les indemnités de chômage versées à Mme [O] à concurrence d'un mois d'indemnités sous déduction de la contribution prévue à l'article L. 1233-69 du code du travail ;

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

- condamné la société Cardonnel ingénierie à payer à Mme [O] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la société Cardonnel ingénierie aux dépens ;

- dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire.

La société Cardonnel ingénierie a régulièrement relevé appel de ce jugement le 19 mai 2021.

Aux termes de ses dernières conclusions n°2, notifiées par voie électronique le 22 décembre 2022 auxquelles la cour renvoie pour plus ample exposé des moyens et prétentions en application de l'article 455 du code de procédure civile, la société Cardonnel ingénierie prie la cour de :

- infirmer le jugement en ce qu'il dit le licenciement dénué de cause réelle et sérieuse et des chefs des condamnations prononcées à son encontre ;

Partant,

- dire et juger que le licenciement repose sur un motif économique ;

- débouter Mme [O] de l'ensemble de ses demandes ;

- condamner Mme [O] à lui verser la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

-condamner Mme [O] aux entiers dépens.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 5 janvier 2023 auxquelles la cour renvoie pour plus ample exposé des moyens et prétentions en application de l'article 455 du code de procédure civile, Mme [O] prie la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a dit que le licenciement dénué de cause réelle et sérieuse ;

- infirmer le jugement uniquement sur le quantum des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

En conséquence,

- condamner la société Cardonnel ingénierie à lui verser les sommes suivantes:

* 6 000 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis (article 15 de la convention collective,

* 600 euros au titre des congés payés afférents,

* 30 000 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (10 mois),

* 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

-ordonner la remise d'un bulletin de paie conforme à l'arrêt à intervenir sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;

- condamner la société Cardonnel Ingénierie aux entiers dépens ;

- assortir l'ensemble des condamnations pécuniaires à venir des intérêts au taux légal.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 11 janvier 2023.

MOTIVATION :

Sur le bien-fondé du licenciement :

Aux termes de l'article L. 1233-3 du code du travail, " constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment :

1° à des difficultés économiques caractérisées soit par l'évolution significative d'au moins un indicateur économique tel qu'une baisse des commandes ou du chiffre d'affaires, des pertes d'exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l'excédent brut d'exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ses difficultés.

Une baisse significative des commandes ou du chiffre d'affaires est constitué dès lors que la durée de cette baisse est, en comparaison avec la même période de l'année précédente, au moins égale à :

a) un trimestre pour une entreprise de moins de 11 salariés ;

b) deux trimestres consécutifs pour une entreprise d'au moins 11 salariés et de moins de 50 salariés ;

c) trois trimestres consécutifs pour une entreprise d'au moins 50 salariés et de moins de 300 salariés ;

d) quatre trimestres consécutifs pour une entreprise de 300 salariés et plus ;

2° à des mutations technologiques ;

3 ° à une réorganisation de l'entreprise nécessaires à la sauvegarde de sa compétitivité;

4° à la cessation d'activité de l'entreprise.

La matérialité de la suppression, de la transformation d'emploi ou de la modification d'un élément essentiel du contrat de travail s'apprécie au niveau de l'entreprise.

Les difficultés économiques, les mutations technologiques ou la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise s'apprécie au niveau de cette entreprise si elle n'appartient pas à un groupe est, dans le cas contraire, au niveau du secteur d'activité commun à cette entreprise et aux entreprises du groupe auquel elle appartient établis sur le territoire national sauf fraude.

Pour l'application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu'elle contrôle dans les conditions définies à l'article L2 133-1 aux I et II de l'article L. 233-3 et de l'article L. 233-16 du code de commerce.

Le secteur d'activité permettant d'apprécier la cause économique du licenciement est caractérisée, notamment par la nature des produits biens ou services délivrés, la clientèle ciblée, ainsi que les raisons et modes de distribution, se rapportant à un même marché.

Les dispositions du présent chapitre sont applicables à toute rupture du contrat de travail résultant de l'une des causes énoncées au présent article, à l'exclusion de la rupture conventionnelle visée aux articles L. 1237-11 et suivants et de la rupture d'un commun accord dans le cadre d'un accord collectif visé aux articles L. 1237-17 et suivants. ".

L'article L. 1233-4 du code du travail précise que : " le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptations ont été réalisées et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles situés sur le territoire national dans l'entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l'entreprise fait partie et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation à sur la permutation de tout ou partie du personnel. Pour l'application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu'elle contrôle dans les conditions définies à l'article L2 133-1 aux I et II de l'article L. 233-3 et de l'article L. 233-16 du code de commerce.

Le reclassement du salarié s'effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d'une rémunération équivalente. À défaut et sous réserve de l'accord exprès du salarié, le reclassement s'effectue sur un emploi d'une catégorie inférieure.

L'employeur adresse de manière personnalisée les offres de reclassement à chaque salarié ou diffuse partout moyens une liste des postes disponibles à l'ensemble des salariés, dans les conditions précisées par décret.

Les offres de reclassement proposé au salarié sont écrites et précises. ".

Mme [O] soutient que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse, motifs pris de:

- l'absence de preuve des difficultés économiques et financières,

- l'absence de suppression de son poste,

- l'absence de recherche loyale et sérieuse de reclassement.

La société Cardonnel ingénierie conclut au débouté et à l'infirmation du jugement en soutenant que le licenciement de Mme [O] repose bien sur une cause économique dès lors que :

- depuis plus de trois ans, elle n'a cessé de constater une dégradation progressive et structurelle de son chiffre d'affaires, de même que le département assurant la réalisation et la commercialisation des logiciels d'application thermique qui a subi une importante diminution entre 2016 et 2017 et 2017 /2018, cette diminution apparaissant également sur deux années consécutives (2017 et 2018) et deux trimestres consécutifs couvrant les trimestres deux et trois,

- les difficultés économiques s'apprécient au niveau du même secteur d'activité des entreprises d'un groupe mais si elle appartient bien au groupe Qualigaz, elle est la seule à avoir des activités de bureau d'études thermiques et d'édition de logiciels dans son domaine d'activité Qualigaz, pour sa part, ayant une activité de contrôle de conformité des installations de gaz, de formation d'installateurs et de contribution technique aux référentiels normatifs liés à ces installations et la société Evonia étant, quant à elle, spécialisée dans le diagnostic immobilier,

- l'emploi de Mme [O] a bien été supprimé et si elle a posté une offre d'emploi le 26 avril 2018 pour un poste d'assistante de direction/gestion celui-ci sollicite d'autres compétences et amène à exercer d'autres missions que celle du poste d'assistante administrative occupé par Mme [O],

- elle n'avait pas à tenir compte des critères d'ordre de licenciement dans la mesure où Mme [O] était la seule salariée de sa catégorie,

- elle a respecté son obligation de reclassement en formulant des offres qui ont toutes été déclinées par Mme [O] et qui correspondaient aux seuls postes vacants compatibles avec le profil de celle-ci.

Sur la réalité des difficultés économiques :

La cour observe en premier lieu que la société Cardonnel ingénierie établit la baisse de son chiffre d'affaires par la communication de ses bilans pour les exercices 2016/2017 et 2017/2018, passant de 2 353 693 euros (chiffre d'affaires net au 31 mars 2016) à 1 409 362 euros (chiffre d'affaires net au 31 mars 2017 à 1 321 103 (chiffre d'affaires net au 31 mars 2018).

En second lieu, la cause économique d'un licenciement s'apprécie au niveau de l'entreprise ou, si celle-ci fait partie d'un groupe, au niveau du secteur d'activité du groupe dans lequel elle intervient et il est constant que la société Cardonnel ingénierie fait partie du groupe Qualigaz de sorte que les difficultés économiques doivent s'apprécier au niveau du secteur d'activité commun à cette entreprise et aux entreprises du groupe auquel elle appartient, établis sur le territoire national.

En troisième lieu, l'activité sociale de la société Cardonnel ingénierie, telle qu'elle résulte de la mention de l'extrait K bis communiqué est " exercice de la profession libérale d'ingénieurs conseil ". Il est précisé dans le projet de réorganisation versé aux débats que son activité de base est la fourniture de prestations de services en études techniques et réglementaires.

En quatrième lieu, il appartient donc à la société Cardonnel ingénierie, de démontrer, dans le périmètre pertinent, la réalité et le sérieux du motif invoqué et donc de supporter la charge de la preuve s'agissant de la détermination de l'étendue du secteur d'activité. Or, elle se contente de verser au débat ses bilans faisant apparaître ses résultats pour les années 2016, 2017 et 2018 sans produire les bilans des sociétés Qualigaz et Evonia ni justifier que ces deux sociétés n'appartiennent pas à un secteur d'activité commun avec elle, lequel se définit selon l'article précité non seulement par la nature des produits, biens ou services délivrés, mais aussi par la clientèle ciblée, les réseaux et modes de distribution le tout se rapportant à un même marché. En effet, la société Cardonnel se contente de communiquer une fiche de situation au répertoire sirène de la société Evonia qui fait apparaître que celle-ci relève du code APE 71 20 B-analyse essais et inspection technique alors qu'il ressort de ce même document que ce code n'a de valeur que pour les applications statistiques et n'a aucune valeur juridique, et qu'il ne suffit pas à justifier de l'activité exercée en l'absence de l'extrait Kbis. Quant à la société Qualigaz, aucun élément n'est fourni sur son activité.

La cour considère en conséquence que l'employeur ne démontre pas que les difficultés économiques alléguées devaient s'apprécier à son seul niveau, le licenciement est sans cause réelle et sérieuse sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres moyens soulevés par Mme [O].

Sur les conséquences financières du licenciement :

Sur l'indemnité compensatrice de préavis et l'indemnité de congés payés sur préavis :

C'est par des motifs pertinents, justement fondés sur l'absence de cause du contrat de sécurisation professionnelle en raison de l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement, que le premier juge a considéré que l'indemnité compensatrice de préavis était due et condamné la société Cardonnel ingénierie à payer à Mme [O] la somme de 6 000 euros à ce titre outre 600 euros au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis. Le jugement est donc confirmé de ce chef.

Sur l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :

Bénéficiant d'une ancienneté de cinq années complètes, Mme [O] est fondée à percevoir une indemnité au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse comprise entre trois et six mois de salaire brut en application de l'article L. 1235-3 du code du travail.

Elle sollicite une somme de 30 000 euros de dommages-intérêts en réparation de l'intégralité de son préjudice et l'infirmation du jugement qui lui a alloué une somme plafonnée à 18 000 euros à ce titre au motif que l'application de l'article L. 1235-3 doit être écartée car elle ne permet pas une réparation intégrale de son préjudice, le plafonnement des indemnités prévues étant contraire aux dispositions de l'article 10 de la Convention n° 158 de l'OIT et de l'article 24 de la Charte sociale européenne.

La société Cardonnel ingénierie s'oppose à la demande en faisant valoir que l'article 24 de la charte sociale européenne n'est pas d'application directe que les dispositions de l'article L 1235-trois du code du travail sont compatibles avec les stipulations de l'article 10 de la convention numéro 158 deux lots IT et que Mme [O] ne justifie pas de la réalité de son préjudice.

Sur les moyens tendant à faire écarter l'application de l'article L. 1235-3 du code du travail :

Aux termes de l'article L. 1235-3 du code du travail, si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis. Si l'une ou l'autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés par le même article. Selon l'article L. 1235-3-1 du même code, l'article 1235-3 n'est pas applicable lorsque le juge constate que le licenciement est entaché d'une des nullités prévues à son deuxième alinéa. Dans ce cas, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l'exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l'employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois. Enfin, selon l'article L. 1235-4 du code du travail, dans le cas prévu à l'article L. 1235-3, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé. Ce remboursement est ordonné d'office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l'instance ou n'ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.

Aux termes de l'article 24 de la Charte sociale européenne, en vue d'assurer l'exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les parties s'engagent à reconnaître:

a) le droit des travailleurs à ne pas être licenciés sans motif valable lié à leur aptitude ou conduite, ou fondé sur les nécessités de fonctionnement de l'entreprise, de l'établissement ou du service ;

b) le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée.

A cette fin les Parties s'engagent à assurer qu'un travailleur qui estime avoir fait l'objet d'une mesure de licenciement sans motif valable ait un droit de recours contre cette mesure devant un organe impartial.

L'annexe de la Charte sociale européenne précise qu'il est entendu que l'indemnité ou toute autre réparation appropriée en cas de licenciement sans motif valable doit être déterminée par la législation ou la réglementation nationales, par des conventions collectives ou de toute autre manière appropriée aux conditions nationales. La Charte réclame des Etats qu'ils traduisent dans leurs textes nationaux les objectifs qu'elle leur fixe. En outre, le contrôle du respect de cette charte est confié au seul Comité européen des droits sociaux dont la saisine n'a pas de caractère juridictionnel et dont les décisions n'ont pas de caractère contraignant en droit français.

Sous réserve des cas où est en cause un traité international pour lequel la Cour de justice de l'Union européenne dispose d'une compétence exclusive pour déterminer s'il est d'effet direct, les stipulations d'un traité international, régulièrement introduit dans l'ordre juridique interne conformément à l'article 55 de la Constitution, sont d'effet direct dès lors qu'elles créent des droits dont les particuliers peuvent se prévaloir et que, eu égard à l'intention exprimée des parties et à l'économie générale du traité invoqué, ainsi qu'à son contenu et à ses termes, elles n'ont pas pour objet exclusif de régir les relations entre Etats et ne requièrent l'intervention d'aucun acte complémentaire pour produire des effets à l'égard des particuliers.

Il résulte dès lors de ce qui précède que l'article 24 de la Charte sociale européenne n'a pas d'effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers.

Aux termes de l'article 10 de la Convention n° 158 de l'Organisation internationale du travail (OIT), si les organismes mentionnés à l'article 8 de la présente convention arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié, et si, compte tenu de la législation et de la pratique nationales, ils n'ont pas le pouvoir ou n'estiment pas possible dans les circonstances d'annuler le licenciement et/ou d'ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d'une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée.

Comme le soutient à juste titre Mme [O], ces stipulations sont d'effet direct en droit interne dès lors qu'elles créent des droits entre particuliers, qu'elles n'ont pas pour objet exclusif de régir les relations entre Etats et ne requièrent l'intervention d'aucun acte complémentaire.

Le terme 'adéquat' signifie que l'indemnité pour licenciement injustifié doit, d'une part être suffisamment dissuasive pour éviter le licenciement injustifié, et d'autre part raisonnablement

permettre l'indemnisation de la perte injustifiée de l'emploi.

Il résulte des dispositions du code du travail précitées, que le salarié dont le licenciement est injustifié bénéficie d'une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux variant en fonction du montant du salaire mensuel et de l'ancienneté du salarié et que le barème n'est pas applicable lorsque le licenciement du salarié est nul ce qui permet raisonnablement l'indemnisation de la perte injustifiée de l'emploi. En outre, le juge applique d'office les dispositions de l'article L. 1235-4 du code du travail. Ainsi, le caractère dissuasif des sommes mises à la charge de l'employeur est également assuré et les trois articles du code du travail précités sont de nature à permettre le versement d'une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l'article 10 de la Convention n° 158 de l'OIT.

Il n'y a donc pas lieu d'écarter les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail qui sont compatibles avec les stipulations de l'article 10 de la Convention de l'OIT et il appartient à la cour d'apprécier la situation concrète du salarié pour déterminer le montant de l'indemnité due entre les montants minimaux et maximaux déterminés par cet article.

Sur le montant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :

Mme [O] fait valoir qu'elle n'a pas retrouvé d'emploi à temps complet depuis son licenciement, malgré ses recherches et la formation qu'elle a suivie et connaît une baisse de ses revenus alors qu'elle a deux adolescents à charge. Compte tenu de son âge (née en 1968), de son ancienneté, des circonstances de son licenciement, de ce qu'elle justifie de sa situation postérieure à la rupture, c'est par une juste appréciation que le conseil de prud'hommes a évalué le préjudice de Mme [O] à la somme de 18 000 euros. la cour confirme donc le jugement en ce qu'il a condamné la société Cardonnel ingénierie à verser à Mme [O] la somme de 18 000 euros correspondant à six mois de salaire brut à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse suffisant à réparer son entier préjudice en application de l'article L. 1235-3 du code du travail.

Sur les autres demandes :

Les intérêts au taux légal portant sur les condamnations de nature indemnitaire sont dus à compter de la décision qui les prononce et les intérêts au taux légal portant sur les condamnations de nature salariale sont dus à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation. Le jugement est infirmé sur ce dernier point.

Le jugement est confirmé en ce qu'il a fait application de l'article L. 1235-4 du code du travail à hauteur d'un mois d'indemnité sous déduction des sommes versées au titre de la contribution de l'employeur au contrat de sécurisation professionnelle en application de l'article 1233-69 du code du travail.

Le jugement est confirmé en ce qu'il a ordonné la remise d'un bulletin de paie récapitulatif sans qu'il soit nécessaire de prononcer une astreinte. La demande en ce sens est donc rejetée.

La société Cardonnel ingénierie, partie perdante est condamnée aux dépens de première instance et d'appel et doit indemniser Mme [O] des frais exposés par elle et non compris dans les dépens tant en première instance qu'en cause d'appel à hauteur de la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, sa propre demande sur ce même fondement étant rejetée.

PAR CES MOTIFS :

LA COUR, statuant contradictoirement et par mise à disposition au greffe,

CONFIRME le jugement dans toutes ses dispositions sauf sur la condamnation de la société Cardonnel ingénierie en application de l'article 700 du code de procédure civile et sur le point de départ des intérêts au taux légal portant sur les créances salariales,

Statuant à nouveau des chef infirmés et y ajoutant,

DIT que les intérêts au taux légal portant sur les condamnations de nature indemnitaire sont dus à compter de la décision qui les prononce et que les intérêts au taux légal portant sur les condamnations de nature salariale sont dus à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation,

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de la société Cardonnel ingénierie,

CONDAMNE la société Cardonnel ingénierie aux dépens de première instance et d'appel et à verser à Mme [G] [O] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 21/04659
Date de la décision : 06/04/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-04-06;21.04659 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award