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06/04/2023 | FRANCE | N°21/00112

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 5, 06 avril 2023, 21/00112


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 6 - Chambre 5



ARRET DU 06 AVRIL 2023



(n°2023/ , 19 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/00112 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CC35U



Décision déférée à la Cour : Jugement du 16 Novembre 2020 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F19/06121





APPELANT



Monsieur [I] [U]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

né le 19 Mai 196

6 à [Localité 5]



Représenté par Me Marie BALTES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2386



INTIMEE



S.A.S. FORSEE POWER

[Adresse 1]

[Adresse 1]



Représentée par Me Julie BOUCHARD, a...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5

ARRET DU 06 AVRIL 2023

(n°2023/ , 19 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/00112 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CC35U

Décision déférée à la Cour : Jugement du 16 Novembre 2020 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F19/06121

APPELANT

Monsieur [I] [U]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

né le 19 Mai 1966 à [Localité 5]

Représenté par Me Marie BALTES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2386

INTIMEE

S.A.S. FORSEE POWER

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Julie BOUCHARD, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 19 janvier 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Marie-José BOU, Présidente de chambre, Présidente de formation,

Madame Catherine BRUNET, Présidente de chambre,

Madame Séverine MOUSSY, Conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame [R] [B], dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier : Madame Cécile IMBAR, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, initialement prévue le 23 mars 2023 et prorogée au 06 avril 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Madame Marie-José BOU, Présidente et par Madame Philippine QUIL, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

M. [I] [U] a été engagé par la société Forsee Power, ci-après la société, par contrat de travail à durée indéterminée du 10 mai 2016 en qualité de directeur des opérations groupe, statut cadre.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie du 13 mars 1972.

La société occupait à titre habituel au moins onze salariés lors de la rupture des relations contractuelles.

M. [U] a été convoqué par lettre remise en main propre le 4 avril 2019 à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 12 avril 2019 et a été dispensé de venir travailler.

Par lettre du 19 avril 2019, il a été licencié pour insuffisance professionnelle. Il a été dispensé de l'exécution de son préavis de quatre mois.

Sollicitant l'annulation de son licenciement pour harcèlement moral et réclamant diverses sommes et indemnités, M. [U] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris qui, par jugement du 16 novembre 2020 auquel la cour renvoie pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, l'a débouté de l'ensemble de ses demandes, débouté la société de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et condamné M. [U] aux dépens.

Par déclaration du 15 décembre 2020, M. [U] a relevé appel de ce jugement.

Par conclusions transmises le 30 novembre 2022, M. [U] demande à la cour de :

- débouter la société de ses fins, demandes et conclusions ;

- confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré recevables toutes les demandes de M. [U], y compris sa demande de dommages-intérêts pour circonstances vexatoires du licenciement ;

- rejeter l'exception d'irrecevabilité formée par la société vis-à-vis de la demande de M. [U], sur des dommages-intérêts pour circonstances vexatoires du licenciement à hauteur de 5 000 euros ;

- infirmer le jugement en toutes ses autres dispositions ;

- condamner la société à payer à M. [U] la somme de 20 000 euros au titre du préjudice spécifique découlant du harcèlement moral dont il a été victime au sein de la société ;

- prononcer l'annulation du licenciement 'pour faute' notifié par lettre de la société le 19 avril 2019 en application des articles L.1152-2 et L.1152-3 du code du travail ;

- condamner la société à payer à M. [U] la somme de 209 292 euros, soit 12 mois de salaire, au titre des dommages et intérêts pour licenciement abusif en vertu de l'article L.1235-3 du code du travail ;

- condamner la société à payer à M. [U] la somme de 38 043,83 euros à titre de rappel de bonus ;

- condamner la société à verser la somme de 5 000 euros à M. [U] à titre de réparation du préjudice moral et en raison des circonstances vexatoires de son licenciement ;

- condamner la société à rembourser les indemnités chômage à Pôle emploi ;

- condamner la société à payer la somme de 500 euros à M. [U] à titre d'indemnité pour retard de remise de l'attestation Pôle emploi ;

- condamner la société à payer la somme de 3 000 euros à M. [U] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la première instance et celle de 3 000 euros sur le même fondement au titre de l'instance d'appel, ainsi que les entiers dépens ;

- rejeter les demandes reconventionnelles de la société ;

- juger que toutes condamnations seront assorties du taux d'intérêt légal en vigueur ainsi que la capitalisation des intérêts.

Par conclusions transmises le 26 mai 2021, la société demande à la cour de :

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions ;

- infirmer le jugement en ce qu'il a :

* rejeté l'exception d'irrecevabilité de la demande de dommages et intérêts pour circonstances vexatoires de la rupture du contrat de travail de M. [U],

* débouté la société de sa demande reconventionnelle à hauteur de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

et, statuant à nouveau,

- fixer le salaire de référence de M. [U] à la somme de 14 025 euros ;

- juger que le licenciement de M. [U] repose sur une cause réelle et sérieuse ;

- juger que M. [U] a perçu la totalité de la rémunération variable qui lui était due en application de son contrat de travail ;

- juger que M. [U] a été intégralement rempli de ses droits ;

en conséquence,

- débouter M. [U] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- condamner M. [U] à verser la somme de 2 500 euros à la société au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la première instance et celle de 2 500 euros sur le même fondement au titre de l'instance d'appel

Par conclusions n°2 transmises le 14 décembre 2022, la société forme les mêmes demandes.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 14 décembre 2022.

Par conclusions transmises le 2 janvier 2023, M. [U] demande au conseiller de la mise en état de :

- ordonner la réouverture des débats aux fins de :

- déclarer irrecevables les conclusions n°2 de la société remises à la juridiction le 14 décembre 2022 à 12h16 ;

- déclarer irrecevables les pièces numérotées 23 et 24 visées dans les mêmes conclusions, faute d'avoir été communiquées à l'appelant ;

- condamner la société à payer la somme de 500 euros HT, soit 600 euros TTC, au titre des frais irrépétibles engagés par l'appelant pour devoir former la présente fin de non recevoir.

A l'audience, la cour a soulevé d'office l'éventuelle irrecevabilité des conclusions n°2 de l'intimée et des pièces n°23 et 24 visées dans ces conclusions.

L'avocat de l'intimée a indiqué avoir eu un problème informatique, raison de l'envoi de ses conclusions n°2 après la clôture, et s'être rendu compte que ses pièces n'étaient jamais parties.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur l'irrecevabilité des conclusions n°2 de la société et de ses pièces n°23 et 24

En application de l'article 802 du code de procédure civile, après l'ordonnance de clôture, aucune conclusion ne peut être déposée ni aucune pièce produite aux débats, à peine d'irrecevabilité prononcée d'office.

Au cas d'espèce, les parties ont été informées par avis du 3 novembre 2022 que la clôture interviendrait le 14 décembre 2022 à 10 heures. L'ordonnance de clôture a été effectivement rendue le 14 décembre 2022, conformément à cet avis. Or les conclusions n°2 de l'intimée faisant état de deux nouvelles pièces (n°23 et 24), au demeurant ne figurant pas sur le bordereau de pièces joint auxdites écritures, ont été transmises par le RPVA le 14 décembre 2022 à 12h12 et 12h16, soit après le prononcé de l'ordonnance de clôture.

Par suite, ces conclusions et pièces doivent être déclarées irrecevables.

Sur l'exécution du contrat de travail

Sur le rappel de bonus

M. [U] soutient que la clause relative au bonus contient une contradiction en ce qu'elle évoque une variable tout en prévoyant un montant fixe de 40 000 euros qui doit s'interpréter en sa faveur et que seul le paiement est stipulé en fonction de la performance du salarié. Il fait aussi valoir que l'employeur ne s'explique pas sur des modalités objectives d'appréciation de cette performance, ni ne démontre que des objectifs lui ont été fixés. Il en déduit avoir droit à la somme de 40 000 euros par an à titre de bonus et réclame celle de 38 043,83 à titre de rappel de bonus pour les années 2017, 2018 et 2019 compte tenu des montants déjà versés.

La société réplique que selon l'intention des parties, la clause avait vocation à fixer un plafond de rémunération variable et non un fixe, s'agissant d'une rémunération variable s'ajoutant à celle de base. Elle invoque que des objectifs étaient systématiquement fixés de façon précise dans les entretiens annuels d'évaluation et que M. [U] n'a jamais contesté les montants qui lui ont été versés et qui ont fait l'objet d'une information précise.

L'article 4 du contrat de travail relatif à la rémunération stipule que M. [U] percevra une rémunération fixe mensuelle brute de 13 750 euros et que par ailleurs, il bénéficiera 'd'une rémunération variable de 40 000 euros (quarante mille euros) , appelée bonus, dont le paiement sera fonction, de sa performance par rapport aux objectifs définis à son arrivée, puis en début d'année fiscale avec son supérieur hiérarchique'.

Cette clause contient une ambiguïté en ce que tout en faisant état d'une rémunération variable, elle ne fixe qu'un montant de 40 000 euros sans préciser explicitement qu'il s'agit d'un plafond ou sans prévoir que le bonus peut s'élever à une somme comprise entre tel et tel montant. A défaut de clarté de cette clause, elle doit être interprétée, ce dont la société ne disconvient pas puisqu'elle en réfère à l'intention des parties.

Dès lors que selon l'article 4 précité, le contrat instaure d'une part une rémunération fixe, d'autre part, une rémunération variable dont le paiement est fonction de la performance du salarié par rapport à des objectifs prédéfinis, et non pas une seule rémunération fixe incluant la somme de 40 000 euros, la commune intention des parties a été de prévoir en plus de la rémunération fixe une rémunération effectivement variable dont le plafond s'élève à 40 000 euros. La clause doit s'interpréter en ce sens.

Il résulte du compte-rendu de l'entretien d'évaluation en date du 15 février 2017 signé par M. [U] qu'à cette occasion, ont été déterminés avec son supérieur hiérarchique des objectifs annuels pour l'année 2017, ces objectifs étant précisément définis suivant différents postes (recrutements, production de série à coût de série...) et chaque poste étant valorisé (par exemple, un maximum de 10 000 euros pour le premier poste). Il est ainsi justifié d'une détermination d'objectifs conforme au contrat de travail pour l'année 2017.

Il ressort du compte-rendu de l'entretien d'évaluation annuelle du 1er janvier 2018 que cet entretien a notamment porté sur l'évaluation des objectifs de l'année 2017 comprenant une auto-évaluation qualitative par M. [U] et une évaluation qualitative par son N+1 ayant abouti pour chacun des postes précités à une fixation de l'atteinte de l'objectif en pourcentage (100% pour le premier, 45% pour le deuxième, etc). Ce document justifie d'une mesure concrète et vérifiable de la performance du salarié pour l'année 2017, reposant sur des éléments objectifs, qui ne fait l'objet d'aucune critique précise de la part de M. [U].

Partant, il sera débouté de sa demande de rappel de bonus au titre de l'année 2017.

Le compte-rendu susvisé du 1er janvier 2018 comprend également la fixation des objectifs du salarié pour 2018, de manière détaillée, par thème (équipe et formalisation, site production France...) avec une pondération afférente à chaque thème (20% pour le premier, 40% pour le deuxième etc). Mais il n'est versé aux débats aucun document justifiant des modalités précises et objectives d'appréciation de la performance de M. [U] pour l'année 2018, faute notamment de toute production d'un compte-rendu d'entretien d'évaluation annuelle daté de 2019.

La cour en tire pour conséquence que M. [U] est fondé à prétendre au montant maximal du bonus pour 2018 (40 000 euros) dont à déduire le montant qu'il a perçu à ce titre en août 2019 (14 000 euros), soit 26 000 euros.

Il n'est pas non plus justifié de la fixation d'objectifs pour l'année 2019, en l'absence notamment de tout compte-rendu d'entretien d'évaluation annuelle de M. [U] réalisé en 2019.

La cour en tire pour conséquence que pour cette année-là, M. [U] est fondé à prétendre au montant maximal du bonus au prorata de son temps de présence dans l'entreprise (son dernier jour payé étant le 23 août 2019) ainsi qu'il le demande (25 643,83 euros), dont à déduire le montant qu'il a perçu à ce titre en août 2019 (14 000 euros), soit 11 643,83 euros.

Au total, la société doit être condamnée à lui payer la somme de 37 643,83 euros à titre de rappel de bonus, le jugement qui l'a débouté de ce chef étant infirmé.

Sur les dommages et intérêts pour harcèlement moral

Au soutien de cette demande, M. [U] se prévaut des éléments suivants : surcharge de travail puis retrait brutal de ses attributions sans autre notification que des changements d'organigramme communiqués à l'ensemble du personnel et par voie d'entretien annuel d'évaluation, report de l'évaluation individuelle et absence d'entretien d'évaluation en début d'année 2019, nouveaux organigrammes sans information de sa part, paiement partiel du bonus contractuel sans explication et non paiement du bonus, non remise des documents de fin de contrat. Il prétend que l'employeur ne démontre pas que ses agissements ne sont pas constitutifs d'un harcèlement moral. Il sollicite une indemnisation à hauteur de 20 000 euros.

La société réplique que M. [U] ne présente pas d'éléments pouvant caractériser une situation de harcèlement moral. En particulier, elle conteste l'interprétation faite par ce dernier de sa clause de rémunération variable, observe qu'aucune des attestations versées aux débats ne fait état de harcèlement à l'égard de M. [U] et qu'il n'a jamais dénoncé une situation de harcèlement moral ni au cours de la relation contractuelle, ni dans son courrier de contestation du licenciement.

Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'article L.1154-1 du même code dans sa version applicable depuis le 10 août 2016 prévoit que lorsque survient un litige, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement et il incombe alors à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il en résulte que lorsque le salarié établit la matérialité de faits précis et concordants constituant selon lui un harcèlement, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments pris dans leur ensemble laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral et dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

- sur la surcharge de travail :

M. [U] prétend qu'il a évoqué une amplitude horaire excessive lors de l'entretien d'évaluation du 15 février 2017 et que sa surcharge de travail est reconnue dans la lettre de licenciement.

Toutefois, le formulaire d'entretien professionnel annuel invoqué par l'appelant mentionne seulement de manière pré-remplie : 'Le salarié évoque l'organisation et sa charge de travail avec son supérieur hiérarchique ainsi que l'amplitude de ses journée d'activité' et il ne figure aucune observation après la mention 'Détails/commentaires :'. Ce document n'évoque donc nullement une surcharge de travail ou une amplitude horaire excessive.

En revanche la lettre de licenciement indique : '(...) D'ailleurs, à cet égard, lorsque nous avons constaté vos difficultés dans la gestion du Bureau d'Etude, qui ajoutait à votre charge de travail trop importante (souligné par la cour), nous l'avons sorti de votre périmètre pour le confier au Directeur technique, poste que nous avons créé à cet effet (...)', ce qui constitue la reconnaissance par l'employeur d'une charge de travail excessive du salarié au moins à un moment donné.

- sur le retrait brutal d'attributions sans notification ou information autrement que par voie d'organigramme et d'entretien d'évaluation annuelle :

Le contrat de travail de M. [U] du 10 mai 2016 indique qu'il devait diriger et organiser les 'équipes achats, approvisionnements, supply-chain et industrielles'. Le compte-rendu d'entretien d'évaluation du 15 février 2017 définit ses missions permanentes de manière quasiment identique.

Le compte-rendu de l'entretien d'évaluation annuelle fait une année plus tard, le 1er janvier 2018, mentionne des missions différentes, soit la direction et organisation des 'équipes de production, d'industrialisation, de qualité et les équipes programmes'. Le retrait de certaines attributions et la modification importante des missions de M. [U] sont établis.

L'organigramme de la société de janvier 2019 indique que dépendent de M. [U] les directeurs des projects programs, industrialization smart transport, quality et des sites de [Localité 4] et Wroclaw, un directeur 'purchasing & supply chain' en la personne de M. [G] étant directement rattaché au président, M. [K].

L'historique des organigrammes de la direction des opérations produit par la société, invoqué par l'appelant, confirme qu'au départ, en mai 2016 et février 2017, cette direction dirigée par M. [U] comprenait notamment les achats (purchasing) et la gestion de la chaîne logistique (supply chain) et qu'ensuite, en octobre 2018 ainsi qu'en janvier 2019, ces deux dernières fonctions n'y figuraient pas.

Le retrait des attributions relatives aux achats et à la supply chain résulte des éléments ci-dessus produits. En l'état de ces éléments, il apparaît qu'il a été opéré par voie d'entretien annuel d'évaluation et d'organigrammes.

- sur le report de l'évaluation individuelle et l'absence d'entretien d'évaluation en début d'année 2019 :

Alors que M. [U] a eu un entretien annuel d'évaluation le 15 février 2017 ainsi que le 1er janvier 2018, il ressort de ce qui précède qu'il n'existe pas de compte-rendu d'entretien annuel d'évaluation en 2019. Il en résulte qu'aucun entretien annuel d'évaluation n'apparaît avoir été fait cette année-là.

- sur le paiement partiel et le défaut de paiement du bonus :

Il résulte des énonciations qui précèdent, des bulletins de salaire produits et de l'attestation Pôle emploi délivrée par l'employeur que M. [U] n'est pas fondé à se plaindre d'un paiement partiel du bonus au titre de l'année 2017, lequel lui a été versé en avril 2018, mais que la société ne lui a ensuite versé aucun bonus, hormis en août 2019 et bien moindre que le plafond.

- sur la non remise des documents de fin de contrat :

Par courriel du 6 septembre 2019, M. [U] a réclamé à la société notamment son attestation Pôle emploi, laquelle n'a été établie que le 9 septembre suivant, soit avec retard puisqu'elle doit être délivrée au salarié, en application de l'article R. 1234-9 du code du travail, au moment de l'expiration ou de la rupture du contrat de travail.

Les faits matériellement établis ci-dessus retenus (surcharge de travail, retrait d'attributions par voie d'entretien annuel d'évaluation et d'organigrammes, absence d'entretien annuel d'évaluation en 2019, paiement du bonus pour 2018 tardif et très largement inférieur au plafond, bonus de 2019 également inférieur au plafond, délivrance tardive de l'attestation destinée à Pôle emploi), pris dans leur ensemble, laissent supposer des agissements de harcèlement moral et il appartient à l'employeur de prouver qu'ils sont justifiés par des éléments objectifs qui y sont étrangers.

S'agissant de la surcharge de travail, la société conteste avoir avoué que la charge de travail de M. [U] était trop importante. Mais cet argument est contredit par les termes de la lettre de licenciement ci-dessus reproduits. Si la société argue de l'aide qu'elle a apportée à M. [U], notamment par la création d'un poste de directeur technique auquel a été confiée la gestion du bureau d'étude technique après avoir constaté ses difficultés, elle ne justifie pas des raisons pour lesquelles elle a attribué à M. [U] des missions entraînant une charge de travail trop importante. De plus, l'allégation de la création d'un poste de directeur technique chargé de la gestion du bureau d'étude technique n'est pas corroborée par les pièces produites. L'employeur n'établit donc pas que les faits sont justifiés par des éléments étrangers à tout harcèlement moral.

S'agissant du retrait des attributions, spécialement des achats et de la supply chain, la cour cherche vainement dans les conclusions de la société une explication à ce sujet et une offre de preuve de sa part de nature à démontrer que ces faits sont justifiés par des éléments étrangers à tout harcèlement moral.

S'agissant de l'absence d'entretien annuel d'évaluation en 2019, la société ne s'explique pas non plus à cet égard et ne produit aucun élément de nature à justifier que cette carence est justifiée par des éléments étrangers à tout harcèlement moral.

S'agissant des problèmes liés aux bonus, la société prétend que les objectifs étaient systématiquement fixés de façon précise lors des entretiens annuels d'évaluation mais il résulte de ce qui précède que c'est inexact, aucun entretien de la sorte n'ayant eu lieu en 2019. Elle invoque aussi que M. [U] n'a jamais contesté les montants alloués qui ont fait l'objet d'une information précise. Cependant cette argumentation ne saurait être retenue pour les bonus correspondant aux années 2018 et 2019 puisqu'il n'est versé aux débats aucun document justifiant des modalités précises d'appréciation de la performance de M. [U] pour ces deux années et de la fixation de ses objectifs pour 2019. De même, il n'est produit aucune lettre l'informant de ses bonus au titre de ces deux années qui ne lui ont été versés qu'à la fin du contrat de travail, en août 2019. L'employeur n'établit pas que les faits concernés sont justifiés par des éléments étrangers à tout harcèlement moral.

Sur l'attestation destinée à Pôle emploi, la société fait valoir que M. [U] ne justifie pas d'un préjudice lié à la remise tardive et que l'attestation produite est un document 'annule et remplace'

daté du 9 septembre 2019, les documents de fin de contrat ayant été établis le 23 août 2019. Si le certificat de travail est daté du 23 août 2019 et si l'attestation destinée à Pôle emploi datée du 9 septembre comprend la mention 'annule et remplace', il n'est pas justifié de la délivrance d'une attestation antérieure, ni de sa date. L'absence de préjudice subi lié au retard dans la remise de l'attestation, à la supposer établie, ne permet pas de retenir que ce retard est justifié par des éléments étrangers à tout harcèlement moral.

Enfin, le fait que M. [U] n'a jamais dénoncé une situation de harcèlement moral, y compris dans sa lettre demandant des précisions sur les motifs de son licenciement, et qu'aucune des attestations produites n'évoque une situation de harcèlement subie par lui est insusceptible de prouver que les agissements retenus sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En conséquence, la cour retient que M. [U] a fait l'objet d'un harcèlement moral qui lui a causé un préjudice et sera justement réparé par l'allocation d'une somme de 4 000 euros à titre de dommages et intérêts, le jugement qui l'a débouté de ce chef étant infirmé.

Sur la rupture du contrat de travail

La lettre de licenciement est rédigée comme suit :

' [...] Par lettre remise en main propre contre décharge le jeudi 4 avril 2019, nous vous avons convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement, qui s'est tenu le vendredi 12 avril 2019 et auquel vous vous êtes présenté seul.

Les explications que vous nous avez fournies lors de l'entretien ne nous permettent pas de modifier notre appréciation des faits à ce sujet, en conséquence, nous vous informons que nous avons décidé de vous licencier pour insuffisance professionnelle, préjudiciable à l'entreprise.

Ainsi que nous vous l'avons exposé lors de l'entretien du vendredi 12 avril 2019, les motifs de ce licenciement sont les suivants:

Vous avez été embauché le 1er juin 2016 par la société Forsee Power, en qualité de Directeur des Opérations.

A ce titre, tel que précisé dans votre contrat de travail, vos obligations au sein de la société étaient notamment de mettre en place, organiser et de diriger les équipes Achats, Approvisionnements, Supply-Chain et les équipes industrielles afin de répondre à l'accroissement d'activité très important de la société et à la nécessité de s'adapter aux standards des marchés.

Dans ce contexte, il vous appartenait d'assurer l'optimisation et la gestion globale de la production, des méthodes de travail et de la logistique dans un souci de qualité, de performance et d'amélioration constante du mode de production et des produits de la société.

Il vous appartenait également à ce titre de cadrer et d'assurer la bonne exécution de tous les projets de la société, de suivre et de tenir les engagements contractuels de la société tant en termes de coût, de qualité que de délais.

Vous avez été embauché en 2016, date charnière pour notre société, pour aider cette dernière à faire face aux défis à venir sur la transformation de son mode de production afin de répondre à son carnet de commandes grandissant et de passer d'une production de moyenne à très grande échelle.

Comme précisé lors de votre embauche et dans votre contrat de travail, vous deviez en conséquence accompagner et superviser cette transformation de production en améliorant les process de production, tout en respectant les contraintes d'efficience et en pilotant les ressources nécessaires à la réalisation des objectifs de production.

Comme vous le savez, cette question est hautement stratégique pour notre société, créée en 2011 et spécialiste français des systèmes de batteries intelligentes, qu'elle conçoit, assemble et installe pour ses clients sur les marchés du transport électrique, des équipements portables et mobiles et du stockage d'énergie alors qu'elle connaît, depuis 2016, une croissance très forte de la demande dans le domaine du transport électrique.

La transformation de son système de production, dont vous aviez la charge, pour répondre à cette demande, est donc cruciale.

En effet, en tant que start-up dans ce domaine hautement technologique, notre société doit non seulement livrer dans les délais les produits commandés par ses clients - c'est le strict minimum - mais également, en parallèle, elle doit, pour répondre aux attentes de ces derniers, développer une activité de recherche et développement dédiée d'une part à l'amélioration constante des produits et d'autre part au développement de nouveaux produits plus performants.

Votre poste de Directeur des Opérations est donc central pour la réussite de notre société.

Or, hélas durant les 18 derniers mois et plus encore depuis la fin de l'année, nous constatons de graves insuffisances dans l'exécution de vos fonctions, tant d'un point de vue managérial qu'opérationnel, qui ont des conséquences extrêmement néfastes sur notre société, à tel point qu'elles la mettent en péril.

1. Problèmes de management et de communication

Tout d'abord, nous avons constaté d'importantes difficultés dans votre mode de management.

En effet, alors que vous aviez toute latitude dans le recrutement de vos équipes, nous avons constaté dès votre prise de fonction des problèmes managériaux avec vos collaborateurs.

Ainsi, peu de temps après votre embauche au sein de notre société, vous avez rencontré des problèmes avec plusieurs de vos collaborateurs et vous avez demandé à ce titre qu'ils soient sortis ou déplacés de l'organisation pour ne plus faire partie de vos équipes.

En particuliers, votre niveau d'incompréhension des enjeux et des besoins de la division Smart Life et le niveau de conflit qu'avait atteint vos relations avec les manageurs de cette activité nous ont imposé de vous retirer le management industriel opérationnel de la Division.

Nous vous avons laissé carte blanche pour organiser vos équipes comme vous l'entendiez et pour recruter les personnes que vous souhaitiez.

Toutefois, plus tard, d'autres collaborateurs, dont notamment le Directeur des programmes et projets, ont démissionné de leurs postes en mettant en cause votre mode de fonctionnement fermé et les règles de communication que vous avez imposées, comme cause de leur décision.

Vous avez entièrement renouvelé votre équipe et recruté vous-même l'ensemble des membres de l'équipe que vous supervisez actuellement.

Malgré cela, à ce jour, nous constatons une perte de confiance de la part de l'ensemble de vos collaborateurs N-1, et d'un grand nombre de N-2, perte de confiance visiblement liée à des divergences très nettes de vues sur les priorités et les directives pour mener à bien leurs objectifs respectifs.

En effet, il ressort que votre communication écrite est totalement insuffisante, voire même inexistante. Vous ne donnez pas d'instructions ou de directives écrites à vos collaborateurs et prétendez ensuite des insuffisances de leur part alors même qu'ils ne disposent pas de directives leur permettant d'exécuter correctement leurs fonctions.

Il résulte à ce jour une défiance et une opposition liée à la perte de confiance de vos N-1 et N-2, dont notamment le Directeur et les responsable de production du site ainsi que le Directeur Industrialisation.

Une telle situation de blocage à la tête de notre système de production est particulièrement néfaste pour notre société.

Aussi, nous avons recherché l'origine du problème, afin de déterminer à qui ou à quoi il pouvait être imputable et de tenter d'y remédier.

Il est clairement apparu qu'il avait pour origine votre mode de management et votre manque de communication.

En effet, ces mêmes problèmes transparaissent également dans vos relations avec les autres membres du Comité Exécutif, dont vous faites partie.

Ainsi, vos relations avec les autres membres du Comité Exécutif montrent un fonctionnement totalement opaque de votre part.

Non seulement vous ne fournissez pas vous-même les informations relevant de vos fonctions aux autres membres du Comité Exécutif mais vous avez ordonné à vos collaborateurs de ne rien leur communiquer sans passer par votre accord préalable.

Au final, il est très difficile voire quasiment impossible d'avoir une vision correcte sur les opérations et la production de la société, que vous supervisez, ce qui entraîne des plaintes permanentes et de plus en plus alarmistes de la part des autres membres du Comité Exécutif depuis plusieurs mois.

En effet, comme dans toute société de notre taille, et particulièrement en période de développement important, notre Comité Exécutif ne peut pas fonctionner correctement si tous ses membres ne fournissent pas, en toute transparence, l'ensemble des informations nécessaires à la direction de la société.

Nous vous avons fait part de cette difficulté à de nombreuses reprises, vous demandant une plus grande transparence sur les activités de la société sous votre supervision, et une amélioration de la communication tant envers vos collaborateurs que les membres du Comité Exécutif.

Tous les membres du Comité Exécutif sommes restés à votre écoute afin de vous faciliter la tâche. Toutefois, au fil du temps, nous n'avons malheureusement pas constaté d'amélioration sur ce point, alors qu'il était facile d'y remédier : il suffisait de nous donner plus d'informations sur votre activité et les problèmes éventuellement rencontrés.

Un tel mode de fonctionnement, opaque et contraire aux valeurs du travail en équipe, ne peut être toléré par la société pour un poste de Directeur des Opérations, membre du Comité Exécutif, dans la mesure où il aboutit à une entrave majeure du système de production et à un manque de visibilité important de notre direction sur celui-ci, qui est un élément central du fonctionnement de l'entreprise.

En outre, vos insuffisances de communication et votre opacité ont également conduit à une perte de confiance de la part de clients, qui ont fait part de leur inquiétude à la société, ce qui accroît d'autant plus le péril que votre attitude représente pour la société.

2. Insuffisances majeures dans la direction des opérations, de la production et de l'industrialisation

Votre insuffisance professionnelle ne ressort pas uniquement de votre management et de votre communication, mais ressort également de l'exécution de l'essence même de vos fonctions, la direction des opérations, de la production et de l'industrialisation.

En tant que Directeur des Opérations, vous avez notamment pour fonctions de gérer et d'optimiser la production de notre société, en améliorant entre autres les méthodes de travail et la logistique dans un souci de coût, de qualité, de performance et d'amélioration constante du mode de production et des produits de la société.

Or, nous ne pouvons malheureusement que constater que vos résultats sont loin d'être à la hauteur des attentes exigées par votre position.

En effet, nous constatons depuis plusieurs mois de nombreux problèmes consécutifs à une mauvaise direction des opérations : (i) des dysfonctionnements considérables et récurrents sur les sites de production, entraînant (ii) un retard général très important sur les projets et sur tous les programmes Transport, qui constituent le c'ur de notre activité actuelle et à venir et qui sont absolument cruciaux pour notre société, (iii) un coût de production beaucoup trop élevé, aboutissant à un coût de production supérieur au prix de vente de nos produits, (iv) un problème majeur de qualité des produits finis, le tout (v) ayant pour effet une défiance des clients de la société. qui ont pu déceler l'ensemble de ces problèmes au cours de leurs audits.

Or, (vi) nous avons fait notre maximum pour vous aider à résoudre ces problèmes majeurs mais aucune amélioration n'a été constatée, bien au contraire.

(i) Dysfonctionnements sur les sites de production

Nous avons constaté de graves dysfonctionnements sur les sites de productions, alors que ceux-ci sont sous votre responsabilité de Directeur des Opérations.

En premier lieu, il apparaît que la chaîne d'approvisionnement « Supply Chain » de l'usine, dont vous devez assurer le bon fonctionnement, est totalement hors contrôle. En effet, lors de chaque inventaire, nous avons systématiquement constaté des écarts entre les stocks enregistrés et les stocks réels, pouvant être très importants. En témoigne l'écart constaté sur l'inventaire de décembre 2018, pour un montant total supérieur à 1 M €.

A cet égard, il est primordial de mettre en place des procédures efficaces qui doivent être rigoureusement suivies. En effet, la gestion de la Supply Chain est la première étape permettant une production efficiente et une livraison des produits commandés dans les délais.

Comme dans toutes les entreprises de grande envergure, nous disposons d'un outil appelé MRP Manufacturing Resources Planning ou Management des Ressources de Production), qui calcule, de façon théorique, les besoins en approvisionnement de la société en fonction des stocks de la société, des contraintes de productions, des délais de livraison des fournisseurs et des besoins des clients. Un tel outil permet une production fluide, dans laquelle il ne manque aucune matière première, sans que la société ne souffre d'un stock trop important, qui bloquerait une trésorerie considérable dans notre domaine d'activité.

Or, pour que cet outil MRP fonctionne, il est nécessaire d'y entrer de façon très exacte la liste de tous les articles des BOM (Bill Of Materials / liste des composants) produits de la société et de suivre rigoureusement les stocks, ce que vous n'avez jamais réussi à mettre en place. Cela peut s'avérer désastreux pour la société : comme vous le savez, il suffit qu'il manque une petite vis de quelques centimes pour empêcher la finalisation d'une batterie valant plus de 100,000 € et pour bloquer celle-ci sur notre site de production pendant plusieurs jours voire plusieurs semaines.

Par ailleurs, la montée en phase série de la production, qui vous incombe, n'a toujours pas été réalisée.

A cela, s'ajoutent des retards répétés dans la mise en 'uvre des nouvelles chaînes de production ce qui est de nature à mettre la société en difficulté. Deux mois avant leur installation, vous nous avez informé d'un retard de 6 mois, puis encore deux mois de plus, et maintenant 10 mois de retard.

Ces insuffisances dans la gestion technique de l'usine sont corrélées à un désordre permanent sur le site dont vous avez la charge, ce qui entraîne, entre autres, une impression négative pour les visiteurs, préjudiciable à la société.

Par ailleurs, à ce jour, nous ne pouvons que constater l'échec des tests de certification et d'homologation traduisant votre manque de maîtrise de ces process par vos équipes. En effet, ces tests requièrent une coordination entre les différents intervenants, coordination qui n'a pas été correctement effectuée compte tenu de l'absence d'une communication adéquate inter-direction.

L'ensemble de ces dysfonctionnements entraînent de nombreuses conséquences très néfastes à la société, jusqu'à la mettre potentiellement en péril s'il n'y est pas rapidement remédié.

(ii) Retard sur les programmes et projets

Tel que précisé ci-dessus, vous n'avez à ce jour toujours pas pu finaliser le développement et par voie de conséquence, obtenir les certifications et homologations pour les nouvelles batteries de technologies, Zen 35 et Pulse 15, de sorte que l'industrialisation de celles-ci n'a toujours pas pu débuter.

Nous accusons de ce fait à ce jour un retard cumulé de 10 mois sur le planning que nous avions établi avec vous, et qu'il était nécessaire de suivre pour pouvoir livrer les commandes de nos clients dans les temps impartis et répondre aux engagements contractuels.

Notre société fait en conséquence face à de grandes difficultés pour produire et livrer ses produits dans les délais impartis.

Ainsi, la société est déjà exposée à des pénalités de retard pour un montant total supérieur à 800,000 € et cette somme sera multipliée de façon exponentielle si ces problèmes ne sont pas rapidement résolus.

Ce retard est d'autant plus grave qu'il bloque également nos clients, qui ne peuvent eux-mêmes pas obtenir d'homologation pour leurs bus, trains, etc. tant que l'homologation de la batterie supposée les faire fonctionner n'est pas obtenue.

Pour tenter de palier à ce problème majeur, les clients n'ont actuellement d'autre choix, pour respecter leurs propres engagements contractuels et livrer les véhicules de transport dans les délais requis, que de rester sur les anciennes batteries de la société, qui sont beaucoup moins efficaces.

Il en résulte que non seulement, à terme, la société risque de perdre ses clients, nécessairement mécontents du retard actuel, mais en outre, quand bien même ceux-ci resteraient, la marge de la société sur ces anciennes batteries est quasi-inexistantes, ce qui maintient la société dans un système non viable économiquement.

En votre qualité de Directeur des opérations, vous dirigez les programmes et êtes en charge du planning, de sorte qu'il vous appartient de prendre les mesures nécessaires pour remédier aux problèmes rencontrés.

Or, malgré notre aide et une multiplication par plus de 2 de votre budget et de la masse salariale de l'ensemble de vos équipes au cours des 3 dernières années, aucune avancée sur ces différents sujets n'a été constatée.

La société ne peut hélas plus se permettre d'attendre encore car elle s'exposerait alors à des risques financiers susceptibles de mettre en cause sa viabilité.

(iii) Coûts de production beaucoup trop élevés

En qualité de Directeur des opérations, vous êtes chargé du budget dédié à l'industrialisation de la production.

Or, il s'avère que le budget qui était alloué n'est pas respecté alors même que les réalisations auxquelles est dédié ce budget ne sont pas satisfaisantes.

Cela est dû aux dysfonctionnements exposés ci-dessus, et notamment aux difficultés liées à la mise en place des nouvelles chaînes de production et au mauvais contrôle du prestataire que vous avez, vous-même sélectionné, ce qui a entraîné des surcoûts et des retards répétés.

En effet, ces échecs causés par vos insuffisances ont conduit la société à recourir à un cabinet d'accompagnement afin de parer au plus urgent. Ce recours à un cabinet a engendré des frais pour la société, frais qui auraient dû être évités si vos fonctions étaient correctement exercées.

Vos insuffisances diverses ainsi qu'une mauvaise gestion des coûts ont abouti à un écart abyssal entre les objectifs de coûts de production qui étaient fixés et les coûts réels.

En effet, nous avions établi avec vous, sur la base des éléments chiffrés et de notre expérience sur les précédents modèles de batterie de la société, des objectifs de coût de production pour chacune de nos nouvelles batteries, Zen 35 et Pulse 15.

Or, à ce jour, compte tenu des procédures et des chaînes de production non optimales, mais également de déficience dans la conception des produits, que vous avez mises en place, l'écart de coût de production entre l'objectif et le réel est égal à 42,000 € pour Zen 35 et à 20,000 € pour Pulse 15.

Si ce coût n'est pas réduit, ce que vous semblez incapable de faire, la société s'expose à un manque à gagner, très important, puisque, sans compter Pulse 15, la société doit vendre 100 Zen 35 en 2019 et 400 Zen 35 en 2020, entrainant un potentiel surcoût de 4,2 M € en 2019 et de 16,8 M € en 2020.

Qui plus est, le coût de production actuel de ces batteries, coût que vous ne parvenez pas à réduire malgré notre aide, est supérieur à notre prix de vente aux clients, sans que les objectifs de prix n'aient changé depuis 2 ans.

En conséquence, si nous n'agissons pas rapidement, nous allons donc vendre nos produits à perte, ce qui mènerait la société à la banqueroute compte tenu du carnet de commande pour les mois à venir.

(iv) Problème majeur de qualité

En qualité de Directeur des Opérations, vous êtes en charge de la qualité. Or, à ce niveau également nous ne pouvons que constater des insuffisances.

En effet, les procédures et normes que vous avez mises en place sont largement insuffisantes au regard des standards habituels. Cette insuffisance a été clairement révélée par les audits de nos clients, qui s'avèrent très mauvais sur ce point.

Ainsi, la problématique était tellement grave que les clients ont dû mettre notre société sous tutelle qualité, en raison de leur manque de confiance sur les capacités de la société de remplir ses engagements sur la qualité des produits, engagements qu'il vous incombe de veiller à remplir.

Compte tenu de notre activité de technologie de pointe et de notre positionnement de leader sur un marché hautement concurrentiel, nous ne pouvons pas nous permettre de présenter la moindre faille sur la qualité.

Pour nous assurer le niveau d'excellence nécessaire en la matière, nous vous avions confié le soin de constituer et de mettre en place une équipe qualité. Or, à ce jour, celle-ci n'est toujours pas suffisamment constituée. Le fait que cette équipe ne soit pas constituée entraine ainsi des procédures et des normes qualités qui sont insuffisantes pour notre société.

Encore une fois, il s'agit d'un problème crucial pour notre société, que celle-ci ne peut laisser perdurer plus longtemps.

(v) Défiance des clients de la société

Comme vous le savez, les sociétés HEULIEZ et ALSTOM, sociétés d'envergure et clients éminemment importants pour notre société, ont affiché une perte de confiance à l'égard de notre société en raison de tous les dysfonctionnements précités et de leur manque de confiance dans votre capacité à y remédier compte tenu de votre mode de direction des opérations, analysé dans le cadre de leurs audits.

Ces deux clients sont les clients les plus importants de notre société : ils représentent cette année près de 80% de notre chiffre d'affaires de la division transport, activité qui est amenée à représenter les ¿ de nos revenus en 2020.

Il n'est donc rien de dire qu'une perte de confiance de la part de ces deux clients est fortement préjudiciable à notre société.

Par ailleurs, du fait de votre manque de communication et de l'insuffisance dont vous faites preuve dans l'exécution de vos fonctions révélée par les audits, il apparaît que les clients de la société s'interrogent sur votre rôle dans l'organisation.

En effet, le taux d'audit de nos clients sur vos process de production produits se situe aux alentours de 30% alors qu'il devrait être de 95% au minimum.

Ce résultat est clairement lié aux défaillances de vos équipes puisqu'il est principalement lié aux risques de rupture d'approvisionnement, consécutif à votre mauvaise gestion de la Supply Chain, au problème de manque de documentation, que vous n'avez pas mis en place, et au problème de qualité que nous avons déjà exposé.

Il en résulte un manque total de confiance des clients quant à la qualité des produits mais même simplement sur la capacité de la société à fournir les volumes de produits requis, ce qui a abouti à une mise sous tutelle de la société.

Notre société ne peut absolument pas se permettre de rester dans une telle situation, qui compromet non seulement sa propre activité, mais même celle de ses clients, qui ont pour la plupart un seul fournisseur pour leurs batteries électriques : Forsee Power.

(vi) Aide de la société

Tel que rappelé à plusieurs reprises ci-dessus, sur tous les sujets où nous avons constaté des déficiences, nous vous avons apporté notre aide maximale afin que vous puissiez y remédier.

Ainsi, tel que présenté, nous avons plus que doublé votre budget et la masse salariale de votre équipe.

Nous vous avons laissé carte blanche pour la constitution de vos différentes équipes.

D'une façon générale, vous pouviez compter sur le soutien de tous les membres du Comité Exécutif.

D'ailleurs, à cet égard, lorsque nous avons constaté vos difficultés dans la gestion du Bureau d'Etude, qui ajoutait à votre charge de travail trop importante, nous l'avons sorti de votre périmètre pour le confier au Directeur technique, poste que nous avons créé à cet effet.

L'ensemble de l'équipe de direction de la société, dont vous faite partie, a donc fait son maximum afin que vous puissiez remédier aux différentes insuffisances constatées. Malgré cette aide, nous n'avons malheureusement pas constaté d'amélioration, bien au contraire, vos insuffisances n'ont fait que s'accroître.

Nous avons d'ailleurs tiré la sonnette d'alarme de façon très claire lors de nos divers entretiens durant l'année 2018. Vos objectifs 2018 tenaient par ailleurs compte des points précités et leur non atteinte est significative pour chacun des points.

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Il résulte de tout ce qui précède que les dysfonctionnements, qui vous sont imputables, ont des conséquences extrêmement néfastes sur le bon fonctionnement de notre société et engendrent notamment des risques financiers susceptibles de la mettre en péril.

La société n'a donc d'autre alternative que de vous notifier par la présente votre licenciement pour insuffisance professionnelle préjudiciable à la société.

Votre préavis, d'une durée de 4 mois, que nous vous dispensons d'exécuter, débutera à la première présentation de la présente lettre par les services postaux. Néanmoins, vous serez rémunéré pendant ce préavis et une indemnité compensatrice de préavis vous sera versée à ce titre aux échéances habituelles de la paie. [...]'.

Sur la nullité du licenciement

M. [U] soutient que la nullité de son licenciement doit être prononcée en application des articles L. 1152-2 et L. 1152-3 du code du travail.

La société répond qu'il n'existe pas de harcèlement moral et que les demandes subséquentes doivent être écartées.

En application de l'article L. 1152-2 du code du travail aucun salarié ne peut être licencié pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral.

L'article L. 1152-3 de ce code prévoit que toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2 est nulle.

Le licenciement d'un salarié victime de harcèlement moral est nul dès lors qu'il présente un lien avec des faits de harcèlement.

En l'espèce, la circonstance que M. [U] ait subi des faits de harcèlement moral ne suffit pas à rendre nul son licenciement fondé d'après la lettre du 19 avril 2019 sur sa prétendue insuffisance professionnelle.

La lettre de licenciement invoque d'abord comme insuffisances de M. [U] des problèmes des management et de communication. Or, il n'est pas établi que ces problèmes, à les supposer établis, résultent des agissements de harcèlement moral ci-dessus retenus ou aient un lien avec ceux-ci.

La lettre de licenciement invoque ensuite des insuffisances de M. [U] dans la direction des opérations, de la production et de l'industrialisation. Mais ce dernier ne prouve pas le lien entre ces prétendues insuffisances et le harcèlement moral subi par lui.

En l'absence de lien établi entre le licenciement et les faits de harcèlement, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté M. [U] de sa demande visant à prononcer l'annulation de son licenciement, étant observé par ailleurs que selon le dispositif de ses conclusions qui seul saisit la cour en application de l'article 954 du code de procédure civile, il ne sollicite pas des dommages et intérêts pour licenciement nul mais pour licenciement abusif.

Sur le bien fondé du licenciement

M. [U] avance qu'il ne peut se voir reprocher des faits dans des domaines qui ne relevaient plus de son poste au jour du licenciement, qu'il a exercé ses fonctions dans des conditions très difficiles et que les 'griefs' ne sont pas établis. Il prétend n'avoir jamais fait l'objet d'un rappel à l'ordre, invoque que les difficultés qu'il a éprouvées sont liées à des 'causes étrangères' et qu'il donnait satisfaction à son employeur comme le démontrent le bonus versé pour 2017 et l'augmentation de sa rémunération fixe à compter de janvier 2018. Il s'explique sur chacun des thèmes visés dans la lettre de licenciement, concluant que celui-ci est injustifié en faisant valoir que les difficultés provenaient de problèmes de conception, d'équipes insuffisantes et de problèmes de livraison des composants par les fournisseurs en lien avec des difficultés de paiement de ceux-ci. A titre subsidiaire, il soutient avoir fait l'objet d'un licenciement économique déguisé.

La société rétorque que M. [U] a fait preuve d'insuffisance professionnelle tant sur le plan managérial qu'opérationnel. Elle avance que l'argument tenant à la trésorerie ne peut être retenu puisque M. [U] avait été précisément embauché pour mettre en place un process de transformation de l'activité afin de faire face aux défis de production tout en assurant l'équilibre financier de la société. Elle conteste aussi la surcharge de travail de M. [U]. Elle s'explique sur ses différentes insuffisances et conclut que son licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse, objectant que le prétendu motif économique de la rupture est contredit par le caractère stratégique du poste de directeur des opérations au sein de l'entreprise et par le fait que M. [U] a été remplacé dès le 3 juin 2019 par M. [T], embauché sous la même qualification et le même salaire.

L'article L. 1235-1 du code du travail dispose qu'en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles et que si un doute subsiste, il profite au salarié. Ainsi l'administration de la preuve du caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n'incombe pas spécialement à l'une ou l'autre des parties, l'employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis, objectifs imputables au salarié et matériellement vérifiables.

Le motif allégué dans la lettre de licenciement est qualifié d'insuffisance professionnelle. La cour rappelle que l'insuffisance professionnelle ne constitue pas en elle-même une faute. Si M. [U] évoque parfois la faute dans ses écritures, il ne démontre pas en quoi son licenciement a un caractère disciplinaire. En toute hypothèse, il n'est ni invoqué dans la lettre de licenciement, ni établi que les insuffisances de M. [U] résulteraient d'une abstention volontaire ou d'une mauvaise volonté délibérée de sa part, éléments propres à révéler un comportement fautif.

Il reste que l'insuffisance professionnelle doit reposer sur des faits objectifs, précis et vérifiables.

- sur les problèmes de management et de communication :

Dans la lettre de licenciement, la société invoque les problèmes de management de M. [U] bien qu'il ait eu toute latitude dans le recrutement de ses équipes. Toutefois, l'appelant soutient qu'il ne décidait pas de l'embauche des collaborateurs et aucune pièce ne confirme l'allégation de la lettre de licenciement.

La société allègue aussi dans la lettre de licenciement que du fait de l'incompréhension par M. [U] des enjeux et besoins de la division Smart Life et du niveau de conflit atteint avec ses managers, elle a été contrainte de lui retirer le management industriel opérationnel de la division. L'historique des organigrammes ne mentionne pas le 'management industriel opérationnel' mais fait seulement apparaître 'Smart Life' dans les entités dépendant de M. [U] en septembre 2017 puis ne mentionne plus cette division dans les organigrammes ultérieurs de la direction des opérations. L'attestation de M. [S], directeur industriel de la société, invoquée aussi sur ce point par l'intimée ne saurait être retenue comme probante dès lors que, comme le relève l'appelant, M. [S] se prévaut de sa proximité avec le PDG et que son attestation se présente comme un témoignage à charge, portant un jugement de valeur sur M. [U] décrit notamment comme 'manipulateur et menteur' sans être toujours étayée sur des faits précis dont il a personnellement été témoin. Ainsi, cette attestation n'est pas suffisamment circonstanciée et ne présente pas des garanties d'objectivité. Il n'est pas démontré que le retrait du management opérationnel de la division Smartlife soit lié à des difficultés de management de M. [U].

La société invoque encore dans la lettre de licenciement que la communication de M. [U] a poussé certains collaborateurs à démissionner, dont le directeur des programmes et projets. Il est constant que ce dernier était M. [O], apparu sur l'organigramme de septembre 2017 et ne figurant plus sur celui de 2018. Mais l'attestation de M. [N], directeur de site, dont la société se prévaut n'emporte pas davantage la conviction dans la mesure où ce dernier est dans un lien de subordination vis-à-vis de la société et où son compte-rendu d'entretien d'évaluation réalisé le 6 février 2019 par M. [U] confirme ce que l'appelant invoque, à savoir que M. [N] s'était vu reprocher certains manquements par M. [U]. La réalité du lien entre le départ de la société de M. [O] et le comportement de ce dernier n'est pas établie.

La perte de confiance des N-1 et N-2 évoquée dans la lettre de licenciement n'est étayée par aucun autre élément alors que M. [U] produit plusieurs attestations de personnes ayant travaillé avec lui au sein de la société, sans lien de subordination avec l'une ou l'autre des parties lors de leur établissement, notamment MM. [E], [Y] et [H], qui témoignent de son professionnalisme et de ses qualités de management ainsi qu'en matière de communication.

Le compte-rendu de l'entretien d'évaluation du 15 février 2017 de M. [U] mentionne certes comme point d'amélioration essentiel la communication et le partage d'information au sein du comité de direction ainsi que la communication ascendante et descendante avec ses équipes, le partage d'information et le dialogue. Et le compte-rendu de l'entretien d'évaluation du 1er janvier 2018 indique que 'cet objectif, mentionné mais non valorisé, était un point clé d'attention. Il a dans les faits été une difficulté réelle menant à des tensions très sérieuses au sein de l'organisation et en particulier dans l'équipe de direction, au point de créer une situation de crise au dernier trimestre. Depuis, notamment avec l'appui d'un consultant externe, la situation s'est rétablie. La communication entre membres de l'équipe de direction reste à améliorer, tout comme la formalisation écrite et le partage des objectifs et réalisations de la direction des opérations vis-à-vis des autres équipes de la direction', concluant qu' 'un critère fondamental de la réussite réside dans le travail d'équipe, l'échange et la formalisation du travail'.

Mais comme le fait valoir l'appelant, ce dernier document cible des difficultés de communication au sein de la direction sans l'impliquer exclusivement. En outre, il n'est pas produit de rapport ou de note du consultant externe cité permettant d'objectiver les problèmes de communication de M. [U] et aucun document postérieur à ces évaluations, hormis les attestations de MM. [S] et [N] jugées non probantes, ne met en exergue de difficulté persistante de communication ou de management de M. [U] alors que la lettre de licenciement du 19 avril 2019 se fonde sur des insuffisances constatées au cours des 18 derniers mois et plus encore depuis la fin d'année 2018.

Pour sa part, M. [U] produit des rapports d'activité de mars 2018, mars 2019 et début avril 2019 de la direction des opérations, des rapports sur l'organisation du site de [Localité 3] de décembre 2018, février 2019 et mars 2019 et un rapport Forsee Power-Iveco de janvier 2019. Ces documents traduisent une communication réelle tant en interne qu'à l'externe au cours des années 2018-2019 de nature à contredire des insuffisances en ce domaine de M. [U] avec ses collaborateurs, l'équipe de direction et les clients de la société après l'entretien du 1er janvier 2018.

En considération de l'ensemble ces éléments, les problèmes de management et de communication invoqués dans la lettre de licenciement ne sont pas retenus comme établis.

- sur les insuffisances dans la direction des opérations, de la production et de l'industrialisation :

S'agissant des dysfonctionnements sur les sites de production invoqués dans la lettre de licenciement, la société se fonde sur une attestation de son directeur administratif et financier du 18 juin 2020 comprenant un tableau de suivi des écarts de stock entre les données comptées et les données attendues révélant un écart de plus d'un million d'euros au 31 décembre 2018. Aux termes de la lettre de licenciement, la société en déduit que la supply chain est hors de contrôle alors que sa gestion est indispensable et que le MRP exige un suivi rigoureux des stocks.

Mais ainsi que M. [U] s'en prévaut, l'attestation précitée n'est assortie d'aucune donnée comptable certifiée par un expert comptable de sorte qu'elle n'est pas probante et il résulte de ce qui précède que les achats et la supply chain ont été retirés à M. [U] au cours de l'exécution du contrat, la pièce n°41 de l'appelant démontrant que M. [G], rattaché directement au président de la société, est devenu directeur 'purchasing & supply chain' dès mars 2018. Dans ces conditions, la société ne saurait imputer à M. [U] des problèmes relatifs à la supply chain datant de décembre 2018.

Pour contrer cet argument, la société prétend que l'inventaire des stocks ne relève pas de la supply chain mais des sites de production. Cependant, la lettre de licenciement rattache clairement les écarts d'inventaires aux dysfonctionnements de la supply chain, disant que M. [U] devait en 'assurer le bon fonctionnement', ce qui était inexact depuis le début d'année 2018. En outre, l'allégation de la société selon laquelle l'inventaire relevait de la responsabilité des sites de production n'est étayée par aucun élément, pas plus qu'elle ne fournit de pièce corroborant un défaut d'utilisation de l'outil MRP aussi évoqué dans la lettre de licenciement.

Dès lors, les insuffisances à ce titre ne peuvent être retenues à l'encontre de M. [U] sans qu'il soit nécessaire d'examiner si les difficultés dans ce domaine sont, comme l'invoque ce dernier, en réalité liées à des problèmes d'approvisionnement dues à l'absence de paiement de ses fournisseurs par la société, situations d'impayés néanmoins attestées tant par les mails de fournisseurs que par des attestations (M. [Y], Mme [Z]) versés aux débats par l'appelant.

La lettre de licenciement relève aussi que la montée en phase série de la production incombant à M. [U] n'a pas été réalisée. La société explique à ce sujet en se fondant sur le compte-rendu d'entretien du 1er janvier 2018 que cet objectif, déjà fixé pour 2017, a été reporté sur 2018 mais que la mise en oeuvre des nouvelles chaînes de production a été constamment retardée.

Mais comme l'observe l'appelant, ce compte-rendu mentionne de la part du supérieur de M. [U] qu'aucun des objectifs n'a pu être atteint, 'faute de ressources suffisantes et du fait du nombre de projets', soit d'éléments étrangers à M. [U]. En outre, la société n'invoque aucune pièce pour démontrer un retard persistant en 2018 et début 2019 imputable à des insuffisances de M. [U].

Le désordre permanent sur le site entraînant une image négative pour les fournisseurs ne repose non plus sur aucun élément de preuve.

S'agissant du retard sur les programmes et projets et du problème de qualité, la lettre de licenciement fait état d'un retard faute d'obtention des certifications et homologations nécessaires, exposant la société à des pénalités de retard et à un risque de perte de clients, et des insuffisances en matière de qualité révélées par des audits de clients et ayant justifié la mise sous tutelle qualité de la société.

Il résulte du compte rendu de l'entretien du 1er janvier 2018 que M. [U] s'est vu fixer pour objectif la mise en place des nouvelles lignes de production automatiques pour les gammes Zen et Pulse, 'opérationnelles en Q4 2018", et des organigrammes de la direction des opérations qu'à cette époque et jusqu'à la fin de son contrat de travail, la qualité dépendait de M. [U].

Cependant, ce dernier fait valoir que le service recherche & développement (R&D), qui dépendait directement du président de la société, était seul en charge de la définition et de la validation des batteries et que les retards dans la chaîne de production résultaient de problèmes de conception imputables au R&D, eux-mêmes liés aux problèmes de financement structurels de la société. Il invoque aussi une insuffisance de l'équipe qualité.

Or, au vu des organigrammes produits, le service R&D n'apparaît pas relever de la sphère d'attribution de M. [U] alors que le manque de fiabilité et de finalisation dans la conception des produits dont l'appelant se prévaut est corroboré par l'attestation de M. [Y], le mail du 30 novembre 2018 de M. [J] produit par l'employeur qui évoque des 'produits non encore éprouvés (souligné par la cour)' et mentionne que 'les équipes sont à fond sur le court terme pour livrer des préséries dans des conditions non stabilisées (souligné par la cour)' ainsi que le rapport Iveco Forsee de janvier 2019 qui, concernant la Zen 35, mentionne encore l'intervention du service R&D et des problèmes techniques retardant l'homologation. Ce même rapport évoque des retards de production de prototypes liés à des retards de livraison de composants.

En l'état de ces éléments, les quelques échanges de mails produits par la société (ses pièces n°9, 10 et 11) sont insuffisants à démontrer que les retards des progammes sont liés à des insuffisances de M. [U]. De même, la communication du CNH- pénalités de retard du 4 novembre 2019 est insusceptible d'établir cette imputabilité.

La société produit par ailleurs un audit du 17 juillet 2018 de la société Alstom. Toutefois, la lecture de cette pièce à caractère technique sans explication ne permet pas à la cour d'en déduire l'insuffisance des procédures et normes mises en place par M. [U], ni de retenir que l'arrivée en mars 2019 d'un contrôleur délégué par la société Alstom au sein de Forsee résulte de carences ou d'insuffisances imputables à ce dernier. La cour relève encore que l'audit Iveco invoqué par la société est daté du 12 septembre 2019 de sorte qu'il est postérieur de cinq mois au départ effectif de M. [U] de la société. Quant à la pièce n°20 de la société qui est un mail du 21 décembre 2018 de M. [V], directeur de la qualité au sein de Forsee Power, indiquant qu' 'Iveco a mis le site de [Localité 3] en CSL2" démontrant selon l'intimée son placement sous tutelle qualité, il ne permet pas de justifier des insuffisances de M. [U] en matière de qualité alors que ce dernier produit un rapport d'audit antérieur sur l'organisation du site de [Localité 3] qui pointait ses difficultés, en particulier un manque sur les fonctions qualité du site, et affirme que les propositions faites n'ont pas été prises en compte par l'employeur. Or, la société n'apporte pas d'élément probant de nature à le contredire, la seule attestation du directeur administratif et financier du 18 juin 2020 sur les budgets de fonctionnement de la direction des opérations, notamment la masse salariale, n'étant pas probante faute d'être assortie d'éléments objectifs, notamment comptables, et détaillés.

S'agissant des coûts de production trop élevés, la société se fonde essentiellement sur l'attestation précitée du directeur administratif et financier dont il a d'ores et déjà retenu qu'elle n'était pas probante. En toute hypothèse, quand bien même les coûts se seraient révélés plus élevés, cette circonstance ne permet à elle seule de retenir que M. [U] en est responsable. Le recours à un cabinet d'accompagnement est attesté par la pièce n°15 de la société (le programme Rise) mais ce document ne met nullement en cause les compétences de M. [U] ou sa capacité à accomplir ses missions et l'accompagnement par un cabinet, fréquent dans le monde de l'entreprise, n'est pas en lui-même révélateur d'une insuffisance du directeur des opérations.

S'agissant enfin de la défiance des clients de la société, celle-ci n'apporte aucune preuve au soutien de l'allégation selon laquelle leur perte de confiance serait liée à un manque de capacité de M. [U], l'audit de la société Alstom, bref au demeurant, et celui de la société Iveco, postérieur de plusieurs mois au départ effectif de M. [U], ne le mettant nullement en cause.

En définitive, la cour considère que la cause réelle et sérieuse du licenciement fondée sur l'insuffisance professionnelle de M. [U] n'est pas établie.

Sur les conséquences du licenciement sans cause réelle et sérieuse

Sur la base d'un salaire de référence de 17 441 euros brut et arguant n'avoir toujours pas retrouvé d'emploi, M. [U] réclame la somme de 209 292 euros à titre de dommages et intérêts correspondant à un an de salaire en application de l'article L. 1235-3 du code du travail.

La société réplique que l'indemnisation est limitée à quatre mois de salaires en fonction d'un salaire moyen de 14 025 euros, que M. [U] ne justifie pas s'être inscrit à Pôle emploi, ni avoir poursuivi ses recherches d'emploi au delà de début décembre 2019. Elle conclut au rejet de la demande.

Employé depuis plus de trois ans dans une entreprise occupant habituellement au moins onze salariés, M. [U] est fondé à percevoir une indemnité comprise entre 3 et 4 mois de salaire bruts en vertu de l'article L. 1235-3 du code du travail, l'appelant ne faisant valoir aucun moyen pour prétendre à une somme excédant ce barème impératif fixé par la loi. L'indemnité est calculée en fonction de la rémunération brute du salarié précédant la rupture de son contrat de travail en tenant compte de la rémunération fixe et variable. Les parties s'accordent sur la rémunération fixe de 14 025 euros par mois. Il convient de prendre aussi en considération le bonus précité. Il en résulte que M. [U] est fondé à se prévaloir d'une rémunération brute de 17 441 euros par mois.

Compte tenu de son âge lors du licenciement (M. [U] étant né en 1966), de son ancienneté, du montant de sa rémunération, de sa qualification et de ce qu'il justifie de sa situation postérieurement à la rupture (recherches d'emploi), la cour condamne la société à payer à M. [U] la somme de 56 000 euros suffisant à réparer son entier préjudice, le jugement étant infirmé en ce sens.

La cour fait d'office application de l'article L. 1235-4 du code du travail et la société doit rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage versées à M. [U] depuis son licenciement jusqu'au jour du présent arrêt dans la limite de trois mois.

Sur les dommages et intérêts en raison des circonstances vexatoires du licenciement

M. [U] invoque que dès réception de la lettre de convocation à l'entretien préalable, il a été prié de ne plus se présenter sur son lieu de travail et que sa disparition brutale de l'entreprise lui a causé un préjudice supplémentaire dont il demande réparation à hauteur de 5 000 euros. Il s'oppose à l'irrecevabilité soulevée par l'intimée, arguant que sa demande se rattache par un lien suffisant aux prétentions originelles.

La société soutient que la demande est irrecevable, s'agissant d'une demande présentée postérieurement à la saisine du conseil de prud'hommes. Au fond, elle conclut à son rejet en faisant valoir qu'elle était en droit de dispenser son salarié d'activité et en contestant l'existence d'un préjudice distinct.

En application de l'article 954 du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer sur la fin de non-recevoir soulevée par la société dans le corps de de ses écritures dès lors que celle-ci n'est pas reprise au dispositif de ses conclusions, la société ne demandant pas à la cour de déclarer cette demande irrecevable mais se contentant de conclure au débouté de l'ensemble des demandes de M. [U].

La lettre de convocation à l'entretien préalable de licenciement remise le 4 avril 2019 à M. [U] indique qu'il est dispensé de venir travailler dès ce jour et jusqu'à ce que la société ait pris une décision. M. [U] se plaint ainsi à juste titre d'avoir été évincé brutalement de l'entreprise. En outre, la société ne fait valoir aucun motif pour expliquer qu'elle ait agi de la sorte. Le maintien de la rémunération de M. [U] et des autres avantages liés à l'exécution du contrat de travail durant cette période est indifférent au regard du caractère brutal et vexatoire de telles circonstances entourant la rupture. La cour considère qu'il en est résulté un préjudice moral distinct pour M. [U] qui sera justement réparé par l'allocation d'une somme de 800 euros à titre de dommages et intérêts, le jugement étant infirmé en ce sens.

Sur les dommages et intérêts pour remise tardive de l'attestation destinée à Pôle emploi

M. [U] réclame à ce titre la somme de 500 euros de dommages et intérêts tandis que la société conclut au rejet de la demande.

Il résulte des énonciations qui précèdent que la remise tardive de l'attestation est avérée. Cependant, l'appelant ne justifie pas d'un préjudice distinct de celui déjà réparé, la cour ayant déjà indemnisé M. [U] au titre des agissements de harcèlement moral, parmi lesquels la remise tardive de l'attestation Pôle emploi. Le jugement sera confirmé en ce qu'il l'a débouté de ce chef.

Sur les intérêts au taux légal et la capitalisation

Les intérêts au taux légal portant sur les condamnations de nature indemnitaire sont dus à compter de la présente décision et ceux portant sur les créances de nature salariale sont dus à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation.

La capitalisation des intérêts échus, dus pour une année entière, est ordonnée en application de l'article 1343-2 du code civil.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

La société est condamnée aux dépens de première instance et d'appel et doit indemniser M. [U] des frais exposés par lui tant en première instance que devant la cour à hauteur de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article700 du code de procédure civile, sa propre demande sur ce même fondement étant rejetée.

PAR CES MOTIFS

LA COUR, statuant contradictoirement et par mise à disposition au greffe :

DÉCLARE irrecevables les conclusions n°2 de la société Forsee Power et ses pièces n°23 et 24 ;

INFIRME le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a débouté M. [U] de sa demande visant à prononcer la nullité du licenciement ainsi que de sa demande de dommages et intérêts pour remise tardive de l'attestation destinée à Pôle emploi et en ce qu'il a débouté la société Forsee Power de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et ajoutant :

CONDAMNE la société Forsee Power à payer à M. [U] les sommes suivantes :

- 37 643,83 euros à titre de rappel de bonus ;

- 4 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;

- 56 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- 800 euros à titre de dommages et intérêts en raison des circonstances vexatoires du licenciement ;

- 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

ORDONNE à la société Forsee Power de rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage versées à M. [U] depuis son licenciement jusqu'au jour du présent arrêt dans la limite de trois mois d'indemnités ;

DIT que les intérêts au taux légal portant sur les condamnations de nature indemnitaire sont dus à compter de la présente décision et que ceux portant sur les créances de nature salariale sont dus à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation ;

ORDONNE la capitalisation des intérêts échus, dus pour une année entière ;

DÉBOUTE les parties de toute autre demande ;

CONDAMNE la société Forsee Power aux dépens de première instance et d'appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 21/00112
Date de la décision : 06/04/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-04-06;21.00112 ?
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