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05/04/2023 | FRANCE | N°20/01472

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 9, 05 avril 2023, 20/01472


Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 9



ARRÊT DU 5 AVRIL 2023

(n° , 6 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/01472 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CBPGE



Décision déférée à la Cour : Jugement du 5 Février 2020 - Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MELUN - Section Activités diverses - RG n° F19/00004





APPELANTE



Madame [W] [M]

[Adresse

1]

[Localité 2]



Représentée par Me Sandra MORENO-FRAZAK, avocat au barreau d'ESSONNE







INTIMÉE



ASSOCIATION POUR LE MAINTIEN A DOMICILE DES PERSONNES AGEES (APMAD )
...

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 9

ARRÊT DU 5 AVRIL 2023

(n° , 6 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/01472 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CBPGE

Décision déférée à la Cour : Jugement du 5 Février 2020 - Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MELUN - Section Activités diverses - RG n° F19/00004

APPELANTE

Madame [W] [M]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Sandra MORENO-FRAZAK, avocat au barreau d'ESSONNE

INTIMÉE

ASSOCIATION POUR LE MAINTIEN A DOMICILE DES PERSONNES AGEES (APMAD )

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représentée par Me Maryline LUGOSI, avocat au barreau de PARIS, toque : P0073

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 6 Février 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Nelly CHRETIENNOT, conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

M. Stéphane MEYER, président de chambre

M. Fabrice MORILLO, conseiller

Mme Nelly CHRETIENNOT, conseillère

Greffier : Mme Pauline BOULIN, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire

- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Monsieur Stéphane MEYER, président et par Madame Pauline BOULIN, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

L'Association Pour le Maintien à Domicile des Personnes Agées (ci après l'APMAD) est une association ayant pour objet d'assurer, sur prescription médicale, aux personnes âgées, malades ou dépendantes, les soins infirmiers et d'hygiène générale ainsi que les concours à l'accomplissement des actes essentiels de la vie. Elle intervient au domicile des patients ou dans les établissements non médicalisés prenant en charge des personnes âgées ou handicapées.

Madame [W] [M] a été engagée par l 'APMAD en qualité d'aide soignante par contrat à durée indéterminée en date du 26 novembre 2018, avec une rémunération brute mensuelle fixée à 1.632,05 €.

Ce contrat était soumis à la convention collective nationale des établissements privés d'hospitalisation, de soins, de cure et de garde à but non lucratif du 31 octobre 1951.

Conformément aux dispositions de ladite convention collective, il était convenu d'une période d'essai de deux mois.

Le 10 décembre 2018, Madame [M] a été placée en arrêt de travail, lequel a été prolongé jusqu'au 14 décembre 2018.

Durant cet arrêt de travail, la salariée a fait savoir à son employeur qu'elle était enceinte par SMS du 14 décembre 2018.

Madame [M] a repris le travail le 15 décembre 2018.

Par lettre recommandée datée du 18 décembre 2018 et réceptionnée le 19 décembre 2018, l'APMAD a notifié à Madame [M] la rupture du contrat pendant sa période d'essai.

Madame [M] a saisi le conseil de prud'hommes de Melun, afin de voir son employeur condamné à lui verser des dommages et intérêts pour nullité de la rupture de période d'essai pour cause de discrimination liée à l'état de grossesse, outre les frais de procédure et dépens, le tout assorti des intérêts au taux légal.

L'APMAD avait pour sa part sollicité la condamnation de la salariée au titre des frais de procédure.

Par jugement du 5 février 2020, le conseil de prud'hommes de Melun a débouté les parties de l'ensemble de leurs demandes.

Madame [M] a interjeté appel du jugement par déclaration du 19 février 2020.

Par écritures récapitulatives notifiées électroniquement le 17 août 2020, Madame [W] [M] demande à la cour d'infirmer le jugement du conseil de prud'hommes en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes, et statuant à nouveau, de':

-Dire que la rupture de la période d'essai est nulle,

En conséquence,

-Condamner l'APMAD à lui à verser 9.792,30 € à titre de dommages intérêts pour nullité de la rupture de période d'essai pour cause de discrimination liée à l'état de grossesse,

-Condamner l'APMAD à la somme de 1.800 € au titre de l'article 700-2 du code de procédure civile et aux entiers dépens,

-Assortir les condamnations pécuniaires des intérêts au taux légal.

Par écritures récapitulatives notifiées électroniquement le 17 août 2020, l'APMAD demande à la cour de':

A titre principal,

-Confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

En conséquence,

-Débouter Madame [W] [M] de l'intégralité de ses demandes,

-Condamner Madame [W] [M] à verser à l'APMAD la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens,

A titre subsidiaire,

-Ramener le montant de l'indemnité éventuelle allouée à Madame [M] à de plus justes proportions.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 3 janvier 2023.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions.

MOTIFS

Sur la rupture de la période d'essai

Pendant la période d'essai, chacune des parties dispose, en principe, d'un droit de résiliation discrétionnaire sans avoir ainsi à alléguer des motifs. Toutefois, la rupture de la période d'essai n'échappe pas aux règles fondamentales du droit du travail, telles que l'illicéité des discriminations.

En vertu de l'article L. 1225-1 du code du travail, l'employeur ne doit pas prendre en considération l'état de grossesse d'une femme pour rompre son contrat de travail au cours d'une période d'essai.

En vertu de l'article L. 1225-3 du même code, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1225-1 et L. 1225-2, l'employeur communique au juge tous les éléments de nature à justifier sa décision.

Lorsqu'un doute subsiste, il profite à la salariée enceinte.

Par ailleurs que l'état de grossesse fait partie des motifs de discrimination prohibés par l'article L. 1132-1 du code du travail.

L'article L. 1134-1 du même code dispose que lorsque survient un litige en raison d'une méconnaissance de ces dispositions, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

En l'espèce, Madame [M], qui avait commencé à travailler le 26 novembre 2018, a annoncé son état de grossesse à son employeur qui s'inquiétait de sa date de retour suite à un arrêt maladie débuté le 10 décembre 2018 par un SMS en date du 14 décembre 2018. Elle a repris le travail le 15 décembre et une lettre de rupture de période d'essai lui a été adressé le 18 décembre.

Ces éléments laisse supposer l'existence d'une rupture discriminatoire liée à l'état de grossesse de la salariée.

En réponse, l'employeur fait valoir que la rupture de la période d'essai était motivée par des manquements professionnel de la salariée et n'a aucun lien avec son état de grossesse. Elle produit au soutien de ses dires des attestations de plusieurs salariées':

-Une attestation de Madame [I] [R], qui a effectué la première semaine d'adaptation de Madame [M] en binôme avec elle, et qui lui impute les griefs suivants :

-méconnaissance des règles d'hygiène et de sécurité,

-méconnaissance des techniques d'habillage d'une personne alitée,

-non respect de la pudeur de la personne,

-manque d'observation de la personne qu'elle a en soin,

-utilisation d'un langage familier,

-non respect de la distance professionnelle';

-Une attestation de Madame [E] qui a accompagné Madame [M] une journée dans sa tournée pendant sa semaine d'adaptation, et qui indique que celle-ci n'était pas très professionnelle avec les patients, «'avait un langage pas adapté et limite ne connaissait pas les techniques apprises en formation'»;

-Une attestation de Madame [N] [R] qui indique avoir constaté lors de la première semaine une méconnaissance des techniques d'habillage, une utilisation d'un langage familier, et le non respect de la distance professionnelle';

-Une attestation de Madame [U] [C] qui indique que le 7 décembre, Madame [M] «'a eu un langage inadapté et agressif envers moi car le travail demandé ce jour ne lui convenait pas. »';

-Une attestation de Madame [Z] [G] qui expose avoir constaté un retard dans la réalisation de sa tournée par Madame [M], et qui indique que suite à une conversation avec celle-ci, elle a ressenti un manque de confiance en elle et en son travail';

-Une attestation de Madame [J] [P] qui expose que suite à une conversation avec Madame [M], elle a ressenti un manque de confiance en elle et en son travail.

La cour observe toutefois que malgré la gravité des éléments reprochés à Madame [M], elle n'a fait l'objet d'aucun entretien de recadrage ou remarque, et que son employeur l'a laissée dès la deuxième semaine de travail effectuer sa tournée seule, accompagnée d'une stagiaire aide-soignante qu'elle était donc censée former.

Par ailleurs, après cette deuxième semaine de travail, elle a été placée cinq jours en arrêt de travail, du 10 au 14 décembre et son employeur lui a demandé si elle pourrait assurer une tournée dès le 15 décembre à son retour, la laissant à nouveau travailler seule, sans lui adresser aucune remarque sur la qualité de son travail.

Alors que d'après les attestations, des difficultés auraient été rencontrées avec la salariée dès ses tous premiers jours de travail, c'est quelques jours après l'annonce de sa grossesse que la rupture de son contrat pendant la période d'essai lui a été notifiée.

En considération de ces éléments, l'employeur échoue à démontrer que sa décision de rompre le contrat durant la période d'essai de la salariée n'avait pas de lien avec l'état de grossesse de celle-ci.

Cette rupture est en conséquence discriminatoire, ce qui ouvre droit à réparation pour la salariée.

Sur la réparation du préjudice consécutif à la rupture de la période d'essai

Madame [M] sollicite la somme de 9.792,30 € à titre de dommages intérêts pour nullité de la rupture de période d'essai pour cause de discrimination liée à l'état de grossesse, soit l'équivalent de six mois de salaires, en application des dispositions de l'article L. 1235-3-1 du code du travail.

Toutefois, l'article L. 1235-3-1 est applicable au licenciement, et non à la rupture de la période d'essai.

La salariée peut en revanche obtenir réparation du préjudice subi du fait de la rupture discriminatoire de sa période d'essai.

A ce titre, elle indique que suite à la rupture de son contrat, elle a dû retourner vivre chez ses parents car elle n'était plus en mesure d'assumer ses charges et verse une attestation en ce sens. Elle a travaillé à l'AMPAD du 26 novembre au 18 décembre 2018.

Au regard de ces éléments, il y a lieu d'infirmer la décision du conseil de prud'hommes en ce qu'elle a débouté la salariée de sa demande de dommages et intérêts, et statuant de nouveau, de condamner l'AMPAD à verser à Madame [M] la somme de 2.500 € en réparation du préjudice subi.

Sur les dépens et les frais de procédure

Il y a lieu d'infirmer la décision du conseil de prud'hommes sur ces points et statuant de nouveau, de condamner l'AMPAD aux dépens et à verser au conseil de Madame [M], Maître [Y], la somme de 1.500 € sur le fondement des articles 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridictionnelle.

L'AMPAD sera déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Sur les intérêts

Il convient de dire, conformément aux dispositions de l'article 1231-7 code civil, que les condamnations à caractère indemnitaire porteront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, que les autres condamnations porteront intérêts au taux légal à compter du 6 février 2019, date de convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation, conformément aux dispositions de l'article 1231-6 du même code.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant par arrêt contradictoire, rendu publiquement par mise à disposition au greffe,

Infirme le jugement du conseil de prud'hommes de Melun du 5 février 2020 en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

Condamne l'AMPAD à verser à Madame [M] la somme de 2.500 € en réparation du préjudice subi du fait de la rupture discriminatoire de sa période d'essai,

Dit que les dépens de la procédure de première instance et d'appel seront à la charge de l'AMPAD,

Condamne l'AMPAD à verser au conseil de Madame [M], Maître [Y], la somme de 1.500 € sur le fondement des articles 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridictionnelle,

Déboute l'APMAD de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Dit que les condamnations à caractère indemnitaire porteront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt et que les autres condamnations porteront intérêts au taux légal à compter du 6 février 2019, date de convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation,

Déboute les parties de toute autre demande.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 9
Numéro d'arrêt : 20/01472
Date de la décision : 05/04/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-04-05;20.01472 ?
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