REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 5
ARRET DU 05 AVRIL 2023
(n° /2023, 19 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/20561 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CA6KT
Décision déférée à la Cour : jugement du 15 octobre 2019 - tribunal de grande instance de Melun RG n° 17/01845
APPELANTE
SASU DOMINION GLOBAL FRANCE exerçant sour l'enseigne BEROA FRANCE prise en la personne de son président en exercice domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 6]
[Localité 4]
Représentée par Me Patricia HARDOUIN de la SELARL 2H Avocats à la cour, avocat au barreau de Paris, toque : L0056
Ayant pour avocat plaidant Claude VAILLANT, substitué par Me Yann LE MOULLEL, avocats au barreau de Paris, toque : P257
INTIMEES
SAS BOREALIS CHIMIE anciennement dénommée GPN, prise en la personne de son directeur général domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 7]
Représentée par Me Tanguy BOELL de la SELARL KOHN ET ASSOCIES, avocat au barreau de Paris, toque : L0118
SMABTP société d'assurance mutuelle à cotisations variables régie par le code des assurances, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social sis
[Adresse 5]
Représentée par Me Sarra JOUGLA, avocat au barreau de Paris, toque : A0200
Ayant pour avocat plaidant Delphine ABERLEN GRAZI, substituée par Me Stéphane LAGET, avocats au barreau de Paris
Société ZURICH INSURANCE PLC, ès qualités d'assureur de la société BEROA FRANCE, société de droit irlandais dont la succursale française est immatriculée au registre du commerce et des sociétés sous le numéro 484 373 295, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social sis
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Virginie FRENKIAN SAMPIC de la SELEURL FRENKIAN AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : A0693
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 29 novembre 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme Marie-Ange SENTUCQ, présidente de chambre
Madame Elise THEVENIN-SCOTT, conseillère
Mme Alexandra PELIER-TETREAU, vice-présidente placée faisant fonction de conseillère
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame Alexandra PELIER-TETREAU dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.
Greffière, lors des débats : Mme Céline RICHARD
ARRET :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Marie-Ange Sentucq, présidente de chambre et par Manon Caron, greffière, présente lors de la mise à disposition.
FAITS ET PROCEDURE
La société Beroa France, dénomination commerciale de la société Dominion Global France, est spécialisée dans le domaine du garnissage réfractaire de fours et de cheminées industriels.
La société Borealis Chimie, dont l'activité consiste notamment dans la production et la vente de produits chimiques, a eu recours durant plusieurs années tant au service qu'à l'expertise de la société Dominion Global France.
La société Dominion Global France s'est vu confier des missions de maintenance ponctuelles concernant l'entretien du seul garnissage réfractaire de l'usine de la société Borealis Chimie située sur le site de Grandpuits, lequel site fabrique des produits intermédiaires principalement utilisés dans la chaîne de production des engrais azotés.
Compte tenu du danger potentiel que représentent les substances stockées, le site de Grandpuits est classé 'Seveso seuil haut'.
Au mois de juillet 2013, en procédant à des opérations de contrôle et de maintenance du revêtement réfractaire de la chaudière à gaz et de la post combustion de l'unité de production d'ammoniaque HN3, la société Dominion Global France a relevé plusieurs anomalies.
La société Dominion Global France a alors adressé le 20 décembre 2013 une offre technique et commerciale à la société Borealis Chimie pour la réfection du briquetage de la chaudière gaz et des fours de reforming de l'unité HN3 d'un montant de 253 050 euros HT.
Le 4 juin 2014, la société Borealis Chimie a accepté cette offre.
Les travaux ont été réalisés par la société Dominion Global France en octobre 2014 et réceptionnés sans réserve le 29 octobre 2014 par la société Borealis Chimie.
La remise en service a eu lieu au mois de novembre 2014.
Le 8 décembre 2014, des fuites d'eau et de vapeur ont été constatées, nécessitant l'arrêt de l'unité de production d'ammoniaque.
La société Dominion Global France a réalisé les travaux de reprise fin décembre 2014 et début janvier 2015.
Le 20 janvier 2015, les désordres ont repris, nécessitant à nouveau l'arrêt de l'unité de production d'ammoniaque.
La société Dominion Global France a de nouveau réalisé des travaux de reprise, sur lesquels des malfaçons ont été constatées, nécessitant l'intervention d'une société tierce pour réaliser, en urgence, des travaux réparatoires afin de redémarrer l'usine le 18 mars 2015.
La société Borealis Chimie a fait assigner la société Dominion Global France (sus sadénomination commerciale société Beroa France), la SMABTP, assureur décennal de la société Dominion Global France, et la société Zurich Insurance Plc, assureur en responsabilité civile de celle-ci, par acte en date du 19 juin 2017 devant le tribunal de grande instance de Melun.
Par jugement du 15 octobre 2019, le tribunal de grande instance de Melun, a :
Fixé à 925 994,32 euros la somme due par la société Beroa France et la SMABTP à la société Borealis Chilie en réparation de son préjudice matériel ;
Fixé à 133 654,80 euros TTC la somme due par la société Borealis Chimie à la société Beroa France au titre des factures impayées ;
Ordonné la compensation de ces sommes ;
Condamné in solidum la société Beroa France et la SMABTP à verser à la société Borealis la somme de 792 339,52 euros TTC assortie des intérêts au taux légal à compter du 16 septembre 2016, outre la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Mis hors de cause la compagnie Zurich ;
Condamné in solidum la société Beroa France et la SMABTP à verser à la compagnie Zurich la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Ordonné l'exécution provisoire de la présente décision ;
Condamné in solidum la société Beroa France et la SMABTP aux dépens dont distraction au profit des avocats en ayant fait la demande.
Par jugement du 17 décembre 2019, réparant une omission de statuer, le tribunal de grande instance de Melun, a dit que le jugement rendu le 15 octobre 2019 était complété comme suit :
Condamne la SMABTP à garantir la société Beroa France de toutes condamnations prononcées contre elle, en ce compris les dépens de l'instance ;
Dit que mention de la présente décision sera portée en marge du jugement rectifié et notifié comme lui.
Par déclaration d'appel du 6 novembre 2019, la société Dominion Global France a interjeté appel du jugement, intimant la société Borealis Chimie, la SMABTP et la société Zurich Insurance plc devant la cour d'appel de Paris.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par conclusions signifiées via le réseau privé virtuel des avocats le 15 novembre 2019, la société Dominion Global France (ayant pour dénomination commerciale Beroa France), appelante, demande à la cour, au visa des articles 1103, 147 et 1792 et suivants anciens du code civil, de :
Infirmer le jugement en ce qu'il a :
Jugé que les travaux qu'elle a effectués dans le cadre de la maintenance du site de Grandpuits 'constituent un ouvrage au sens de l'article 1792 du code civil' ;
Statuant de nouveau :
- Juger que les travaux qu'elle a réalisés n'avaient pas pour vocation d'assurer une quelconque étanchéité ;
- Juger que les travaux qu'elle a exécutés consistaient en un remplacement l'identique ;
- Juger que les travaux étaient des travaux de maintenance ;
- Juger qu'elle n'a exécuté aucun apport de matière ;
- Juger que le revêtement réfractaire et son ciment de jointement n'adhéraient pas à la paroi de l'unité ;
- Juger que les travaux qu'elle a exécutés n'ont pas consisté dans l'immobilisation des matériaux intégrés ;
- Juger que les travaux de maintenance consistant en un remplacement à l'identique exécutés ne pouvaient pas être qualifiés d'ouvrage de construction ;
- Rejeter la qualification d'ouvrage retenue par le tribunal de grande instance de Melun ;
- Débouter la société Borealis Chimie de ses demandes ;
Infirmer le jugement déféré en ce qu'il a :
Considéré que ses travaux n'étaient pas des éléments d'équipement d'un ensemble à vocation uniquement professionnelle ;
Statuant de nouveau :
- Juger que l'unité dans laquelle est installé le revêtement réfractaire n'est pas un ouvrage en ce qu'il n'est pas ancré au sol et peut être déplacé pour le besoin de l'usine ;
- Juger que l'unité HN3 est un outil de production industrielle ;
- Juger que le revêtement réfractaire a une vocation exclusivement industrielle ;
- Juger que l'unité HN3 a une vocation strictement industrielle ;
- Juger que la société Beroa France est fondée à invoquer l'application de l'article 1792-7 du code civil ;
- Débouter la société Borealis Chimie de ses demandes ;
En tout état de cause,
Dire et juger que les travaux qu'elle a réalisés relèvent de sa responsabilité contractuelle ;
En conséquence,
Dire et juger que la société Borealis Chimie est irrecevable à agir car forclose sur le fondement de l'article 1147 du code civil ;
Confirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné la société Borealis Chimie à lui payer la somme de 133 654,80 euros au titre des factures impayées ;
Infirmer le jugement déféré en ce qu'il a :
Alloué à la société Borealis Chimie une somme de 925 994,32 euros TTC et ordonné une compensation profitant à la SMABTP ;
Statuant de nouveau :
- Juger que son assureur ne peut pas se prévaloir du montant des travaux dû à son sociétaire pour diminuer le montant de sa garantie ;
- Annuler la compensation ordonnée par le tribunal de grande instance de Melun entre les sommes dues aux sociétés ;
- Condamner la SMABTP à la garantir et la relever indemne de toutes condamnations prononcées à son encontre ;
A titre subsidiaire,
- Constater que ses travaux ont été approuvés par les cabinets Icar et Bilfinger ;
- Constater qu'elle n'a pas eu la possibilité de reprendre ses travaux ;
- Constater qu'elle est assurée auprès de la SMABTP et de Zurich Insurance Plc au titre de sa responsabilité décennale et de sa responsabilité civile ;
En conséquence,
- Ramener le quantum des demandes à plus juste proportion ;
- Confirmer le jugement du tribunal de grande instance de Melun en ce qu'il a jugé que la SMABTP lui doit sa garantie ;
- Infirmer le jugement du tribunal de grande instance de Melun en ce qu'il a mis la société Zurich Insurance Plc hors de cause ;
- Condamner la SMABTP et la société Zurich Insurance Plc à la garantir de toutes condamnations ;
En tout état de cause :
- Débouter les intimées de l'ensemble de leurs demandes ;
- Condamner la société Borealis Chimie à la somme de 9 000 euros, en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner la société Borealis Chimie aux entiers dépens dont distraction opérée conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Par conclusions signifiées via le réseau privé virtuel des avocats le 21 novembre 2022, la société Borealis Chimie, intimée, demande à la cour, au visa des articles 1792 et suivants du code civil, des articles 1231-1 et suivants du code civil, des articles L. 242-1 et suivants du code des assurances, de l'article 1219 du code civil, de :
A titre principal,
' Confirmer en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de grande instance de Melun du 15 octobre 2019, complété le 17 décembre 2019 ;
A titre subsidiaire, statuant à nouveau sur le fondement cette fois de l'article 1231-1 du code civil et de l'article L. 124-3 du code des assurances,
' Dire et juger que l'action en justice qu'elle a engagée au visa de l'article 1231-1 du code civil est recevable et bien fondée ;
' Fixer à 925 994,32 euros la somme qui lui est due par la société Dominion Global France (Beroa France) et la société Zurich Insurance Plc en réparation de son préjudice matériel au titre des désordres affectant les travaux de réfection du garnissage réfractaire confiés à la société Dominion Global France (Beroa France) ;
' Fixer à 133 654,80 euros la somme qu'elle doit à la société Dominion Global France (Beroa France) au titre des factures impayées ;
' Ordonné la compensation de ces sommes ;
En conséquence,
' Condamner in solidum la société Dominion Global France (Beroa France) et la société Zurich Insurance Plc à lui payer la somme de 792 339,52 euros TTC, assortie des intérêts au taux légal à compter du 16 septembre 2016, outre 2 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance (article 700 du code de procédure civile) ;
En tout état de cause,
' Condamner in solidum les succombants à lui payer la somme de 15 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel (article 700 du code de procédure civile) ;
' Condamner in solidum les succombants aux entiers dépens en vertu de l'article 699 du code de procédure civile.
Par conclusions signifiées via le réseau privé virtuel des avocats le 4 mai 2020, la SMABTP, intimée, demande à la cour, au visa des articles 1792 et suivants du code civil, de l'article 1792-7 du code civil, des articles L. 113-2 et L. 113-6 du code des assurances, de l'article L. 113.9 du code des assurances, de l'article L. 112-6 du code des assurances, de l'article 1103 du code civil, de :
Infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Melun du 18 décembre 2019 et le jugement complémentaire en date du 17 décembre 2019,
Juger que les immeubles dans lesquels la société Beroa France a effectué ses prestations relèvent de l'avenant génie civil, à l'exclusion de la garantie de base 'bâtiment', par application cumulée des article M du chapitre I 'définitions' des conditions générales du contrat PAC portant définition des immeubles industriels exclus, et article 1, point B de l'avenant RD génie civil portant définition des immeubles industriels garantis,
Juger que sa garantie ne peut être examinée qu'au titre de l'avenant RD génie civil,
Réformer le jugement en ce qu'il a dénaturé les termes clairs des stipulations des polices d'assurances ;
Juger que les prestations effectuées par la société Beroa France ne constituent pas des ouvrages au sens de l'article 1792 du code civil ;
Juger que les prestations au titre desquels la société Borealis Chimie agit relèvent de la définition des éléments d'équipement industriels à vocation professionnelle tels que visés par l'article 1792-7 du code civil ;
Juger que ces éléments sont donc exclus du champ de la responsabilité décennale telle que visée aux articles 1792, 1792-2 et 1792-4 du code civil ;
Par voie de conséquence,
Juger que cette garantie exclut expressément les éléments d'équipement à vocation industrielle et professionnelle ;
Débouter la société Beroa France de ses demandes tournées à son encontre ;
Prononcer sa mise hors de cause ;
Au surplus,
Juger qu'en parfaite cohérence avec la nature de ses activités, la société Beroa France n'a déclaré entre 2008 et 2019 aucun des chantiers qu'elle a réalisés, et notamment pas celui qu'elle a effectué pour la mise en 'uvre de revêtement réfractaire à l'intérieur d'une chaudière industrielle en 2014 pour le compte de la société Borealis Chimie ;
Juger que faute de déclaration de risque, de perception de cotisation par elle, sur la base des propres déclarations de la société Beroa France, la garantie du contrat PAC avenant génie civil ne peut être mobilisée ;
Juger qu'elle est recevable et bien fondée à opposer l'absence de garantie et l'application totale de la règle proportionnelle visée à l'article L. 113-9 du code des assurances à la société Beroa France, tant sur le contrat RD génie civil que sur le contrat PAC, du fait de l'absence de toute déclaration de chiffre d'affaires pour Beroa France pour l'ensemble de ses activités et les deux contrats d'assurances ;
En conséquence,
Condamner par application de l'article L. 113-9 du code des assurances la société Beroa France à la relever et la garantir indemne de toute indemnité mise à sa charge, sanction de la fausse déclaration commise par la société Beroa France depuis l'année 2018, et constituée par l'omission totale des chiffres d'affaires réalisés et ayant vocation à être assurés au titre tant du contrat RD génie civil que du contrat PAC ;
Condamner la société Beroa France sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir à communiquer la liste de ses chantiers pour l'ensemble des exercices éculés depuis 2010, ainsi que les chiffres d'affaires afférant ;
A défaut,
Condamner la société Beroa France, en l'absence de ces déclarations, à supporter seule les conséquences actuelles et à venir de ces défauts de déclarations, et condamner la société Beroa France à la relever et la garantir indemne de toutes somme mise à sa charge au titre des « ouvrages » réalisés du fait des prestations exécutées, mais n'ayant pas fait l'objet d'une déclaration de risque quelconque au mépris des règles du code des assurances,
Rejeter toute autre demande plus ample ou contraire ;
Réformer, en conséquence, le jugement rendu en ce qu'il a dit qu'elle est tenue à garantir la société Beroa France in solidum des sommes allouées à la société Borealis Chimie ;
Débouter la société Beroa France de ses demandes à son encontre ;
Prononcer sa mise hors de cause ;
A titre subsidiaire,
Juger que la société Borealis Chimie ne justifie le montant de ses demandes ;
A titre très subsidiaire,
Si la société Borealis Chimie modifiait le fondement de son action en ne la fondant plus sur les articles 1792 et suivants du code civil mais sur l'ancien article 1147 du code civil (nouveau 1231-1), ou sur l'article 1792-3 du code civil ;
Juger que son action est forclose ;
En tout état de cause,
Débouter toutes parties de toutes demandes et prétentions contre la concluante ;
Ordonner la jonction de la présente instance avec l'instance qu'elle a initiée sous le numéro RG 19/21531 ;
Condamner l'appelante ou tout succombant à lui verser la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamner l'appelante ou tout succombant aux entiers dépens, tant de première instance que d'appel, dont distraction dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.
Par conclusions signifiées via le réseau privé virtuel des avocats le 30 avril 2020, la société Zurich Insurance Plc, intimée, demande à la cour, au visa des articles 1792 et suivants du code civil, des articles 1231-1 et suivants du code civil, des articles 16 et 122 du code de procédure civile, des articles L. 112-6, L. 113-1, L. 124-3, L. 113-9, L. 243-1-1, et des annexes à l'article A. 243-1 du code des assurances, de :
Confirmer le jugement du 15 octobre 2019 en ce qu'il l'a mise hors de cause, et condamner in solidum la société Beroa et la SMABTP à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens de première instance ;
Juger que les travaux réalisés par la société Beroa France constituent un ouvrage au sens de l'article 1792 du code civil et que les désordres objets des réclamations de la société Borealis Chimie présentent une nature décennale ;
A titre subsidiaire,
Juger irrecevable l'action directe exercée subsidiairement par la société Borealis Chimie à son encontre en raison de la prescription ;
Juger que la garantie souscrite par la société Beroa France auprès d'elle n'a pas vocation à couvrir la responsabilité contractuelle de son assurée ;
Partant,
Juger que les garanties qu'elle a délivrées à la société Beroa France ne trouvent pas à s'appliquer au cas d'espèce ;
En conséquence,
Débouter la société Borealis Chimie de sa demande subsidiaire dirigée à son encontre ;
Débouter la société Beroa France de son appel en garantie dirigé à son encontre ;
Débouter la compagnie SMABTP de ses demandes, fins et conclusions,
Rejeter la demande de mise hors de cause formulée par la SMABTP,
A titre subsidiaire, si par impossible la cour venait à entrer en voie de condamnation à son encontre,
Limiter le quantum des demandes au regard du caractère non contradictoire de l'établissement de l'assiette des travaux de reprise, dont les parties mises en cause n'ont pu débattre contradictoirement ;
Limiter le quantum eu égard aux limites contractuelles opposables de la police qu'elle a délivrée qui :
- Excluent la prise en charge des travaux de reprise pure de la prestation de l'assuré, objet de son marché (ici la dépose et la repose du garnissage réfractaire);
- Prévoient une franchise de 50 000 euros opposable aux tiers ;
En tout état de cause,
Condamner in solidum la société Beroa France et la SMABTP et toute partie succombant au paiement de la somme de 5 000 euros en application des dispositions de outre les entiers dépens de l'instance, lesquels pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
***
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 22 novembre 2022.
MOTIFS
Sur la demande principale fondée sur la responsabilité décennale
Exposé des moyens des parties
La société Dominion Global France (société Beroa France), poursuivant l'infirmation du jugement en ce qu'elle a été condamnée à payer à la société Borealis Chimie des dommages intérêts au titre de son préjudice matériel, soutient que les travaux qu'elle a entrepris ne sont pas constitutifs d'un ouvrage de construction, en ce qu'ils n'assurent pas le clos et le couvert ni l'étanchéité mais assurent une isolation thermique, en ce que le garnissage réfractaire n'est pas solidaire de la structure qui l'accueille, en ce que l'ampleur des travaux consiste en un remplacement à l'identique des revêtements réfractaires dans une opération de maintenance nécessaire tous les 10 ans, en ce qu'il n'y a pas d'immobilisation des briques puisqu'elles sont disposées sur l'existant et en ce que le revêtement réfractaire requiert un entretien régulier. La société Dominion Global France ajoute que l'intervention a eu lieu sur un bien d'équipement à vocation professionnelle et que les désordres sont survenus indépendamment des travaux de garnissage. Elle énonce ainsi que les fuites alléguées par la société Borealis Chimie provenaient du faisceau vaporisateur et non pas du garnissage réfractaire et qu'elles n'étaient donc pas dues à son intervention.
S'agissant de la responsabilité contractuelle soulevée à titre subsidiaire par le maître de l'ouvrage, la société Dominion Global France oppose la forclusion de l'action, au motif que ses conditions générales de vente prévoient une garantie limitée à douze mois à compter de la mise en service de l'installation, à savoir la réception sans réserve du 24 octobre 2014. Elle ajoute que le délai légal de la garantie biennale était également dépassé à la date de l'assignation.
A titre subsidiaire, elle conteste les sommes réclamées comme non justifiées et sollicite la garantie de la SMABTP et de la société Zurich Insurance Plc.
A titre reconventionnel, la société Dominion Global France réclame le paiement des trois interventions qu'elle a réalisées et qui n'ont pas été réglées, et demande à ce titre la confirmation du jugement.
La société Borealis Chimie réplique que la sa société Dominion Global France a engagé sa responsabilité, à titre principal sur le fondement de l'article 1792 du code civil, au motif que les travaux réalisés en octobre 2014 sont constitutifs d'un ouvrage au sens de ce texte, notamment en ce qu'il s'agissait de travaux de rénovation lourde d'une certaine ampleur qui impliquaient l'apport de matériaux nouveaux, l'utilisation de techniques de construction et des coûts élevés. Elle ajoute que la fonction d'étanchéité ou d'isolation des travaux ainsi que l'adhésion des travaux à l'ouvrage sont autant de critères pour caractériser l'ouvrage. Elle considère que les désordres affectant le garnissage réfractaire présentaient une gravité suffisante pour justifier la mise en oeuvre de la responsabilité décennale de la société Dominion Global France. Elle sollicite au surplus la garantie de la SMABTP, assurance de responsabilité décennale de la société Dominion Global France.
A titre subsidiaire, la société Borealis Chimie recherche la responsabilité contractuelle de la société Dominion Global France sur le fondement de l'article 1147 du code civil, au motif que les entreprises de construction sont tenues d'une obligation de résultat qui emporte présomption de responsabilité du seul fait de l'absence du résultat escompté. A défaut, la société Dominion Global France serait tenue d'une obligation de moyen mise en jeu par les fautes commises par celle-ci dans l'exécution des travaux de réfection du garnissage réfractaire. Elle sollicite alors la garantie de la compagnie Zurich, assurance de responsabilité civile de la société Dominion Global France. La société Borealis Chimie fait état d'un préjudice matériel conrrespondant aux coûts engagés pour diagnostiquer l'origine des désordres et procéder aux travaux réparatoires, ainsi que d'un préjudice immatériel consécutif à l'arrêt de production d'ammoniaque entre le 8 décembre 2014 et le 18 mars 2015.
Enfin, la société Borealis Chimie reconnaît devoir à la société Dominion Global France le paiement des trois interventions qu'elle a réalisées et qui n'ont pas été réglées.
La SMABTP, assureur en responsabilité civile décennale de la société Dominion Global France, reprend en substance les moyens développés par son assuré concernant les critères de détermination de travaux constitutifs d'un ouvrage.
La société Zurich Insurance Plc, assureur en responsabilité civile de la société Dominion Global France, soutient en revanche que les travaux réalisés en octobre 2014 sont constitutifs d'un ouvrage et reprend en substance les moyens opposés par la société Borealis Chimie.
Réponse de la cour
Sur la nature des travaux
En application de l'article 1792 du code civil, tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit envers le maître de l'ouvrage des dommages qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination.
Les travaux sur existants, intégrant les opérations de rénovation lourde ou légère, de réhabilitation, d'aménagement, de réparation ou d'entretien, peuvent être retenus. Il convient dans ce cas de rechercher si les travaux réalisés sur existants sont assimilables à des travaux de construction d'un ouvrage.
Les travaux aboutissant à l'apport d'éléments nouveaux sont soumis à la garantie de l'article 1792 du code civil.
Les travaux de réhabilitation ou de rénovation de grande ampleur sont assimilés à des travaux de construction d'un ouvrage, s'ils ont donné lieu à l'utilisation de techniques de construction.
En outre, les éléments d'équipement peuvent également être regardés comme des ouvrages en eux-mêmes relevant de la responsabilité décennale, qu'ils soient installés dans un ouvrage en construction ou dans un ouvrage existant depuis longtemps, dès lors que le dommage constaté porte atteinte à leur propre destination, sans qu'il soit besoin que celle de l'ouvrage, dans lequel ils sont insérés, soit affectés.
Les désordres affectant des éléments d'équipement, dissociables ou non, d'origine ou installés sur existant, relèvent dès lors de la responsabilité décennale lorsqu'ils rendent l'ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination.
Ne sont pas considérés comme des éléments d'équipement d'un ouvrage, au sens des articles 1792, 1792-2, 1792-3 et 1792-4, les éléments d'équipement, y compris leurs accessoires, dont la fonction exclusive est de permettre l'exercice d'une activité professionnelle dans l'ouvrage.
En l'espèce, la société Dominion Global France a procédé à la rénovation du revêtement réfractaire de plusieurs composants de l'unité de production d'ammoniaque : celui de la chaudière gaz, celui de deux fours reforming, celui de la gaine de liaison entre la chaudière gaz et la post-combustion.
Ces différents composants constituent des parties intégrantes de l'unité de production. Ils répondent tous aux critères d'immobilisation en ce qu'ils se présentent comme des ensembles importants constitués de pièces assemblées, solidaires des autres parties de l'unité de production et reposant sur des fondations, de sorte qu'ils ne peuvent être ni déplacés ni transportées.
Ces trois composants font indissociablement corps avec l'usine de Grandpuits, leur réparation ayant nécessité l'arrêt de l'unité de production d'ammoniaque.
La réfection du briquetage réfractaire de la chaudière gaz, des deux fours reforming et du conduit de liaison a consisté à déposer les anciennes briques réfractaires, à en fabriquer des nouvelles et à les poser à l'intérieur de chacun des composants de l'unité de production HN3 précités.
L'examen de l'offre commerciale de la société Dominion Global France et de sa facturation confirme qu'elle a bien eu recours à des techniques de travaux de bâtiment (notamment à de la maçonnerie) pour démolir le garnissage réfractaire existant et en construire un nouveau, utilisant notamment du 'ciment de jointement' pour monter le mur de briques réfractaires.
Les travaux de réfection entrepris par la société Dominion Global France constituaient une opération de restauration lourde, d'une ampleur technique particulière, réalisée dans un contexte de dangerosité du site de production classé 'Seveso Seuil Haut'.
Outre la circonstance selon laquelle cette opération a impliqué l'arrêt de l'unité de production HN3, un délai de dix semaines a été nécessaire pour la seule fabrication des briques réfractaires qui devaient ensuite être assemblées au moyen de travaux de maçonnerie à l'intérieur de la chaudière gaz, des deux fours reforming et du conduit de liaison, après application de plusieurs couches de mortier et de béton.
Ces travaux ont été confiés à une société spécialisée dans le domaine du garnissage réfractaire des fours et des cheminées industrielles, qui dispose d'un personnel formé aux risques chimiques.
Le fait qu'il s'agirait d'un remplacement à l'identique des briques réfractaires avec pose de ciment de jointement sur la tôle ne signifie pas qu'il n'y aurait pas d'apport de matière, contrairement à ce que soutient la société Dominion Global France, alors qu'il apparaît que les briques réfractaires ont été fabriquées au moyen d'outillages créés spécialement à cette fin, du béton, de la laine de roche, des diabolos, etc.
Eu égard à l'ampleur des travaux réalisés, ils ne sauraient être assimilables à des travaux de simple maintenance, mais doivent être qualifiés de travaux de construction, étant observé qu'ils ont donné lieu à rédaction d'un contrat spécifique, alors que l'entreprise bénéficiait déjà d'un contrat de maintenance du site, et que la société Dominion Global France reconnaît elle-même qu'il s'agit d'une démolition du garnissage réfractaire existant.
Par ailleurs, le garnissage à trois couches décrit par la société Icar est définitivement attaché à la tôle des fours et des cheminées industrielles, par une couche de mortier, des ancrages et 80 mm de béton. L'adhésion du revêtement réfractaire à la chaudière, aux fours et aux conduits contribue à l'isolation thermique de l'édifice. D'ailleurs, il apparaît que le seul moyen de désolidariser le revêtement réfractaire est de le détruire, comme l'a fait la société Dominion Global France à deux reprises, en octobre 2014 et en janvier 2015. Il s'ensuit que les travaux litigieux étaient immobilisés et, partant, qu'ils faisaient corps avec la structure de l'ouvrage puisque le revêtement réfractaire lui-même adhère à la chaudière, aux fours et aux conduits.
Si le critère du coût des travaux ne suffit pas, à lui seul, à qualifier ceux-ci d'ouvrage, il en va différemment lorsque ce coût - en l'espèce de 253 050 euros HT - correspond à l'importance de la technicité des travaux.
Au surplus, le simple fait que le revêtement réfractaire ait une fonction d'isolation thermique indispensable à la destination de l'unité de production HN3 suffit à qualifier les travaux réalisés par la société Dominion Global France d'ouvrage au sens de l'article 1792 du code civil.
Enfin, les arguments relatifs à l'usure des briques réfractaires et à la nécessité de les remplacer à une fréquence inférieure à 10 ans, constituent de simples allégations non justifiées par la société Dominion Global France, le principe d'usure prématurée n'étant pas établi.
Il résulte de l'ensemble de ces éléments et des critères retenus ci-dessus que les travaux entrepris par la société Dominion Global France constituent un ouvrage au sens de l'article 1792 susvisé, de sorte que le constructeur est responsable de plein droit pendant dix ans des désordres qui l'affectent.
Il s'ensuit que le revêtement de brique réfractaire litigieux ne saurait constituer un simple élément d'équipement relevant de l'article 1792-7 du code civil. La cour n'examinera dès lors pas le moyen opposé par la société Dominion Global France et la SMABTP tenant à la vocation exclusivement professionnelle de l'équipement.
Enfin, l'ouvrage ne relève pas non plus du génie civil, qui se caractérise par la conception et la réalisation d'ouvrages d'infrastructures incluant les bâtiments lorsque ceux-ci, par leur conception structurelle ou leur architecture, ou encore leur impact sur la collectivité, sont exceptionnels.
Aussi, convient-il de confirmer le jugement en ce que les premiers juges ont qualifié les travaux sur le revêtement de briques réfractaires d'ouvrage relevant de la garantie légale décennale.
Sur les désordres, leur qualification et leur origine
Les points chauds détectés grâce à la peinture thermosensible (température oscillant entre 300°C et 550°C) caractérisent un manque d'isolation du garnissage réfractaire.
Deux inspections effectuées par les sociétés Icar et Bilfinger ont permis de constater plusieurs fuites d'eau et de vapeur en contact direct avec le garnissage réfractaire, ainsi que l'ouverture de plusieurs joints de dilatation.
La gravité de ces désordres a entraîné la mise à l'arrêt de l'unité de production d'ammoniaque de l'usine de Grandpuits et suffit à caractériser l'impropriété à destination, dès lors que la sécurité des occupants et des avoisinants s'est vu compromise avec un risque avéré d'incendie ou d'explosion d'un site industriel classé Seveso seuil haut - risque majeur - priorité nationale.
La matérialité de ces désordres, au demeurant non contestée par les parties, est ainsi établie.
Sur la responsabilité de la société Dominion Global France
Aux termes de l'article 1792-l du code civil, est réputé constructeur de l'ouvrage tout architecte, entrepreneur, technicien ou autre personne liée au maître de l'ouvrage par un contrat de louage d'ouvrage. Sont présumés responsables tous les constructeurs concernés par les désordres revêtant un caractère décennal, sauf s'ils démontrent que les dommages proviennent d'une cause étrangère ou ne rentre pas dans leur sphère d'intervention.
Chacun des responsables d'un même dommage doit être condamné à le réparer en totalité, sans qu'il y ait lieu de tenir compte du partage des responsabilités entre les divers responsables, qui n'affecte que 1es rapports réciproques de ces derniers.
La responsabilité des intervenants liés par un contrat de louage d'ouvrage avec le maître de l'ouvrage ne peut cependant être recherchée que pour des dommages à la réalisation desquels ils ont concouru, pour des travaux qu'ils ont contribué à réaliser.
Il s'ensuit que la responsabilité des constructeurs concernés par les désordres revêtant un caractère décennal ne sera pas retenue si les dommages proviennent d'une cause étrangère ou s'ils ne rentrent pas dans leur sphère d'intervention.
En l'espèce, si la société Dominion Global France conteste le lien de causalité entre les désordres et les travaux de réfection du revêtement réfractaire qui lui avaient été confiés, en soutenant que les fuites eau/vapeur provenaient du faisceau vaporisateur et non du garnissage réfractaire, il n'en demeure pas moins que - nonobstant l'origine des fuites - les désordres ayant nécessité les travaux de reprise dont il est demandé réparation, ont été constitués par la défectuosité du revêtement, qui a permis l'échappement des vapeurs en points chauds.
La société Icar, dans un rapport d'expertise amiable, a ainsi expliqué les désordres par les malfaçons relevées dans la réalisation du briquetage réfractaire par la société Dominion Global France, qu'il s'agisse d'un trou dans la surface de la couche de béton menant au tubage, de trous derrière les briques sous chaque reprise de charges, du mauvais compactage du béton dans la zone d'un point chaud ou de l'utilisation d'un seul type de béton au lieu de deux et, d'une manière générale, du non-respect des règles de l'art dans la pose de la couche d'éthafoam de 3mm entre les briques et la couche de béton de type R134, l'absence de chicane, et la réalisation des joints de construction, ainsi que du non-respect des plans d'exécution.
Il est observé que la société Dominion Global France ne conteste pas les conclusions de la société Icar, mais conteste en revanche le lien de causalité entre les malfaçons qui lui sont reprochées et les désordres affectant l'ouvrage, prétendant que les points chauds auraient pour origine le faisceau vaporisateur et des problèmes de canalisation et de tuyaux, et non le garnissage réfractaire.
Le lien entre la réalisation des travaux par la société Dominion Global France et les désordres est donc établi.
En outre, celle-ci n'apporte aucun élément technique de nature à établir une origine liée au faisceau vaporisateur et à des problèmes de canalisation et de tuyaux, alors qu'il lui appartient de rapporter la preuve de l'existence d'une autre cause possible des désordres. Il est en tout état de cause démontré qu'aucun rapport d'expertise n'établit que des fuites indépendantes de l'intervention de la société Dominion Global France auraient constitué la cause des points chauds, ni même l'élément déclencheur de ces désordres.
Ces désordres, portant sur un ouvrage comme il a été vu, n'étaient pas apparents lors de la réception des travaux et rendent cet ouvrage impropre à sa destination.
Ils engagent donc la responsabilité décennale de la société Dominion Global France en qualité de constructeur, sans que celui-ci puisse reprocher à la société Borealis Chimie de ne pas avoir engagé son action pendant le délai de la garantie de parfait achèvement dès lors que les dispositions de l'article 1792-6 du code civil ne sont pas exclusives de celles de l'article 1792 du même code.
Le jugement sera confirmé de ce chef.
Sur la garantie des assureurs
Moyens des parties
La société Borealis Chimie sollicite la condamnation in solidum de la SMABTP, assureur de responsabilité décennale de la société Dominion Global France, aux côtés de celle-ci. Elle expose que peu importe la distinction faite par la SMABTP entre activités dites de 'bâtiment' et celles de 'génie civile' ou encore la définition des travaux de bâtiment donnée par les conditions générales du contrat PAC, définition qui ne lui est pas opposable. Elle soutient ainsi que dès lors que les travaux litigieux sont assimilables à un ouvrage au sens des articles 1792 et suivants du code civil et qu'ils ne figurent pas dans la liste des ouvrages exclus aux termes de l'article L. 243-1-1 I du code des assurances, ils sont couverts par l'assurance obligatoire. Elle conclut enfin que le motif de non-garantie tiré de l'absence de déclaration d'activité et de chantier par la société Dominion Global France est inopérant, l'absence de déclaration de chantier, dans le cadre d'une police de responsabilité décennale, ne pouvant être sanctionnée par une réduction de l'indemnité égale à 100 %, ce qui conduisait en fait à une non assurance.
La SMABTP, pour s'opposer à cette demande de garantie, soulève l'absence de déclaration de chiffre d'affaires au titre du contrat PAC, et de l'avenant génie civil devenu le contrat responsabilité décennale génie civil depuis l'exercice 2008. Elle reproche ainsi à son assurée de n'avoir déclaré aucune affaire et, par conséquent, de ne s'être acquittée d'aucune prime entre les années 2008 et 2015, au titre des contrats d'assurance PAC et génie civil. Elle soutient que, faute de déclaration du risque et de paiement des primes, sa garantie est réduite à zéro, par application de la règle de réduction proportionnelle totale sur toute indemnité qui pourrait être mise à sa charge, laquelle règle est applicable à l'assuré et aux tiers. Elle ajoute enfin que la garantie d'assurance décennale génie civil sollicitée est exclue du champ de l'obligation légale d'assurance visé par l'article L. 243-1-1 du code des assurances.
La société Zurich Insurance Plc, poursuivant de ce chef la confirmation du jugement, sollicite sa mise hors de cause, au motif que les travaux réalisés par la société Dominion Global France constituent un ouvrage et que les désordres présentent une nature décennale, alors que son assuré a souscrit auprès d'elle une assurance de responsabilité civile et non une assurance de responsabilité décennale. Subsidiairement, elle oppose la prescription des demandes formées à son encontre et très subsidiairement une réduction des quanta réclamés.
La société Dominion Global France ne se prononce pas sur ces moyens, se bornant à solliciter la garantie des assureurs SAMBTP et Zurich Insurance Plc, selon le régime de responsabilité retenu.
Réponse de la cour
Par application de l'article L. 241-1 du code des assurances aux termes duquel 'toute personne physique ou morale dont la responsabilité décennale peut être engagée sur le fondement de la présomption établie par les articles 1792 et suivants du code civil, doit être couverte par une assurance.
En outre, l'article L. 113-9 du code des assurances dispose que l'omission ou la déclaration inexacte de la part d'un assuré n'entraîne pas la nullité de l'assurance, mais donne droit à l'assureur, si elle est constatée après un sinistre, de réduire l'indemnité en proportion des cotisations payées par rapport aux cotisations qui auraient été dues si les risques avaient été complètement et exactement déclarés.
Lorsque l'irrégularité a été constatée après le sinistre, l'assureur ne peut qu'appliquer la règle proportionnelle de prime prévue par le troisième alinéa de l'article L. 113-9.
Dès lors que l'assureur prend l'initiative de réduire le montant de l'indemnité, il lui appartient de prouver que la prime a été réduite en proportion du taux des primes payées par rapport au taux des primes qui auraient été dues si le risque avait été correctement déclaré.
Si l'assuré ne conteste pas ce montant, le juge ne pourra remettre en cause ce calcul et ne peut procéder à une réduction forfaitaire en se référant au calcul fait par l'assureur. Si l'assuré conteste la réduction opérée par l'assureur, il appartient au juge de déterminer le montant de la prime et donc de fixer souverainement la réduction devant être apportée à l'indemnité. Le juge ne peut refuser de procéder à une telle détermination au motif que l'assureur n'a pas fourni les éléments de calcul de la prime dès lors que le principe de l'application de la règle proportionnelle est acquis. Il appartient alors au juge d'évaluer équitablement la majoration de la prime. En revanche, ils ne sauraient déterminer forfaitairement la réduction de l'indemnité.
En tout état de cause, la réduction de l'indemnité d'assurance n'est subordonnée qu'à la seule condition d'une aggravation du risque par rapport aux déclarations de l'assuré, cette aggravation justifiant, quel que soit le caractère de l'assurance et les tarifs des primes, une majoration de la prime normale prévue par la police, majoration qu'il appartient au juge du fond d'évaluer le cas échéant.
Au surplus, l'omission d'une déclaration ou la déclaration inexacte de la part de l'assuré ne peut conduire qu'à l'application d'une réduction proportionnelle de l'indemnité d'assurance et non à l'absence de garantie.
Enfin, il est de principe que la réduction proportionnelle est opposable à tous les bénéficiaires du contrat d'assurance et en particulier au tiers victimes, y compris dans le cadre des garanties légales prévues aux articles 1792 et suivants du code civil.
En l'espèce, aux termes du chapitre II article 1.1 des conditions générales de la police assurance construction, dite PAC, la SMABTP garantit, de manière obligatoire, 'le paiement des travaux de réparation de la construction à la réalisation de laquelle la sociétaire a participé lorsque sa responsabilité est engagée sur le fondement de la présomption établie par l'article 1792 du code civil [...]'.
Par ailleurs, il résulte de l'article 12-112 de la police d'assurance construction 'Modalités de calcul de la cotisation' que celle-ci est calculée en appliquant les taux du contrat au chiffre d'affaires et travaux sous-traités du dernier exercice connu pour les échéances ultérieures.
S'agissant de l'assurance génie civil invoquée par la SMABTP qui a pour objet de garantir les conséquences de la responsabilité à l'occasion de travaux portant sur des opérations de construction d'ouvrages de génie civil non soumis à l'obligation de responsabilité civile décennale, cette police n'est pas applicable dès lors que, comme il a été vu supra, les travaux réalisés par la société Dominion Global France sur l'unité de production d'ammoniaque de Grandpuits constituent des travaux de construction, et non de génie civil, qui relèvent de la police d'assurance construction et non de l'avenant génie civil.
Ces travaux, qui ne sont pas expressément exclus par l'article L. 243-1-1 du code des assurances du champ d'application de l'assurance obligatoire, relèvent donc de l'obligation d'assurance prévue à l'article l'article L. 241-1 du code des assurances précité, c'est-à -dire de la police d'assurance construction.
Il est observé que la SMABTP ne produit pas la déclaration d'activité et/ou de chiffre d'affaires de la société Dominion Global France pour l'exercice 2014, année au cours de laquelle les travaux litigieux ont été réalisés, et soutient, sans être contredite, que son assuré ne lui a déclaré aucun chiffre d'affaires pour cette année, alors que les déclarations d'activité des années antérieures à 2014 sont communiquées.
Le coefficient de réduction de l'indemnité appliqué par la SMABTP doit être obtenu par le rapport entre le taux de prime qui aurait été dû si toute l'activité avait été déclarée et le taux de prime effectivement appliqué par l'assureur en l'absence de déclaration. Ainsi, en sollicitant la réduction à néant du montant de l'indemnité, la SMABTP doit prouver que la prime a été réduite en proportion du taux des primes payées par rapport au taux des primes qui auraient été dues si l'assuré avait déclaré son chiffre d'affaires.
Il lui incombe dès lors de démontrer que l'imputation qu'elle opère - en l'occurrence 100% de l'indemnité - est justifiée et ce en fonction des taux de primes qui doivent être soumis aux débats.
Ici, la SMABTP n'apporte aucun élément justificatif de nature à établir que non seulement le risque a été aggravé par rapport aux déclarations de l'assuré mais aussi que la prime a été réduite en proportion du taux de la prime payée par rapport au taux de la prime qui aurait été due si le risque avait été correctement déclaré, de sorte que le principe même d'une majoration de prime par l'effet d'une absence de déclaration de chiffre d'affaires n'est pas démontré.
En revanche, il est bien constant que la SMABTP a délivré une attestation du 5 février 2018 à la société Dominion Global France aux termes de laquelle l'assureur certifie que son assuré s'est acquitté de sa cotisation pour l'exercice 2014.
Enfin et en tout état de cause, la cour relève que la SMABTP sollicite en réalité non pas une réduction proportionnelle de l'indemnité d'assurance, mais une absence d'assurance, ce qui n'est pas conforme aux dispositions d'ordre public de l'article L. 113-9 du code des assurances.
Il y a par conséquent lieu de confirmer le jugement en ce que la SMABTP a été condamnée à garantir son assurée pour les dommages causés à l'usine de Grandpuits et en ce que la société Zurich Insurance Plc a été corrélativement mise hors de cause, la garantie de cette dernière n'étant pas mobilisable.
Sur la réparation des préjudices
Aux termes de l'article 1149 du code civil, applicable avant l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 10 février 2016 précitée, les dommages et intérêts alloués à une victime doivent réparer le préjudice subi, sans qu'il en résulte pour elle ni perte, ni profit, de sorte qu'elle soit replacée dans la situation où elle se trouvait en l'absence de réalisation du fait dommageable.
Il s'en déduit que l'indemnisation doit être cantonnée aux seules prestations nécessaires pour parvenir à la réparation de l'entier préjudice, laquelle n'est assurée que par les frais de remise en état de la chose ayant subi le dommage ou par le paiement d'une somme correspondant à sa valeur de remplacement.
Au surplus, la vétusté ne doit pas donner lieu à l'application d'un coefficient réducteur sur l'indemnité allouée, ce qui aurait pour effet de ne pas replacer la victime dans la situation exacte qui aurait été la sienne sans la survenance de l'événement dommageable, ou qui la contraindrait à supporter injustement une dépense supplémentaire rendue nécessaire par la faute d'un tiers.
En l'espèce et au titre de la remise en état du garnissage réfractaire, la société Borealis Chimie réclame une somme de 925 994,32 euros, constituée des frais de diagnostics de la recherche des désordres et de la remise en état du revêtement réfractaire.
La société Dominion Global France conteste le montant qui lui est réclamé, en soutenant ne pas avoir à prendre en charge les dépenses effectuées par la société Borealis Chimie pour réparer le garnissage réfractaire de l'unité NH3, au motif, d'une part que celui-ci avait besoin d'être remplacé et, d'autre part, que la société Borealis Chimie a retiré le chantier à la société Dominion Global France, au profit de la société Gouda Vuurvast.
En application du principe de réparation intégrale précité, aucun coefficient de vétusté ne peut être retenu dans la fixation de l'indemnité due à un maître d'ouvrage pour les désordres subis.
En outre, la réparation du revêtement réfractaire - dont la société Dominion Global France prétend qu'elle était due à l'usure de celui-ci relevée lors de l'inspection des circuits - a fait l'objet d'une facturation d'un montant de 253 050 euros HT.
Enfin, la société Dominion Global France ne démontre pas que les réparations effectuées par la société Gouda Vuurvast comportent des prestations supplémentaires par rapport à la stricte reprise des travaux de réfection du garnissage, cette société ayant réalisé les travaux préconisés par la société Icar dans le cadre de son expertise amiable.
Il résulte des articles L. 113-1, L. 113-5 et L. 124-3 du code des assurances que l'assureur doit, sauf limitation prévue au contrat, répondre envers le tiers lésé des conséquences de la responsabilité mise à la charge de l'assuré auquel ce tiers est substitué. Ainsi, lorsque la responsabilité de l'assuré a été jugée entière, l'assureur doit, en l'absence de limitation conventionnelle, le couvrir intégralement, sans préjudice de son recours contre les coauteurs du dommage.
Par conséquent, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné in solidum la société Dominion Global France et la SMABTP à réparer le préjudice matériel subi par la société Borealis Chimie à concurrence de la somme réclamée de 925 994,32 euros, outre les intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 16 septembre 2016, cette date n'étant pas contestée par les parties en cause d'appel.
Sur la demande reconventionnelle de la société Dominion Global France
La société Dominion Global France reproche à la société Borealis Chimie, d'une part de ne pas l'avoir mandatée pour exécuter les travaux de reprise de l'unité de production et d'autre part de ne pas avoir réglé trois interventions, pour un montant total de 111 379 euros HT, soit 133 654,80 euros TTC.
En ce qui concerne les travaux de reprise après sinistre, le maître de l'ouvrage a le libre choix de l'entreprise qu'il mandate pour ce faire. En revanche, concernant les factures émises par la société Dominion Global France et demeurées impayées, elles correspondent à des travaux dont il n'est pas contesté qu'ils ont été réalisés.
Ce chef de condamnation n'est d'ailleurs pas contesté en cause d'appel, de sorte que le jugement sera confirmé sur ce point.
Le principe de la compensation des sommes dues n'étant pas non plus contesté devant la cour, le jugement sera confirmé en ce qu'il a, compte tenu de la nature des sommes dues, ordonné la compensation de celles-ci, laissant ainsi subsister un solde débiteur de 792 339,52 euros TTC.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Le sens du présent arrêt conduit à confirmer le jugement sur l'application qui y a été équitablement faite des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens.
Il y a par ailleurs lieu de condamner in solidum la société Dominion Global France et la SMABTP aux dépens d'appel qui seront distraits dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile, ainsi qu'à payer à la société Borealis Chimie la somme de 5 000 euros supplémentaire au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Enfin, les autres demandes formées sur le fondement de l'article 700 précité seront rejetées.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement en ses dispositions frappées d'appel ;
Y ajoutant :
Condamne in solidum la société Dominion Global France, ayant pour dénomination commerciale Beroa France, et la SMABTP aux dépens d'appel qui seront recouvrés dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile ;
Condamne in solidum la société Dominion Global France, ayant pour dénomination commerciale Beroa France, et la SMABTP à payer à la société Borealis Chimie la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Rejette les autres demandes formées sur le fondement de l'article 700 précité.
La greffière, La présidente,