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04/04/2023 | FRANCE | N°20/17487

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 13, 04 avril 2023, 20/17487


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 13



ARRET DU 04 AVRIL 2023



(n° , 5 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/17487 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCXZJ



Décision déférée à la Cour : Jugement du 23 Novembre 2020 - Tribunal d'Instance de Paris





APPELANT :



Monsieur [F] [L]

[Adresse 1]

[Localité 6]

Représenté par Me TimothÃ

©e OTTOZ, avocat au barreau de PARIS





INTIMEE :



L'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représentée par Me Alexandre DE JORNA, avocat au barreau de PARIS, toque : ...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 13

ARRET DU 04 AVRIL 2023

(n° , 5 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/17487 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCXZJ

Décision déférée à la Cour : Jugement du 23 Novembre 2020 - Tribunal d'Instance de Paris

APPELANT :

Monsieur [F] [L]

[Adresse 1]

[Localité 6]

Représenté par Me Timothée OTTOZ, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE :

L'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représentée par Me Alexandre DE JORNA, avocat au barreau de PARIS, toque : C0744

AUTRE PARTIE :

LE PROCUREUR GENERAL PRES LA COUR D'APPEL DE PARIS

[Adresse 2]

[Localité 4]

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 31 janvier 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre

Mme Marie-Françoise d'ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre,

Mme Estelle MOREAU, Conseillère

Greffier, lors des débats : Victoria RENARD

MINISTERE PUBLIC : à qui l'affaire a été communiquée le 11 février 2021, ayant fait connaître son avis le 22 décembre 2022.

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 04 avril 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Mme Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre et par Mme Florence GREGORI, Greffière, présente lors de la mise à disposition

***

Le 6 avril 2016, M. [F] [L] a été licencié pour faute grave.

Le 5 juillet 2017, il a saisi le conseil de prud'hommes de Paris de plusieurs demandes à l'encontre de son employeur.

Le 13 septembre 2017, le conseil de prud'hommes a renvoyé son affaire devant le bureau de jugement.

Le 13 février 2018, le bureau de jugement s'est déclaré en partage des voix et a prononcé le renvoi de l'affaire à l'audience de départage du 6 février 2020.

Le 23 janvier 2020, M. [L] a fait assigner l'agent judiciaire de l'Etat devant le tribunal d'instance de Paris afin d'obtenir la condamnation de l'Etat sur le fondement de l'article L.141-1 du code de l'organisation judiciaire.

Par jugement rendu le 23 novembre 2020, le tribunal judiciaire de Paris a débouté M. [L] de ses demandes et l'a condamné aux dépens.

Par déclaration du 2 décembre 2020, M. [L] a interjeté appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées le 17 février 2021, M. [L] demande à la cour de :

- le recevoir en son appel et le dire bien fondé,

y faisant droit,

- réformer le jugement du 23 novembre 2020,

en conséquence,

- condamner l'agent judiciaire de l'Etat à lui verser la somme de 8 500 euros à titre de dommages et intérêts, en indemnisation de son préjudice moral causé par une durée anormalement longue de la procédure prud'homale l'opposant à la société La Bohème du Tertre,

- condamner l'agent judiciaire de l'Etat à lui payer la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de maître Timothée Ottoz pour les dépens qu'il a lui-même avancés.

Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées le 16 avril 2021, l'agent judiciaire de l'Etat demande à la cour de :

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions,

- débouter M. [L] de l'ensemble de ses demandes,

- condamner M. [L] au paiement d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

à titre subsidiaire :

- rapporter les prétentions de M. [L] concernant son préjudice à de plus justes proportions, la responsabilité de l'Etat n'étant pas susceptible d'être engagée au-delà d'un délai de 16 mois,

- rapporter à de plus justes proportions les demandes indemnitaires de M. [L],

- statuer ce que de droit sur les dépens.

Selon avis notifié le 22 décembre 2022, le ministère public demande à la cour de confirmer le jugement.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 10 janvier 2023.

SUR CE

Sur la responsabilité de l'Etat pour fonctionnement défectueux du service public de la justice

Le tribunal judiciaire a retenu :

- qu'il ne lui était pas possible, faute pour M. [L] de produire des pièces justificatives et de donner des informations sur le déroulement de la procédure entre le 13 février 2018 et le 6 février 2020, de déterminer si le délai de six mois de référence avait été dépassé en raison notamment de l'existence d'éventuels renvois à la demande des parties,

- que la preuve de l'existence d'un déni de justice n'est pas rapportée.

Invoquant les articles 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et L.141-1 du code de l'organisation judiciaire, M. [L] soutient que :

- entre le 5 juillet 2017, date à laquelle il a porté son affaire devant le conseil de prud'hommes de Paris, et le 28 janvier 2021, date à laquelle un jugement a été rendu, il s'est écoulé un délai de plus de trois ans et six mois, dont près de deux ans entre le prononcé du partage de voix et la première audience de départage,

- aucun document ne lui a été remis entre le prononcé du partage de voix et la première audience de départage à l'exception d'une convocation à la première audience de départage,

- le jugement rendu le 28 janvier 2021, qui reprend le déroulé de la procédure et l'intégralité des audiences auxquelles les parties ont été convoquées, montre qu'il n'a été convoqué à aucune audience entre le 10 avril 2018 et le 6 février 2020.

L'agent judiciaire répond que :

- l'appréciation de la durée d'une procédure ne peut se faire qu'in concreto en analysant le déroulement de chaque étape, à l'exclusion de toute analyse globale,

- en matière prud'homale, au regard de la particularité du contentieux, la jurisprudence retient qu'un délai est déraisonnable au-delà de six mois,

- plus de vingt-deux mois s'étant écoulés entre le procès-verbal de partage des voix et l'audience de départage, la responsabilité de l'Etat est susceptible d'être engagée à hauteur de seize mois sur cette période,

- elle ne peut pas l'être sur les autres étapes de la procédure.

Le ministère public estime que si le jugement du conseil de prud'hommes du 28 janvier 2021 rendu dans le cadre de la procédure au fond fait ressortir que M. [L] n'a été convoqué à aucune audience entre le 10 avril 2018 et le 6 février 2020, il ne suffit pas à établir que l'appelant n'a pas lui-même été à l'origine d'une demande de renvoi durant cette période ayant pu impacter un allongement de la durée de la procédure. Il en déduit qu'en l'absence d'éléments probants justifiant du déroulé détaillé de la procédure, il n'est pas possible de constater un éventuel fonctionnement défectueux du service public de la justice.

Selon l'article L.141-1 du code de l'organisation judiciaire, l'Etat est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice. Cette responsabilité n'est engagée que par une faute lourde ou par un déni de justice.

Aux termes de l'article L.141-3, alinéa 4, du même code, 'il y a déni de justice lorsque les juges refusent de répondre aux requêtes ou négligent de juger les affaires en état et en tour d'être jugées'.

Le déni de justice s'entend non seulement comme le refus de répondre aux requêtes ou le fait de négliger les affaires en l'état d'être jugées mais aussi plus largement, comme tout manquement de l'Etat à son devoir de protection juridictionnelle de l'individu qui comprend le droit pour le justiciable de voir statuer sur ses prétentions dans un délai raisonnable.

Le déni de justice est caractérisé par tout manquement de l'Etat à son devoir de permettre à toute personne d'accéder à une juridiction pour faire valoir ses droits dans un délai raisonnable et s'apprécie in concreto, à la lumière des circonstances propres à chaque espèce en prenant en considération la nature de l'affaire, son degré de complexité, le comportement de la partie qui se plaint de la durée de la procédure et les mesures prises par les autorités compétentes.

Le délai de la procédure prud'homale doit être apprécié selon les étapes de celle-ci.

Entre la saisine du conseil de prud'hommes, le 5 juillet 2017, et l'audience devant le bureau de conciliation du 13 septembre 2017, s'est déroulé un délai de deux mois parfaitement raisonnable.

Entre cette audience et celle devant le bureau de jugement le 13 février 2018, s'est écoulé un délai de cinq mois également raisonnable.

C'est aussi le cas du délai de deux mois passé entre cette audience et le procès-verbal de partage des voix du 10 avril 2018.

En revanche, il s'est écoulé un délai de vingt-deux mois entre ce procès-verbal et l'audience de départage à laquelle l'affaire a été renvoyée, le 6 février 2020. Il ne résulte pas des mentions du jugement au fond rendu le 28 janvier 2021, qui rappelle le déroulé de la procédure, que M. [L], destinataire d'une convocation datée du 28 octobre 2019, aurait été l'auteur d'une demande de renvoi. Ce délai est excessif de seize mois, comme dépassant une durée normale de six mois.

Le dossier a ensuite été renvoyé au 16 juin 2020 en raison de la grève des avocats. Outre que le délai de quatre mois entre les deux dates n'est pas excessif, ce renvoi ordonné pour des raisons indépendantes du service de la justice ne saurait engager la responsabilité de l'Etat.

Il l'a de nouveau été au 17 décembre 2020 en raison de l'état d'urgence sanitaire, délai de six mois qui n'est pas déraisonnable au regard des plans de continuation d'activité déployés dans les juridictions durant cette période, laquelle comprenait en outre un temps de vacations judiciaires.

Enfin, le délai de moins de deux mois entre l'audience de jugement et le délibéré du 28 janvier 2021 est parfaitement raisonnable.

Il s'en déduit que la responsabilité de l'Etat est engagée pour un délai excessif de seize mois.

Il y a lieu, par conséquent, d'infirmer le jugement.

Sur l'indemnisation du préjudice

M. [L] explique que la longueur excessive de la procédure lui a indéniablement causé un préjudice moral du fait de la tension psychologique induite par la durée anormale de la procédure caractérisant en soi l'existence d'un préjudice moral.

L'agent judiciaire répond que :

- s'il est constant qu'une durée excessive de procédure est de nature à causer un préjudice moral au justiciable, il appartient néanmoins à celui-ci de produire des pièces qui étayent sa demande indemnitaire, notamment des éléments médicaux permettant de caractériser l'existence d'un état psychologique de stress et d'incertitude, ainsi que des précisions sur sa situation professionnelle actuelle,

- M. [L] n'apporte aucun élément permettant de caractériser l'existence et le montant du préjudice qu'il évoque et encore moins un lien de causalité quelconque avec les faits allégués.

Le ministère public observe que le requérant ne produit aucune pièce propre à établir un état de tension psychologique en lien avec la durée de la procédure en sorte que sa demande doit être rejetée.

Le préjudice moral réparable, lié au stress et aux tracas de la procédure, est caractérisé par la durée excessive de procédure qui a conduit M. [L] à attendre le dénouement du procès durant un délai anormalement long de seize mois et l'a ainsi inutilement exposé à une inquiétude accrue. Cependant, M. [L] ne produit aucune pièce justifiant de l'ampleur du préjudice allégué.

Dans ces circonstances et au vu du délai excessif de procédure caractérisé à raison de seize mois, le préjudice subi par M. [L] doit être indemnisé par l'octroi de la somme de 3 000 euros en infirmation du jugement.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme le jugement en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

Condamne l'agent judiciaire de l'Etat à payer à M. [F] [L] la somme de 3 000 euros de dommages intérêts au titre du délai déraisonnable de procédure,

Condamne l'agent judiciaire de l'Etat à payer à M. [F] [L] la somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne l'agent judiciaire de l'Etat aux dépens de première instance et d'appel avec droit de recouvrement au profit de maître Timothée Ottoz, avocat, pour les frais dont il aurait fait l'avance, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 4 - chambre 13
Numéro d'arrêt : 20/17487
Date de la décision : 04/04/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-04-04;20.17487 ?
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