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30/03/2023 | FRANCE | N°21/00286

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 5, 30 mars 2023, 21/00286


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 6 - Chambre 5



ARRET DU 30 MARS 2023



(n° 2023/ , 8 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/00286 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CC5S6



Décision déférée à la Cour : Jugement du 30 Novembre 2020 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F19/10803





APPELANTE



Madame [U] [R]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

née le 04 Janvier

1968 à Roumanie



Assistée de Me Nicolas UZAN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0153



INTIMEE



S.A.S. BOCAGE

[Adresse 7]

[Adresse 7]



Représentée par Me Pierre-alexis DUMONT, avoca...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5

ARRET DU 30 MARS 2023

(n° 2023/ , 8 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/00286 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CC5S6

Décision déférée à la Cour : Jugement du 30 Novembre 2020 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F19/10803

APPELANTE

Madame [U] [R]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

née le 04 Janvier 1968 à Roumanie

Assistée de Me Nicolas UZAN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0153

INTIMEE

S.A.S. BOCAGE

[Adresse 7]

[Adresse 7]

Représentée par Me Pierre-alexis DUMONT, avocat au barreau de PARIS, toque : K0168

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 13 janvier 2023, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Marie-José BOU, présidente de chambre chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Marie-José BOU, Présidente de chambre, Présidente de formation,

Madame Marie-Christine HERVIER, Présidente de chambre,

Madame Séverine MOUSSY, Conseillère

Greffier : Madame Cécile IMBAR, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, initialement prévue le 16 mars 2023 et prorogée au 30 mars 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Madame Marie-José BOU, Présidente et par Madame Philippine QUIL, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Mme [U] [R] a été engagée par la société France Arno par contrat de travail à durée déterminée du 11 octobre 2012, en qualité de vendeuse. Ce contrat a été renouvelé à plusieurs reprises jusqu'au 31 octobre 2013.

Le 1er novembre 2013, Mme [R] a conclu un contrat de travail à durée indéterminée avec la société Bocage, appartenant au même groupe, en qualité de vendeuse à compter du 1er novembre 2013.

Le 18 juillet 2014, elle a conclu avec la société France Arno un nouveau contrat de travail à durée indéterminée prévoyant sa nomination à compter du 30 juillet suivant en tant que vendeuse au sein de la boutique Bocage se trouvant dans [3], [Adresse 6] à [Localité 5]. Ses salaires étaient versés par la société Bocage.

En dernier lieu, la salariée occupait les fonctions de conseillère de vente, statut employé, moyennant une rémunération mensuelle brute de 2 246,25 euros.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale du commerce succursaliste de la chaussure du 2 juillet 1968.

La société occupait à titre habituel au moins onze salariés lors de la rupture des relations contractuelles.

Le 8 février 2019, M. [P], directeur du magasin, a prévenu le directeur des ventes de la société Bocage d'une altercation au sein de la boutique mettant en cause Mme [R].

La société Bocage a, par lettre du 11 février 2019, convoqué Mme [R] à un entretien préalable à sanction, fixé au 21 février suivant, puis, par courrier du 6 mars 2019, lui a notifié sa mutation disciplinaire dans un point de vente situé à [Localité 4] en raison de son comportement le 8 février et du fait qu'elle avait pris plusieurs produits sans les régler fin janvier, précisant que Mme [R] devait indiquer avant le 20 mars 2019 si elle acceptait ou non cette modification du contrat de travail. Elle n'a pas répondu.

Par lettre du 25 mars 2019, Mme [R] a été convoquée à un entretien préalable fixé au 4 avril suivant, reporté au 17 avril 2019 à sa demande. Par courriel du 15 avril 2019, Mme [R] a indiqué ne pas pouvoir se rendre à l'entretien du fait de son état de santé. La société Bocage lui a répondu par lettre du 18 avril 2019 qu'elle envisageait de la licencier à la suite de son refus de la modification du contrat de travail notifiée à titre de sanction.

Par lettre du 9 mai 2019, Mme [R] a été licenciée 'pour cause réelle et sérieuse'.

Contestant son licenciement, Mme [R] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris qui, par jugement du 30 novembre 2020 auquel la cour renvoie pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, a débouté Mme [R] de ses demandes, débouté la société Bocage de sa demande reconventionnelle et condamné Mme [R] aux dépens.

Par déclaration du 16 décembre 2020. Mme [R] a relevé appel de ce jugement

Par conclusions transmises le 6 octobre 2022 auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des moyens et prétentions en application de l'article 455 du code de procédure civile, Mme [R] demande à la cour de :

- infirmer le jugement en ce qu'il a jugé que son licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse, l'a déboutée de ses demandes et condamnée aux dépens ;

statuant à nouveau,

- juger le licenciement de Mme [R] sans cause réelle et sérieuse ;

- condamner la société Bocage au paiement de la somme de 15 723,75 euros à Mme [R] à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- condamner la société Bocage, en réparation du préjudice subi par Mme [R], distinct de celui résultant de la perte de son emploi, à lui verser la somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts ;

- ordonner le remboursement par la société Bocage à Pôle Emploi des indemnités chômage versées à Mme [R], entre la date du licenciement et la date du présent arrêt, dans la limite de six mois d'indemnité chômage ;

- condamner la société Bocage à verser à Mme [R] la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- ordonner le paiement des intérêts de droit à compter de la décision à intervenir et leur capitalisation conformément à l'article 1342-2 du code civil ;

- condamner la société Bocage aux entiers dépens.

Par conclusions transmises le 14 juin 2021 auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des moyens et prétentions en application de l'article 455 du code de procédure civile, la société Bocage demande à la cour de :

à titre principal,

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions ;

en conséquence,

- débouter Mme [R] de l'ensemble de ses demandes ;

- condamner Mme [R] au paiement de la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens ;

à titre subsidiaire,

- réduire le montant de l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse à de plus justes proportions ;

- débouter Mme [R] de sa demande de dommages et intérêts au titre du prétendu préjudice distinct.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 11 janvier 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le licenciement

La lettre de licenciement qui fixe les limites du litige est ainsi rédigée :

'Nous faisons suite à l'entretien préalable que vous avez eu avec Monsieur [B], directeur des ventes, et Madame [M], responsable ressources humaines, le 21 février dernier, et nous vous notifions par la présente votre licenciement.

Cette décision est motivée par les faits suivants :

Vous exercez les fonctions de conseillère des ventes au sein du magasin numéro n° 1137 situé [Adresse 6].

Au cours du mois de février 2019, Monsieur [D] [B], Directeur des Ventes, eu le regret d'apprendre que vous aviez eu un comportement excessif et inadapté au sein du magasin, avec votre collègue de travail.

En effet, le 7 février 2019 lors d'un contrôle du réfrigérateur situé en salle de pause, pour des raisons d'hygiène, des produits périmés dégageant des mauvaises odeurs ont été jetés à la poubelle.

Le 8 février 2019, votre directeur de magasin, Monsieur [L] [P], est alerté par des cris et des violences verbales de votre part. Deux de vos collègues expliquent une altercation entre vous-même et un autre salarié, et qu'elles ont dû intervenir pour vous séparer.

Cette situation est pour le moins inappropriée sur un point de vente, et vous pouvez comprendre l'interpellation que la scène a pu avoir sur les clients.

Nous vous rappelons l'article I-3 du règlement intérieur précisant :

'Il est formellement interdit de prendre ses repas ou d'introduire une quelconque nourriture (biscuits, boissons...) au sein de la surface de vente ou dans la réserve du magasin.

Une salle de restauration est prévue à cet effet et chacun doit contribuer à la propreté de l'espace réservé. Pour des raisons d'hygiène, le réfrigérateur doit être nettoyé au moins une fois par mois et les poubelles vidées tous les jours.'

Devant l'ampleur rocambolesque que prend cette situation, nous sommes dans l'obligation d'intervenir.

Ce comportement est inacceptable, quand bien même vous auriez été poussée à sortir de vos gonds, nous ne pouvons tolérer une telle attitude et une telle communication envers vos collègues de travail. Nous vous vous rappelons qu'en qualité de Conseillère de Vente, vous êtes le reflet de l'image de la Société.

Dès lors, il convient d'user d'une communication professionnelle et posture adaptée en toutes circonstances afin de favoriser une bonne ambiance de travail et de véhiculer une image positive de la marque.

En effet, ce type de comportement est de nature à dégrader les relations de travail et notre image de marque.

Votre comportement s'inscrit en totale contradiction avec les valeurs de l'entreprise, dont les bases se trouvent dans la notion de respect, et ceux à tous les niveaux et à l'égard de tous.

De plus, pendant l'absence de votre directeur de magasin, fin janvier 2019, vous avez pris et emporté les produits suivants, sans les régler :

- chaussures Gaby en taille 37 (95 €)

- chaussures Mélisse en taille 36 (150 €)

- chaussures Rigobert en taille 40 (180 €)

- chaussures Lole en taille 44 (180 €)

- ceinture (45 €).

Vous expliquez alors à la responsable en remplacement que vous ne pouviez pas régler les produits et que par conséquent vous verriez au retour de votre directeur.

De ce fait, vous ne respectez pas l'article II du règlement intérieur :

' (...) tout acte de nature à troubler le bon ordre de la discipline est prohibé. Sont notamment considérés comme tels : (...) le fait d'emporter sans autorisation écrite des objets quelconques appartenant à l'entreprise'.

Afin d'éviter une mesure de licenciement nous vous avons adressé par courrier recommandé avec accusé de réception du 6 mars 2019, une sanction de mutation géographique sur le magasin situé centre commercial [2] à [Localité 4].

Sans réponse de votre part valant refus par courrier recommandé avec accusé de réception du 25 mars 2019, nous vous avons convoquée un entretien prévu le 4 avril 2019.

Vous nous avez adressé un courrier daté du 30 mars 2019 (...).

Pour remédier à cette absence, nous vous alors fait parvenir, en date du 18 avril 2019, le motif engagé à votre encontre, et nous vous invitions à nous faire part de vos observations avant le 27 avril dernier.

Vous n'avez pas fait part d'observations à notre courrier du 18 avril 2019 et par conséquent nous vous notifions par la présente votre licenciement pour cause réelle et sérieuse.

En effet votre refus de mobilité géographique relative à votre sanction disciplinaire ne permet plus la poursuite des relations contractuelles. (...)'.

Mme [R] prétend que le motif invoqué dans la lettre de licenciement ne peut justifier la rupture de son contrat. Elle avance que si cette lettre rappelle les griefs à l'origine de la mutation géographique, elle n'indique pas que le licenciement est prononcé en raison de ceux-ci mais du fait de son refus d'accepter la modification de son contrat de travail résultant de cette mutation disciplinaire alors qu'un tel refus n'est pas fautif. Elle critique le jugement en ce qu'il a dénaturé le motif du licenciement, retenant des éléments non invoqués dans la lettre de licenciement. Elle fait valoir que la société Bocage ne peut se fonder sur la clause de mobilité pour lui reprocher son refus d'accepter la modification de son contrat de travail que constituait la sanction initiale, l'appelante observant que l'employeur se contredit en se prévalant aujourd'hui du fait que cette sanction ne serait qu'un simple changement de ses conditions de travail. Elle ajoute que le salarié a le droit de refuser la mutation quand l'employeur met en oeuvre la clause à des fins disciplinaires, étrangères à l'intérêt de l'entreprise. Elle invoque en tout état de cause que la boutique de [Localité 4] et celle de [Adresse 6] ne se situent pas dans le même secteur géographique. Elle allègue encore que la société Bocage ne pouvait lui imposer une mutation géographique portant atteinte à sa santé, l'appelante disant être atteinte d'une lombo-sciatique invalidante.

Mme [R] soutient par ailleurs que les fautes à l'origine de la sanction initiale ne sont pas avérées. Elle souligne l'absence de témoins directs de l'altercation et d'enquête objective menée par l'employeur. Elle affirme qu'elle a été agressée par son collègue et nie avoir continué à crier après avoir quitté la réserve. Elle prétend qu'il ne peut lui être fait grief d'avoir introduit de la nourriture sur la surface de vente, tous les employés passant régulièrement par celle-ci avec des aliments pour rejoindre la cuisine. Elle se prévaut aussi de son ancienneté et de l'absence de tout reproche antérieur. Elle conteste le second grief, observant avoir payé les produits en cause dès le 22 février 2019, avant la notification de la sanction initiale, et arguant d'un usage non dénoncé avant son départ consistant à procéder par paiement différé. Elle soutient avoir respecté cette procédure en informant la remplaçante du directeur qui lui a donné son accord. Elle invoque sa bonne foi et l'absence de toute plainte déposée contre elle.

La société conteste que le licenciement ne serait fondé que sur le refus de la salariée alors que, selon elle, tous les griefs ont été énoncés dans la lettre de licenciement, lesquels sont les mêmes que ceux ayant motivé la notification de la première sanction, et en précisant qu'ils motivaient la rupture du contrat de travail. En tout état de cause, elle fait valoir que le refus d'accepter une mutation géographique est fautif en présence d'une clause de mobilité. Elle prétend que les difficultés de santé sont invoquées pour la première fois et ne sauraient justifier le refus de la salariée. Elle ajoute que le poste proposé se trouvait en région parisienne, soit dans le même secteur géographique.

Elle affirme que s'agissant de l'altercation en plein magasin, les faits sont caractérisés par les attestations concordantes des salariés et que Mme [R] n'apporte aucun élément au soutien de ses allégations. Elle relève que cette dernière ne conteste pas avoir pris des articles pour un montant total de 650 euros sans les régler. Elle prétend que la pratique invoquée par Mme [R] est contraire au règlement intérieur et que l'allégation selon laquelle elle aurait sollicité l'accord de la remplaçante du directeur ne repose sur aucun élément de preuve.

En application de l'article L. 1235-1 du code du travail, en cas de litige, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs de licenciement invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles et si un doute subsiste, il profite au salarié.

Une modification du contrat de travail prononcée à titre de sanction disciplinaire ne peut être imposée au salarié. Le refus de celui-ci d'accepter cette modification n'est pas fautif.

Lorsqu'à la suite du refus d'un salarié d'accepter une modification de son contrat de travail entraînée par une sanction disciplinaire, l'employeur engage une procédure de licenciement au lieu et place de la sanction refusée, la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, doit énoncer les motifs de la rupture et ne peut fonder le licenciement sur le refus de la modification.

Au cas présent, il résulte de la lettre de licenciement que, même si elle rappelle les faits ayant motivé la sanction de mutation, le refus de Mme [R] de se soumettre à cette sanction, faute pour celle-ci d'avoir donné son accord exprès, est le seul motif du licenciement invoqué comme le démontre la phrase : 'En effet votre refus de mobilité géographique relative à votre sanction disciplinaire ne permet plus la poursuite des relations contractuelles'. Or, un tel motif ne peut fonder la rupture du contrat de travail.

C'est en vain que La société Bocage se prévaut d'une clause de mobilité prévue dans le contrat de travail de Mme [R] et invoque que le refus d'accepter une mutation géographique est fautif en présence d'une telle clause.

Il ressort en effet de l'ensemble des éléments produits que la société Bocage n'a jamais entendu mettre en oeuvre une clause de mobilité mais se placer sur le terrain disciplinaire, en appliquant à Mme [R] une mutation à titre de sanction : la notification de la mutation fait suite à une convocation en date du 11 février 2019 à un entretien préalable à 'une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement' ; la lettre du 6 mars 2019 démontre que cette mutation a été décidée par l'employeur à raison du 'comportement excessif et inadapté' de Mme [R] le 8 février 2019 et de la prise de produits sans les régler fin janvier 2019 et indique explicitement qu'il s'agit d' 'une sanction de mutation géographique', laissant à la salariée un délai jusqu'au 20 mars suivant pour indiquer si elle est d'accord ou non avec 'cette modification de votre contrat de travail' ; la lettre de licenciement rappelle elle-même qu' 'afin d'éviter une mesure de licenciement', il a été adressé à Mme [R] 'une sanction de mutation géographique' et évoque le 'refus de mobilité géographique relative à votre sanction disciplinaire'.

En toute hypothèse, dès lors que la mutation de la salariée a été décidée à raison d'un comportement relevant d'une sanction disciplinaire, l'employeur commet un usage abusif de la clause de mobilité de sorte que le refus de Mme [R] n'est pas fautif.

Il résulte de ce qui précède que son licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse.

Sur les conséquences du licenciement

- sur l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :

Mme [R] sollicite une indemnisation à hauteur de 15 723,75 euros correspondant selon elle à sept mois de salaire tandis que la société Bocage estime qu'il ne saurait lui être accordé plus de trois mois de salaire.

Les parties s'accordent sur l'ancienneté de Mme [R], soit six années complètes, et la base de salaire à prendre en compte, soit 2 246,25 euros. Elle était employée dans une entreprise comprenant au moins onze salariés. Mme [R] est fondée à percevoir au titre de l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement en application de l'article L. 1235-3 du code du travail une indemnité comprise entre 3 et 7 mois de salaire brut.

Eu égard à son âge (née en 1968), au montant de son salaire brut et à ce qu'elle justifie de sa situation postérieure à la rupture, soit une prise en charge par Pôle emploi au titre de l'allocation d'aide au retour à l'emploi du 24 août 2019 au 28 février 2021, la cour lui alloue la somme réclamée de 15 723,75 euros.

Il convient en outre, en application de l'article L. 1235-4 du même code, d'ordonner le remboursement à Pôle emploi des indemnités de chômage versées à Mme [R] du jour du licenciement au jour du présent arrêt dans la limite de six mois.

Le jugement est infirmé en ces sens.

- sur les dommages et intérêts distincts :

Mme [R] se plaint des conditions vexatoires de son licenciement, au regard des accusations injustifiées de vol portées à son encontre qui ont porté atteinte à son employabilité et causé un état dépressif réactionnel. Elle reproche aussi à son employeur d'avoir agi dans la précipitation en refusant de procéder à une enquête et à une confrontation entre les salariés. Elle se prévaut encore d'une atteinte au principe d'égalité entre les salariés, son collègue impliqué dans l'altercation n'ayant pas été sanctionné. Elle invoque avoir subi un préjudice moral pour lequel elle réclame la somme de 15 000 euros. Par ailleurs, elle prétend qu'elle se préparait à une évolution de carrière vers un poste de responsable de magasin au sein de la société Bocage alors qu'elle n'a retrouvé qu'un poste de vendeuse. Elle soutient que le licenciement l'a privée de l'opportunité de cette évolution et est à l'origine d'une perte de chance de promotion justifiant une indemnisation supplémentaire de 5 000 euros. Elle sollicite au total la somme de 20 000 euros en réparation du préjudice distinct de celui résultant de la seule perte de son emploi.

La société s'oppose à la demande en contestant les circonstances vexatoires et brutales de la rupture du contrat. Elle souligne qu'elle n'avait pas donné son accord au projet de Mme [R] de valorisation de ses acquis professionnels et qu'il n'existe pas d'automaticité entre des remplacements ponctuels de gérant de magasin et une promotion comme adjoint ou directeur de magasin. Elle nie le lien de causalité entre l'état anxio-dépressif de Mme [R] et la rupture du contrat de travail ainsi que le préjudice d'image invoqué par elle.

Le salarié en est droit de prétendre à des dommages et intérêts autres que pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en cas de faute de l'employeur dans les circonstances entourant le licenciement et de préjudice distinct du licenciement proprement dit.

En l'espèce, Mme [R] ne justifie pas des circonstances vexatoires et humiliantes dont elle se plaint. La lettre de licenciement n'évoque pas un vol mais la prise de marchandises sans les payer, en connaissance de cause du responsable remplaçant et en violation du règlement intérieur. Aucun élément n'établit que des accusations de vol aient été portées contre elle au su et au vu d'autres salariés et ses collègues qui ont témoigné à la demande de l'employeur ne l'ont fait que sur la pratique du magasin lorsqu'un salarié souhaite prendre une marchandise.

La société Bocage prouve avoir recueilli plusieurs témoignages avant de décider la mutation de Mme [R] et avoir reporté en avril 2019 l'entretien préalable à la demande de la salariée. Les circonstances brutales ou la précipitation alléguée ne sont donc pas établies.

Mme [R] ne produit pas d'élément objectif de nature à établir que M. [N], salarié auquel elle se compare, a commis des faits identiques ou comparables aux siens à l'occasion de l'altercation de début février 2019. Il n'est en particulier pas établi que celui-ci ait crié ou l'ait agressée, ce fait ne ressortant que des documents émanant de l'appelante sans être corroboré par d'autres éléments. L'absence de toute sanction prononcée contre ce dernier n'est au demeurant pas davantage établie.

De plus, le lien de causalité entre l'état de santé de Mme [R] et un manquement de l'employeur n'est pas prouvé. Et le courriel du 1er février 2019 dans lequel elle indiquait à ce dernier envisager d'évoluer 'vers une étape supérieure' et le fait qu'elle ait effectué ponctuellement des remplacements de gérant de magasin sont insuffisants à démontrer qu'elle avait une chance réelle de promotion professionnelle dans la société.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts distincts.

Sur les intérêts au taux légal et la demande de capitalisation

Les créances indemnitaires produisent intérêt au taux légal à compter du présent arrêt, la capitalisation des intérêts étant ordonnée dans les conditions prévues à l'article 1343-2 du code civil.

Sur les dépens et frais irrépétibles

La société Bocage, qui succombe pour partie, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel et à payer la somme de 3 000 euros à Mme [R] en application de l'article 700 du code de procédure civile. La société Bocage sera déboutée de sa propre demande à ce titre.

PAR CES MOTIFS

LA COUR statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

INFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a débouté Mme [U] [R] de sa demande de dommages et intérêts distincts et la société Bocage de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau dans la limite des chefs infirmés et ajoutant :

CONDAMNE la société Bocage à payer à Mme [U] [R] les sommes de :

- 15 723,75 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision ;

ORDONNE le remboursement par la société Bocage à Pôle emploi des indemnités de chômage versées à Mme [U] [R] du jour de son licenciement au jour du présent arrêt dans la limite de six mois d'indemnités ;

DÉBOUTE les parties de toute autre demande ;

CONDAMNE la société Bocage aux dépens de première instance et d'appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 21/00286
Date de la décision : 30/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-30;21.00286 ?
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