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23/03/2023 | FRANCE | N°22/15615

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 1 - chambre 2, 23 mars 2023, 22/15615


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 2



ARRET DU 23 MARS 2023



(n° , 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/15615 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGLKX



Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 23 Août 2022 -Président du TJ de PARIS - RG n° 22/06545





APPELANT



M. [X], [B], [L] [E]



[Adresse 1]

[Localité 4]
>

Représenté par Me Belgin PELIT-JUMEL de la SELEURL BELGIN PELIT-JUMEL AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, toque : D1119

Ayant pour avocat plaidant Me Sandra KABLA, substituée à l'audience par Me ...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 2

ARRET DU 23 MARS 2023

(n° , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/15615 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGLKX

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 23 Août 2022 -Président du TJ de PARIS - RG n° 22/06545

APPELANT

M. [X], [B], [L] [E]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représenté par Me Belgin PELIT-JUMEL de la SELEURL BELGIN PELIT-JUMEL AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, toque : D1119

Ayant pour avocat plaidant Me Sandra KABLA, substituée à l'audience par Me Rémi LORIEAU, avocat au barreau de PARIS, toque : T14

INTIMEE

Mme [A] [V]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée et assistée par Me Assumpta NZIYUMVIRA, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 804, 805 et 905 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 01 Février 2023, en audience publique, les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Michèle CHOPIN, Conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre

Thomas RONDEAU, Conseiller,

Michèle CHOPIN, Conseillère,

Qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Saveria MAUREL

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Thomas RONDEAU, Conseiller, pour la Présidente de chambre empêchée et par Saveria MAUREL, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

*****

EXPOSE DU LITIGE

Par acte sous seing privé du 17 décembre 2018, M. [D] a loué à Mme [V] un studio meublé à usage d'habitation pour une durée d'un an, reconductible tacitement, sis [Adresse 2]) moyennant un loyer mensuel 800 euros charges comprises.

M. et Mme [E] ont acquis les lieux loués par acte authentique du 18 mai 2022 dressé par Me [T], notaire, qui en a informé Mme [V] par courrier du 18 mai 2022.

Le 29 juillet 2022, Mme [F] [Y], fille de Mme [V], résidant dans les locaux loués, a déposé plainte pour violation de domicile, contre M. [E], affirmant que pendant son absence du 18 au 28 juillet 2022, les serrures du logement ont été changées et qu'un nouveau locataire semblait désormais occuper l'appartement.

Par ordonnance du 12 août 2022, le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Paris a autorisé Mme [V] à faire assigner M [E] selon la procédure en référé d'heure à heure.

Par acte du 16 août 2022, Mme [V] a fait assigner M. [E] devant le juge référés du pôle civil de proximité du tribunal judiciaire de Paris aux fins de se voir allouer une provision sur des dommages-intérêts, de voir l'accès à son logement rétabli, la restitution de l'intégralité de ses effets personnels étant ordonnée.

Par ordonnance réputée contradictoire du 23 août 2022, le juge des référés a :

vu l'existence d'un trouble manifestement illicite ;

- condamné M. [E] à procéder à la réintégration de Mme [V] dans les lieux situés [Adresse 2] et ce, sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter de la signification de l'ordonnance ;

- condamné M. [E] à restituer à Mme [V] l'intégralité de ses effets personnels qui se trouvaient dans le logement sis [Adresse 2]), le 18 juillet 2022, sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir ;

- condamné M. [E] à payer à Mme [V] la somme de 2.000 euros à titre de provision sur dommages-intérêts ;

- condamné M. [E] à payer à Mme [V] la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du coDe procédure civile ;

- condamné M. [E] aux dépens ;

- rappelé que l'ordonnance est assortie de droit de l'exécution provisoire.

Par déclaration du 31 août 2022, M. [E] a interjeté appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 27 janvier 2023, M. [E] demande à la cour de :

A titre principal,

- annuler l'ordonnance en date du 23 août 2022 pour violation du principe du contradictoire,

En conséquence,

- condamner Mme [V] à rembourser les sommes perçues, d'un montant de 4.355,02 euros, ayant fait l'objet d'une saisie-attribution du 2 novembre 2022, avec intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir, et ce, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, à compter de la signification de la décision à intervenir,

Et statuant par l'effet dévolutif de l'appel,

- condamner Mme [V] a payer par provision la somme de 15.000 euros à titre de dommages et intérêts,

- condamner Mme [V] à payer par provision la somme de 5.400 euros au titre des loyers et charges impayés arrêtés au 31 décembre 2022, somme à parfaire, avec intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir,

A titre subsidiaire, si par extraordinaire la cour considérait que le principe du contradictoire a été respecté,

- infirmer l'ordonnance en date du 23 août 2022 en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

et y ajoutant,

- condamner Mme [V] à rembourser les sommes perçues, d'un montant de 4.355,02 euros, ayant fait l'objet d'une saisie-attribution du 2 novembre 2022, avec intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, à compter de la signification de la décision à intervenir,

- condamner Mme [V] à payer par provision la somme de 15.000 euros à titre de dommages et intérêts,

- condamner Mme [V] à payer par provision la somme de 5.400 euros au titre des loyers et charges impayés arrêtés au 31 de cembre 2022, somme à parfaire, avec intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir,

En tout état de cause,

- déclarer irrecevable la demande de Mme [V] tendant au paiement par provision de la somme de 35.000 euros de dommages-intérêts,

- débouter Mme [V] de l'ensemble de ses demandes, en ce compris sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Mme [V] au paiement de la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de proce dure civile,

- condamner Mme [V] aux entiers dépens, dont distraction au profit de Me Belgin Pelit-Jumel, avocat.

Il expose notamment que :

- il a été assigné en première instance le 14 août 2022 pour une audience prévue le 16 août 2022, tandis que l'assignation, qui ne lui a pas été délivrée à personne, a été déposée en l'étude de l'huissier de justice, ce, en pleine période estivale, alors qu'il était en vacances à l'étranger,

- il ne pouvait donc être présent à l'audience ni en mesure de préparer sa défense et une atteinte manifeste a été portée au principe du contradictoire, de sorte que l'ordonnance rendue le 23 août 2022 devra être annulée, Mme [V] devant être condamnée à lui rembourser la somme de 4.355 euros appréhendée par la saisie attribution pratiquée le 2 novembre 2022,

- subsidiairement, cette ordonnance devra être réformée, alors qu'il n'a pas manqué à ses obligations de délivrance et de jouissance paisible, et n'a pas à répondre d'une obligation de surveillance et de garde des lieux,

- le trouble que Mme [V] dit avoir subi ne peut en aucun cas être qualifié de trouble de droit au sens de l'article 1726 du code civil,

- le premier juge, pour ordonner la réintégration de Mme [V] dans les lieux, s'est fondé uniquement sur les allégations de cette dernière, rien ne prouvant l'occupation de l'appartement par un tiers,

- aucune demande de dommages intérêts n'a été formulée en première instance par Mme [V], de sorte que le premier juge a statué ultra petita en lui accordant une somme à ce titre,

- en cause d'appel, Mme [V] formule une demande de dommages intérêts qui se heurte aux dispositions de l'article 564 du code de procédure civile et sera déclarée irrecevable,

- cette demande est également infondée et se heurte à des contestations sérieuses, en ce que le préjudice personnel de Mme [V] n'est pas démontré, que les éléments produits n'établissent pas l'existence d'un quelconque préjudice,

- Mme [V] a été de mauvaise foi dans sa relation contractuelle avec M. [E], alors qu'elle n'occupe pas l'appartement qu'elle a laissé en réalité à sa fille et ne règle pas l'intégralité de son loyer, de sorte qu'elle sera condamnée à lui payer des dommages intérêts en réparation,

- aucun terme de loyer depuis qu'il a acquis l'appartement n'a été réglé en intégralité, l'arriéré de loyers et charges s'élevant à a somme de 5.400 euros.

Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 23 janvier 2023, Mme [V] demande à la cour de :

A titre liminaire,

- débouter M. [E] de sa demande tendant à l'annulation de l'ordonnance du 23 août 2022,

A titre principal,

- confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 23 août 2022 par le président du tribunal judiciaire de Paris,

- débouter M. [E] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

A titre reconventionnel,

- condamner M. [E] à lui payer la somme de 35.000 euros à titre de provision de dommages-intérêts en réparation du préjudice matériel subi,

A titre subsidiaire,

- confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 23 août 2022 par le président du tribunal judiciaire de Paris,

- fixer à la somme maximale de 3.800 euros, le montant des loyers impayés susceptibles d'être mis à la charge de Mme [V],

- débouter M.[E] de l'ensemble de ses autres demandes, fins et prétentions,

En tout état de cause,

- condamner M. [E] au paiement de la somme de 6.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [E] aux entiers dépens,

- dire n'y avoir lieu à écarter l'exécution provisoire de la décision à intervenir.

Elle expose notamment que :

- c'est bien la négligence et l'inertie de M. [E] qui ont conduit à cette procédure, alors qu'il était informé dès le 29 juillet 2022 de l'impossibilité pour sa locataire d'entrer dans les lieux loués, et a préféré partir en congés le 8 août 2022,

- c'est donc souverainement que le premier juge, compte tenu de l'urgence de la situation a estimé qu'un délai suffisant s'était écoulé entre la délivrance de l'assignation et l'audience de plaidoiries,

- l'ordonnance rendue sera confirmée en ce qu'elle a retenu une violation caractérisée par le bailleur de ses obligations de délivrance et de jouissance paisible,

- l'occupation illicite des lieux loués est démontrée et a été dénoncée à plusieurs reprises à M. [E], sans réaction de sa part, ce qui cause à Mme [V] un préjudice considérable,

- le premier juge en lui accordant des dommages intérêts a souverainement modifié le fondement juridique de sa demande en faisant application des dispositions de l'article 12 du code de procédure civile,

- sa demande de provision pour dommages intérêts est recevable au regard des dispositions de l'article 565 du code de procédure civile, et elle est en outre fondée alors qu'elle a subi un préjudice moral, et un préjudice matériel dont elle justifie,

- en revanche les demandes de M. [E] seront rejetées, celle tendant à se voir allouer des dommages intérêts étant infondée, aucune mauvaise foi ne pouvant lui être reprochée,

- quant à la demande de provision sur les loyers et charges, elle avait trouvé un accord avec l'ancien propriétaire, M. [D], et payait auprès de ce dernier un loyer de 500 euros mensuels, les 300 euros supplémentaires étant réglés en nature par des services rendus,

- au surplus le loyer du mois d'août ne peut être dû, puisqu'elle n'a pu accéder à son appartement, de sorte qu'elle ne peut être tenue qu'au paiement de la somme de 3.800 euros à ce titre, la compensation étant ordonnée avec l'indemnisation provisionnelle de ses préjudices matériels et moraux.

SUR CE,

- sur l'annulation de l'ordonnance rendue le 23 août 2023

Si en application de l'article 486 du code de procédure civile, le juge des référés doit s'assurer qu'il s'est écoulé un temps suffisant entre l'assignation et l'audience pour que le défendeur puisse préparer sa défense, cette appréciation du juge est souveraine, et ces dispositions ne sont pas prescrites à peine de nullité de la décision.

En l'espèce, il est constant que :

- Mme [Y], fille de Mme [V], qui l'héberge, a déposé plainte le 29 juillet 2022 auprès des services de police pour violation de domicile, exposant qu'elle n'avait pu rentrer à son domicile, la serrure étant changée et une personne inconnue s'étant prétendue locataire des lieux,

- une mise en demeure a été adressée le 1er août 2022 par le conseil de Mme [V] à M. [E], qui en a accusé réception le 3 août 2022 selon accusé de réception produit, ce, dans les termes suivants : "je vous mets en demeure au plus tard le 5 août 2022, d'exécuter vos obligations contractuelles et restituer à Mme [V] la jouissance paisible de son logement ; de restituer à Mme [V] et Mme [Y] l'intégralité de leurs effets personnels tels que listés en annexe. A défaut, mes clientes m'ont d'ores et déjà mandatée pour engager toute action judiciaire afin de faire valoir leurs droits. Cette lettre constitue une mise en demeure de nature à faire courir les délais, intérêts et autres conséquences que les articles 1344 à 1344-2 et 123 du code civil ainsi que les juridictions y attachent",

- Mme [V] a été autorisée au visa des dispositions de l'article 485 du code de procédure civile à faire assigner M [E] pour l'audience du 18 août 2022 selon la procédure en référé d'heure à heure par ordonnance du 12 août 2022,

- l'assignation a été délivrée par exploit du 16 août 2022, selon les dispositions de l'article 658 du code de procédure civile.

Bien que M. [E] produise une copie de sa carte d'embarquement pour la Grèce en date du 8 août 2022, il ne peut être valablement soutenu que le principe du contradictoire n'aurait pas été respecté, puisque le défendeur a été régulièrement assigné, deux jours avant l'audience, selon la procédure de référé d'heure à heure prévue par le code de procédure civile, et qu'il aurait pu dans ce délai constituer avocat, étant précisé au surplus que M. [E] ne pouvait ignorer l'imminence de la procédure à venir, ni l'urgence de la situation pour en avoir été informé, et avoir été destinataire d'une mise en demeure dont il a pris connaissance avant son départ.

Dès lors, ce moyen n'est pas susceptible de conduire la cour à annuler l'ordonnance de référé en dépit du court délai écoulé entre l'assignation et l'audience qui est justifié par l'extrême urgence tenant à cette procédure de référé d'heure à heure,

Il ne sera par conséquent pas fait droit à la demande d'annulation de l'ordonnance rendue.

- sur le fond du référé

Selon l'article 835 du code de procédure civile, le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection peuvent toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

L'alinéa 2 précise que, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, ils peuvent accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.

L'article 1719 du code civil dispose que le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière : 1° de délivrer la chose louée au preneur et 3° d'en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail.

Le trouble manifestement illicite ici visé s'entend de toute perturbation résultant d'un fait matériel ou juridique qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit.

Le juge des référés, juge du provisoire et de l'évidence, ne dispose pas du pouvoir de qualifier ou interpréter un contrat sauf avec l'évidence requise en référé mais il peut examiner si un bailleur a manqué à son obligation de délivrance, à la condition que les contestations élevées ne le conduisent pas à constater l'existence de contestations sérieuses ou d'un trouble qui ne serait pas "manifestement illicite".

En l'espèce, il y a lieu de relever que :

- il n'est pas contesté que Mme [V], qui héberge dans les lieux loués sa fille, Mme [Y], n'a pas eu accès au logement loué ni à leurs effets personnels depuis le 28 juillet 2022 jusqu'au 1er septembre 2022, date à laquelle elle a pu réintégrer les lieux,

- le procès-verbal de constat d'huissier de justice établi le 20 août 2022 démontre que les serrures de l'appartement ont été changées et ledit appartement occupé par un tiers,

- il apparaît que ce tiers a montré aux policiers intervenus sur place un bail signé le 18 juillet 2022 au nom d'un bailleur dénommé M. [C] [S], le locataire étant M. [N] [R].

Il en résulte que, quand bien même le bail ainsi produit n'est pas signé de M. [E], ce dernier avait nécessairement connaissance, du changement des serrures et de l'occupation des lieux loués par une tierce personne puisqu'il en était dûment informé par Mme [Y] dès le 18 juillet 2022, puis dès le 3 août 2022 par la réception de la mise en demeure du conseil de Mme [V].

En application des dispositions de l'article 1719 du code civil, le contrat de bail constitue un titre d'occupation obligeant le bailleur à délivrer la chose louée au preneur et à lui garantir une jouissance paisible pendant toute la durée du contrat. A tout le moins, en laissant perdurer le changement de serrure et l'occupation des lieux par un tiers, interdisant ainsi à Mme [V] d'accéder aux locaux donnés à bail, M. [E] a manqué de façon manifeste à ses obligations de bailleur et gravement préjudicié aux intérêts de sa locataire, Mme [V].

Ces agissements sont constitutifs d'un trouble manifestement illicite auquel il convenait de mettre fin en ordonnant la réintégration de Mme [V] dans les lieux sous astreinte et la restitution de ses effets personnels ainsi que l'a à juste titre estimé le premier juge.

M [E] argue à titre de contestation sérieuse des dispositions de l'article 1725 du code civil qui prévoit que le bailleur n'est pas tenu de garantir le preneur du trouble que des tiers apportent par voies de fait à sa jouissance, sans prétendre d'ailleurs à aucun droit sur la chose louée, sauf au preneur à les poursuivre en son nom personnel, indiquant qu'il ne peut être tenu à ce titre des réparations des désordres causés.

Tout d'abord, une contestation sérieuse n'empêche pas le juge des référés de prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état ordonnées par le premier juge, qui s'imposent pour faire cesser un trouble manifestement illicite tel que celui en examen.

Ensuite, M. [E] ne conteste pas l'inaccessibilité des lieux à la fois par le changement des serrures et l'occupation par un tiers, mais toutefois, ce tiers, à savoir M. [N] [R], ne prétend pas n'avoir aucun droit sur la chose louée, puisqu'il a produit un bail mais au contraire un droit concurrent de celui de Mme [V] sur les lieux loués, de sorte que les dispositions de l'article 1725 du code civil sont inapplicables au litige.

L'ordonnance rendue sera donc confirmée sur ce point, étant observé que Mme [V] a pu réintégrer les lieux le 1er septembre 2022

S'agissant de la demande de provision formulée par Mme [V], force est de constater à la lecture de l'ordonnance rendue et de l'assignation délivrée que celle-ci avait formulé une demande de réparation des préjudices qu'elle estimait avoir subis auprès du premier juge qui, usant des dispositions de l'article 12 du code de procédure civile, lui a accordé une provision de 2.000 euros à ce titre. Par conséquent la demande de provision sur la réparation de ses préjudices telle que Mme [V] la formule en appel ne se heurte pas aux dispositions de l'article 564 du code de procédure civile en ce qu'elle ne constitue pas une demande nouvelle en appel tandis qu'en application des dispositions de l'article 565 du code civil, qui prévoit que les prétentions ne sont pas nouvelles lorsqu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, l'augmentation du quantum de la provision demandée ne rend pas cette demande pour autant nouvelle et irrecevable, puisqu'elle procède des mêmes faits et du même rapport de droit.

Mme [V] soutient avoir subi un préjudice moral consécutif aux faits, préjudice qui est incontestable au regard de la brutalité de la situation qui, outre qu'elle ne pouvait accéder à son domicile, l'a contrainte à rechercher en urgence et en plein été une solution de relogement. L'ordonnance rendue qui lui a accordé une provision de 2.000 euros à titre de dommages intérêts en réparation de ce préjudice moral sera dans ces conditions confirmée.

Elle invoque également un préjudice matériel dès lors qu'au moment de sa réintégration, elle aurait constaté la disparition de "la quasi-totalité" de ses effets personnels.

Mais s'il résulte des factures, et attestations (pièce 16 du bordereau du conseil de Mme [V]) et du tableau qui les récapitule (pièce 17 de ce même bordereau) que Mme [V] et sa fille ont acquis des vêtements, de l'électroménager, de la téléphonie et informatique pour une somme globale de 35.000 euros, aucune pièce ne démontre que ces biens garnissaient les lieux ni qu'ils ont disparu lors de leur occupation par un tiers.

Dès lors, le préjudice matériel invoqué par Mme [V] n'est pas établi avec l'évidence requise en référé.

M. [E] formule enfin une demande provisionnelle de 5.400 euros au titre des loyers impayés, estimant que Mme [V] n'a jamais réglé l'intégralité de son loyer depuis qu'il a acquis l'appartement loué.

Le contrat de bail initial tel que signé par Mme [V] avec M. [D] prévoit un loyer mensuel de 800 euros dont 500 euros en espèces, payable au domicile du bailleur, les époux [E] ayant acquis les lieux loués par acte authentique du 18 mai 2022.

Si M. [E] produit un décompte au 16 janvier 2023, établi par ses soins, loyer de décembre inclus, il convient de relever tout d'abord qu'aucune quittance de loyer n'est versée aux débats et que deux règlements de 500 euros y figurent aux mois de mai et juin 2022, étant rappelé que les faits qui ont donné lieu à la présente procédure ont été constatés le 18 juillet 2022.

Mme [V] qui soutient avoir disposé d'un accord amiable avec l'ancien propriétaire précise avoir réglé auprès de ce dernier un loyer mensuel de 500 euros, le solde étant exécuté en nature par des services rendus, produit une quittance de loyer de 500 euros établie par M. [D].

Etant indiqué que du 18 juillet au 1er septembre 2022 Mme [V] n'a pu accéder à son logement, de sorte qu'elle est susceptible d'invoquer l'exception d'inexécution, la demande de provision formulée au titre des loyers impayés à hauteur de 5.400 euros par M. [E] se heurte à des contestations sérieuses, exceptée la somme de 2.000 euros représentant un loyer de 500 euros par mois, que Mme [V] reconnaît devoir pour les mois de septembre 2022 à décembre 2022 inclus.

Il sera dans ces conditions alloué à M. [E] une somme de 2.000 euros à titre de provision sur les loyers impayés, ce montant étant non sérieusement contestable. Mme [V] qui évoque une compensation entre les sommes dues ne reprend pas cette demande dans le dispositif de ses écritures de sorte que la cour n'en est pas saisie.

S'agissant des dommages intérêts provisionnels que M [E] sollicite en réparation de la mauvaise foi alléguée de Mme [V], il n'est démontré aucune mauvaise foi de cette dernière ni dans l'abus de cette procédure ni dans l'exécution de ses relations contractuelles avec son bailleur, le simple fait d'héberger sa fille sans que soit démontrée une infraction au bail de ce chef étant inopérant à établir cette mauvaise foi.

Cette demande sera rejetée.

M. [E] sollicite enfin le remboursement des sommes qui auraient été perçues par Mme [V] à hauteur de 4.355, 02 euros en exécution de l'ordonnance rendue au moyen d'une saisie attribution pratiquée sur son compte bancaire ouvert entre les mains du LCL.

Cependant, l'obligation de rembourser les sommes versées en vertu d'une décision de première instance assortie de l'exécution provisoire résulte de plein droit de la réformation de cette décision, alors qu'en l'espèce, l'ordonnance rendue a été confirmée, de sorte qu'il n'y a pas lieu de prononcer de condamnation à l'encontre de l'intimée à ce titre. Cette demande sera rejetée

- sur les autres demandes

L'ordonnance entreprise étant confirmée en toutes ses dispositions, M. [E] sera tenu aux dépens d'appel et débouté de sa demande d'indemnité sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

L'équité commande toutefois de rejeter la demande formée sur ce fondement par Mme [V].

PAR CES MOTIFS

Statuant dans les limites de sa saisine,

Rejette la demande d'annulation de l'ordonnance entreprise ;

Confirme cette ordonnance en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne Mme [V] à payer à M. [E] une somme de 2.000 euros à titre de provision à valoir sur les loyers impayés pour les mois de septembre 2022 à décembre 2022 inclus,

Déclare recevable la demande provisionnelle de Mme [V] en réparation de son préjudice matériel mais l'en déboute,

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel,

Condamne M. [E] aux dépens d'appel,

Dit qu'il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE POUR LA PRESIDENTE

DE CHAMBRE EMPÊCHÉE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 1 - chambre 2
Numéro d'arrêt : 22/15615
Date de la décision : 23/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-23;22.15615 ?
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