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23/03/2023 | FRANCE | N°22/12410

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 1 - chambre 2, 23 mars 2023, 22/12410


Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 1 - Chambre 2



ARRÊT DU 23 MARS 2023



(n° , 11 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/12410 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGCU4



Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 06 Juillet 2022 -Tribunal de Commerce de MELUN - RG n° 22/00037





APPELANTE



S.A.R.L. AMAZON EU, RCS Luxembourgeois sous le n°B1018

18, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège



[Adresse 2]

[Localité 1]



Représentée par Me Florence GUERRE de la SELARL SELARL PE...

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 2

ARRÊT DU 23 MARS 2023

(n° , 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/12410 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGCU4

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 06 Juillet 2022 -Tribunal de Commerce de MELUN - RG n° 22/00037

APPELANTE

S.A.R.L. AMAZON EU, RCS Luxembourgeois sous le n°B101818, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Localité 1]

Représentée par Me Florence GUERRE de la SELARL SELARL PELLERIN - DE MARIA - GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018

Assistée à l'audience par MeThomas BAUDESSON, avocat au barreau de PARIS, toque : K112

INTIMEE

S.A.S. KUEHNE+NAGEL, RCS de Meaux sous le n°333 583 466, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 6]

[Adresse 7]

[Localité 3]

Représentée et assistée par Me Jean-charles JAÏS du LLP LINKLATERS LLP, avocat au barreau de PARIS, toque : J030, et Me Louis-Marie MORIN, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 16 Février 2023, en audience publique, devant la cour composée de :

Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre

Thomas RONDEAU, Conseiller chargé du rapport,

Michèle CHOPIN, Conseillère,

Qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Saveria MAUREL

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Thomas RONDEAU, Conseiller, pour la Présidente de chambre empêchée et par Saveria MAUREL, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

*****

EXPOSÉ DU LITIGE

La société Kuehne + Nagel fournit à la société Amazon des services de logistique en France sur le site dit « XFRF» situé [Adresse 4].

Ces services sont régis par des conditions générales intitulées « Standard Termes and Conditions » en date du 02 juin 2016, complétées par des conditions particulières intitulées : « Premise Specific Termes » en date du 07 février 2020 et un manuel des opérations intitulé « Operational Manual ».

Le contrat qui liait les parties a été reconduit en janvier 2020, à la suite d'un appel d'offres remporté par la société Kuehne + Nagel à la suite de sa réponse à la « Request for Quotation » de 2019.

Les relations entre les sociétés se sont toutefois par la suite dégradées, Amazon reprochant des manquements à Kuehne + Nagel, cette dernière société faisant état de pertes importantes.

Par acte du 13 mai 2022, la société Kuehne + Nagel a fait assigner la société Amazon devant le juge des référés du tribunal de commerce de Melun, au visa de l'article 145 du code de procédure civile, aux fins de voir :

- désigner en qualité d'expert Mme [D] ou M. [T] ou tel expert judiciaire qu'il lui plaira aux fins de :

a) Chefs de mission sur site

réaliser tous les constats sur site lui permettant de comprendre le fonctionnement du site XFRF de la chaîne logistique de la réception par la société Kuehne + Nagel d'un ordre émis par la société Amazon jusqu'au départ de la commande vers le client final,

se faire remettre tous documents, factures, plans, nécessaires à l'exercice de sa mission,

constater les modes de réception des commandes, des ordres de départ, les différentes injonctions de la société Amazon,

constater physiquement la géographie du site, les distances à parcourir par les opérateurs pour la bonne réalisation des opérations,

constater les conditions de stockage des produits au regard de la configuration des lieux,

déterminer en quoi une augmentation des volumes, allant jusqu'à 400% pour les volumes stockés et 200% pour les volumes entrants et sortants, peut affecter la bonne organisation du site,

déterminer en quoi les plans de transport communiqués par la société Amazon contraignent le site,

constater les variations des volumes entre les données communiquées par la société Amazon et les volumes effectivement reçus par la société Kuehne + Nagel entre 2020 et 2021 et identifier, le cas échéant, le caractère imprévisible de ces variations,

identifier, le cas échéant, l'interfaçage des systèmes de la société Kuehne + Nagel et d'Amazon et l'immixtion de la société Amazon dans les opérations du site à travers les audits et outils de contrôle (Backlog et TRB),

b) Chefs de mission relatifs à la conclusion du contrat et à l'établissement des prix contractuels,

examiner les conditions de renouvellement des PST en 2020 (en ce compris les discussions préalables à ce renouvellement et, si de telles discussions existent, leur teneur),

examiner tous les documents financiers et correspondances entre les parties qui ont conduit à l'établissement des prix contractuels tels que fixés à l'annexe 2 des PST,

vérifier l'adéquation des prix contractuels tels que fixés à l'annexe 2 des PST avec la réponse à l'appel d'offre (ou réponse à la RFQ) transmise par la société Kuehne + Nagel à la société Amazon en 2019, en vue du renouvellement des PST,

vérifier que l'annexe 1 du PST (« Products and engineering assumptions ») est de nature à permettre l'établissement des prix, comme l'article 8.4 des STC le prévoit,

vérifier l'adéquation des prix contractuels tels que fixés à l'annexe 2 des PST avec les hypothèses définies à l'annexe 1 des PST,

vérifier l'adéquation des prix consentis par la société Kuehne + Nagel en juillet 2020 avec la productivité attendue du fait du retard de l'installation de la mécanisation due aux conséquences du covid,

c) Chefs de mission relatifs aux préjudices de la société Kuehne + Nagel

se faire remettre tout document financier/comptable nécessaire à l'exercice de sa mission,

examiner l'évolution des requêtes d'Amazon depuis février 2020, notamment en termes de volumes entrant et sortant et de stockage sur le site,

dire si les paramètres logistiques (emballages, typologies des flux, volumes des articles, flux de nuit) ont évolué depuis l'établissement des prix (RFQ),

examiner l'évolution des conditions économiques depuis février 2020, en particulier le marché du travail local,

se faire remettre tout document de nature à justifier les augmentations des coûts constatés chez la société Kuehne + Nagel, notamment mais sans que cette liste soit limitative : embauches, salaires, charges, heurs supplémentaires, heures de nuit, travail du dimanche, équipe de fin de semaine, intérimaires, évolution du taux horaire, perte des allégements de charges dit « Fillon engins supplémentaires...»,

évaluer les ajustements des prix contractuels qui s'imposent afin que ces derniers soient adaptés aux conditions actuelles d'opération du site,

constater et chiffrer les pertes subies par la société Kuehne + Nagel dans l'opération du site sur les exercices 2020 et 2021,

donner son avis sur l'origine des pertes subies par la société Kuehne + Nagel et dire dans quelles proportions la société Amazon en est responsable,

- dire que pour procéder à cette mission, l'expert judiciaire pourra :

se rendre autant de fois que nécessaire sur le site de [Localité 5],

convoquer et entendre les parties, assistées de leurs conseils, et recueillir leurs observations sur chacun des sujets sur lesquels portent les chefs de mission susvisés,

se faire remettre toute pièce utile à l'accomplissement de sa mission,

- prévoir qu'à l'issue de la première réunion d'expertise, ou dès que cela lui semble possible, et en concertation avec les parties, l'expert devra définir un calendrier prévisionnel des opérations d'expertise ;

- prévoir qu'aux termes de ses opérations l'expert adressera aux parties un pré-rapport sur lequel ces dernières auront la faculté de présenter leurs observations ;

- prévoir qu'une fois que les parties auront transmis leurs observations, adresser aux parties un rapport final ;

- condamner la société Amazon à consigner l'intégralité de la provision à valoir sur la rémunération de l'expert ;

- condamner la société Amazon à payer à la société Kuehne + Nagel la somme de 30.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société Amazon aux entiers dépens d'instance.

La société Amazon s'est opposée aux demandes.

Par ordonnance contradictoire du 06 juillet 2022, le juge des référés du tribunal de commerce de Melun a :

- désigné en qualité d'expert Mme [K] [D] aux fins de :

a) Chefs de mission sur site

réaliser tous les constats sur site lui permettant de comprendre le fonctionnement du site XFRF de la chaîne logistique de la réception par la société Kuehne + Nagel d'un ordre émis par la société Amazon jusqu'au départ de la commande vers le client final,

se faire remettre tous documents, factures, plans, nécessaires à l'exercice de sa mission,

constater les modes de réception des commandes, des ordres de départ, les différentes injonctions de la société Amazon,

constater physiquement la géographie du site, les distances à parcourir par les opérateurs pour la bonne réalisation des opérations,

constater les conditions de stockage des produits au regard de la configuration des lieux,

déterminer en quoi une augmentation des volumes, allant jusqu'à 400% pour les volumes stockés et 200% pour les volumes entrants et sortants, peut affecter la bonne organisation du site,

déterminer en quoi les plans de transport communiqués par la société Amazon contraignent le site,

constater les variations des volumes entre les données communiquées par la société Amazon et les volumes effectivement reçus par la société Kuehne + Nagel entre 2020 et 2021 et identifier, le cas échéant, le caractère imprévisible de ces variations,

identifier, le cas échéant, l'interfaçage des systèmes de la société Kuehne + Nagel et d'Amazon et l'immixtion de la société Amazon dans les opérations du site à travers les audits et outils de contrôle (Backlog et TRB),

b) Chefs de mission relatifs à la conclusion du contrat et à l'établissement des prix contractuels,

examiner les conditions de renouvellement des PST en 2020 (en ce compris les discussions préalables à ce renouvellement et, si de telles discussions existent, leur teneur),

examiner tous les documents financiers et correspondances entre les parties qui ont conduit à l'établissement des prix contractuels tels que fixés à l'annexe 2 des PST,

vérifier l'adéquation des prix contractuels tels que fixés à l'annexe 2 des PST avec la réponse à l'appel d'offre (ou réponse à la RFQ) transmise par la société Kuehne + Nagel à la société Amazon en 2019, en vue du renouvellement des PST,

vérifier que l'annexe 1 du PST (« Products and engineering assumptions ») est de nature à permettre l'établissement des prix, comme l'article 8.4 des STC le prévoit,

vérifier l'adéquation des prix contractuels tels que fixés à l'annexe 2 des PST avec les hypothèses définies à l'annexe 1 des PST,

vérifier l'adéquation des prix consentis par la société Kuehne + Nagel en juillet 2020 avec la productivité attendue du fait du retard de l'installation de la mécanisation due aux conséquences du covid,

c) Chefs de mission relatifs aux préjudices de la société Kuehne + Nagel

se faire remettre tout document financier/comptable nécessaire à l'exercice de sa mission,

examiner l'évolution des requêtes d'Amazon depuis février 2020, notamment en termes de volumes entrant et sortant et de stockage sur le site,

dire si les paramètres logistiques (emballages, typologies des flux, volumes des articles, flux de nuit) ont évolué depuis l'établissement des prix (RFQ),

examiner l'évolution des conditions économiques depuis février 2020, en particulier le marché du travail local,

se faire remettre tout document de nature à justifier les augmentations des coûts constatés chez la société Kuehne + Nagel, notamment mais sans que cette liste soit limitative : embauches, salaires, charges, heurs supplémentaires, heures de nuit, travail du dimanche, équipe de fin de semaine, intérimaires, évolution du taux horaire, perte des allégements de charges dit « Fillon engins supplémentaires...»,

évaluer les ajustements des prix contractuels qui s'imposent afin que ces derniers soient adaptés aux conditions actuelles d'opération du site,

constater et chiffrer les pertes subies par la société Kuehne + Nagel dans l'opération du site sur les exercices 2020 et 2021,

donner son avis sur l'origine des pertes subies par la société Kuehne + Nagel et dire dans quelles proportions la société Amazon en est responsable,

- dit que pour procéder à cette mission, l'expert judiciaire pourra :

se rendre autant de fois que nécessaire sur le site de [Localité 5],

convoquer et entendre les parties, assistées de leurs conseils, et recueillir leurs observations sur chacun des sujets sur lesquels portent les chefs de mission susvisés,

se faire remettre toute pièce utile à l'accomplissement de sa mission,

A l'issue de la première réunion d'expertise, ou dès que cela lui semble possible, et en concertation avec les parties, définir un calendrier prévisionnel des opérations d'expertise,

Aux termes de ses opérations, adresser aux parties un pré-rapport sur lequel ces dernières auront la faculté de présenter leurs observations,

Une fois que les parties auront transmis leurs observations, adresser aux parties un rapport final,

- dit que la présente ordonnance sera notifiée par le greffier à l'expert, lequel devra faire connaître sans délai au juge des référés signataire de la présente ordonnance son acceptation ;

- dit que l'expert dressera du tout un rapport, qu'il déposera au greffe de ce tribunal dans le délai de quatre mois à compter du jour de la consignation de la provision à valoir sur ses rémunérations ;

- dit qu'il lui en sera référé en cas de difficultés ;

- dit que l'expert devra immédiatement l'informer au cas où, les parties venant à se concilier, sa mission deviendrait sans objet ;

- fixé à la somme de 10.000 euros le montant de la provision à valoir sur sa rémunération, provision qui devra être consignée au greffe, au plus tard le 21 juillet 2022, par la société Kuehne + Nagel, demanderesse à l'expertise ;

- dit qu'à défaut de consignation à l'expiration de ce délai, la désignation de l'expert deviendra caduque ;

- dit que le greffier informera l'expert de la consignation intervenue ;

- dit que la société Kuehne + Nagel versera la somme de 100 euros en provision à valoir sur les dépens afférents à la procédure d'expertise judiciaire ;

- dit qu'à défaut de consignation, la désignation de l'expert sera caduque et l'instance poursuivie à la requête de la partie la plus diligente, sauf à ce qu'il soit tiré toutes conséquences de cette abstention, à moins que ne soit présentée une requête aux fins de prorogation de délai ou de relevé de caducité, pour motif légitime, devant le juge des référés signataire de la présente ordonnance ;

- dit que dans les deux mois, à compter de sa désignation, l'expert indiquera le montant de sa rémunération définitive prévisible afin que soit éventuellement ordonnée une provision complémentaire dans les conditions de l'article 280 du code de procédure civile et qu'à défaut d'une telle indication le montant de la consignation initiale constituera la rémunération définitive de l'expert ;

- dit que sur justification de l'accomplissement de sa mission par l'expert, et après dépôt de son rapport, ce même juge taxera les frais et vacations de l'expert, l'autorisera à se faire remettre jusqu'à due concurrence les sommes consignées au greffe et lui délivrera l'exécutoire pour lui permettre d'obtenir, le cas échéant, le versement d'une somme complémentaire si les sommes consignées au greffe s'avéraient insuffisantes ;

- dit que l'exécution provisoire est de droit ;

- laissé provisoirement les dépens, dont frais de greffe liquidés à la somme de 60,72 euros TTC à la charge de la société Kuehne + Nagel.

Par déclaration du 19 juillet 2022, la société Amazon a relevé appel de la décision.

Elle a été autorisée à assigner à jour fixe par ordonnance du 20 juillet 2022.

Dans son assignation délivrée le 21 juillet 2022, à laquelle il convient de se reporter pour plus ample exposé de ses prétentions et moyens, la société Amazon demande à la cour, au visa de l'article 35 du règlement n°1215/2012 du 12 décembre 2012, des articles 5, 16, 54, 145, 444, 458, 486 et 562 du code de procédure civile et des articles L. 442-4, III et D. 442-2 du code de commerce, de :

- déclarer l'appel de la société Amazon recevable et bien fondé ;

- annuler l'ordonnance rendue le 6 juillet 2022 par le président du tribunal de commerce de Melun en toutes ses dispositions lesquelles consistent ainsi notamment au fait de ne pas avoir fait droit à ses arguments d'incompétence, d'irrecevabilité et de fond relatifs à l'absence de motif légitime à la mesure d'expertise sollicitée et à la désignation d'un expert judiciaire aux fins de faire procéder à l'ensemble des « chefs de mission sur site », « chefs de missions relatifs à la conclusion du contrat et à l'établissement des prix contractuels » et « chefs de mission relatifs aux préjudices de la société Kuehne + Nagel » sollicités par la société Kuehne + Nagel et repris dans l'ordonnance dont appel ;

subsidiairement,

- infirmer l'ordonnance rendue le 6 juillet 2022 par le président du tribunal de commerce de Melun en toutes ses dispositions notamment au fait de ne pas avoir fait droits à ses arguments d'incompétence, d'irrecevabilité et de fond relatifs à l'absence de motif légitime à la mesure d'expertise sollicitée et à la désignation d'un expert judiciaire aux fins de faire procéder à l'ensemble des « chefs de mission sur site », « chef de missions relatifs à la conclusion du contrat et à l'établissement des prix contractuels » et « chefs de mission relatifs aux préjudices de la société Kuehne + Nagel » sollicités par la société Kuehne + Nagel et repris dans l'ordonnance dont appel ;

et, statuant à nouveau, de,

à titre principal,

- juger que, en application de la clause attributive de juridiction stipulée au contrat, le litige relève de la compétence exclusive des juridictions allemandes, les mesures d'expertise sollicitées n'ayant pas pour objet de prémunir la demanderesse contre un risque de dépérissement d'éléments de preuve dont la conservation pourrait commander la solution du litige au fond ;

- se déclarer incompétent pour ordonner la mesure d'instruction demandée par la société Kuehne + Nagel ;

à titre subsidiaire,

- déclarer irrecevable la demande la société Kuehne + Nagel, le tribunal de commerce de Paris ayant, en droit interne, compétence spéciale et pouvoir exclusifs pour connaître des demandes d'expertise in futurum en vue d'une action au fond qui serait motivée, même partiellement, sur le fondement de l'article L. 442-1, I, 2° du code de commerce (anciennement L. 442-6) ;

à titre très subsidiaire,

- juger que la demande de mesures d'instruction de la société Kuehne + Nagel ne repose sur aucun motif légitime ;

- juger que les chefs de la mission d'expertise sollicitée sont excessivement larges et ne présentent aucune utilité à la solution du litige allégué par la société Kuehne + Nagel ;

- débouter la société Kuehne + Nagel de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;

en tout état de cause,

- condamner la société Kuehne + Nagel à payer à la société Amazon la somme de 20.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société Kuehne + Nagel aux entiers dépens.

La société Amazon soutient en substance :

- que le premier juge a violé le principe du contradictoire en retenant l'affaire à l'audience du 1er juin 2022 et n'a pas non plus statué sur la demande de réouverture des débats ;

- que l'ordonnance n'est pas motivée au sens de l'article 455 du code de procédure civile, faute d'exposer la position d'Amazon, étant au surplus contradictoire entre la motivation et le dispositif ;

- que les juridictions françaises étaient incompétentes au regard des règles de compétence internationale, étant observé subsidiairement que la demande relevait en réalité du tribunal de commerce de Paris s'agissant d'une future action au fond relative aux pratiques restrictives de concurrence ;

- que le motif légitime au sens de l'article 145 du code de procédure civile n'est pas établi.

Dans ses conclusions remises le 06 septembre 2022, auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé de ses prétentions et moyens, la société Kuehne+Nagel demande à la cour, au visa de l'article 35 du règlement n°1215/2012 et de l'article 145 du code de procédure civile, de :

- confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance de M. le président du tribunal de commerce de Melun du 06 juillet 2022 (RG n°2022R00037) ;

- débouter la société Amazon de ses demandes, fin et prétentions ;

à titre subsidiaire, si par extraordinaire la cour annulait ou infirmait l'ordonnance de M. le président du tribunal de commerce de Melun du 6 juillet 2022 (RG n°2022R00037),

statuant à nouveau,

- désigner en qualité d'expert Mme [K] [D] aux fins de :

a) Chefs de mission sur site

réaliser tous les constats sur site lui permettant de comprendre le fonctionnement du site XFRF de la chaîne logistique de la réception par la société Kuehne + Nagel d'un ordre émis par la société Amazon jusqu'au départ de la commande vers le client final,

se faire remettre tous documents, factures, plans, nécessaires à l'exercice de sa mission,

constater les modes de réception des commandes, des ordres de départ, les différentes injonctions de la société Amazon,

constater physiquement la géographie du site, les distances à parcourir par les opérateurs pour la bonne réalisation des opérations,

constater les conditions de stockage des produits au regard de la configuration des lieux,

déterminer en quoi une augmentation des volumes, allant jusqu'à 400% pour les volumes stockés et 200% pour les volumes entrants et sortants, peut affecter la bonne organisation du site,

déterminer en quoi les plans de transport communiqués par la société Amazon contraignent le site,

constater les variations des volumes entre les données communiquées par la société Amazon et les volumes effectivement reçus par la société Kuehne + Nagel entre 2020 et 2021 et identifier, le cas échéant, le caractère imprévisible de ces variations,

identifier, le cas échéant, l'interfaçage des systèmes de la société Kuehne + Nagel et d'Amazon et l'immixtion de la société Amazon dans les opérations du site à travers les audits et outils de contrôle (Backlog et TRB),

b) Chefs de mission relatifs à la conclusion du contrat et à l'établissement des prix contractuels,

examiner les conditions de renouvellement des PST en 2020 (en ce compris les discussions préalables à ce renouvellement et, si de telles discussions existent, leur teneur),

examiner tous les documents financiers et correspondances entre les parties qui ont conduit à l'établissement des prix contractuels tels que fixés à l'annexe 2 des PST,

vérifier l'adéquation des prix contractuels tels que fixés à l'annexe 2 des PST avec la réponse à l'appel d'offre (ou réponse à la RFQ) transmise par la société Kuehne + Nagel à la société Amazon en 2019, en vue du renouvellement des PST,

vérifier que l'annexe 1 du PST (« Products and engineering assumptions ») est de nature à permettre l'établissement des prix, comme l'article 8.4 des STC le prévoit,

vérifier l'adéquation des prix contractuels tels que fixés à l'annexe 2 des PST avec les hypothèses définies à l'annexe 1 des PST,

vérifier l'adéquation des prix consentis par la société Kuehne + Nagel en juillet 2020 avec la productivité attendue du fait du retard de l'installation de la mécanisation due aux conséquences du covid,

c) Chefs de mission relatifs aux préjudices de la société Kuehne + Nagel

se faire remettre tout document financier/comptable nécessaire à l'exercice de sa mission,

examiner l'évolution des requêtes d'Amazon depuis février 2020, notamment en termes de volumes entrant et sortant et de stockage sur le site,

dire si les paramètres logistiques (emballages, typologies des flux, volumes des articles, flux de nuit) ont évolué depuis l'établissement des prix (RFQ),

examiner l'évolution des conditions économiques depuis février 2020, en particulier le marché du travail local,

se faire remettre tout document de nature à justifier les augmentations des coûts constatés chez la société Kuehne + Nagel, notamment mais sans que cette liste soit limitative : embauches, salaires, charges, heurs supplémentaires, heures de nuit, travail du dimanche, équipe de fin de semaine, intérimaires, évolution du taux horaire, perte des allégements de charges dit « Fillon engins supplémentaires...»,

évaluer les ajustements des prix contractuels qui s'imposent afin que ces derniers soient adaptés aux conditions actuelles d'opération du site,

constater et chiffrer les pertes subies par la société Kuehne + Nagel dans l'opération du site sur les exercices 2020 et 2021,

donner son avis sur l'origine des pertes subies par la société Kuehne + Nagel et dire dans quelles proportions la société Amazon en est responsable,

- dire que pour procéder à cette mission, l'expert judiciaire pourra :

se rendre autant de fois que nécessaire sur le site de [Localité 5],

convoquer et entendre les parties, assistées de leurs conseils, et recueillir leurs observations sur chacun des sujets sur lesquels portent les chefs de mission susvisés,

se faire remettre toute pièce utile à l'accomplissement de sa mission,

à l'issue de la première réunion d'expertise, ou dès que cela lui semple possible, et en concertation avec les parties, définir un calendrier prévisionnel des opérations d'expertise,

aux termes de ses opérations, adresser aux parties un pré-rapport sur lequel ces dernières auront la faculté de présenter leurs observations ;

une fois que les parties auront transmis leurs observations, adresser aux parties un rapport final ;

- condamner la société Amazon à consigner l'intégralité de la provision à valoir sur la rémunération de l'expert ;

en tout état de cause,

- condamner la société Amazon aux entiers dépens ;

- condamner la société Amazon à lui verser la somme de 30.000 euros au titre des frais irrépétibles.

La société Kuehne+Nagel soutient en substance :

- que le principe du contradictoire a été parfaitement respecté, au regard des délais laissés à la société appelante pour préparer sa défense ;

- que le président du tribunal de commerce a statué sur tout ce qui avait été demandé ;

- que l'ordonnance est motivée au sens de l'article 455 du code de procédure civile ;

- que le président du tribunal de commerce de Melun était compétent pour statuer en application de l'article 35 du règlement Bruxelles I bis, l'action au fond relevant du droit allemand de sorte qu'il y a lieu aussi d'écarter la compétence exclusive du tribunal de commerce de Paris s'agissant des pratiques restrictives de concurrence ;

- que la mesure est fondée sur un motif légitime au sens de l'article 145 du code de procédure civile.

SUR CE LA COUR

Aux termes de l'article 145 du code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé.

L'article 145 suppose l'existence d'un motif légitime, c'est-à-dire un fait crédible et plausible, ne relevant pas de la simple hypothèse, qui présente un lien utile avec un litige potentiel futur dont l'objet et le fondement juridique sont suffisamment déterminés et dont la solution peut dépendre de la mesure d'instruction sollicitée, à condition que cette mesure ne porte pas une atteinte illégitime aux droits d'autrui. Elle doit être pertinente et utile.

Ainsi, si le demandeur à la mesure d'instruction n'a pas à démontrer l'existence des faits qu'il invoque puisque cette mesure in futurum est justement destinée à les établir, il doit néanmoins justifier d'éléments rendant crédibles ses suppositions et démontrer que le litige potentiel n'est pas manifestement voué à l'échec, la mesure devant être de nature à améliorer la situation probatoire du demandeur.

De plus, si la partie demanderesse dispose d'ores et déjà de moyens de preuve suffisants pour conserver ou établir la preuve des faits litigieux, la mesure d'instruction demandée est dépourvue de toute utilité et doit être rejetée.

Enfin, ni l'urgence ni l'absence de contestation sérieuse ne sont des conditions d'application de ce texte.

En l'espèce, il y a lieu de relever :

- que, s'agissant d'abord des exceptions de nullité soulevées, c'est en vain que la société appelante fait valoir que la décision aurait été rendue en violation du principe de la contradiction, alors que l'assignation introductive d'instance a été délivrée le 13 mai 2022 pour une audience du 1er juin 2022, le premier juge n'étant tenu dans ces circonstances à aucune obligation de procéder au renvoi de l'affaire, le délai apparaissant suffisant pour que la société défenderesse au référé-probatoire prépare sa défense ;

- que la société intimée observe aussi valablement que la juridiction de première instance n'était pas tenue d'examiner la seconde note en délibéré de la société Amazon, le président n'ayant autorisé que la production d'une seule note en délibéré par chaque partie, la juridiction précisant avoir pris en compte précisément la note en délibéré d'Amazon du 15 juin 2022, n'étant pas non plus tenu de statuer sur la demande de rouvrir les débats ;

- que l'ordonnance est motivée au sens de l'article 455 du code de procédure civile, étant observé que l'exposé des demandes et moyens des parties peut se faire par visa et que la critique des motifs de la décision par la partie appelante n'établit pas une absence de motivation justifiant la nullité de l'ordonnance en application du texte précité, pas plus que le fait qu'un passage de la décision mentionne qu'il a été fait droit aux mesures provisoires et conservatoires et pas aux autres mesures (mention qui n'établit pas une contradiction entre les motifs et le dispositif, le surplus des observations relevant d'une critique de la décision en cause d'appel) ;

- que le président du tribunal de commerce de Melun, statuant en référé, pouvait ordonner la mesure sollicitée au visa de l'article 35 du règlement UE 1215/2012 Bruxelles Ibis, article rappelant que les mesures provisoires ou conservatoires peuvent être demandées aux juridictions d'un Etat, même si les juridictions d'un autre Etat membre sont compétentes pour connaître du fond ;

- que, pour rappel, si les conditions générales d'Amazon prévoient la compétence des tribunaux de Munich en Allemagne, une mesure d'instruction, devant être exécutée en France et ayant pour objet la conservation ou l'établissement de la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution du litige (analyse de pièces et évaluation des supposées pertes, analyse du mode de fonctionnement du site dans un contexte de baisse des volumes et de changement des conditions d'activité, évaluation du préjudice subi au vu des conditions d'opération du site), présentant ainsi un caractère conservatoire par la sauvegarde de preuves existantes, pouvait être sollicitée auprès du juge français en application du règlement européen, le contrat stipulant au surplus la possibilité pour chaque partie de solliciter à tout moment une mesure d'injonction ou une mesure d'urgence en lien avec le contrat ;

- que la circonstance que l'action au fond pourrait être fondée sur les dispositions de l'article L. 442-1 du code de commerce (soit une action de la compétence du tribunal de commerce de Paris, juridiction spécialisée en matière de concurrence) n'empêche pas, non plus, une saisine de la juridiction territorialement compétente pour la mesure préalable in futurum sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, soit le tribunal de commerce de Melun, ce d'autant que l'action au fond, aux termes des conditions contractuelles, devrait en réalité être entreprise auprès des juridictions allemandes ;

- que ces motifs commandent de rejeter la demande de nullité de l'ordonnance entreprise, les exceptions d'incompétence et les fins de non-recevoir soulevées ;

- que, sur le fond de la mesure, la société Kuehne+Nagel peut se prévaloir d'un motif légitime au sens de l'article 145 du code de procédure civile, étant rappelé sur ce point que le demandeur à la mesure doit justifier d'éléments suffisamment crédibles, sans qu'il n'ait à établir le bien fondé ni le fondement juridique de l'action à intervenir, qui doit par ailleurs ne pas être manifestement vouée à l'échec ;

- que la mission confiée à l'expert a en effet pour objet, dans le but d'envisager toute action au fond sur l'indemnisation d'un préjudice, de faire constater les conditions d'exécution du contrat et de ses paramètres logistiques par rapport aux conditions d'opération du site, puis d'évaluer les surcoûts et pertes allégués ;

- que la mesure est également utile, de nature à améliorer la situation probatoire du demandeur à la mesure, puisqu'elle permettra l'examen de l'organisation et du fonctionnement du site et l'analyse des pièces, au regard des conditions d'exécution du contrat, peu important que ladite mesure doive se dérouler sur un site de la personne morale requérante, l'expertise se déroulant par ailleurs au contradictoire des parties, ce que ne permettrait pas la saisine d'un huissier de justice ou d'un expert par la seule partie intimée ;

- qu'enfin, il n'apparaît pas que l'expertise ordonnée confère à l'expert une mission juridictionnelle prohibée qui le conduirait à porter une appréciation d'ordre juridique interdite, le technicien désigné ayant en substance pour mission de constater et d'analyser des éléments techniques en vue de l'éventuelle action au fond, sans appréciation sur la responsabilité des parties en cause et en particulier sans qu'il ne lui soit demandé de donner son avis sur une qualification juridique, l'utilisation du rapport en cause devant les juridictions allemandes, même sujette à discussion quant à sa portée, n'établissant pour autant que ledit rapport serait sans aucune utilité devant des juges du fond allemands ; que l'appelante ne démontre pas que l'action fondée sur la production de ce rapport serait manifestement vouée à l'échec, la valeur probatoire de ce rapport en droit allemand relevant du fond du litige ;

- que, de même, les développements de la société Amazon sur l'absence de changement significatif justifiant une révision des stipulations contractuelles relèvent de la discussion au fond du litige et de l'appréciation du bien-fondé de l'action à venir, ces éléments ayant donc vocation à être discutés devant le juge du fond, et non devant le juge du référé-probatoire.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, la décision entreprise sera confirmée en tous ses éléments, en ce compris les frais et dépens de première instance.

A hauteur d'appel, la société appelante devra indemniser la société intimée pour les frais non répétibles exposés et sera condamnée aux dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

Rejette la demande de nullité de l'ordonnance entreprise, les exceptions d'incompétence et les fins de non-recevoir ;

Confirme l'ordonnance entreprise ;

Y ajoutant,

Condamne la société SARL Amazon EU à verser à la SAS Kuehne+Nagel la somme de 6.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel ;

Condamne la société SARL Amazon EU aux dépens d'appel.

LA GREFFIÈRE POUR LA PRESIDENTE

DE CHAMBRE EMPÊCHÉE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 1 - chambre 2
Numéro d'arrêt : 22/12410
Date de la décision : 23/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-23;22.12410 ?
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