Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 10
ARRÊT DU 23 MARS 2023
(n° , 8 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/15876 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B55Z3
Décision déférée à la Cour : Jugement du 30 Mars 2018 -Tribunal de Grande Instance de CRETEIL - RG n° 17/08101
APPELANT
Monsieur [N] [L]
né le [Date naissance 4] 1970 a [Localité 10] (Algérie)
[Adresse 9]
[Localité 12]
Représenté par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477
Assisté par Me Karine BUCHBINDER-BOTTERI de la SCP BUCHBINDER- LAMY - KARSENTI, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, toque : PC 372, substitué à l'audience par Me Clément DESPUSOL, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, toque : PC 372
INTIMÉS
Madame [C] [X] divorcée [L]
née le [Date naissance 2] 1975 à [Localité 10]/[Localité 17] (ALGÉRIE)
[Adresse 1]
[Localité 14]
Représentée et assistée à l'audience de Me Catherine GOUET JENSELME, avocat au barreau de PARIS, toque : A0569
Monsieur [Z] [P], décédé le [Date décès 7] 2019
né en 1961 à [Localité 16] (ALGERIE)
PARTIES INTERVENANTES
Madame [J] [G], en sa qualité d'héritière de M. [P] [Z] [M] et représantant M. [P] [H], en sa qualité d'héritier de M. [P] [Z] [M]
née le [Date naissance 6] 1970 à [Localité 10] (ALGERIE)
[Adresse 15]
[Localité 10](ALGERIE)
ET
Monsieur [H] [P], mineur représenté par Mme [J] [G], en qualité de représentant légal, en sa qualité d'héritier de M. [P] [Z] [M]
né le [Date naissance 5] 2012 à [Localité 10] (Algérie)
[Adresse 15]
[Localité 10](ALGERIE))
ET
Monsieur [I] [P], en sa qualité d'héritier de M. [P] [Z] [M]
né le [Date naissance 11] 1989 à [Localité 10] (Algérie)
[Adresse 15]
[Localité 10](ALGERIE)
ET
Monsieur [S] [P], en sa qualité d'héritier de M. [P] [Z] [M]
né le [Date naissance 3] 1990 à [Localité 10] (Algérie)
[Adresse 15]
[Localité 10](ALGERIE))
ET
Monsieur [F] [R] [P], en sa qualité d'héritier de M. [P] [Z] [M]
né en 1998 [Localité 10] (Algérie)
[Adresse 15]
[Localité 10](ALGERIE)
ET
Mademoiselle [E] [P], en sa qualité d'héritière de M. [P] [Z] [M]
née le [Date naissance 8] 2002 à [Localité 10]
[Adresse 15]
[Localité 10](ALGERIE)
ET
Monsieur [V] [P], en sa qualité d'héritier de M. [P] [Z] [M]
né le [Date naissance 13] 1993 à [Localité 10] (Algérie)
[Adresse 15]
[Localité 10](ALGERIE)
Représentés tous par Me Nadia BOUZIDI-FABRE, avocat au barreau de PARIS, toque : B0515
Assisté tous par Me Sarah LEVY, avocat au barreau de PARIS, toque : A0471
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 24 Janvier 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. Laurent NAJEM, Conseiller, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Madame Florence PAPIN, Présidente
Madame Valérie MORLET, Conseillère
Monsieur Laurent NAJEM, Conseiller
Greffier, lors des débats : Mme Christel CARLIER-DE NIET
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Florence PAPIN, Présidente et par Ekaterina RAZMAKHNINA, greffier, présent lors de la mise à disposition.
***
Rappel des faits et de la procédure :
Faisant valoir que M. [N] [L] et Mme [C] [X] épouse [L], malgré mise en demeure, refusaient de lui rembourser la somme de 30 millions de dinars algériens ' soit 251 000 euros - qu'il leur avait prêtée, par actes d'huissier de justice en date du 22 juin 2015, M. [Z] [P] a fait assigner M. et Mme [L] devant le tribunal de grande instance de Créteil.
Mme [X] épouse [L] n'avait pas constitué avocat.
Le 30 mars 2018, le tribunal de grande instance de Créteil a :
Ordonné, conformément à la demande à laquelle M. [L] a acquiescé, à M. [L] de rembourser à M. [P] la somme de 251.000 euros prêtée sans intérêt, à titre de bienfaisance,
Dit n'y avoir lieu d'assortir ladite injonction d'une astreinte, compte tenu des caractéristiques du prêt,
Débouté M. [P] de ses demandes à l'encontre de Mme [X] épouse [L], dépourvues de fondement,
Condamné M. [L] aux entiers dépens de l'instance,
Condamné M. [L] à payer à M. [P] la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Dit n'y avoir lieu d'assortir le présent jugement de l'exécution provisoire,
Déboute M. [P] de ses demandes plus amples ou contraires.
M. [L] a interjeté appel du jugement par déclaration en date du 25 juin 2018.
[Z] [P] est décédé le [Date décès 7] 2019.
Ces ayants droit ont été attraits à la procédure par acte transmis aux autorités algériennes le 23 avril 2021.
Par ses dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 20 avril 2021, M. [L] demande à la cour de :
Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a ordonné uniquement à M. [L] de rembourser à M. [P] la somme de 251.000 euros à titre de prêt,
Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. [P] de ses demandes à l'encontre de Mme [X],
Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il condamne M. [L] à payer à M. [P] la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et aux dépens de l'instance,
Statuant à nouveau,
Condamner Mme [X] solidairement avec M. [L] à rembourser à la succession de M. [P] la somme de 251.000 euros,
Y ajoutant,
Condamner tout succombant à verser à M. [L] la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les entiers dépens, dont distraction au profit de la SELARL Lexavoue Paris-Versailles.
Il précise qu'il ne conteste pas la dette et reconnaît ne pas l'avoir remboursée dans le délai imparti.
En revanche, il souligne qu'il était marié à Mme [C] [X] sous le régime légal de la communauté. Il fait valoir que le prêt a été consenti pendant le mariage pour financer un bien immobilier ; qu'il manquait au couple une somme d'environ 250 000 euros à cette fin, ce qui explique qu'ils aient eu recours à un prêt d'un ami, M. [P]. Il se fonde sur les termes d'un arrêt de la cour d'appel du 13 juin 2017 ayant prononcé leur divorce, décision aujourd'hui définitive.
Il en conclut que Mme [X] a nécessairement consenti à ce prêt de sorte qu'il s'agit d'une dette ménagère au sens de l'article 220 du code civil.
Par leurs dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 16 juillet 2021, Mme [J] [G], M. [H] [P], M. [I] [P], M. [S] [P], M. [F] [R] [P], Mme [E] [P], M. [V] [P] en qualité d'ayant droits de [Z] [P] demandent à la cour de :
Confirmer le jugement rendu par le tribunal de grande de Paris du 30 mars 2018 en toutes ses dispositions,
Débouter M. [L] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
Infirmer ledit jugement en ce qu'il n'a pas condamné Mme [X],
En conséquence, statué à nouveau :
Acter que le prêt consenti le 8 avril 2008 d'un montant de 251 000 euros par M. [P] a été intégralement remboursé par M. [L],
Constater que Mme [X] et M. [L] étaient solidairement tenu au remboursement du prêt objet des présentes,
Condamner Mme [X] à rembourser les frais irrépétibles engagés par M. [P] à hauteur de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamner Mme [X] aux entiers dépens.
Ils font valoir que la preuve du prêt d'argent est rapportée ; que M. [L] a reconnu devant notaire devoir la somme litigieuse mais n'a pas respecté son engagement de remboursement dans le délai imparti.
Par ses dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 6 mai 2019, Mme [X] demande à la cour de :
Confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a rejeté toute demande à l'encontre de Mme [X] en constatant que :
L'existence d'un prêt de M. [P] n'est pas rapportée,
L'acte de prêt allégué est inopposable à Mme [X],
Si la réalité de ce prêt était rapportée, il ne peut s'agir d'une dette commune de nature familiale.
Condamner M. [L] et M. [P] in solidum à payer à Mme [X] la somme de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'en tous les dépens.
Elle fait valoir qu'il y a en l'espèce un stratagème de M. [L] dans le cadre de la procédure de divorce, avec la complicité de M. [P].
Elle considère que la preuve de la remise des fonds n'est pas rapportée, M. [P] disposant de revenus modestes.
Elle soutient que le contrat a un objet illégal en droit algérien ; que l'acte a été signé deux ans après l'acquisition du bien qu'il est supposé financer, ce que le tribunal a relevé.
Elle allègue qu'en tout état de cause, le prêt allégué lui est inopposable ; qu'elle n'a jamais signé l'acte notarié ; que la solidarité entre époux ne joue pas pour les emprunts de cette importance et alors que la destination des fonds reste inconnue. Elle relève que si une somme de 251 000 euros lui a bien été versée par son père, il n'y a aucune preuve de la remise des fonds de M. [P] aux époux par l'intermédiaire de son père. Elle estime que M. [L] donne à l'arrêt du 13 juin 2017 une portée qu'il n'a pas.
Elle relève que l'attestation de son père est datée de 2013 pour des faits de 2008 et elle fait état de liens distendus avec celui-ci. Elle souligne, qu'en tout état de cause, il n'est pas fait référence à une remise des fonds. Elle estime que ni l'extrait de compte, ni le décompte du notaire n'ont de caractère probant s'agissant de l'origine des fonds ou de leur destination.
Par ordonnance du 9 février 2022, le conseiller de la mise en état s'est déclaré incompétent pour connaître de la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité soulevée par Mme [X]. Cette demande n'a pas été reprise dans des conclusions de fond.
La clôture a été prononcée le 30 novembre 2022.
MOTIFS DE LA DECISION
A titre liminaire, il résulte d'une déclaration de concordance d'identité que l'orthographe exacte du défendeur en première instance, aujourd'hui décédé, est « [P] » et non « [P] » qui figure pourtant dans certains actes.
Par ailleurs, il convient de relever que M. [L] ne critique pas sa condamnation mais uniquement le fait que Mme [X] n'ait pas été condamnée solidairement avec lui. Il sollicite que cette dernière soit condamnée solidairement avec lui à rembourser la succession de M. [P].
Les ayants droit de M. [P] demandent à la cour d' « acter que le prêt consenti le 8 avril 2008 d'un montant de 251 000 euros par M. [P] a été intégralement remboursé par M. [L] » et de « constater que Mme [X] et M. [L] étaient solidairement tenus au remboursement du prêt, objet des présentes ».
La cour observe qu'ils ne formulent pas expressément de demande de condamnation de Mme [X] ' ni les demandes « d'acter » ni celle de « constater » ne saisissent la cour à cette fin. Leurs demandes révèlent par ailleurs une contradiction puisqu'ils sollicitent à la fois la confirmation du jugement déféré « en toutes ses dispositions » avant d'en solliciter l'infirmation « en ce qu'il n'a pas condamné Madame [X] ».
Au regard des demandes ainsi formulées en tout état de cause, seule la question de l'engagement contesté de Mme [X] au titre du prêt sera examinée : le jugement déféré n'est pas critiqué par les parties en ce qu'il a condamné M. [L] mais uniquement en ce qu'il ne l'a pas condamné solidairement avec Mme [X].
*
Il résulte de l'article 9 du code de procédure civile qu'il appartient à chacune des parties de verser les pièces nécessaires au succès de ses prétentions.
Aux termes de l'article 1315 ancien du code civil, dans sa version applicable au présent litige :
« Celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver.
Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation. »
Les consorts [P] versent la traduction d'un acte notarié algérien intitulé « acte d'emprunt » en date du 3 février 2013 et conclu entre M. [L], en qualité de débiteur et M. « [P] », créancier. Il y est exposé que « le débiteur (') a déclaré devant nous, alors qu'il disposait de toutes ses facultés légalement requises et agissait de sa pleine volonté, sans contrainte ni pression, avoir emprunté à :
Monsieur [P] [Z],
La somme de trente millions de dinars algériens (30 000 000.00 DA), soit trois milliards de centimes,
En qualité de dette de bienfaisance ' en dehors de l'office,
En date du : 08/04/2008.
Les deux parties ont convenu que cette dette soit honorée dans un délai de six ans ».
Cet acte ne fait nulle mention de Mme [X], qui n'en est en tout état de cause pas signataire. L'engagement de cette dernière requérait nécessairement un écrit, eu égard au montant en jeu.
La solidarité entre époux résultant de l'article 220 du code civil ne saurait être retenue en l'espèce, alors même qu'elle n'a pas lieu, en l'absence de consentement des deux époux, pour les achats à tempérament ni pour les emprunts, à moins que ces derniers ne portent sur des sommes modestes nécessaires aux besoins de la vie courante, ce qui n'est pas le cas de la somme empruntée.
La destination alléguée des fonds - l'acquisition du domicile conjugal des époux [X]-[L] - n'est pas davantage été mentionnée dans cet acte notarié, alors même que cette acquisition est intervenue cinq ans auparavant.
Il ne résulte pas de l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 13 juin 2017 prononçant le divorce des époux [X]-[L] la preuve de ce que Mme [X] ait souscrit un engagement au titre d'un prêt : la cour n'était nullement directement saisie de cette question. Si la réalité de ce prêt est évoquée, il n'est fait aucune mention de l'acte notarié du 3 février 2013, et la cour a statué uniquement sur le fait que la preuve que Mme [X] ait bénéficié de donations de son père n'était pas rapportée au regard des attestations de ce dernier et de M. [L]. La cour a ainsi débouté Mme [X] « de sa demande tendant à ce qu'il soit jugé que la communauté lui doit récompense à hauteur de 351 000 euros au titre de donations reçues de son père ».
M. [F] [X], père de l'intimée, expose en effet dans une attestation avoir effectué un virement de 251 000 euros sur le compte de M. [L] mais il allègue que cette somme ne lui appartenait pas. Il ne dit rien de l'engagement de sa fille, cette dernière évoquant par ailleurs un conflit familial qui expliquerait ce témoignage. L'avis de virement en date du 17 mai 2008 pour une somme de 251 000 euros fait seulement la preuve d'une opération intervenue entre le compte de M. [X] et celui de M. [L].
Comme l'a relevé le premier juge, l'attestation de M. [P], outre qu'elle émane d'une partie au litige, revêt un caractère incohérent. Il évoque notamment une remise de chèques au profit de M. [L] d'un montant de 30 000 000 dinars algériens, le 20 août 2010, soit deux ans après l'acquisition du bien immobilier, de sorte que cette somme ne peut avoir financé cette opération.
Par conséquent, en l'absence de preuve de son engagement au titre du prêt, Mme [X] ne saurait être condamnée aux côtés de son ancien époux.
La décision sera confirmée en ce qu'elle a débouté M. [P] de l'ensemble de ses demandes à l'encontre de Mme [X]. M. [L] est également débouté de sa demande aux mêmes fins.
Sur les demandes accessoires
Les condamnations au titre des dépens et de l'article 700 du code de procédure civile sont confirmées.
A hauteur d'appel, M. [L] sera condamné aux dépens d'appel ainsi qu'à payer à Mme [X] la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles.
Mme [X] n'a, en revanche, pas actualisé ses demandes à l'encontre des ayants droit de M. [P], les demandes à l'encontre de [Z] [P], aujourd'hui décédé, ne peuvent plus prospérer.
PAR CES MOTIFS
Confirme la décision déférée dans ses dispositions soumises à la cour ;
Y ajoutant
Déboute M. [L] de ses demandes ;
Condamne M. [L] à payer à Mme [X] la somme de 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne M. [L] aux dépens d'appel ;
Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE