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22/03/2023 | FRANCE | N°21/01696

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 1, 22 mars 2023, 21/01696


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 5 - Chambre 1



ARRET DU 22 MARS 2023



(n°042/2023, 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 21/01696 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CC72Z



Décision déférée à la Cour : Jugement du 13 Novembre 2020 - Tribunal Judiciaire de PARIS - 4ème chambre - 2ème section - RG n° 18/01978





APPELANTE



S.A.S. LE GROUPE NOVA

Société au capital de 200 000 euros>
Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de NANTERRE sous le numéro 503 417 321

Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège ...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 1

ARRET DU 22 MARS 2023

(n°042/2023, 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 21/01696 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CC72Z

Décision déférée à la Cour : Jugement du 13 Novembre 2020 - Tribunal Judiciaire de PARIS - 4ème chambre - 2ème section - RG n° 18/01978

APPELANTE

S.A.S. LE GROUPE NOVA

Société au capital de 200 000 euros

Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de NANTERRE sous le numéro 503 417 321

Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Jean-Didier MEYNARD de la SCP BRODU - CICUREL - MEYNARD - GAUTHIER - MARIE, avocat au barreau de PARIS, toque : P0240

Assistée de Me Hélène RONDELEZ, avocat au barreau de PARIS, toque : C2561

INTIMEE

Madame [T] [K]

Née le 19 janvier 1979 à [Localité 3] (MAROC)

De nationalité française

Demeurant [Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Xavier CHILOUX de la SELEURL XAVIER CHILOUX AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, toque : P051

Assistée de Me Alexandra CHILOUX, avocat au barreau de PARIS, toque : D0139 substituant Me Xavier CHILOUX de la SELEURL XAVIER CHILOUX AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, toque : P051

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 31 janvier 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Isabelle DOUILLET, présidente et Mme Déborah BOHÉE, conseillère, chargée d'instruire l'affaire, laquelle a préalablement été entendue en son rapport.

Ces magistrates ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Isabelle DOUILLET, présidente de chambre

Mme Françoise BARUTEL, conseillère

Mme Déborah BOHÉE, conseillère.

Greffier, lors des débats : Mme Karine ABELKALON

ARRÊT :

Contradictoire

par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

signé par Isabelle DOUILLET, Présidente de chambre et par Carole TREJAUT, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSE DU LITIGE

La société LE GROUPE NOVA se présente comme une société spécialisée dans le conseil en système d'informations et d'expertise en nouvelles technologies.

En 2017, la société MARIONNAUD a souhaité lui confier une prestation informatique de «développement OMNICANAL».

Pour ce faire, la société LE GROUPE NOVA a fait appel à une consultante, Mme [T] [K] et les parties ont eu recours à une société de portage salarial, la société 2i PORTAGE, pour formaliser leurs relations.

C'est ainsi que les 13 et 17 mars 2017, la société LE GROUPE NOVA et la société 2i PORTAGE ont régularisé un « contrat de prestation en portage salarial », la prestation devant débuter le 14 mars 2017 pour une durée de quatre mois renouvelable.

Le 13 mars 2017, la société LE GROUPE NOVA et Mme [T] [K] ont en outre signé un document intitulé « lettre de mission MARIONNAUD » contenant notamment une clause de non-sollicitation de clientèle.

Par lettre du 31 mai 2017, la société LE GROUPE NOVA a résilié le contrat de prestation en portage salarial, prévoyant une fin de mission effective au 30 juin 2017.

Mme [T] [K] a poursuivi sa collaboration avec la société MARIONNAUD et un nouveau contrat de prestation de portage salarial a été conclu entre les sociétés MARIONNAUD et 2i PORTAGE le 17 juillet 2017.

Par lettre du 18 juillet 2017, la société LE GROUPE NOVA a mis la société 2i PORTAGE en demeure de cesser tout acte de concurrence déloyale et de faire cesser à Mme [T] [K] « toute tentative de captation de clientèle ou plus généralement tout acte ou tentative s'apparentant à de la concurrence déloyale à l'égard de [ses] clients en général et de la société MARIONNAUD en particulier. »

Par actes d'huissier en date du 4 août 2017, elle a fait assigner Mme [T] [K] et la société 2i PORTAGE devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris aux fins de voir notamment :

- ordonner, sous astreinte, la cessation de l'intervention de Mme [T] [K] ou de tout autre consultant de la société 2i PORTAGE au sein de la société MARIONNAUD pour une prestation de « développement OMNICANAL » ;

- prononcer l'interdiction solidaire, sous astreinte, pour Mme [T] [K] et pour la société 2i PORTAGE, de solliciter ou répondre à une sollicitation d'un client de la société LE GROUPE NOVA, sans avoir consulté préalablement cette dernière ;

- condamner les défenderesses à lui verser la somme de 16.500 euros à titre de provision sur son préjudice.

Par ordonnance en date du 23 octobre 2017, le juge des référés a dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes formées par la société LE GROUPE NOVA à l'encontre de la société 2i PORTAGE et de Mme [T] [K].

C'est dans ce contexte que, par actes d'huissier des 23 et 24 janvier 2018, la société LE GROUPE NOVA a fait assigner Mme [T] [K] et la société 2i PORTAGE devant le tribunal judiciaire de Paris.

Par jugement, rendu le 13 novembre 2020, le tribunal judiciaire de Paris a:

- débouté la société LE GROUPE NOVA de l'intégralité de ses demandes ;

- débouté Mme [T] [K] de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

- condamné la société LE GROUPE NOVA à payer à Mme [T] [K] et à la société 2i PORTAGE la somme de 2.500 euros chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la société LE GROUPE NOVA aux dépens ;

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires qui ont été reprises dans l'exposé du litige.

Le 25 janvier 2021, la société LE GROUPE NOVA a interjeté appel de ce jugement mais en n'intimant que Mme [T] [K].

Dans ses dernières conclusions, numérotées 2 et signifiées par RPVA le 17 octobre 2022, la société LE GROUPE NOVA demande à la cour de :

- déclarer le GROUPE NOVA recevable et bien fondé en son appel

- débouter Mme [T] [K] de l'ensemble de ses prétentions.

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

- débouté la société LE GROUPE NOVA de l'intégralité de ses demandes à l'encontre de Mme [T] [K] qui tendaient à solliciter sa condamnation au paiement des sommes de 7.700 € à titre de perte de marge du fait de la poursuite illicite de la mission auprès du client MARIONNAUD, 60.000 euros à titre d'indemnisation de son préjudice commercial et celle de 6.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société LE GROUPE NOVA à payer à Mme [T] [K] la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société LE GROUPE NOVA aux dépens,

- et plus généralement en toutes ses dispositions causant grief à l'appelante.

Et, statuant à nouveau sur les chefs infirmés :

- condamner Mme [T] [K], au titre de sa responsabilité contractuelle, à payer à la société LE GROUPE NOVA la somme de 76.640€ à titre de dommages-intérêts ;

- condamner Mme [T] [K] à payer à la société LE GROUPE NOVA la somme de 6.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions, numérotées 2 et signifiées par RPVA le 19 septembre 2022, Mme [T] [K] demande à la cour de :

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris.

- débouter purement et simplement le demandeur de l'ensemble de ses demandes.

- juger que Mme [T] [K] est la salariée de la société 2iPORTAGE et qu'elle n'a agi que dans le cadre de son contrat de travail.

- juger que Mme [T] [K] n'a usé d'aucune man'uvre, encore moins déloyale, au détriment de la société LE GROUPE NOVA.

- juger que Mme [T] [K] n'est liée par aucun lien contractuel avec la société LE GROUPE NOVA.

- juger que Mme [T] [K] n'a pas détourné le client MARIONNAUD de la société LE GROUPE NOVA.

- juger que la responsabilité contractuelle de Mme [T] [K] ne saurait être engagée.

Statuant à nouveau,

- condamner la société LE GROUPE NOVA au paiement de la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

- condamner la société LE GROUPE NOVA au paiement de la somme de 6.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

MOTIFS DE LA DÉCISION

En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu'elles ont transmises, telles que susvisées.

Sur les chefs du jugement non critiqués

La cour constate que le jugement est définitif à l'égard de la société 2i PORTAGE, mise hors de cause par le jugement déféré, qui n'a pas été intimée par la société appelante ni mise en cause par l'intimée et qui n'est donc plus dans la cause devant la cour. Le jugement est donc définitif en ce qu'il a :

- débouté la société LE GROUPE NOVA de l'intégralité de ses demandes à l'égard de la société 2i PORTAGE;

- condamné la société LE GROUPE NOVA à payer à la société 2i PORTAGE la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Sur la responsabilité de Mme [T] [K]

L'appelante soutient essentiellement que, nonobstant la convention de portage salarial la liant à la société 2i Portage, Mme [T] [K] s'est engagée à son égard, dans le cadre d'une lettre de mission, à respecter une clause de non-sollicitation de sa clientèle, qu'elle a violée en continuant à travailler pour la société MARIONNAUD qui était sa cliente.

Elle conteste la décision du tribunal qui a écarté cette lettre de mission alors que Mme [T] [K] y a librement consenti, Mme [T] [K] n'invoquant au demeurant aucune des dispositions du code civil susceptibles d'en affecter la validité, et dont le contenu est licite et proportionné. Elle estime notamment qu'aucun texte n'interdit au salarié porté de souscrire des engagements directement avec l'entreprise, même s'ils ne sont pas ensuite mentionnés dans le contrat de mission.

Mme [T] [K] rappelle qu'elle était la salariée de la société 2i PORTAGE, société de portage salarial, laquelle a, seule, contracté avec la société LE GROUPE NOVA et en déduit que, compte tenu de son statut de salariée de la société 2i PORTAGE, le GROUPE NOVA n'avait pas autorité à lui faire signer l'ordre de mission litigieux ou à lui faire souscrire des obligations particulières à son égard. Elle rappelle que c'est la société LE GROUPE NOVA qui a mis fin au contrat, alors qu'elle a, elle-même, tenté de poursuivre leur collaboration. Elle ajoute ne pas avoir démarché la société MARIONNAUD mais avoir été sollicitée par elle pour une nouvelle mission.

La cour rappelle qu'en vertu de l'article L1254-1 du code du travail « Le portage salarial désigne l'ensemble organisé constitué par :

1° D'une part, la relation entre une entreprise dénommée "entreprise de portage salarial" effectuant une prestation et une entreprise cliente bénéficiant de cette prestation, qui donne lieu à la conclusion d'un contrat commercial de prestation de portage salarial ;

2° D'autre part, le contrat de travail conclu entre l'entreprise de portage salarial et un salarié désigné comme étant le " salarié porté ", lequel est rémunéré par cette entreprise.»

Puis, selon l'article L.1254-2 du même code, « I.-Le salarié porté justifie d'une expertise, d'une qualification et d'une autonomie qui lui permettent de rechercher lui-même ses clients et de convenir avec eux des conditions d'exécution de sa prestation et de son prix. (...)»

L'article L1254-15 dispose quant à lui que : «Le contrat de travail comporte notamment les clauses et mentions suivantes :

1° Clauses et mentions relatives à la relation entre l'entreprise de portage salarial et le salarié porté :

a) La date du terme et, le cas échéant, une clause de renouvellement lorsqu'il comporte un terme précis ;

b) Les modalités de calcul et de versement de la rémunération, de l'indemnité d'apport d'affaire, des charges sociales et fiscales, des frais de gestion et, le cas échéant, des frais professionnels;

c) S'il y a lieu, les modalités de déduction des frais professionnels ;

d) Le descriptif des compétences, des qualifications et des domaines d'expertise du salarié porté;

e) La durée de la période d'essai éventuellement prévue ;

f) Les modalités d'acquisition, de prise et de paiement des congés payés conformément aux dispositions des articles L. 3141-1 et suivants ;

g) Les nom et adresse de la caisse de retraite complémentaire ainsi que, le cas échéant, ceux de l'organisme de prévoyance dont relève l'entreprise de portage salarial ;

h) La périodicité de l'établissement par le salarié porté de comptes rendus d'activité ;

i) L'identité du garant financier de l'entreprise de portage salarial ;

2° Clauses et mentions relatives à la réalisation de la prestation de service de portage salarial:

a) L'identité et l'adresse de l'entreprise cliente ;

b) Le descriptif de l'objet de la prestation et ses conditions d'exécution par le salarié porté ;

c) La durée de la prestation ;

d) Le cas échéant, la durée minimale de la prestation et la nature de l'événement ou du résultat objectif déterminant la fin de la relation contractuelle, lorsque le terme est incertain et lié à la réalisation de la prestation ;

e) Le prix de la prestation convenu entre le salarié porté et l'entreprise cliente comprenant notamment le montant de la rémunération, de l'indemnité d'apport d'affaire, des prélèvements sociaux et fiscaux, des frais de gestion et le cas échéant des frais professionnels ;

f) La responsabilité de l'entreprise cliente relative aux conditions d'exécution du travail du salarié porté, en particulier les questions liées à sa santé, à sa sécurité et à la durée du travail, pendant l'exécution de sa prestation dans ses locaux ou sur son site de travail ;

g) S'il y a lieu, la nature des équipements de protection individuelle mis à disposition par l'entreprise cliente ;

h) L'identité de l'assureur et le numéro d'assurance garantissant la responsabilité civile souscrite pour le compte du salarié porté pour les dommages provoqués dans l'entreprise cliente pendant l'exécution de la prestation.»

Ensuite, en vertu de l'article L.1254-22 du même code, «L'entreprise de portage salarial conclut avec l'entreprise cliente du salarié porté un contrat commercial de prestation de portage salarial au plus tard dans les deux jours ouvrables suivant le début de la prestation. Ce contrat reprend les éléments essentiels de la négociation de la prestation entre le salarié porté et l'entreprise cliente
1: Mise en gras par la cour

. L'entreprise de portage adresse au salarié porté par tout moyen une copie de ce contrat dans le même délai.»

Enfin, selon l'article L.1254-23 du même code, « Le contrat conclu par écrit comporte les clauses et mentions suivantes :

1° L'identité du salarié porté ;

2° Le descriptif des compétences, des qualifications et des domaines d'expertise du salarié porté;

3° Le descriptif de la prestation et ses conditions d'exécution par le salarié porté ;

4° La date du terme de la prestation et, le cas échéant, la durée minimale de la prestation lorsque le terme est incertain et lié à la réalisation de la prestation ;

5° Le prix de la prestation convenu entre le salarié porté et l'entreprise cliente ;

6° La responsabilité de l'entreprise cliente relative aux conditions d'exécution du travail du salarié porté, en particulier les questions liées à sa santé, à sa sécurité et à la durée du travail, pendant l'exécution de sa prestation dans ses locaux ou sur son site de travail ;

7° S'il y a lieu, la nature des équipements de protection individuelle mis à disposition par l'entreprise cliente ;

8° L'identité du garant financier de l'entreprise de portage salarial ;

9° L'identité de l'assureur et le numéro d'assurance garantissant la responsabilité civile souscrite pour le compte du salarié porté pour les dommages provoqués dans l'entreprise cliente pendant l'exécution de la prestation.»

Le non respect de certaines de ces dispositions fait l'objet de dispositions pénales.

En l'espèce, il est constant que Mme [T] [K] était salariée de la société 2i PORTAGE pour avoir été engagée en contrat à durée indéterminée à compter du 25 juin 2012 en qualité de consultante.

Il n'est pas contesté que la société MARIONNAUD a confié à la société LE GROUPE NOVA une prestation « de développement OMNICANAL», que cette dernière a recherché des consultants pour réaliser cette mission et a sélectionné à cette fin Mme [T] [K], avec qui elle a ensuite négocié les termes de sa mission.

Dans ce contexte, la société LE GROUPE NOVA a signé, le 13 mars 2017, un contrat de prestation de portage salarial avec la société 2i PORTAGE, pour une durée de 4 mois, renouvelable du 14 mars au 14 juillet 2017, elle-même employeur de Mme [T] [K].

La société LE GROUPE NOVA a fait signer, le même jour, une «lettre de mission» à Mme [T] [K] comportant des obligations particulières, lui imposant de présenter un compte-rendu de son activité de manière hebdomadaire, une obligation de confidentialité et un engagement de «non-sollicitation», aux termes duquel : « Le consultant ainsi que son employeur se font un devoir et une obligation de ne jamais tenter de détourner les clients de la Société à leur profit ou au profit d'un tiers quelconque. Ils s'engagent en particulier, à ne pas s'intéresser directement ou indirectement à la clientèle du GROUPE NOVA, même si le consultant fait l'objet de la part du client final de sollicitations spontanées et ce pendant une durée de 12 mois après l'arrêt de la mission ».

Le contrat de prestation de portage salarial signé entre la société LE GROUPE NOVA et la société 2i PORTAGE qui mentionne reprendre «les éléments essentiels de la négociation de la prestation entre l'entreprise cliente et [T] [K], salariée portée», ne fait pas état de cette lettre de mission.

Enfin, c'est la société LE GROUPE NOVA qui a résilié le contrat de prestation de portage salarial avant la date convenue, avec une fin de mission effective au 30 juin 2017.

Comme l'a justement rappelé le tribunal, dans le cadre d'un portage salarial, les conditions d'exercice de la mission sont définies par la société cliente et le salarié porté. Cependant, ces conditions font partie intégrante de la convention de portage salarial qui doit, au demeurant, en reprendre «les éléments essentiels», et ce d'autant qu'il appartient à la société de portage salarial, titulaire du pouvoir hiérarchique et disciplinaire sur le salarié porté, de les faire respecter le cas échéant. Ainsi, si comme le soutient la société LE GROUPE NOVA, il existe une possibilité de négociation libre et autonome du salarié porté avec l'entreprise cliente, le salarié pouvant souscrire des engagements spécifiques à son égard, c'est à la condition que ces engagements soient repris dans le contrat de portage salarial dès lors qu'ils en constituent des éléments essentiels.

Or, la «lettre de mission», qui n'a été signée que par Mme [T] [K] et non par son employeur la société 2i PORTAGE, comporte des engagements qui vont au delà des conditions d'exercice de la mission, puisqu'ils ont vocation à perdurer après son terme.

Par ailleurs, le contrat de portage salarial ne mentionne cette lettre de mission ni dans son contenu ni dans ses annexes alors que la loi impose qu'il reprenne les éléments essentiels de la négociation ayant eu lieu entre la société LE GROUPE NOVA et Mme [T] [K]. À cet égard, la cour considère que le fait de faire souscrire à Mme [T] [K], qui n'était pas sa salariée, et en dehors de tout cadre légal, une lettre de mission lui interdisant (et à son employeur, au demeurant non signataire) de «s'intéresser directement ou indirectement à la clientèle du GROUPE NOVA, même si le consultant fait l'objet de la part du client final de sollicitations spontanées et ce pendant une durée de 12 mois après l'arrêt de la mission», soit un élément essentiel puisque s'analysant en une obligation de non concurrence sans contrepartie mentionnée, ni limitation géographique, et dont la licéité peut faire débat, aurait dû, à tout le moins, pour être opposable à la salariée portée, figurer dans le contrat de portage salarial, comme le mentionne l'article L.1254-22 précité.

Dans ce cadre juridique spécifique du contrat de portage salarial strictement organisé par le code du travail, la société LE GROUPE NOVA n'est pas fondée à opposer les règles habituelles du code civil applicables au droit des contrats, l'éventuel consentement de Mme [T] [K] étant indifférent sur ce point, celle-ci n'étant liée, dans le cadre du contrat de portage salarial, qu'à son employeur la société 2i PORTAGE, dans le respect des dispositions du code du travail précitées.

En conséquence, la société LE GROUPE NOVA n'est pas fondée à rechercher la responsabilité contractuelle de Mme [T] [K] pour violation de la lettre de mission, dans le cadre du contrat de prestation de portage salarial conclu postérieurement entre les sociétés MARIONNAUD et 2i PORTAGE et doit être déboutée de l'ensemble de ses demandes formulées en conséquence.

Le jugement dont appel est en conséquence confirmé de ce chef.

Sur la demande reconventionnelle de dommages-intérêts pour procédure abusive

Mme [T] [K] estime être victime d'un acharnement procédural de la part de la société LE GROUPE NOVA et sollicite en conséquence sa condamnation à lui verser une somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive.

La cour rappelle que l'accès au juge étant un droit fondamental et un principe général garantissant le respect du droit, ce n'est que dans des circonstances tout à fait exceptionnelles que le fait d'agir en justice ou d'exercer une voie de recours légalement ouverte est susceptible de constituer un abus. Or, Mme [T] [K] ne démontre pas la faute commise par la société LE GROUPE NOVA qui aurait fait dégénérer en abus son droit d'agir en justice, l'intéressée ayant pu légitimement se méprendre sur l'étendue de ses droits. Elle ne justifie pas en outre de l'existence d'un préjudice distinct de celui causé par la nécessité de se défendre en justice qui sera réparé par l'allocation d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. Enfin, aucun acte de dénigrement n'est démontré par l'intimée.

C'est en conséquence à juste titre que le tribunal a débouté Mme [T] [K] des demandes formulées sur ce point, le jugement dont appel étant confirmé.

Sur les autres demandes

La société LE GROUPE NOVA, succombant, sera condamnée aux dépens d'appel et gardera à sa charge les frais non compris dans les dépens qu'elle a exposés à l'occasion de la présente instance, les dispositions prises sur les dépens et frais irrépétibles de première instance étant confirmées.

Enfin, l'équité et la situation des parties commandent de condamner la société LE GROUPE NOVA à verser à Mme [T] [K] une somme de 6.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne la société LE GROUPE NOVA aux dépens d'appel,

Condamne la société LE GROUPE NOVA à verser à Mme [T] [K] une somme de 6.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 1
Numéro d'arrêt : 21/01696
Date de la décision : 22/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-22;21.01696 ?
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