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22/03/2023 | FRANCE | N°21/01509

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 6, 22 mars 2023, 21/01509


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 6 - Chambre 6



ARRET DU 22 MARS 2023



(n° 2023/ , 12 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/01509 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDERY



Décision déférée à la Cour : Jugement du 14 Janvier 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CRETEIL - RG n° F19/01702





APPELANTE



Madame [Y] [T]

[Adresse 1]

[Localité 3]



Représentée p

ar Me Nicolas FONTAINE, avocat au barreau de PARIS, toque : D1575





INTIMÉE



S.A.S. ACHATS MARCHANDISES CASINO

[Adresse 2]

[Localité 4]



Représentée par Me Bruno REGNIER, avocat au barre...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 6

ARRET DU 22 MARS 2023

(n° 2023/ , 12 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/01509 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDERY

Décision déférée à la Cour : Jugement du 14 Janvier 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CRETEIL - RG n° F19/01702

APPELANTE

Madame [Y] [T]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Nicolas FONTAINE, avocat au barreau de PARIS, toque : D1575

INTIMÉE

S.A.S. ACHATS MARCHANDISES CASINO

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Bruno REGNIER, avocat au barreau de PARIS, toque : L0050

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 07 février 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur Christophe BACONNIER, Président de chambre

Madame Nadège BOSSARD, Conseillère

Monsieur Stéphane THERME, Conseiller

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Monsieur Stéphane THERME, Conseiller, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier : Madame Julie CORFMAT, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Monsieur Christophe BACONNIER, Président de chambre et par Madame Julie CORFMAT, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE :

Mme [T] a été engagée à compter du 16 septembre 2002 par la société E.M.C. Distribution (Groupe Casino) par contrat de travail écrit à durée indéterminée au poste de chargée d'études, cadre fonctionnel niveau 7. Après plusieurs avenants, le contrat de travail s'est poursuivi dans la société Achats Marchandises Casino, ci-après AMC, en qualité d'acheteur, catégorie cadre niveau 8, selon une avenant du 24 octobre 2017.

La convention collective du commerce de gros et de détail à prédominance non alimentaire est applicable.

Mme [T] a été en arrêt de travail à compter du 2 février 2019.

Le 8 avril 2019, lors de la visite de reprise, le médecin du travail a conclu à l'inaptitude de Mme [T] à son poste, avec une indication relative à son reclassement : 'Possibilité d'un travail sans négociation'.

Le 1er juillet 2019 la société AMC a adressé à Mme [T] trois propositions de poste, qui les a refusées.

Mme [T] a été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement par lettre du 11 septembre 2019.

Mme [T] a saisi le conseil de prud'hommes de Créteil le 5 décembre 2019.

Par jugement du 14 janvier 2021 , le conseil de prud'hommes a :

Ecarté les pièces 38 et 39 transmises par la société AMC le 16 septembre 2020, ainsi que les nouvelles conclusions (conclusions n°2) les accompagnant ;

Fixé le salaire mensuel de Mme [T] à 7 474,13 euros ;

Dit que convention de forfait en jours de Mme [T] n'était pas valide ;

Dit que le licenciement pour inaptitude de Mme [T] est justifié ;

Condamné la société AMC à payer à Mme [T] dont la moyenne des derniers salaires s'élève à 7 474,13 euros :

- 770 euros au titre de la prime de développement,

- 77 euros à titre de congés payés afférents à la prime de développement,

- 1 300 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Débouté Mme [T] du surplus de ses demandes ;

Débouté la société AMC de sa demande d'application de l'article 700 du code de procédure civile.

Mme [T] a formé appel par acte du 29 janvier 2021.

Par conclusions déposées au greffe et notifiées le 9 janvier 2023, auxquelles la cour fait expressément référence, Mme [T] demande à la cour de :

Confirmer le jugement en ce qu'il a :

Fixé la moyenne des salaires de Mme [T] à la somme de 7 474,13 euros,

Condamné la société AMC à verser la somme de 770 euros au titre de la prime de développement,

Condamné la société AMC à verser la somme de 77 euros au titre des congés payés y afférents ;

Infirmer le jugement en ce qu'il a :

Dit que la convention de forfait en jours de Mme [T] n'était pas valide,

Dit que le licenciement pour inaptitude de Mme [T] était justifié,

Débouté Mme [T] du surplus de ses demandes.

En conséquence, statuant à nouveau,

Débouter la société AMC de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions.

Juger que le contrat de travail n'a pas été exécuté de bonne foi ;

Condamner en conséquence la société AMC à verser à Mme [T] les sommes suivantes :

A titre principal

o 10 486,67 euros bruts au titre du dépassement du forfait-jours

o 1 048,67 euros bruts au titre des congés payés afférents

A titre subsidiaire

o 7 785,56 euros bruts au titre du dépassement du forfait-jours

o 778,55 euros bruts au titre des congés payés afférents

En tout état de cause

o 20 000 euros nets au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail

Juger que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

Condamner en conséquence la société AMC à verser à Mme [T] les sommes suivantes :

o 104 000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

o 44 844,76 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis

o 4 484,47 euros bruts au titre des congés payés y afférents

o 16 145,75 euros bruts à titre de rappel sur prime exceptionnelle 2018/2019

o 1 614,57 euros bruts au titre des congés payés y afférents

Assortir des intérêts légaux toutes demandes en paiement à compter du jour de la saisine avec anatocisme.

Condamner la société AMC à verser à Mme [T] la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

Condamner la société AMC en tous dépens.

Par conclusions déposées au greffe et notifiées le 9 janvier 2023, auxquelles la cour fait expressément référence, la société AMC demande à la cour de :

Déclarer Mme [T] mal fondée en son appel et l'en débouter, ainsi que de toutes ses demandes, fins et conclusions,

Déclarer la société AMC recevable et bien fondée en son appel incident,

Y faisant droit,

Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

Fixé le salaire mensuel de Mme [T] à 7 474,13 euros ;

Dit que la convention de forfait en jours de Mme [T] n'était pas valide ;

Condamné la société AMC à payer à Mme [T] dont la moyenne des derniers salaires s'élève à 7 474,13 euros :

- 770 euros au titre de la prime de développement ;

- 77 euros à titre de congés payés afférents à la prime de développement ;

- 1 300 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Et statuant à nouveau :

Déclarer irrecevables les demandes nouvelles de Mme [T] de paiement des sommes de 770 euros bruts au titre de la prime de développement et de 77 euros bruts au titre des congés payés afférents ;

Débouter Mme [T] de l'intégralité de ses demandes ;

Condamner Mme [T] au paiement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 10 janvier 2023.

Le 13 janvier 2023 Mme [T] a notifié un bordereau de communication de pièces et par conclusions d'incident a demandé la révocation de l'ordonnance de clôture ou à titre subsidiaire que les conclusions et la dernière pièce notifiées par l'intimée soient écartées des débats.

Par conclusions du 23 janvier 2023 la société AMC a exposé que Mme [T] avait elle-même conclu juste avant l'ordonnance de clôture et qu'elle y a répliqué, alors que le conseiller en charge de la mise en état CME avait déjà reporté la clôture en précisant que la nouvelle date serait ferme.

Par message adressé par le réseau privé virtuel, le magistrat en charge de la mise en état a indiqué qu'il n'y avait pas lieu de révoquer l'ordonnance de clôture.

MOTIFS

Sur l'ordonnance de clôture et la recevabilité des pièces et conclusions

Mme [T] explique que la société AMC a conclu le 9 janvier 2023 à 18h46 et communiqué une nouvelle pièce, ce qui ne lui a pas permis d'y répondre, en violation du principe de la contradiction.

La société AMC expose que Mme [T] a elle-même conclu le 9 janvier à 12h35, et que ses conclusions postérieures ne sont que la réponse aux écritures notifiées par l'appelante la veille de l'ordonnance de clôture.

Mme [T] a saisi le magistrat en charge de la mise en état, qui a statué sur la révocation de l'ordonnance de clôture, en indiquant que la cour apprécierait la recevabilité des conclusions et pièces.

L'appelante n'explique pas en quoi les dernières conclusions et pièce communiquées par l'intimée nécessitaient une réponse de sa part. Si elles ont été notifiées la veille de l'ordonnance de clôture, qui avait déjà été reportée à une date annoncée ferme par le magistrat en charge de la mise en état, ce n'est qu'en réponse aux conclusions notifiées le même jour par l'appelante.

La demande d'irrecevabilité des conclusions et pièce formée par Mme [T] doit être rejetée.

Sur la validité du forfait jour

Mme [T] et la société AMC demandent l'infirmation du jugement en ce qu'il a dit que la convention de forfait en jours n'était pas valide, faisant valoir que cette demande n'avait pas été formée en première instance.

Il ne résulte pas du jugement que cette demande avait été formée. Il sera infirmé de ce chef.

Sur le dépassement du forfait jours

Mme [T] expose avoir dépassé le forfait jour et demande la condamnation de l'employeur à ce titre.

En cas de litige relatif à l'existence ou au nombre de jours de travail effectués par le salarié dans le cadre d'une convention de forfait en jours, l'employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier des jours effectivement travaillés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

L'avenant au contrat de travail de Mme [T] du 24 octobre 2017 prévoit dans son article 3 durée du travail qu'elle relève du forfait annuel en jours et : 'A ce titre vous êtes soumise aux dispositions des articles L. 3121-58 et suivants du code du travail.

Vous vous organiserez pour ne pas dépasser ce forfait qui est fixé, selon l'exemple fourni dans l'accord précité à 216 jours par an.

La période annuelle de référence court du 1er juin au 31 mai de l'année suivante.

Vous bénéficierez en conséquence de 14 jours de repos. Les 14 jours de repos sur l'exercice seront fixés pour moitié par vous-même. Sur ce quota, sera retenue une journée au titre de la solidarité.

Le solde positif des jours de repos non pris au 31 mai pourra alimenter le compte CET, si vous en faites la demande, étant rappelé que le nombre maximum de jours (congés annuels et RTT) pouvant être versé sur le CET est à ce jour de 12 jours ouvrables par an sans pouvoir dépasser 40 jours pour les personnes de moins de 50 ans révolus et de 12 jours ouvrables par an sans qu'aucun plafond ne soit opposable, aux personnes de plus de 50 ans.

Compte tenu de l'autonomie dont vous disposez dans l'organisation de votre temps de travail, vous vous engagez à accomplir votre mission dans le cadre du forfait annuel de 216 jours et à respecter impérativement, en toutes circonstances, le repos quotidien (12 heures consécutives) conformément aux dispositions conventionnelles précitées et le repos hebdomadaire (36 heures consécutives).

Vous disposerez au minimum une fois toutes les quatre semaines de deux jours de repos consécutifs, dont le dimanche, conformément à l'accord Ombrelle du 17 juin 1999 et à son avenant du 19 avril 2001.

Vous établirez un décompte mensuel des journées ou demi-journées de travail et de repos, afin de permettre d'assurer le suivi de vos temps de travail et de repos que vous transmettrez à votre hiérarchie.

Un suivi régulier de votre charge de travail sera, en outre, effectué par votre hiérarchie. Cette dernière vérifiera, chaque mois, au moyen du décompte mensuel du temps, que vous avez bénéficié de vos droits à repos journalier et hebdomadaire.

En cas de surcharge de travail, reposant sur des éléments objectifs, matériellement vérifiables et se prolongeant sur une période de trois mois consécutifs, vous pourrez, après vous en être entretenue avec votre responsable hiérarchique, demander un entretien avec le responsable RH de l'établissement où vous êtes affectée.

En tout état de cause, dans l'hypothèse où vous vous trouveriez dans l'impossibilité d'assurer votre charge de travail conformément au cadre conventionnel défini, vous en informerez sans attendre votre hiérarchie.

Un bilan sera par ailleurs effectué chaque année avec votre supérieur hiérarchique pour vérifier l'adéquation de votre charge de travail au respect des repos journaliers et hebdomadaire, ainsi que l'articulation entre vos activités professionnelles et votre vie familiale et le niveau de votre salaire.'

Mme [T] explique dans ses conclusions les différents éléments de sa demande et produit également un décompte qui indique les jours de travail qu'elle revendique, notamment ceux des fins de semaine au cours desquelles elle aurait travaillé. Elle verse aux débats les captures d'écran des listes des mails professionnels qu'elle a expédiés, qui démontrent l'envoi de très nombreux messages au cours des jours revendiqués.

La société AMC conteste tout dépassement du forfait jours par la salariée. Elle explique ne pas avoir été informée des jours travaillés les fins de semaine, que les négociations annuelles entraînent une période d'activité intense de novembre à mars, les acheteurs de cette catégorie percevant une rémunération plus élevée. Elle ajoute que les 8,5 jours de RTT qui n'avaient pas été pris par la salariée ont été versés sur son CET au mois de mai 2018, et qu'ils ont ensuite été rémunérés à l'occasion du solde de tout compte.

L'employeur conteste les éléments de la demande formée par la salariée sans produire aucun justificatif concernant les jours de travail qu'elle aurait accomplis, alors qu'il est tenu d'assurer le suivi de son temps de travail. Les décomptes réguliers, expressément prévus par l'avenant au contrat de travail, ne sont pas même versés aux débats.

Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, la cour retient que Mme [T] a accompli vingt deux jours au delà de son forfait annuel de 216 jours sur la période de juin à mai 2018, et qu'aucun jour supplémentaire n'a été effectué au cours de la période de référence suivante, seulement cent cinquante cinq jours de travail ayant été accomplis.

La société AMC fait également valoir qu'une partie des jours a été payée à la salariée, par approvisionnement de son CET qui a été suivi d'un paiement dans le cadre du reçu pour solde de tout compte.

Il résulte du bulletin de paie de Mme [T] du mois de juin 2018 que le solde de jours RTT sur le compte CET a augmenté de 10,2 jours par rapport au mois de mai, portant le solde de 14,3 à 24,5, sans que l'employeur ne produise aucune demande de la salariée en ce sens. Les documents de fin de contrat ne mentionnent que le paiement de jours de congés payés et d'une indemnité pour 4,2 jours de CET/RTT, inférieure aux jours dont elle disposait. Les bulletins de salaire de Mme [T] jusqu'au mois de janvier 2019 ne mentionnent pas d'utilisation du CET.

Ainsi, Mme [T] n'a pas été rémunérée au titre des jours de travail dépassant le forfait annuel en jours. Compte tenu des dispositions de l'article L. 3121-59 du code du travail, la société AMC doit être condamnée à lui verser la somme de 6 991,11 euros à ce titre, outre celle de 699,11 euros au titre des congés payés afférents.

Le jugement sera infirmé de ce chef.

Sur l'exécution déloyale du contrat de travail

Mme [T] fait valoir que l'exécution de son contrat de travail a été déloyale, la société AMC n'ayant pas respecté le forfait jours ni les règles sur le repos, qu'une violation de l'obligation de sécurité est caractérisée, sa charge de travail ayant été très importante malgré les alertes, aucune mesure n'ayant été prise avant le 21 janvier 2019.

Mme [T] produit des documents de négociation des accords cadre de mars 2018 qui démontrent une activité soutenue à cette période : certains exemplaires ont été édités à 0h05 puis à 4h43 et les accords nécessitaient une signature la nuit même, ce dont son supérieur avait été alors avisé puisqu'il était en copie du mail qui l'indiquait au partenaire contractuel.

Le 20 mars 2018 Mme [T] a indiqué dans un mail adressé à son supérieur qu'elle ne parviendrait pas à traiter l'ensemble des tâches dans le temps imparti. A l'occasion de son entretien d'évaluation du 23 mars 2018, la salariée a indiqué que depuis sa prise de poste comme acheteur en novembre 2017 elle n'avait plus d'équilibre entre sa vie professionnelle et sa vie personnelle et familiale. Elle a souligné qu'elle était dans le groupe depuis 2002 et que c'était la première fois qu'elle faisait ce constat, souffrant d'une charge de travail beaucoup trop forte, une optimisation de l'organisation du travail et une priorisation n'ayant pas suffi à réduire celle-ci pour qu'elle soit raisonnable. Elle a demandé de nouveaux moyens humains.

Le 29 mars 2018 elle a de nouveau signalé la lourdeur de sa charge de travail dans un mail adressé à son supérieur hiérarchique.

Le bulletin de paie du mois de mai 2018 indique un nombre de jours travaillés de 220 jours, c'est à dire supérieur à son forfait annuel de 216 jours.

Le 31 octobre 2018 Mme [T] a de nouveau signalé son inquiétude par rapport à sa charge de travail, rappelant qu'elle en avait déjà fait état lors de son entretien annuel.

Mme [T] démontre par de multiples mails professionnels qu'elle a été amenée à travailler de très nombreuses fins de semaine les mois de novembre 2017 à février 2018, puis de décembre 2018 et janvier 2019, et ce y compris à des horaires tardifs.

Le 21 janvier 2019 Mme [T] a signalé à son supérieur qu'elle n'arrivait plus à faire face à sa charge de travail, en travaillant en semaine chaque jour de 9h à 20h avec une pause déjeuner réduite ainsi que, depuis le début du mois, plusieurs heures au cours de chaque journée des samedi et dimanche.

Ces éléments démontrent la réalité de l'importance de la charge de travail de Mme [T], en méconnaissance des règles de repos minimal prévu par les articles L. 3131-1 et L. 3131-2 du code du travail.

La société AMC explique que des mesures ont été prises en réponse aux différents messages de Mme [T], qu'un délai a été accepté pour certaines échéances et que des dossiers ont été ré-affectés entre les assistants. Elle indique que des domaines d'activité ont fait l'objet d'un transfert auprès d'une autre centrale d'achat au cours de l'été 2018, ce qui a eu pour conséquence de diminuer son volume d'activité.

Mme [T] a expressément alerté sur sa charge de travail lors de son entretien annuel, alors que dans sa précédente évaluation elle n'avait formé aucune remarque à ce sujet et que son engagement était souligné, mais aucune mesure corrective effective n'est démontrée par l'employeur.

La réalité des mesures d'accompagnement et de suivi indiquées dans l'entretien d'évaluation du 23 mars 2018 n'est pas établie, aucun élément n'étant produit en ce sens. Le transfert de certaines activités n'est pas discuté dans son principe, mais leurs conséquences sur la charge de travail pour Mme [T] sont contestées. Les listings de clients et documents produits de part et d'autre ne permettent pas d'apprécier l'importance de la modification, mais dans le message de son supérieur hiérarchique du 23 janvier 2019 il a estimé que l'allégement consécutif au dernier transfert de dossiers qui venait d'être accordé pouvait être évalué à 20%.

L'employeur avait connaissance de l'importance des horaires accomplis par Mme [T] sur certaines périodes, sans justifier de mesure prise concernant ses périodes de repos. Aucun suivi des jours de travail de Mme [T] ou des jours de congés ou de RTT n'est produit par la société AMC, malgré les termes précis du contrat de travail, ce qui constitue un manquement à ses obligations.

L'employeur a été avisé à plusieurs reprises de difficultés rencontrées par sa salariée mais seules des décisions ponctuelles ont été prises, sans réelle mesure sur sa charge de travail à long terme, ce qui constitue un manquement à son obligation de sécurité.

L'exécution déloyale du contrat de travail est établie.

La société AMC sera condamnée à payer à Mme [T] la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts.

Le jugement sera infirmé de ce chef.

Sur le licenciement

Mme [T] fait valoir que dès lors que l'inaptitude résulte du comportement fautif de l'employeur qui a violé son obligation de sécurité, le licenciement est sans cause réelle et sérieuse. Elle invoque également le manquement de l'employeur à son obligation de reclassement.

L'article L. 4121-1 du code du travail dispose que 'L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels ;

2° Des actions d'information et de formation ;

3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

L'employeur veille à l'adéquation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.'

Mme [T] a signalé à plusieurs reprises l'importance de sa charge de travail, précisant les conséquences sur sa santé et sa vie de famille.

Au mois de mars 2018, le supérieur hiérarchique a accepté le report de délais et a organisé la redistribution à d'autres assistants de dossiers qui étaient suivis par l'assistant de Mme [T].

Dans l'évaluation 2018, le supérieur fait état d'un accompagnement et d'une priorisation des dossiers, ajoute que du recul est nécessaire et qu'un transfert de certains dossiers est prévu. Aucun élément ne démontre la réalité de ces démarches. L'ampleur de la réorganisation de l'activité n'est pas établie.

L'alerte du 31 octobre 2018 n'a été suivie d'aucune mesure, le supérieur hiérarchique indiquant qu'à son sens l'activité avait été diminuée.

L'employeur ne justifie d'aucun suivi du rythme et de la charge de travail de sa salariée en forfait jours, de ses périodes de repos, malgré les alertes importantes et les termes de l'avenant au contrat de travail, qui prévoit notamment un examen mensuel. La société AMC reconnaît dans ses écritures que la période de novembre à mars est particulièrement dense en raison des négociations à effectuer avant le 1er mars ; Mme [T] justifie avoir travaillé plusieurs fins de semaine aux mois de décembre 2018 et janvier 2019.

Le supérieur hiérarchique a réagi au message du 21 janvier 2019, dans lequel Mme [T] signalait avoir travaillé depuis le début de l'année avec une amplitude horaire quotidienne importante ainsi que chaque samedi et dimanche, en lui prescrivant de reporter tous ses rendez-vous non urgent, en transférant certains dossiers et en lui demandant de laisser son ordinateur portable au bureau le vendredi soir.

Mme [T] a cependant été arrêtée à compter du 2 février 2019, jusqu'à la décision d'inaptitude qui a entraîné son licenciement. Lors de la visite de reprise du 5 mars 2019, le médecin du travail a indiqué que Mme [T] n'était pas en état de reprendre son poste en raison de son état de santé et l'a adressée à son médecin de traitant. L'avis d'inaptitude a ensuite été rendu le 8 avril 2019.

La société AMC explique que la salariée avait demandé une rupture conventionnelle à deux reprises à la fin de l'année 2018, et produit l'attestation de la responsable des ressources humaines qui rapporte le propos de Mme [T] selon lequel s'il n'était pas fait droit à sa demande elle se mettrait en arrêt de travail au moment des négociations annuelles.

Il résulte pourtant des éléments produits par les parties que la société AMC a manqué à son obligation de sécurité envers sa salariée en ne prenant pas de mesure adaptée après ses alertes et en s'abstenant de suivre son rythme et sa charge de travail. Ces manquements sont à l'origine de l'état de santé de la salariée, qui a conduit à son inaptitude.

Le licenciement est en conséquence dénué de cause et sérieuse.

Le jugement sera infirmé de ce chef.

Sur les conséquences financières

Mme [T] est fondée à obtenir le paiement de l'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents, de l'indemnité de licenciement et de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Il est constant que la durée du préavis est de six mois. Compte tenu de son salaire mensuel de base de 4 800 euros et des primes perçues, notamment en fonction des objectifs, Mme [T] aurait perçu un revenu de 44 844,76 euros pendant son préavis de six mois, ce qui n'est pas contesté par l'intimée.

La société AMC sera condamnée à payer à Mme [T] la somme de 44 844,76 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre celle de 4 484,47 euros au titre des congés payés afférents.

L'article L.1235-3 du code du travail dispose que :

'Si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis.

Si l'une ou l'autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés dans le tableau ci-dessous.

Pour déterminer le montant de l'indemnité, le juge peut tenir compte, le cas échéant, des indemnités de licenciement versées à l'occasion de la rupture, à l'exception de l'indemnité de licenciement mentionnée à l'article L. 1234-9.

Cette indemnité est cumulable, le cas échéant, avec les indemnités prévues aux articles L. 1235-12, L. 1235-13 et L. 1235-15, dans la limite des montants maximaux prévus au présent article.'

Mme [T] avait une ancienneté de 16 années complètes au moment du licenciement. L'indemnité doit être fixée entre 3 et 13,5 mois de salaire. Le salaire mensuel moyen de Mme [T], rémunération fixe et variable incluse, était de 7 474,13 euros.

Mme [T] justifie être inscrite auprès de Pôle Emploi et avoir mis en place un projet personnalisé, sans démontrer la réalité de ses recherches professionnelles. Elle a créé une activité de vente de produits qui n'a pas généré de revenus conséquents en 2021, le résultat financier étant de 217 euros.

Compte tenu de ces éléments, l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse sera fixée à la somme de 70 000 euros.

Le jugement sera infirmé de ce chef.

En application des dispositions de l'article L.1235-4 du code du travail la société AMC doit être condamnée à rembourser à Pôle Emploi les indemnités de chômage payées entre le jour du licenciement et le jugement, dans la limite de six mois.

Il sera ajouté au jugement entrepris.

Sur la prime exceptionnelle

Mme [T] demande le paiement d'une prime dite exceptionnelle, expliquant qu'elle était versée à tous les acheteurs lors des négociations annuelles et que les conditions d'un usage étaient remplies.

La société AMC conteste l'existence d'un tel usage.

La charge de la preuve de l'usage incombe à celui qui le revendique. Il doit présenter les caractères de généralité, constance et fixité.

Mme [T] justifie qu'une prime exceptionnelle lui a été versée régulièrement : 17 357 euros sur le bulletin de paie de janvier 2015, 15 811 euros sur celui de janvier 2016, 17 144 euros sur celui d'avril 2017 et 14 217 euros sur celui d'avril 2018.

La salariée ne produit pas ses bulletins de paie postérieurs à celui du mois de janvier 2019, mais il résulte de ceux qui sont versés aux débats par l'employeur, jusqu'au licenciement, qu'une prime exceptionnelle de 2 815 euros lui a été versée sur le bulletin de paie de février 2019.

L'appelante verse aux débats le bulletin de paie d'un autre acheteur du mois d'avril 2019 qui mentionne le versement d'une prime exceptionnelle de 11 480 euros et d'une prime de développement de 6 680 euros. Elle produit également le jugement du conseil de prud'hommes de Meaux du 8 décembre 2016 qui a condamné la société AMC à verser à un autre acheteur une prime différentielle et une prime de résultat ; il résulte cependant des mentions du jugement que ces deux primes étaient prévues par le contrat de travail de ce salarié.

Mme [T] ne démontre pas que le versement de la prime exceptionnelle remplissait les conditions de généralité, constance et fixité. L'usage dans l'entreprise n'est pas démontré et elle doit être déboutée de sa demande.

Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur la prime de développement

La société AMC explique que cette demande n'est pas recevable, n'ayant pas été formée lors de la requête introductive et constituant une demande additionnelle sans lien avec la demande d'origine.

Mme [T] fait valoir que la demande est recevable, présentant un lien suffisant avec les prétentions originaires.

L'article 70 du code de procédure civile dispose que 'Les demandes reconventionnelles ou additionnelles ne sont recevables que si elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant.'

Mme [T] avait formulé une demande de paiement de rémunération dans sa requête saisissant le conseil de prud'hommes. La demande de rappel de prime se rattache ainsi aux prétentions qui avaient été formées dans son acte introductif d'instance par un lien suffisant avec elles ; elle est en conséquence recevable.

Le contrat de travail de Mme [T] prévoit le versement d'un salaire annuel forfaitaire.

L'avenant au contrat de travail du 30 juin 2009 a prévu une rémunération variable jusqu'à 12% du salaire de base pour une atteinte des objectifs à 100%, pouvant aller jusqu'à 24% en cas de doublement des objectifs.

L'avenant au contrat de travail du 24 octobre 2017 prévoit quant à lui le versement d'une rémunération variable en fonction des résultats de l'activité et de la réalisation d'objectifs définis périodiquement par l'entreprise.

Lorsque le versement de rémunération dépend d'informations détenues par l'employeur, il incombe à celui d'en justifier.

Mme [T] fait valoir qu'aucune explication ne lui a été donnée concernant le montant de la prime de développement qui lui a été versée en 2019 au titre de l'année 2018.

La société AMC ne produit pas d'élément relatif aux objectifs qui avaient été fixés et réalisés par la salariée. Elle doit en conséquence être condamnée au paiement de la somme de 770 euros au titre de la rémunération variable, outre celle de 77 euros au titre des congés payés afférents.

Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur les intérêts

Conformément aux dispositions des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation à comparaître devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes, et les dommages et intérêts alloués à compter de la présente décision.

La capitalisation des intérêts sera ordonnée selon les dispositions de l'article 1343-2 du code civil par année entière.

Sur les dépens et frais irrépétibles

La société AMC qui succombe supportera les dépens et sera condamnée à verser à Mme [T] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

DÉBOUTE Mme [T] de sa demande d'irrecevabilité des conclusions et pièce notifiées par la société AMC,

CONFIRME le jugement du conseil de prud'hommes en ce qu'il a :

- débouté Mme [T] de sa demande de prime exceptionnelle,

- dit recevable la demande de rémunération variable et condamné la société AMC au paiement de la somme de 770 euros à ce titre et celle de 77 euros au titre des congés payés afférents,

L'INFIRME pour le surplus,

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés,

JUGE que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

CONDAMNE la société AMC à payer à Mme [T] les sommes suivantes :

- 6 991,11 euros au titre du dépassement du forfait annuel en jours et 699,11 euros au titre des congés payés afférents,

- 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,

- 44 844,76 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et 4 484,47 euros au titre des congés payés afférents,

- 70 000 euros au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

DIT que les créances salariales sont assorties d'intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation à comparaître devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes et les dommages et intérêts alloués à compter de la présente décision, avec capitalisation des intérêts selon les dispositions de l'article 1343-2 du code civil,

ORDONNE à la société AMC de rembourser au Pôle Emploi les indemnités de chômage versées à Mme [T] , du jour de son licenciement au jour du prononcé du jugement dans la limite de six mois des indemnités versées,

CONDAMNE la société AMC aux dépens,

CONDAMNE la société AMC à payer à Mme [T] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 6
Numéro d'arrêt : 21/01509
Date de la décision : 22/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-22;21.01509 ?
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