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22/03/2023 | FRANCE | N°21/01506

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 6, 22 mars 2023, 21/01506


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 6 - Chambre 6



ARRET DU 22 MARS 2023



(n° 2023/ , 17 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/01506 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDERN



Décision déférée à la Cour : Jugement du 15 Janvier 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 19/03179





APPELANT



Monsieur [G] [W]

[Adresse 1]

[Localité 4]



Représenté par

Me Michel REMBAULT, avocat au barreau de PARIS, toque : E1319





INTIMÉE



S.A. APEX

[Adresse 2]

[Localité 3]



Représentée par Me Olivier BERNABE, avocat au barreau de PARIS, toque : B0753...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 6

ARRET DU 22 MARS 2023

(n° 2023/ , 17 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/01506 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDERN

Décision déférée à la Cour : Jugement du 15 Janvier 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 19/03179

APPELANT

Monsieur [G] [W]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représenté par Me Michel REMBAULT, avocat au barreau de PARIS, toque : E1319

INTIMÉE

S.A. APEX

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Olivier BERNABE, avocat au barreau de PARIS, toque : B0753

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 07 février 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur Christophe BACONNIER, Président de chambre

Madame Nadège BOSSARD, Conseillère

Monsieur Stéphane THERME, Conseiller

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Monsieur Christophe BACONNIER, Président de chambre, Conseillère, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier : Madame Julie CORFMAT, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Monsieur Christophe BACONNIER, Président de chambre et par Madame Julie CORFMAT, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS, PROCEDURE ET MOYENS DES PARTIES

La société Apex (SA), anciennement Aprime, qui exploite une activité d'expertise économique et sociale et d'assistance aux institutions représentatives du personnel, a employé M. [G] [W], né en 1958, par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 25 avril 2005 en qualité de chargé de mission 1 (position III, coefficient 330).

En 2007, il a accédé à la position chargé de mission 2 (position III, coefficient 390), moyennant :

- une rémunération moyenne revalorisée de 3 876,14 euros bruts mensuels ;

- un temps de travail annualisé de 1 561 heures.

Par lettre notifiée le 16 novembre 2018, M. [W] a été convoqué à un entretien préalable fixé au 29 novembre 2018.

M. [W] a ensuite été licencié pour insuffisance professionnelle par lettre notifiée le 4 décembre 2018 ; la lettre de licenciement indique :

« Fin octobre, nous avons été alertés sur le contenu de votre travail sur la mission Dassault Data Services sur laquelle vous interveniez.

En votre qualité de chargé de mission niveau 2, il vous a été demandé d'analyser la base de données du personnel et d'en proposer un diagnostic. Dans ce diagnostic, le consultant ne doit pas se contenter de commenter des chiffres, il problématise, démontre à partir de données pertinentes et hiérarchisées afin que nos clients puissent s'approprier les sujets.

Le format doit donc être lisible et pédagogique.

Ce travail sur les données sociales devait être supervisé par le référent du cabinet pour les missions sociales.

Sur ce travail confié, nous avons été amenés à constater un démarrage tardif de la production de ce diagnostic, malgré une réception des premiers documents courant juin et des relances réalisées en juillet et septembre 2018 (25 juillet, 7 septembre et 19 septembre).

Ainsi courant octobre, ce document a fait l'objet de commentaires critiques du responsable de mission et du référent pour les missions sociales :

' Des traitements prévus n'avaient pas été réalisés ;

' le format de votre document avec les pages de l'ancienne présentation le rendait difficilement lisible et donc peu exploitable. Alors que l'on vous demandait un produit quasi fini et de faire le tri, vous êtes resté sur un format touffu générant, pour vos collègues un surplus d'heures à consacrer à votre présentation.

' sur le fond de nombreux commentaires vous ont été adressé et notamment sur la difficulté à identifier les éléments de diagnostic, noyés dans des pages de statistiques.

La demande était pourtant claire: retirer les pages de l'ancienne présentation et faible choix de présentation en fonctions de la démonstration.

Cet exemple n'est pas isolé, puisque malheureusement, nous sommes confrontés, malgré votre qualification professionnelle, à une accumulation d'insatisfactions concernant vos interventions sur les missions.

Ainsi sur la seule année 2018, vous avez fait l'objet d'un avertissement le 22 janvier dernier compte tenu de notre insatisfaction dans l'exécution de deux missions, Air Austral et Zoetis. Sur ces missions, nous avons eu à regretter un travail incomplet, éloigné des attendus du cabinet avec des parties non traitées ou des erreurs. Sur le dossier Zoetis, la direction et les élus ont été très déçus du traitement du dossier, qui a d'ailleurs été perdu pour le cabinet.

Nous vous demandions alors de vous ressaisir sans délai.

Le 11 juillet 2018, nous avons encore dû vous notifier notre insatisfaction sur un autre dossier, le dossier VWIS.

Les problèmes soulevés en 2018 ne sont pas nouveaux et vos différents responsables hiérarchiques ont régulièrement attiré votre attention sur vos méthodes de travail et sur leurs conséquences pour les équipes et vous-même. Nous avons utilisé tous les moyens à notre disposition pour vous faire prendre conscience de ces éléments.

' Très naturellement, dans le cadre des entretiens annuels, vos responsables se sont attachés à vous faire part des difficultés et à vous fixer des objectifs d'amélioration dans votre travail.

' Nous avons initié un « contrat de progrès » signé en 2016 avec votre ancien responsable hiérarchique et vous-même. Ce contrat de progrès faisait suite à de nombreux entretiens en 2015 lors desquels nous vous avions fait part des difficultés rencontrées sur votre contribution aux missions et sur votre mode de fonctionnement au sein de l'équipe. Nous avions alors cherché ensemble des pistes d'amélioration. Nous avions alors pu formaliser des étapes et des points de travail très concrets. Malheureusement, en septembre 2016, votre responsable hiérarchique notait sa déception, compte tenu des engagements pris et non tenus.

Comme tous les collaborateurs du cabinet, vous avez pu bénéficier de formations, le plus souvent à l'initiative de la direction. Ainsi 45 heures à date en 2018, 39 heures en 2017, 43 heures en 2015.

Force est de constater que malgré nos alertes et nos propositions de travail, vous n'avez pas modifié fondamentalement votre façon de faire. Nous avons donc toujours les mêmes difficultés, déjà soulignées en 2016, voire même avant. A titre illustratif :

' Vous ne donnez pas de visibilité sur votre travail ;

' Vous ne suivez pas la méthodologie du cabinet ;

' Vous ne respectez pas les délais permettant des relectures de vos travaux dans de bonnes conditions pour les équipes ;

' Vous ne respectez pas les budgets alloués, sans alerter sur des dépassements pourtant très significatifs ;

' Vos travaux manquent de fiabilité et de pertinence ;

Nous entendons souvent de la part des équipes que vous faites « cavalier seul » ou que « vous n'en faites qu'à votre tête ».

Nous avons eu à déplorer trop souvent que vos collègues interviennent au dernier moment, en urgence pour reprendre une partie de votre travail, au détriment de leurs propres conditions de travail.

Une défiance s'est installée et de nombreux responsables de mission hésitent à vous faire travailler. Ils demandent a minima une supervision par le référent du cabinet sur les parties sociales des missions. Vous êtes le seul consultant social du cabinet pour lequel ce système a été mis en place et, qui ne peut perdurer.

Malgré tous nos échanges, formels et informels, vous vous montrez incapable d'entendre et d'accepter la moindre critique.

Lors de notre entretien du 29 novembre, après l'exposé des motifs, vous êtes resté campé sur vos positions et à aucun moment, vous n'avez admis rencontrer des difficultés dans votre organisation et dans le rendu de votre travail.

Cette incapacité à vous remettre en cause ne peut nous laisser espérer une amélioration de votre contribution au travail sur les missions.

Compte tenu de ce qui précède, nous n'avons donc pas d'autre choix que de procéder à votre licenciement pour insuffisance professionnelle. ».

A la date de présentation de la lettre recommandée notifiant le licenciement, M. [W] avait une ancienneté de 13 ans et 7 mois et la société Apex occupait à titre habituel au moins onze salariés lors de la rupture des relations contractuelles.

Contestant la légitimité de son licenciement et réclamant diverses sommes, M. [W] a saisi le 16 avril 2019 le conseil de prud'hommes de Paris pour former les demandes suivantes :

« - Indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse 200 000,00 euros

- Dommages et intérêts pour non-respect clause CNC 15 000,00 euros

- Heures supplémentaires 26 876,62 euros

- Congés payés afférents 2 687,66 euros

- Contrepartie au repos 5 717,02 euros

- Indemnité forfaitaire pour travail dissimulé (L.8223-1CT) 23 250,00 euros

- Dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail 15 000,00 euros

- Dommages et intérêts pour discrimination syndicale 120 000,00 euros

- Article 700 du code de procédure civile 3 000,00 euros

- Remise de bulletins de paie rectifiés depuis mars 2016 à novembre 2018, dans les 8 jours du jugement à intervenir,

- Intérêts au taux légal avec capitalisation

- Exécution provisoire article 515 code de procédure civile

- Dépens »

Par jugement du 15 janvier 2021, auquel la cour se réfère pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, le conseil de prud'hommes a rendu la décision suivante :

« Déboute Monsieur [G] [W] de sa demande de licenciement pour cause réelle et sérieuse,

Condamne la Société S.A. APEX à régler à Monsieur [G] [W] les sommes suivantes :

-15 000 euros au titre de dommages et intérêts pour non-respect de la clause de non concurrence,

Avec intérêts au taux légal à compter de la date de réception par la partie défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation.

Rappelle qu'en vertu de l'article R.1454-28 du code du travail, ces condamnations sont exécutoires de droit à titre provisoire dans la limite maximum de neuf mois de salaire calculés sur la moyenne des trois derniers mois de salaire.

- 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute Monsieur [G] [W] du surplus de ses demandes,

Déboute la Société S.A. APEX de sa demande reconventionnelle,

Condamne la Société S.A. APEX au paiement des entiers dépens. »

M. [W] a relevé appel de ce jugement par déclaration transmise par voie électronique le 1er février 2021.

La constitution d'intimée de la société Apex a été transmise par voie électronique le 3 mars 2021.

L'ordonnance de clôture a été rendue à la date du 6 décembre 2022.

L'affaire a été appelée à l'audience du 7 février 2023.

Par conclusions communiquées par voie électronique en date du 23 juillet 2021, M. [W] demande à la cour de :

« Déclarer tant recevable que bien fondé Monsieur [G] [W]

Dire irrecevable et mal fondée la société APEX en son appel incident et en conséquence confirmer le jugement du CPH de PARIS en date du 15 janvier 2021 l'ayant condamnée à verser à Monsieur [W] la somme de 15.000 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect de la clause de non-concurrence

Infirmer le jugement du Conseil de prud'hommes de PARIS du 15 janvier 2021 des chefs de jugement critiqués

Dire sans cause réelle et sérieuse le licenciement de Monsieur [G] [W]

Condamner la société APEX à verser à Monsieur [G] [W]

- 200.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

- 120.000 euros à titre de dommages et intérêts pour discrimination syndicale

- 15.000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail

- 26.876,62 euros à titre de rappels d'heures supplémentaires

- 2.687,66 euros à titre de congés payés afférents

- 5.717,02 euros à titre de contreparties obligatoires en repos

- 23.250 euros à titre de dommages et intérêts pour travail dissimulé

Assortir la présente décision des intérêts au taux légal à compter de l'introduction de la demande

Dire que ces intérêts seront capitalisés sur le fondement de l'Article 1343-2 du code civil

Condamner la société APEX à remettre dans les 8 jours du jugement à intervenir à Monsieur [W] des bulletins de paie rectifiés de mars 2016 à novembre 2018

Condamner la société APEX à verser à Monsieur [W] la somme de 3.500 euros au titre de l'article 700 du C.P.C

Condamner la société APEX aux entiers dépens »

Par conclusions communiquées par voie électronique en date du 7 octobre 2021, la société Apex demande à la cour de :

« 1. CONFIRMER le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Mr [W] de ses demandes en dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, pour discrimination, pour exécution déloyale du contrat de travail, en paiement d'heures supplémentaires, congés payés afférents, temps de repos et travail dissimulé.

2. INFIRMER le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la Société APEX à verser à Mr [W] la somme de 15.000 euros au titre d'une clause de non concurrence illicite et, en conséquence en ordonner le remboursement par Mr [W].

3. DEBOUTER Mr [W] de l'intégralité de ses demandes, fins et prétention ;

4. CONDAMNER Mr [W] à verser à la Société APEX la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

5. LAISSER A SA CHARGE les éventuels dépens. »

Lors de l'audience présidée selon la méthode dite de la présidence interactive, le conseiller rapporteur a fait un rapport et les conseils des parties ont ensuite plaidé par observations et s'en sont rapportés pour le surplus à leurs écritures ; l'affaire a alors été mise en délibéré à la date du 22 mars 2023 par mise à disposition de la décision au greffe (Art. 450 CPC)

MOTIFS

Vu le jugement du conseil de prud'hommes, les pièces régulièrement communiquées et les conclusions des parties auxquelles il convient de se référer pour plus ample information sur les faits, les positions et prétentions des parties.

Sur le licenciement

Il ressort de la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige que M. [W] a été licencié pour les faits suivants :

- le dossier DDS (Dassault data services) dont M. [W] était chargé a fait l'objet de 3 productions de sa part de mauvaise qualité et de commentaires critiques du fait que les traitements prévus n'ont pas été réalisés, que le document était peu lisible et peu exploitable et que les éléments de diagnostic étaient noyés dans des pages de statistiques

- cette insatisfaction de l'employeur quant au travail exécuté par M. [W] est ancienne et récurrente ; M. [W] a ainsi fait l'objet d'un avertissement le 22 janvier 2018 du fait du travail fourni dans les dossiers Air austral et Zoetis, d'une lettre d'insatisfaction le 11 juillet 2018 pour le dossier VWIS ;

- ses difficultés ont été relevées dans les entretiens annuels d'évaluation ;

- il n'y a pas eu d'amélioration malgré un contrat de progrès en 2016 et les formations reçues de 2015 à 2018 (43 heures en 2015, 39 heures en 2017, 45 heures en 2018) ;

- il ne donne pas de visibilité sur son travail, ne suit pas la méthodologie du cabinet, ne respecte pas les délais permettant des relectures de ses travaux dans de bonnes conditions pour les équipes, ne respecte pas les budgets alloués, et n'alerte pas sur les dépassements pourtant très significatifs et ses travaux manquent de fiabilité et de pertinence ; il fait « cavalier seul » ou n'en fait « qu'à sa tête ».

M. [W] soutient que :

- l'employeur a épuisé son pouvoir de sanction ;

- ainsi l'employeur ne peut plus invoquer son insatisfaction quant à la qualité du travail fourni dans les dossiers Air austral et Zoetis car il a eu un avertissement pour ces deux dossiers le 22 janvier 2018 de sorte que ces griefs ne peuvent justifier son licenciement ;

- il en est de même du dossier VWIS qui pour lequel il a eu un rappel à l'ordre le 11 juillet 2018 ;

- les griefs ne sont pas établis ;

- ce n'est que depuis la fin de son mandat de représentant du personnel qu'il fait l'objet de reproches soudains quant à la qualité de son travail ;

- les différents courriers et entretiens d'évaluation que l'employeur invoquent pour démontrer son insuffisance professionnelle sont contredits par les contestations qu'il a exprimées dans les entretiens annuels d'évaluation (pièces employeur n° 12 à 18) ou qu'il a adressées à son employeur ;

- dans le dossier DDS, son rapport a été relu et visé par l'expert-comptable responsable (pièce salarié n° 29) et les élus ont été satisfaits de son travail qui a abouti à un protocole d'accord (pièce salarié n° 29) ; aucun élément ne prouve qu'il a été défaillant dans la réalisation de ce rapport (pièce salarié n° 41) ; il conteste point par point les griefs (pages 14 à 20 des conclusions salarié) ; les rapports intermédiaires sont des documents de travail destinés à évoluer (pièce salarié n° 40).

La société Apex soutient que :

- l'insuffisance professionnelle de M. [W] est établie par ses pièces n° 3 à 6, 12 à 31 qu'elle produit et commente dans ses conclusions (pages 8 à 13).

Il ressort de l'article L. 1235-1 du code du travail qu'en cas de litige, le juge, à qui il appartient d'apprécier le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties ; si un doute subsiste il profite au salarié.

L'insuffisance professionnelle consiste en l'inaptitude du salarié à exécuter son travail de façon satisfaisante. Elle résulte des échecs, des erreurs ou autres négligences imputables au salarié, sans pour autant revêtir un caractère fautif.

Le licenciement pour insuffisance professionnelle échappe au droit disciplinaire.

L'insuffisance professionnelle peut motiver un licenciement à condition qu'elle soit établie par l'employeur.

L'employeur doit cependant assurer l'adaptation de ses salariés à leur poste de travail et veiller au maintien de leurs capacités à occuper un emploi compte tenu de l'évolution des technologies, des organisations et des emplois ; il doit leur proposer les actions de formation nécessaire, à savoir une formation adéquate et un temps de formation leur laissant un laps de temps suffisant pour s'adapter à un nouveau matériel ou à de nouvelles fonctions ; l'employeur ne peut donc invoquer l'insuffisance professionnelle que si tous les moyens ont été donnés au salarié pour qu'il puisse faire ses preuves, en temps et en formation.

Il résulte de l'examen des pièces versées aux débats et des moyens débattus que la société Apex n'apporte pas suffisamment d'éléments de preuve pour établir l'insuffisance professionnelle reprochée à M. [W] alors que M. [W] produit des éléments de preuve qui la contredisent (pièces salarié n° 29 et 41) et invoque des contestations exprimées en temps réel qui contredisent les éléments de preuve produits par la société Apex.

En l'espèce la cour retient que la société Apex ne produit aucun élément de preuve pour établir que le rapport DDS (pièce salarié n° 41) est un travail de mauvaise qualité alors même d'une part qu'il ne présente pas de vice ou de défaut manifeste et qu'il a permis l'adoption d'un protocole d'accord (pièce salarié n° 29) et alors même d'autre part qu'il était l'élément déclencheur du licenciement pour insuffisance professionnelle de M. [W].

Et c'est en vain que la société Apex soutient que l'insuffisance professionnelle de M. [W] est établie par ses pièces n° 3 à 6, 12 à 31 qu'elle produit et commente dans ses conclusions (pages 8 à 13).

En effet, la cour retient que les pièces

- n°3: LRAR Apex du 14 décembre 2009

- n°4: LRAR Apex du 16 mars 2010

- n°5: Courriel de M. [I] du 22 mai 2012

- n°6: Courriel de M. [I] du 24 octobre 2012

sont trop anciennes pour fonder le licenciement pour insuffisance professionnelle de M. [W] du 4 décembre 2018.

- n°12: Support EAE du 10 février 2015

- n°13: Entretien mi-année du 16 novembre 2015

- n°14: Support EAE du 15 mars 2016

- n°15: Entretien mi-année du 21 septembre 2016

- n°16: Entretien mi-année du 26 octobre 2017

- n°17: Support EAE du 9 avril 2018

- n°18: Entretien mi-année du 15 octobre 2018

sont des éléments de preuve insuffisants pour fonder le licenciement pour insuffisance professionnelle de M. [W] au motif qu'ils sont dépourvus de valeur probante dès lors qu'ils sont imprécis et subjectifs, qu'aucun élément ne vient corroborer les critiques qui y sont incluses et que de surcroît il comporte des contestations de M. [W].

- n°19: Échanges de courriels entre MM. [E] et [W] des 24 et 25 octobre 2018

- n°20: Échanges de courriels du 24 octobre 2018

- n°21: Échanges de courriels des 25 juillet 2018 et 7 septembre 2018

- n°22: Échanges de courriels des 7 et 19 septembre 2018

- n°23: Échanges de courriels du 15 octobre 2018

- n°24: Courriel de M. [O] du 15 octobre 2018 à 15h20

- n°25: Courriel de M. [E] du 16 octobre 2018

- n°26: Courriel de M. [O] du 18 octobre 2018

- n°27: Échanges de courriels du 22 octobre 2018

- n°28: Échanges de courriels du 6 novembre 2018

sont des éléments de preuve insuffisants pour fonder le licenciement pour insuffisance professionnelle de M. [W] au motif qu'ils sont dépourvus de valeur probante dès lors qu'il s'agit de courriers électroniques comportant des échanges, des questions ou des demandes qui ne démontrent aucunement que le dossier DDS (Dassault data services) dont M. [W] était chargé a fait l'objet de 3 productions de sa part de mauvaise qualité et de commentaires critiques du fait que les traitements prévus n'ont pas été réalisés, que le document était peu lisible et peu exploitable et que les éléments de diagnostic étaient noyés dans des pages de statistiques, qu'en général, M. [W] ne donne pas de visibilité sur son travail, ne suit pas la méthodologie du cabinet, ne respecte pas les délais permettant des relectures de ses travaux dans de bonnes conditions pour les équipes, ne respecte pas les budgets alloués, et n'alerte pas sur les dépassements pourtant très significatifs, que ses travaux manquent de fiabilité et de pertinence et qu'il fait « cavalier seul » ou n'en fait « qu'à sa tête ».

- n°29: Courriel du 12 novembre 2018

est le seul élément de preuve qui comporte des remarques précises et factuelles de M. [O] sur la « dernière version » du rapport DDS à la date du 12 novembre 2018 ; la cour retient cependant que ce seul élément de preuve ne peut suffire à caractériser l'insuffisance professionnelle alléguée à l'encontre de M. [W] qui est contredite par la teneur du rapport DDS (pièce salarié n° 41).

- n°30: Tableau comparatif d'atteinte d'objectif de MM. [W] et [K] et évaluation de rémunération

- n°31: Tableau comparatif d'atteinte des objectifs des chargés de mission 2 de 2015 à 2018

sont des éléments de preuve dépourvus de valeur probante au motif qu'il s'agit de tableaux constitués par la société Apex pour elle-même qu'aucun élément ne vient corroborer.

Il ressort de ce qui précède que l'employeur n'a pas établi, à l'occasion de la présente instance, la cause réelle et sérieuse justifiant, au sens de l'article L. 1235-1 du code du travail, le licenciement de M. [W] ; en conséquence, le licenciement de M. [W] est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Le jugement déféré est donc infirmé en ce qu'il a jugé que le licenciement de M. [W] est justifié, et statuant à nouveau de ce chef, la cour dit que le licenciement de M. [W] est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Sur les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

M. [W] demande par infirmation du jugement, la somme de 200 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Il soutient que la cour doit à titre principal, écarter le montant maximal d'indemnisation prévu par l'article L. 1235-3 du code du travail, en raison de son inconventionnalité, ce plafonnement violant les dispositions de l'article 24 de la Charte sociale européenne et 10 de la convention 158 de l'OIT.

La société Apex s'oppose à ces demandes.

Il est constant que l'application de l'article L. 1235-3 du code du travail qui fixe le barème d'indemnisation applicable, conduirait à limiter les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse de M. [W] entre un montant minimum de 3 mois de salaire et un montant maximum à 11,5 mois de salaire compte tenu de son ancienneté de 13 ans et 7 mois.

M. [W] invoque les textes suivants :

- l'article 10 de la Convention internationale du travail n° 158 de l'Organisation internationale du travail (l'OIT ci-après) dont il ressort que si les tribunaux « arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié, et si, compte tenu de la législation et de la pratique nationales, ils n'ont pas le pouvoir ou n'estiment pas possible dans les circonstances d'annuler le licenciement et/ou d 'ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d'une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée »

- l'article 24 de la charte sociale européenne du 3 mai 1996, qui énonce « En vue d'assurer l'exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les Parties s'engagent à reconnaître (...) :

b) le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée. »

Pour la définition de l'indemnité adéquate, M. [W] cite la décision du 8 septembre 2016 « Finish Society of Social Rights c. Finlande » (n°106/2014, § 45) du Comité européen des droits sociaux (C.E.D.S), organe en charge de l'interprétation de la Charte, selon lequel « les mécanismes d'indemnisation sont réputés appropriés lorsqu'ils prévoient :

- le remboursement des pertes financières subies entre la date du licenciement et la décision de l'organe de recours ;

- la possibilité de réintégration ;

- des indemnités d'un montant suffisamment élevé pour dissuader l'employeur et pour compenser le préjudice subi par la victime ».

La cour constate que le point litigieux est donc relatif au fait que les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse prévus à l'article L. 1235-3 du code du travail ne constituent pas une indemnité adéquate au sens des articles 10 de la Convention internationale du travail n° 158 de l'OlT et 24 de la Charte sociale européenne.

L'article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958 dispose que les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie.

Lorsque des dispositions internes sont en cause, comme en l'espèce, le juge du fond doit vérifier leur compatibilité avec les normes supranationales que la France s'est engagée à respecter, au besoin en écartant la norme nationale en cas d'incompatibilité irréductible.

Les dispositions de l'article 24 de la Charte sociale européenne révisée le 3 mai 1996 ne sont pas d'effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers ; dès lors, la cour retient que, tant ce texte que les décisions du comité européen des droits sociaux, ne peuvent être utilement invoqués par M. [W] pour voir écarter les dispositions de l'article L.1235-3 du code du travail.

La cour rappelle que l'article 10 de la Convention n° 158 précitée est d'application directe en droit interne.

La cour retient que M. [W] ayant au jour du licenciement une ancienneté de plus de 2 ans, il est en droit d'obtenir en vertu de l'article L.1235-3 du code du travail, entre 3 et 11,5 mois de salaires bruts en sus des indemnités de rupture, savoir pour M. [W], l'indemnité de licenciement de 14 648,71 euros.

A l'examen des moyens débattus, la cour retient que les dispositions de l'article L 1235-3, prévoyant pour M. [W] des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse entre un montant minimal de 3 mois de salaire brut et un montant maximal de 11,5 mois, sont compatibles avec les stipulations de l'article 10 de la convention n° 158 de l'OIT au motif que :

- une indemnité dite adéquate ou une réparation appropriée n'implique pas, en soi, une réparation intégrale du préjudice de perte d'emploi injustifiée et peut s'accorder avec l'instauration d'un plafond

- le terme adéquat doit donc être compris comme réservant aux États parties une marge d'appréciation, dont l'État français n'a fait qu'user en instituant des planchers et des plafonds d'indemnisation

- lorsque le licenciement est sans cause réelle et sérieuse, comme c'est le cas en l'espèce, le juge peut proposer la réintégration et ce n'est que lorsque celle-ci est refusée par l'une ou l'autre des parties que le juge octroie au salarié une indemnité dans la limite du barème

- le barème est écarté en cas de nullité du licenciement en application de l'article L 1235-3-1 du code du travail

- ces dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse de l'article L 1235-3 sont versés en sus des indemnités de rupture, savoir pour M. [W], l'indemnité de licenciement.

Compte tenu notamment de l'effectif de l'entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération de M. [W], de son âge, de son ancienneté, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, la cour retient que l'indemnité à même de réparer intégralement le préjudice de M. [W] doit être évaluée à la somme de 15 000  euros.

Le jugement déféré est donc infirmé en ce qu'il a débouté M. [W] de sa demande formée au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et statuant à nouveau de ce chef, la cour condamne la société Apex à payer à M. [W] la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur l'application de l'article L.1235-4 du code du travail

Le licenciement de M. [W] ayant été jugé sans cause réelle et sérieuse, il y a lieu à l'application de l'article L.1235-4 du code du travail ; en conséquence la cour ordonne le remboursement par la société Apex aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées à M. [W], du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage.

Sur la clause de non-concurrence

Le conseil de prud'hommes a condamné la société Apex à verser à M. [W] la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect de la clause de non-concurrence.

Sur la recevabilité de la demande de dommages et intérêts pour non-respect de la clause de non-concurrence

La société Apex, qui a fait un appel incident soutient que :

- depuis la suppression du principe d'unicité de l'instance par le décret n°2016-660 du 16 mai 2016, le demandeur doit saisir le conseil de prud'hommes de l'ensemble de ses demandes, dès son acte de saisine ; il ne peut formuler de nouvelles demandes en cours de procédure qu'à la condition de se rattacher par un lien suffisant aux demandes initiales (articles 65 et 70 du CPC) ;

- la demande de dommages et intérêts pour non-respect de la clause de non concurrence n'a pas été formée par M. [W] dans l'acte de saisine du conseil de prud'hommes du 16 avril 2019 mais dans les conclusions postérieures du 9 avril 2020 ;

- cette demande n'a aucun lien, avec les demandes initiales, en dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, en discrimination ou en paiement d'heures supplémentaires et travail dissimulé ;

- cette demande additionnelle n'est pas non plus l'accessoire des demandes initiales.

En défense, M. [W] soutient que :

- sa demande d'indemnisation de la clause de non-concurrence illicite figure bien dans ses écritures communiquées le 9 avril 2020 qui sont recevables, conformément aux dispositions de l'article R 1453-5 du code du travail.

- au surplus elle comporte un lien suffisant avec la requête initiale s'agissant des conséquences d'une obligation contractuelle.

La cour constate que M. [W] ne formule pas de moyen au soutien de l'irrecevabilité de l'appel incident de la société Apex mentionnée dans le dispositif de ses conclusions.

A l'examen des pièces produites et des moyens débattus, la cour retient que la demande de dommages et intérêts pour non-respect de la clause de non-concurrence n'est pas recevable au motif d'une part que cette demande n'a pas été formée par M. [W] dans l'acte de saisine du conseil de prud'hommes du 16 avril 2019 mais dans les conclusions postérieures du 9 avril 2020 et au motif d'autre part que cette demande additionnelle ne se rattache pas par un lien suffisant aux demandes initiales qui étaient relatives au licenciement sans cause réelle et sérieuse, à la discrimination, aux heures supplémentaires et au travail dissimulé.

Le jugement déféré est donc infirmé en ce qu'il a condamné la société Apex à verser à M. [W] la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect de la clause de non-concurrence, et statuant à nouveau de ce chef, la cour dit que M. [W] est irrecevable dans sa demande formée au titre des dommages et intérêts pour non-respect de la clause de non-concurrence.

Sur la discrimination

M. [W] demande par infirmation du jugement la somme de 120 000 euros à titre de dommages et intérêts pour discrimination.

La société Apex s'oppose à cette demande.

Aux termes de l'article L.1132-1 du code du travail, aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses m'urs, de son orientation sexuelle, de son identité de genre, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une prétendue race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille, de son lieu de résidence ou de sa domiciliation bancaire, ou en raison de son état de santé, de sa perte d'autonomie ou de son handicap, de sa capacité à s'exprimer dans une langue autre que le français.

Selon l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses mesures d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations :

- constitue une discrimination directe la situation dans laquelle, sur le fondement de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race, sa religion, ses convictions, son âge, son handicap, son orientation sexuelle ou de son sexe, une personne est traitée de manière moins favorable qu'une autre ne l'est, ne l'a été ou ne l'aura été dans une situation comparable,

- constitue une discrimination indirecte une disposition, un critère ou une pratique neutre en apparence, mais susceptible d'entraîner, pour l'un des motifs précités, un désavantage particulier pour des personnes par rapport à d'autres personnes, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un but légitime et que les moyens pour réaliser ce but ne soient nécessaires et appropriés,

- la discrimination inclut tout agissement lié à l'un des motifs précités et tout agissement à connotation sexuelle, subis par une personne et ayant pour objet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement hostile, dégradant, humiliant ou offensant.

L'article L.1134-1 du code du travail prévoit qu'en cas de litige relatif à l'application de ce texte, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte telle que définie par l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, au vu desquels il incombe à l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, et le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

En l'espèce, M. [W] invoque les faits suivants :

- il a débuté son activité syndicale en 2008-2009 (pièces 21 et 22) ; il a été secrétaire de la DUP/CE, a mené nombre de négociations, signé des accords (pièces 30 et 32), ou des constats de désaccord (pièces 26 et 53) ;

- en raison de cet engagement syndical, il n'a pas connu la même évolution que ses collègues recrutés dans la même catégorie ;

- son salaire a subi une évolution moins favorable que la moyenne des augmentations salariales de l'entreprise (pièce 19) ;

- depuis 2014, son salaire n'a subi aucune évolution (moins de 1% d'augmentation cumulée entre 2014 et 2019) ;

- ses collègues embauchés comme lui en CM1 (chargé de mission 1), la même année, sont passés CM2 (chargé de mission 2), comme lui, mais ont poursuivi leur évolution vers un statut de chargé de mission confirmé (CMC1 puis CMC 2), ou responsable de filière ou de groupe (RG) (pièce 18) ;

- s'il avait bénéficié de la même évolution de carrière que ses collègues affectés comme lui aux services Diagnostic ou audit, il aurait évolué vers un statut CMC2 dans un délai de 3 à 8 ans, avec une promotion en moyenne tous les deux ans ;

- la comparaison de son salaire avec la moyenne des salaires des CMC2 montre dès 2013 et pour les années suivantes les effets d'une discrimination ;

A l'examen des pièces produites et des moyens débattus, la cour dispose d'éléments suffisants pour retenir que M. [W] établit l'existence matérielle de faits pouvant laisser présumer l'existence d'une discrimination à son encontre.

En défense, la société Apex fait valoir

- si l'évolution salariale de M. [W] a eu une évolution moins rapide que ses homologues, cela tient exclusivement à des raisons objectives, à savoir ses insuffisances professionnelles répétées ;

- M. [W] n'atteignait pas ses objectifs, dépassait les budgets, a dû être changé de groupes et rendait un travail de mauvaise qualité, justifiant son licenciement pour insuffisance professionnelle ;

- les augmentations individuelles sont attribuées en fonction d'éléments qualitatifs et quantitatifs que Mr [W] ne remplissait pas, ce dont atteste tous ses entretiens d'évaluation (pièces 12 à 18 et 35) ;

- des salariés détenteurs de mandat ont bénéficié d'augmentations salariales régulières, voire supérieures à la moyenne de la société Apex, lorsque leurs résultats le justifiaient, comme c'est notamment le cas de MM. [K], [P] et [L] (pièces employeur n° 30 et 36)

- M. [W] n'a jamais évoqué de discrimination avant la saisine du conseil de prud'hommes ;

- il n'existe aucun indice de discrimination.

A l'examen des pièces produites et des moyens débattus, la cour ne dispose pas de suffisamment d'éléments pour retenir que la société Apex démontre que les faits matériellement établis par M. [W] sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

La cour retient notamment que la société Apex ne peut utilement invoquer l'insuffisance professionnelle de M. [W] pour justifier qu'il a eu une évolution de carrière moins favorable que ses collègues de travail recrutés au même moment et travaillant dans le même service que lui au motif que l'insuffisance professionnelle a été écartée faute de preuve suffisante comme la cour l'a jugé plus haut.

La discrimination est donc établie.

Il résulte de l'examen des pièces versées aux débats et des moyens débattus, compte tenu des circonstances de la discrimination subie, de sa durée, et des conséquences dommageables qu'elle a eu pour M. [W] telles qu'elles ressortent des pièces et des explications fournies, que l'indemnité à même de réparer intégralement son préjudice doit être évaluée à la somme de 5 000 euros.

Le jugement déféré est donc infirmé en ce qu'il a débouté M. [W] de sa demande de dommages et intérêts pour discrimination et statuant à nouveau de ce chef, la cour condamne la société Apex à payer à M. [W] la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour discrimination.

Sur les dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail

M. [W] demande la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ; la société Apex s'oppose à cette demande.

En application des dispositions de l'article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver les faits nécessaires au succès de sa prétention, en particulier l'existence d'un fait générateur de responsabilité, du préjudice en découlant et donc d'un lien de causalité entre le préjudice et la faute.

Sans qu'il soit besoin d'examiner le fait générateur de responsabilité, il résulte de l'examen des moyens débattus que M. [W] n'articule dans ses conclusions aucun moyen permettant de caractériser le préjudice découlant, selon lui, de l'exécution déloyale de son contrat de travail, ni dans son principe, ni dans son quantum ; dans ces conditions, la cour rejette la demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail.

Le jugement déféré est donc confirmé en ce qu'il a débouté M. [W] de sa demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail.

Sur les heures supplémentaires

M. [W] demande à la cour de lui allouer les sommes suivantes :

- 26 876,62 euros à titre de rappels d'heures supplémentaires

- 2 687,66 euros à titre de congés payés afférents

- 5 717,02 euros à titre de contreparties obligatoires en repos

- 23 250 euros à titre de dommages et intérêts pour travail dissimulé.

Aux termes de l'article L.3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail effectuées, l'employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié ; le juge forme sa conviction au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Si la preuve des horaires de travail effectués n'incombe ainsi spécialement à aucune des parties et si l'employeur doit être en mesure de fournir des éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, il appartient cependant à ce dernier de fournir préalablement au juge des éléments de nature à permettre de vérifier sa demande.

En l'espèce, M. [W] expose que :

- il était contractuellement soumis à une durée hebdomadaire du temps de travail de 35 heures (pièce salarié n° 4) ;

- le forfait annuel d'heures auquel fait référence l'employeur au titre de l'accord d'entreprise, de 1 561 heures, ne peut pas lui être opposé puisqu'il a systématiquement été dépassé ;

- il a systématiquement travaillé au minimum 42 heures 30 par semaine soit 1 997 heures par an ;

- il travaillait plus de 8h30 en moyenne chaque jour

- il ne disposait d'aucun moyen pour « déclarer » ces heures.

- au surplus, un fonctionnement intériorisé par les salariés les incitait à « sous-déclarer » leurs heures ;

- en effet que les feuilles de temps n'avaient pas au sein de l'entreprise une valeur d'enregistrement du temps de travail mais une valeur de validation dépendant de décisions, après coup, des responsables de groupe intéressés à minorer le temps de travail effectif (pièces salarié n° 42, 44, 34 et 56) ;

- les institutions représentatives du personnel de l'entreprise ont soulevé le problème de la non-concordance entre les temps déclarés et les temps réels (pièces salarié n° 31 et 55) ;

- ses feuilles d'heures n'ont pas de valeur probante (pièces salarié n° 5 et 6, 56 à 59) ;

- l'entreprise n'a jamais donné suite aux demandes des élus de se donner un élément d'appréciation précieux en utilisant les badges électroniques individuels des salariés ;

- l'entreprise n'a communiqué aucun élément objectif quant à son temps de travail effectif ;

- il s'est parfois envoyé sur sa boite mail personnelle des éléments de son travail, et ses courriers électroniques démontrent l'amplitude de ses horaires de travail et des jours fériés (8 mai) des samedis ou dimanches (pièce 61)

Pour étayer ses dires, M. [W] produit aussi son décompte (pièce salarié n° 9) qui montre que sa demande formée à hauteur de 26 876,20 euros se décompose comme suit :

Année 2016 : 6 058,80 euros

Année 2017 : 10 874,76 euros

Année 2018 : 9 942,64 euros.

M. [W] produit ainsi des éléments préalables qui peuvent être discutés par l'employeur et qui sont de nature à permettre de vérifier sa demande.

En défense, la société Apex expose que :

- comme le mentionne son contrat de travail et l'accord d'entreprise sur l'organisation et le temps de travail, la durée du temps de travail est comptabilisée sur une base annuelle de 1 561 heures ; seules les heures réalisées exceptionnellement au-delà de la durée annuelle de référence font l'objet de récupération sur le 1er trimestre de l'année suivante et non d'un paiement majoré (pièces employeur n° 37 et 38) ;

- les temps annuels de M. [W] étaient régulièrement en deçà de la durée annuelle de 1 561 heures ; ainsi, en 2016, il a travaillé 1 478,5 heures (pièce employeur n° 39) ; en 2017 il a travaillé 1 681,75 heures et les 99 heures supplémentaires ont été récupérées (pièce employeur n° 40) ; en 2018 il a travaillé 1 015,8 heures (pièce employeur n° 41)

- ses décomptes sont inexploitables et, de surcroît non probants ; le total d'heures hebdomadaires indiqué est strictement identique d'une semaine et d'une année sur l'autre, sans indication des heures de début et fin d'activité, et temps de repas et, pause ;

- ils sont contredits par les décomptes d'heures validées par M. [W] et, sa hiérarchie dans les feuilles de temps (pièces employeur n° 42 à 51) ;

- les feuilles de temps sont l'outil d'enregistrement journalier des temps de travail des salariés ; le temps de travail est complété par le salarié et détaillé par rubrique, validé par le salarié puis par le responsable hiérarchique ;

- la note interne du 15 avril 2015 rappelle que le dépassement des temps réalisés à la seule initiative du salarié ne sont pas validés par l'entreprise et ne feront donc pas l'objet de récupération ;

- rien n'établit que les heures dont se prévaut M. [W] correspondent à du temps de travail effectif accompli dans l'intérêt et à la demande de l'employeur.

A l'examen des éléments produits de part et d'autre, et sans qu'il soit besoin d'une mesure d'instruction, la cour a la conviction que M. [W] n'a pas effectué les heures supplémentaires alléguées.

La cour retient notamment que M. [W] ne peut utilement contester la valeur probante des feuilles de temps au motif qu'il en est l'auteur étant précisé que ses feuilles de temps contredisent les heures supplémentaires qu'il allègue et ses allégations selon lesquelles il a systématiquement travaillé au minimum 42 heures 30 par semaine soit 1 997 heures par an et plus de 8h30 en moyenne chaque jour.

Sa demande relative aux heures supplémentaires doit par conséquent être rejetée ainsi que les demandes relatives aux contreparties obligatoires en repos et au travail dissimulé qui en découlent.

Par suite, le jugement déféré est confirmé en ce qu'il a débouté M. [W] de ses demandes formées au titre des heures supplémentaires, des contreparties obligatoires en repos et du travail dissimulé.

Sur la délivrance de documents

M. [W] demande la remise de bulletins de paie rectifiés.

Il est constant que les documents demandés lui ont déjà été remis ; il n'est cependant pas établi qu'ils ne sont pas conformes ; la demande de remise de documents est donc rejetée.

Sur les autres demandes

La cour rappelle que le présent arrêt infirmatif constitue le titre ouvrant droit à la restitution des sommes versées en exécution du jugement, et que les sommes devant être restituées portent intérêt au taux légal à compter de la notification ou de la signification, valant mise en demeure, de la décision ouvrant droit à restitution.

Les dommages et intérêts alloués seront assortis des intérêts au taux légal à compter de la présente décision.

La capitalisation des intérêts est de droit, dès lors qu'elle est demandée et s'opérera par année entière en application de l'article 1343-2 du code civil.

La cour condamne la société Apex aux dépens en application de l'article 696 du code de procédure civile.

Le jugement déféré est confirmé en ce qui concerne l'application de l'article 700 du code de procédure civile.

Il apparaît équitable, compte tenu des éléments soumis aux débats, de condamner la société Apex à payer à M. [W] la somme de 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel.

L'ensemble des autres demandes plus amples ou contraires formées en demande ou en défense est rejeté, leur rejet découlant des motifs amplement développés dans tout l'arrêt.

PAR CES MOTIFS

La cour,

INFIRME le jugement mais seulement en ce qu'il a :

- jugé que le licenciement de M. [W] est justifié,

- débouté M. [W] de sa demande formée au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- condamné la société Apex à verser à M. [W] la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect de la clause de non-concurrence,

- débouté M. [W] de sa demande de dommages et intérêts pour discrimination ;

CONFIRME le jugement déféré pour le surplus ;

Et statuant à nouveau sur les chefs infirmés ;

DIT que M. [W] est irrecevable dans sa demande formée au titre des dommages et intérêts pour non-respect de la clause de non-concurrence ;

DIT que le licenciement de M. [W] est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

CONDAMNE la société Apex à payer à M. [W] les sommes de :

- 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour discrimination ;

DIT que les dommages et intérêts alloués seront assortis des intérêts au taux légal à compter de la présente décision ;

ORDONNE la capitalisation des intérêts et dit qu'elle s'opérera par année entière en application de l'article 1343-2 du code civil ;

Y ajoutant,

ORDONNE le remboursement par la société Apex aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées à M. [W], du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage ;

DIT n'y avoir lieu à statuer sur la demande de restitution des sommes versées en vertu de l'exécution provisoire attachée au jugement déféré à la cour ;

CONDAMNE la société Apex à verser à M. [W] une somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

DÉBOUTE les parties de leurs demandes plus amples et contraires ;

CONDAMNE la société Apex aux dépens de la procédure d'appel.

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 6
Numéro d'arrêt : 21/01506
Date de la décision : 22/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-22;21.01506 ?
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