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22/03/2023 | FRANCE | N°20/07202

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 6, 22 mars 2023, 20/07202


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 6 - Chambre 6



ARRET DU 22 MARS 2023



(n° 2023/ , 1 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/07202 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCR7P



Décision déférée à la Cour : Jugement du 06 Octobre 2020 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 18/04577





APPELANT



Monsieur [P] [U]

[Adresse 1]

[Adresse 1]



Représenté par M

e Xavier CHILOUX, avocat au barreau de PARIS, toque : P051





INTIMÉE



S.A. REFINITIV FRANCE anciennement dénommée THOMSON REUTERS FRANCE

[Adresse 2]

[Adresse 2]



Représentée par Me Jeann...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 6

ARRET DU 22 MARS 2023

(n° 2023/ , 1 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/07202 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCR7P

Décision déférée à la Cour : Jugement du 06 Octobre 2020 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 18/04577

APPELANT

Monsieur [P] [U]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représenté par Me Xavier CHILOUX, avocat au barreau de PARIS, toque : P051

INTIMÉE

S.A. REFINITIV FRANCE anciennement dénommée THOMSON REUTERS FRANCE

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Jeannie CREDOZ-ROSIER, avocat au barreau de PARIS, toque : P0461

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 07 février 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur Christophe BACONNIER, Président de chambre

Madame Nadège BOSSARD, Conseillère

Monsieur Stéphane THERME, Conseiller

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame Nadège BOSSARD, Conseillère, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier : Madame Julie CORFMAT, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Monsieur Christophe BACONNIER, Président de chambre et par Madame Julie CORFMAT, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE :

M. [P] [U] a été engagé par la société Thomson Reuters France GIE devenue Refinitiv France selon contrat de travail à durée indéterminée du 26 mai 1997 prenant effet le 15 juillet 1997 en qualité de chef de produit senior.

La société Thomson Reuters France GIE devenue Refinitiv France a pour activité la vente de terminaux d'accès aux informations et la souscription de contrats d'abonnement aux flux d'informations diffusés sur ces terminaux,

En dernier lieu, M. [U] exerçait les fonctions de directeur régional de comptes avec un salaire mensuel moyen de 13.488 €.

La société emploie plus de 300 salariés.

La convention collective applicable est celle des bureaux d'étude dite Syntec.

Le 29 août 2011, M. [P] [U] a été désigné représentant syndical CGT au CHSCT.

Le 3 décembre 2013, M. [U] a été élu délégué du personnel.

M. [U] a démissionné par lettre remise en main propre le 10 octobre 2017.

Le 11 octobre 2017, il a exprimé des griefs envers son employeur et indiqué avoir pris acte de la rupture de son contrat de travail

Il a saisi le conseil de prud'hommes de Paris le 20 juin 2018 afin de voir produire à sa prise d'acte les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et des dommages-intérêts pour discrimination syndicale.

Par jugement en date du 6 octobre 2020, le conseil des prud'hommes de Paris l'a débouté de l'ensemble de ses demandes.

M. [U] a interjeté appel le 23 octobre 2020.

Selon ses dernières conclusions remises au greffe, notifiées le 8 janvier 2021, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposée des prétentions et moyens, M. [U] demande à la cour de :

Infirmer en toutes ses dispositions le jugement de première instance.

Statuant à nouveau.

Ordonner la prise d'acte de rupture imputable à Refinitiv, avec toutes conséquences de droit.

Condamner la société Refinitiv à payer à M. [P] [U] la somme de 89 830 euros au titre de l'indemnité de licenciement conventionnelle.

Condamner la société Refinitiv à payer à M. [P] [U] la somme de 230 800 euros au titre de l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Condamner la société Refinitiv à payer à M. [P] [U] la somme de 50 000 euros au titre de discrimination syndicale.

Condamner la société Refinitiv à payer à M. [P] [U] la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamner la société Refinitiv aux intérêts au taux légal et aux dépens.

Selon ses dernières conclusions remises au greffe, notifiées par le réseau privé virtuel des avocats le 8 avril 2021, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des prétentions et moyens, la société Refinitiv France demande de :

- Confirmer le jugement du 6 octobre 2020 du conseil de prud'hommes de Paris en toutes ses dispositions ;

En conséquence :

- Débouter Monsieur [U] de l'ensemble de ses demandes ;

- Condamner Monsieur [U] à verser à la société intimée la somme de 3 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 6 décembre 2022.

MOTIFS :

Sur la requalification de la démission en prise d'acte :

Une démission est équivoque lorsqu'un salarié, qui a démissionné sans réserves, remet en cause ultérieurement sa démission en justifiant de l'existence d'un différend contemporain ou antérieur à sa démission. Elle s'analyse alors en une prise d'acte.

En l'espèce, M. [U] a adressé à son employeur un courriel le 12 octobre 2017 soit le lendemain de la remise en main propre de la démission reprochant à son employeur une absence de réponse au sujet de sa candidature sur le poste de « GBD Société Générale / Crédit Agricole », une volonté de son manager de le voir quitter l'entreprise, un « harcèlement » à son encontre, son affectation en 2013 sur d'autres comptes que le compte Crédit Agricole et l'attribution en 2013 du budget alloué au titre de son véhicule de fonction.

L'expression des griefs caractérise l'existence d'un différend contemporain de la démission. Celle-ci est donc équivoque et doit s'analyser en une prise d'acte.

Sur les effets de la prise d'acte :

La prise d'acte produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si le salarié démontre que l'employeur a commis des fautes d'une gravité telle qu'elles justifient la rupture du contrat de travail aux torts de ce dernier.

M. [U] invoque avoir subi une discrimination syndicale et un harcèlement moral.

En vertu de l'article L1132-1 du code du travail, aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de (...) de ses activités syndicales ou mutualistes (...).

L'article L1134-1 du code du travail prévoit que lorsque survient un litige en raison d'une méconnaissance des dispositions du chapitre II, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Selon l'article L1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En vertu de l'article L1154-1 du code du travail, dans sa rédaction applicable jusqu'au 10 août 2016, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement, et dans sa rédaction applicable à compter du 10 août 2016, présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

En l'espèce, M. [U] expose :

- avoir eu une évaluation à la baisse en 2012 à la suite de l'annonce de sa désignation comme représentant au CHSCT

- avoir alors été placé sous un plan de contrôle de ses performances (PIP) en septembre 2012

- avoir été dessaisi le 25 mars 2013, de la responsabilité de la gestion commerciale du groupe Crédit agricole et avoir vu le transfert en avril 2013 de l'intégralité de son portefeuille clients à une autre salariée, lui-même se voyant affectés les comptes non domiciliés

- avoir subi en 2013 une perte de 2 000 euros de la valeur attribuée pour le renouvellement de son véhicule

- avoir été évalué le 16 décembre 2013 comme ayant partiellement atteint ses objectifs alors que sa supérieure lui avait indiqué avant son élection le 3 décembre 2013 que tous les ' account managers' recevraient l'évaluation objectifs atteints ou dépassés

- avoir subi à compter du 12 juin 2017 des commentaires désagréables et humiliants de la part de M. [V], nouveau directeur général

- ne pas voir reçu de réponse à sa candidature au poste de Global Business Director « GBD» en 2017

- avoir subi des propos diffamatoires sur sa loyauté et dénigrant quant à son intégrité morale lors d'une réunion le 10 octobre 2017.

M. [U] a exprimé à M. [V] sa crainte de voir celui-ci reprendre à son égard une attitude harcelante qu'il estime avoir subie lorsque M. [V] était son N+1 en 2012 et 2013, période au cours de laquelle M. [U] a vu son portefeuille client évoluer de manière défavorable selon lui et la valorisation de son véhicule de fonctions diminuer.

Il produit deux courriels de 2012 dans lesquels il contestait l'évaluation à la baisse de son évaluation semestrielle de 2012 et le Performance Improvement Plan (PIP) qui lui était imposé estimant que ces deux décisions de son employeur avaient été prises à la suite de sa désignation comme délégué syndical.

Il n'est pas contesté que M. [U] a vu son portefeuille clients modifié par son employeur en 2013, celui-ci perdant le client Crédit agricole pour se voir affecter d'autres clients.

M. [U] produit un courriel que lui a adressé M. [V] le 6 octobre 2017 lui reprochant une arrivée en retard à la réunion des ventes le lundi précédent, une absence à la réunion mensuelle 'GTM' et lui demandant de justifier de ses visites clients de la semaine. M. [U] a justifié son retard par un échange téléphonique avec un client et son absence par la préparation d'une réunion de négociation de quatre importants contrats se déroulant quelques heures après la réunion GTM.

M. [U] communique un courriel adressé à M. [V] le 8 juin 2017 dans lequel il exprime à son supérieur le sentiment qu'il a ressenti lors d'un entretien selon lequel il lui semblait que son supérieur lui conseillait de quitter l'entreprise.

Il invoque par ailleurs avoir subi des brimades ou des commentaires désagréables, sur son niveau en anglais, sur le savoir-être en réunion, sur un déjeuner avec des clients de BNP que son supérieur a considéré comme hiérarchiquement trop élevés pour que M. [U] les rencontre hors la présence de M. [V]. Toutefois, M. [U] ne produit ni courriels, ni attestations évoquant de tels propos. Ces faits ne sont donc pas établis.

Pris dans leur ensemble, ces éléments font présumer une discrimination syndicale et un harcèlement moral.

L'employeur établit par la production des bilans de performance du salarié, qu'après sa désignation en tant que représentant syndical au CHSCT le 29 août 2011, M. [U] a obtenu la notation « objectifs atteints » lors de son évaluation du 16 janvier 2012 au titre de l'année 2011.

L'évaluation du premier semestre 2012 n'est pas produite, l'employeur communiquant uniquement le courriel de la N+1 de M. [U] laquelle entend justifier l'évaluation provisoire 'Objectifs partiellement atteint' par 'un manque de motivation' et un nombre de rendez-vous clients inférieur à la norme. Pour autant, l'employeur considère que le Plan d'amélioration de la performance mis en place en 2012 a permis à M. [U] d'augmenter ses interactions avec les clients en 2012 et d'obtenir en fin d'année 2012 une évaluation « objectifs atteints ».

La société fait valoir que le transfert du client Crédit agricole à un autre salarié relève de son pouvoir de direction et souligne que M. [U] s'est vu confier non seulement des comptes non domiciliés mais surtout le client HSBC lequel s'est traduit par une révision des objectifs de M. [U] qui a eu pour effet une augmentation significative de sa rémunération variable à partir du troisième trimestre 2013.

L'évaluation « objectifs partiellement atteints » de 2013 s'explique quant à elle par la réticence de M. [U] à s'emparer de son nouveau portefeuille lors de son affectation sur le compte HSBC en lieu et place du compte Crédit Agricole comme cela résulte des appréciations littérales de l'évaluation.

Concernant la baisse du budget de renouvellement du véhicule, la société établit par la production d'un extrait de son logiciel et de la note interne relative à la politique voitures que M. [U] relevait du groupe I à l'instar de ses collègues Account Manager.

En 2014 et 2015, M. [U] qui exerçait toujours son mandat a été évalué comme ayant dépassé ses objectifs.

La société produit la réponse apportée par M. [V] au courriel de M. [U] du 8 juin 2017 lui reprochant de lui avoir conseillé de quitter la société, M. [V] contestant tout sous entendu dans son propos et évoquant le suivi d'une discussion avec M. [U] relative à des postes chez des concurrents.

Quant au refus de réponse à une candidature sur le poste de Global Business Director « GBD » pour les comptes Société Générale / Crédit Agricole, l'employeur établit que M. [U] n'a pas présenté sa candidature sur l'outil informatique interne sur lequel elle devait être formalisée. La société apporte une justification objective à cette absence de réponse.

Elle souligne en outre que la précédente candidature de M. [U] présentée au février 2017 au poste de « GBD BNP Paribas » a été traitée de la même manière que celle des autres candidats, sa candidature n'ayant pas été retenue après examen de ses compétences et de son expérience.

L'employeur apporte ainsi une justification objective à chacune de ses décisions.

La discrimination syndicale et le harcèlement moral invoqués et les faits exposés à faute à l'encontre de l'employeur au soutien de la prise d'acte ne sont donc pas caractérisés.

La prise d'acte produit en conséquence les effets d'une démission et la demande de dommages-intérêts pour discrimination est rejetée.

Le jugement entrepris est donc confirmé en toutes ses dispositions.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :

M. [U] est condamné aux dépens d'appel et au paiement de la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

CONDAMNE M. [P] [U] à payer à la société Refinitiv Fance la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE M. [P] [U] aux dépens d'appel.

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 6
Numéro d'arrêt : 20/07202
Date de la décision : 22/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-22;20.07202 ?
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