RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 12
ARRÊT DU 17 Mars 2023
(n° , 10 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 17/01185 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B2O25
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 15 Décembre 2016 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale d'EVRY RG n° 15-01457/E
APPELANTE
Madame [Z] [R] épouse [A]
[Adresse 2]
[Localité 6]
représentée par Me Marie WATREMEZ-DUFOUR, avocat au barreau d'ESSONNE
INTIMEES
SAS CARREFOUR SERVICES CLIENTS
[Adresse 3]
[Localité 5]
représentée par Me Dorothée MASSON, avocat au barreau de LYON
CPAM de l'ESSONE
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Rachel LEFEBVRE, avocat au barreau de PARIS, toque : D1901 substitué par Me Amy TABOURE, avocat au barreau de PARIS, toque : D1901
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 26 Janvier 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :
M. Raoul CARBONARO, Président de chambre
M. Gilles REVELLES, Conseiller
Mme Bathilde CHEVALIER, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffier : Mme Claire BECCAVIN, lors des débats
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé
par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
-signé par M. Raoul CARBONARO, Président de chambre et Mme Claire BECCAVIN, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La cour statue après expertise médicale ordonnée par arrêt du 16 octobre 2020 statuant sur l'appel interjeté par [Z] [R] épouse [A] (l'assurée) d'un jugement rendu le 15 décembre 2016 par le tribunal des affaires de sécurité sociale d'Evry dans un litige l'opposant à la société Carrefour Services Clients (la société), en présence de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne (la caisse).
FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Les faits ont été exposés dans l'arrêt rendu le 16 octobre 2020 par la cour d'appel de Paris auquel il est renvoyé.
Il sera simplement rappelé que Mme [Z] [A], née en 1959, salariée de la société en qualité de conseiller en relation clients à distance, bénéficiant de la qualité de travailleur handicapé, a été victime d'un accident du travail le 23 janvier 2014, recevant au niveau de la tête, alors qu'elle était assise à son poste de travail, le battant de la fenêtre qui était située à côté de son bureau, occasionnant une perte de connaissance, ainsi que des séquelles.
Le certificat médical initial mentionne un « traumatisme crânien et traumatisme cervical » étendu à l'épaule droite et prescrit un arrêt de travail jusqu'au 08 février 2014, prolongé par la suite.
La caisse a reconnu le caractère professionnel de l'accident et a fixé la consolidation au 30 avril 2015, avec attribution d'une rente à compter du 01er mai 2015 sur la base d'un taux d'IPP de 20%.
Le 23 novembre 2015, Mme [A] s'est vu notifier son licenciement pour impossibilité de reclassement suite à inaptitude d'origine professionnelle.
Après vaine saisine de la caisse, Mme [A] a saisi le 10 novembre 2015 le tribunal aux affaires de sécurité sociale d'Evry en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur. Par jugement du 15 décembre 2016, le tribunal a débouté Mme [A] de toutes ses demandes.
Mme [A] a interjeté appel le 17 janvier 2017 de ce jugement qui lui avait été notifié le 09 janvier 2017.
Sur cet appel, par arrêt du 16 octobre 2020, la cour d'appel de Paris a :
- Infirmé le jugement déféré,
Et statuant à nouveau :
- Jugé que l'accident du travail dont Mme [A] a été victime le 23 janvier 2014 est dû à la faute inexcusable de la société Carrefour Services Clients,
- Fixé au maximum prévu par la loi la majoration de rente allouée à Mme [A],
Avant dire droit sur la réparation des préjudices personnels de Mme [A] :
- Ordonné une expertise médicale judiciaire et désigné pour y procéder le Docteur [D] [B],
- Alloué à Mme [A] une indemnité provisionnelle d'un montant de 4 000 euros à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices personnels et moraux,
- Dit que la CPAM de l'Essonne devra verser directement à Mme [A] la majoration de rente allouée ainsi que l'indemnité provisionnelle accordée,
- Condamné la société Carrefour Services Clients à rembourser à la CPAM de l'Essonne le capital représentatif de la majoration de la rente susvisée,
- Condamné la société Carrefour Services Clients à rembourser à la CPAM de l'Essonne les sommes dont cette dernière sera tenue de faire l'avance,
- Condamné la société Carrefour Services Clients à rembourser à la CPAM de l'Essonne le coût de l'expertise,
- Condamné la société Carrefour Services Clients à payer à Mme [A] une somme de 2000 euros en remboursement des frais irrépétibles qu'elle a exposés,
- Condamné la société Carrefour Services Clients aux dépens d'appel.
Le rapport d'expertise a été déposé le 2 avril 2021.
La société s'est pourvue en cassation contre l'arrêt rendu le 16 octobre 2020.
Par arrêt du 25 février 2022, la cour d'appel de Paris a sursis à statuer jusqu'au prononcé de l'arrêt de la 2e chambre civile de la Cour de cassation et a dit qu'en cas de rejet du pourvoi, l'affaire sera réinscrite au rôle de la chambre 6-12 de la cour d'appel à la diligence des parties ou de la cour.
Par arrêt du 2 juin 2022, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi et condamné la société Carrefour services clients aux dépens.
L'affaire a été réinscrite au rôle et rappelée à l'audience du 26 janvier 2023.
Par ses conclusions post-expertise n°3 soutenues oralement et déposées à l'audience par son conseil, l'assurée demande à la cour de :
- La recevoir en ses demandes et l'y déclarer bien fondée,
En conséquence :
- Lui allouer les sommes suivantes dans le cadre de la liquidation de son préjudice des suites de son accident du travail du 23 janvier 2014 en lien avec la faute inexcusable de l'employeur :
- 4 000 euros au titre des souffrances endurées,
- 2 442 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire,
- 11 550 euros au titre de l'assistance par tierce personne avant consolidation,
- 5 000 euros au titre du préjudice d'agrément,
- 15 000 euros au titre de l'incidence professionnelle,
- Rappeler que la caisse fera l'avance de ces sommes puis en obtiendra ensuite le remboursement par la société Carrefour Services clients,
- Condamner la société à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner la société aux dépens,
- Dire et juger la décision à intervenir opposable à la caisse,
Subsidiairement :
- Ordonner avant dire droit sur la liquidation du préjudice une expertise complémentaire aux fins d'évaluation de l'assistance par tierce personne avant consolidation et de l'incidence professionnelle.
Par ses conclusions après expertise n°3 soutenues oralement et déposées à l'audience par son conseil l'employeur demande à la cour, au visa de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, de :
- Débouter Mme [Z] [A] de sa demande indemnitaire au titre du préjudice d'agrément,
- La débouter de sa demande indemnitaire au titre de la perte de chance de promotion professionnelle intitulée par cette dernière "l'incidence professionnelle",
- La débouter de sa demande d'expertise complémentaire,
- La débouter de sa demande indemnitaire au titre de l'assistance par tierce personne,
- La débouter de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Réduire le montant de l'indemnisation allouée au titre des souffrances endurées à 2 000 euros,
- Réduire le montant de l'indemnisation allouée au titre du déficit fonctionnel temporaire à la somme de 1 480 euros,
- (A titre subsidiaire) Réduire le montant de l'indemnisation allouée au titre de l'assistance par tierce personne à la somme de 5 544 euros.
Par ses conclusions écrites après expertise, soutenues oralement et déposées à l'audience par son conseil, la caisse demande à la cour de :
- Ramener l'indemnisation au titre des souffrances endurées à de plus justes proportions soit entre 2 000 et 3 000 euros,
- Fixer l'indemnisation du déficit fonctionnel temporaire partiel sur la base d'un taux de 25 euros par jour,
- Ne pas indemniser les postes de préjudices suivants : assistance par tierce personne, préjudice esthétique, préjudice sexuel, préjudice d'agrément, incidence professionnelle,
- Rappeler que la somme de 4 000 euros a été versée à titre de provision et qu'elle viendra en déduction des sommes allouées,
- Rappeler que l'employeur devra lui rembourser la somme de 1 200 euros au titre de la consignation expertise, le capital représentatif de la majoration de la rente, la provision de 4 000 euros et le montant complémentaire des préjudices fixés.
Il est fait référence, pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, aux écritures déposées à l'audience du 26 janvier 2023.
SUR CE,
Dans son arrêt du 16 octobre 2020, la cour a jugé que l'accident du travail dont Mme [Z] [A] a été victime le 23 janvier 2014 est dû à la faute inexcusable de la société Carrefour Services Clients.
Le rapport d'expertise médicale ordonnée par la cour a été déposé le 2 avril 2021 par le docteur [D] [B].
L'expert y fait état des éléments de discussion suivants :
"Mme [A] [Z], âgée actuellement de 61 ans, a été victime d'un accident du travail le 23.1.2014.
Le certificat médical initial des Urgences de l'hôpital [7] rapporte :
- un traumatisme crânien
- un traumatisme cervical sans lésion osseuse
- une contusion de l'épaule droite
A noter qu'il n'est pas vu de document descriptif du retentissement fonctionnel.
Initialement il lui a été prescrit un traitement anti-inflammatoire et antalgique durant 7 à 8 jours.
La première iconographie vue date du 3.2.2014 à type de scanner cérébral et du rachis cervical, sans lésion post-traumatique.
Il est vu de nombreux certificats médicaux en accident du travail de son médecin traitant, Dr [Y], sans détail clinique précis, mentionnant surtout un traumatisme crânien et un traumatisme cervical et parfois des douleurs de l'épaule droite.
Le 24.2.2014, son médecin lui a prescrit de l'Actiskenan pour 2 semaines (morphinique).
Puis il est vu par la suite des prescriptions de traitement médicamenteux toujours un peu identiques à type d'antalgiques, d'anti-inflammatoires et des cures d'anti-vertigineux.
Il ne ressort pas de bilan ORL ou neurologique.
Il n'est donc vu aucun document décrivant le retentissement fonctionnel initial ni l'évolution clinique.
Elle a été consolidée le 30.4.2015 avec une IPP de 20% pour un syndrome post-commotionnel de traumatisés crâniens sévères.
Rappelons à titre informatif que dans les certificats médicaux en accident du travail de son médecin traitant, il n'est jamais fait état de vertiges ou de troubles neurologiques, ni de retentissement psychologique.
Par ailleurs, force est de constater que l'examen clinique du médecin-conseil est très peu détaillé.
Au point de vue de son travail, suite à l'accident du 23.1.2014 elle a été en arrêt de travail continu jusqu'au 30.4.2015.
Le médecin du travail l'a reconnue inapte à son poste qui était déjà aménagé et apte à un poste de nouveau aménagé.
Quelques jours après la consolidation, soit le 4.5.2015, elle a été reconnue en invalidité de 2e catégorie pour différentes pathologies.
Il n'y a pas lieu de retenir de déficit fonctionnel temporaire total.
Il est proposé de retenir un déficit fonctionnel temporaire partiel de 25% du 23.1.2014 au 10.3.2014, fin du traitement par morphinique délivré par son médecin traitant pour ses céphalées.
Puis un déficit fonctionnel temporaire partiel de 15% du 11.3.2014 au 30.4.2015, date de consolidation.
Compte tenu de l'ensemble des documents médicaux vus, il ne ressort pas de perte d'autonomie et il n'y a pas lieu de retenir d'aide par une tierce personne.
Les souffrances endurées compte tenu du fait traumatique initial, des traitements et rapportés sont proposées à 2/7.
A la date de consolidation, il y a lieu de retenir un préjudice d'agrément avec une légère gêne à la pratique du jardinage et de la marche prolongée, sans impossibilité médicale de reprendre ces activités.
L'impossibilité à la conduite automobile rapportée ne peut être rattachée aux suites directes et uniques des conséquences de son accident du travail.
Il n'y a pas lieu de retenir de préjudice esthétique temporaire ou permanent.
Il n'y a pas lieu de retenir de préjudice sexuel.
Nous ne pouvons valablement répondre à la question sur la perte de chances de promotion professionnelle puisqu'avant l'accident du 23.1.2014, Mme [A] travaillait sur un poste aménagé à temps partiel, que le médecin du travail l'a reconnue inapte à son poste mais apte à d'autres postes adaptés et qu'en fin de compte après la consolidation elle a été mise en invalidité 2e catégorie pour de nombreuses autres pathologies que les séquelles de son accident du travail."
Le rapport conclut :
"Accident du Travail : Le 23.1.2014
Déficit Fonctionnel Temporaire Total : Aucun
Déficit Fonctionnel Temporaire Partiel :
A 25% du 23.1.2014 au 10.3.2014
A 15% du 11.3.2014 au 30.4.2015
Tierce Personne : Non
Incapacité à exercer son activité professionnelle :
Du 9.12.2018 au 30.12.2018
Souffrances endurées : 2/7 (Dans une Échelle de 0 À 7)
Préjudice esthétique temporaire : Aucun
Préjudice esthétique définitif : Aucun
Préjudice d'agrément :
Légère gêne à la pratique du jardinage et de la marche prolongée
Préjudice sexuel : Aucun"
Sur les postes de préjudice
La victime d'une faute inexcusable est en droit de réclamer, en application de l'article L.452-3 du code de la sécurité sociale, la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d'agrément.
Elle peut en outre prétendre à la réparation de préjudices non visés par cet article, notamment du déficit fonctionnel temporaire, non couvert par les indemnités journalières qui se rapportent exclusivement à la perte de salaire, des dépenses liées à la réduction de l'autonomie, y compris les frais de logement ou de véhicule adapté, et le coût de l'assistance d'une tierce personne avant consolidation et du préjudice sexuel, indépendamment du préjudice d'agrément.
A- Sur l'indemnisation des souffrances morales et physiques endurées
L'assurée sollicite que lui soit allouée la somme de 4 000 euros en rappelant la période d'un an et trois mois qui s'est écoulée entre l'accident et la date de consolidation, l'existence de céphalées intenses, de névralgie du bras droit et de douleurs cervicales chroniques.
Elle rappelle que son médecin traitant lui a prescrit des morphiniques le 24 février 2014, qu'il l'a adressée le 5 janvier 2015 à un confrère pour "consultation de la douleur chronique sur céphalées depuis un AT du 23.1.2014 sur traumatisme crânien" et qu'il ressort du rapport d'IPP du 9 avril 2015 les constats cliniques suivants "perte de mots, oublis, troubles de la mémoire, pleurs". Son médecin traitant évoque des céphalées avec vertiges résistants aux antalgiques et antivertigineux ainsi qu'un état anxio-dépressif (pièce n°22 de ses productions).
La société demande de réduire l'indemnisation à hauteur de 2000 euros, rappelant qu'il s'agit d'un préjudice évalué à 2/7 par l'expert dans son rapport, donc d'un préjudice qualifié de léger que les juridictions indemnisent habituellement par l'attribution d'une somme comprise entre 2000 et 4000 euros. Elle souligne que la salariée n'expose pas en quoi l'indemnisation devrait être fixée à son taux maximal.
La caisse demande de ramener ce poste à de plus justes proportions et propose une indemnisation comprise entre 2 000 et 3 000 euros.
L'importance des souffrances physiques et morales endurées par la salariée a été fixée à 2 sur 7 par l'expert dans son rapport.
Eu égard aux faits de l'espèce, de la nature des lésions, des douleurs physiques subies, s'agissant pour l'essentiel de céphalées chroniques résistantes aux antalgiques, et compte tenu du traumatisme psychologique engendré par l'accident lui-même qui a consisté en la chute d'une fenêtre sur la tête de Mme [A] alors qu'elle se trouvait assise à son bureau, il y a lieu d'allouer la somme de 3000 euros à ce titre.
B- Sur l'indemnisation du déficit fonctionnel temporaire
L'état de santé de l'assurée a été déclaré consolidé à la date du 30 avril 2015.
Mme [A] sollicite l'indemnisation de ce chef de préjudice par l'attribution d'une somme globale de 2 442 euros, calculée sur une base journalière de 33 euros. Elle fait état du traitement morphinique qu'elle a subi, des troubles de l'équilibre générés par les lésions, des troubles thymiques et de l'état dépressif engendrés par le syndrome post-traumatique ayant donné lieu à un traitement anti-dépresseur et anxiolytique. Elle en justifie par un certificat médical de son médecin traitant qui constate ces troubles et rappelle les traitements prescrits (pièce n°22 de ses productions).
La caisse demande que le taux journalier soit ramené à 25 euros selon la jurisprudence habituelle de la cour.
La société demande que la base journalière d'indemnisation soit fixée à 20 euros et de réduire en conséquence le montant de la réparation allouée au titre du déficit fonctionnel temporaire partiel à la somme de 1 480 euros.
Il y a lieu de prendre en considération les périodes et pourcentages retenus par l'expert ainsi qu'une base forfaitaire de 25 euros par jour et d'allouer en conséquence à l'assurée les sommes suivantes :
- au titre du déficit fonctionnel temporaire partiel de 25% (du 23 janvier 2014 au 10 mars 2014)
47 jours X 25 euros X 25% = 293,75 euros
- au titre du déficit fonctionnel temporaire partiel de 15% (du 11 mars 2014 au 30 avril 2015)
415 jours X 25 euros X 15% = 1556,25 euros
Soit au total la somme de 1850 euros.
C- Sur l'indemnisation de l'assistance par tierce personne
Mme [A] sollicite l'octroi de la somme de 11 550 euros en réparation de ce chef de préjudice en soutenant qu'elle n'a plus été en capacité de conduire alors qu'elle en était capable auparavant, ce qui a limité son autonomie à une période où elle devait se rendre à de nombreux rendez-vous médicaux. Elle ajoute qu'elle a subi une perte d'autonomie dans la gestion du quotidien en raison de troubles de la mémoire et qu'elle n'effectue aucune tâche ménagère.
Il y a cependant lieu de relever que l'expert exclut formellement l'assistance d'une tierce personne dans son rapport dans lequel il indique que : "compte tenu de l'ensemble des documents médicaux vus, il ne ressort pas de perte d'autonomie et il n'y a pas lieu de retenir d'aide par une tierce personne".
Dans le certificat médical du 19 mai 2021 que l'assurée verse aux débats (pièce n°22 de ses productions), le docteur [N] [Y], médecin traitant, fait état de céphalées et de vertiges, du syndrome des traumatisés crânien (troubles de la concentration et de la mémoire, état anxio-dépressif) et indique que : "Sur le plan individuel, elle ne pratique plus la conduite automobile depuis 5 ans, sort peu de chez elle, ne pratique plus d'activités physiques. Elle vit avec son mari dans un lieu isolé sans possibilité à proximité d'activité physique ni de paramédicaux (kiné). Son état dépressif retenti sur sa capacité à reprendre une activité physique".
Ces éléments ne caractérisent cependant pas la nécessité d'une assistance par tierce personne.
Il y a lieu de relever en outre que dans le courrier de demande de mise sous invalidité de 2e catégorie en date du 4 mai 2015, le docteur [Y] faisait état de comorbidités (pièce n°23 de ses productions) :
"Elle a un diabète évoluant depuis 1994 (sous ADO depuis 1998, sous injectable depuis 2012), une polyarthrite rhumatoide suivi depuis 2007 avec polyarthralgie, de plus récemment (avril 2015) devant un Quantiféron positif, elle bénéficie d'un traitement par Rifinah pour trois mois afin de poursuivre par la suite en rhumatologie une biothérapie complémentaire au méthotrexate".
Dans ces conditions, l'assurée n'établit pas la nécessité d'une assistance par une tierce personne à la suite des lésions causées par l'accident du travail dont elle a été victime. Elle échoue à remettre en cause les conclusions de l'expert sur ce point et ne justifie pas davantage qu'il soit fait droit à la demande d'expertise complémentaire.
Elle sera en conséquence déboutée des demandes qu'elle a formées à ce titre.
D- Sur l'indemnisation du préjudice d'agrément
Le préjudice d'agrément se limite à l'impossibilité pour la victime de continuer à pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs et inclut la limitation de la pratique antérieure.
L'assurée sollicite la somme de 5 000 euros en réparation de ce préjudice en rappelant qu'elle avait déclaré lors des opérations d'expertise pratiquer des activités de jardinage à raison de 5 heures par semaine et des activités de marche à raison de 1h30 deux fois par semaine.
La caisse demande que l'assurée soit déboutée de cette demande à défaut de justifier de son inscription régulière dans un club ou une association sportive.
La société s'oppose à cette indemnisation en soutenant que la demande n'est fondée que sur les seules déclarations de l'assurée formulées devant l'expert, sur le témoignage de sa belle-fille qui n'est pas un témoin objectif et de sa nièce dont l'attestation n'est pas recevable car non conforme aux dispositions de l'article 202 du code de procédure civile.
Il y a lieu de relever que contrairement à ce que soutient la caisse, l'inscription régulière à un club ou une association sportive n'est pas une condition exigée pour justifier de l'existence d'un préjudice d'agrément.
Par ailleurs, si l'attestation de Mme [U] [E], la nièce de Mme [A], est dactylographiée et n'est pas signée ce qui minore fortement sa force probante (pièce n°35), Mme [A] verse également aux débats l'attestation de Mme [I] [L] épouse [A] sa belle-fille (pièce n°34) qui témoigne qu' "elle pratiquait le jardinage à tous les temps et ne va même plus dans son jardin, nous faisions de belles randonnées activités qu'elle ne fait plus".
Compte tenu de ces éléments et des conclusions de l'expert qui relève au titre du préjudice d'agrément une "légère gêne à la pratique du jardinage et de la marche prolongée sans impossibilité médicale de reprendre ces activités" et donc une simple limitation de sa pratique antérieure, il y a lieu d'allouer à l'assurée la somme de 3 000 euros en réparation de ce préjudice.
E- Sur l'indemnisation de l'incidence professionnelle
Si l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, tel qu'interprété par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2010-8 QPC du 18 juin 2010, dispose qu'en cas de faute inexcusable, la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle peut demander à l'employeur, devant la juridiction de sécurité sociale, la réparation de chefs de préjudice autres que ceux énumérés par le texte précité, c'est à la condition que ces préjudices ne soient pas déjà couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale. La perte de droits à la retraite, même consécutive à un licenciement du salarié pour inaptitude, est couverte, de manière forfaitaire, par la rente majorée qui présente un caractère viager et répare notamment les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité permanente partielle subsistant au jour de la consolidation (Ch. Mixte, 9 janvier 2015, pourvoi n°13-12.310).
L'assurée sollicite au titre de l'incidence professionnelle la réparation du préjudice tiré de la perte de son emploi en lien avec la faute inexcusable de son employeur. Elle expose qu'elle était âgée de 56 ans au jour de son licenciement et que son accident l'a privée de la possibilité de travailler pendant 6 années jusqu'à sa retraite. Elle ajoute qu'elle percevait alors une rémunération brute de 817 euros par mois.
Elle sollicite que lui soit allouée la somme de 15 000 euros en réparation du préjudice moral lié à la perte de son emploi alors qu'elle avait besoin en dépit de son handicap de maintenir une activité professionnelle pour se sentir utile.
L'incidence professionnelle résultant de l'incapacité permanente partielle subsistant au jour de la consolidation est cependant déjà indemnisée par la rente majorée perçue par Mme [A].
A considérer comme le fait la société que cette demande s'analyse en une demande d'indemnisation de la perte de chance de promotion professionnelle, il y a lieu de rappeler les éléments retenus par l'expert dans son rapport :
"Nous ne pouvons valablement répondre à la question sur la perte de chances de promotion professionnelle puisqu'avant l'accident du 23.1.2014, Mme [A] travaillait sur un poste aménagé à temps partiel, que le médecin du travail l'a reconnue inapte à son poste mais apte à d'autres postes adaptés et qu'en fin de compte après la consolidation elle a été mise en invalidité 2e catégorie pour de nombreuses autres pathologies que les séquelles de son accident du travail."
Force est de constater que la salariée ne justifie par aucune pièce avoir été privée par l'accident du travail d'une perspective de promotion professionnelle.
Elle sera en conséquence déboutée de sa demande d'indemnisation à ce titre et sa demande de complément d'expertise portant sur l'évaluation de l'incidence professionnelle qui n'est pas davantage étayée sera rejetée.
Sur le règlement des sommes allouées à l'assurée
La réparation des préjudices est versée directement à l'assurée par la caisse qui en récupère le montant auprès de l'employeur en exerçant son action récursoire.
La caisse fait valoir qu'elle a déjà versé la somme de 4 000 euros à titre de provision et que cette somme viendra en déduction des sommes qu'elle devra verser à l'assurée.
Sur les autres demandes
La société Carrefour Services Clients sera condamnée aux dépens.
Il apparaît équitable d'octroyer à l'assurée la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile compte tenu des frais qu'elle a dû exposer après l'expertise pour faire valoir ses droits en justice.
La société sera condamnée à lui verser cette somme à ce titre.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Vu l'arrêt rendu par la cour de céans le 16 octobre 2020,
Vu le rapport d'expertise déposé le 2 avril 2021,
FIXE l'indemnisation des préjudices personnels subis par Madame [Z] [R] épouse [A] du fait de la faute inexcusable de la société Carrefour Services Clients, à :
- 3 000 euros au titre des souffrances endurées ;
- 1 850 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire ;
- 3 000 euros au titre du préjudice d'agrément ;
DIT la provision de 4 000 euros versée à [Z] [R] épouse [A] en exécution de l'arrêt du 16 octobre 2020 sera déduite du total des indemnités qui lui seront versées ;
RAPPELLE que ces sommes seront avancées par la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de l'Essonne qui en récupérera le montant auprès de la société Carrefour Services Clients conformément aux dispositions de l'article L.452-3 du code de la sécurité sociale ;
DÉBOUTE Madame [Z] [R] épouse [A] de ses demandes au titre :
- De l'incidence professionnelle;
- De l'assistance temporaire par une tierce personne ;
DÉBOUTE Madame [Z] [R] épouse [A] de sa demande d'expertise complémentaire ;
CONDAMNE la société Carrefour Services Clients, à payer à Madame [Z] [R] épouse [A] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la société Carrefour Services Clients, aux dépens d'appel.
La greffière Le président