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15/03/2023 | FRANCE | N°21/02892

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 6, 15 mars 2023, 21/02892


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 6



ARRET DU 15 MARS 2023



(n° 2023/ , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/02892 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDM6E



Décision déférée à la Cour : Jugement du 22 Février 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de 94000 - RG n° 19/01443





APPELANTE



Madame [F] [B]

[Adresse 1]

[Localité 4]




Représentée par Me Flora BARCLAIS, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, toque : PC7





INTIMÉE



Fondation [5]

[Adresse 2]

[Localité 3]



Représentée par Me Bruno REGNIER, avoc...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 6

ARRET DU 15 MARS 2023

(n° 2023/ , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/02892 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDM6E

Décision déférée à la Cour : Jugement du 22 Février 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de 94000 - RG n° 19/01443

APPELANTE

Madame [F] [B]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Flora BARCLAIS, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, toque : PC7

INTIMÉE

Fondation [5]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Bruno REGNIER, avocat au barreau de PARIS, toque : L0050

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 30 janvier 2023, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Christophe BACONNIER, Président de chambre, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Christophe BACONNIER, Président de chambre

Madame Nadège BOSSARD, Conseillère

Monsieur Stéphane THERME, Conseiller

Greffier : Madame Julie CORFMAT, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Monsieur Christophe BACONNIER, Président de chambre et par Madame Julie CORFMAT, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS, PROCEDURE ET MOYENS DES PARTIES

La fondation [5] a employé Mme [F] [B], née en 1962, par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 17 octobre 2016 en qualité de monitrice d'atelier.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées.

Sa rémunération mensuelle brute moyenne sur les 12 derniers mois (option la plus favorable) s'élevait en dernier lieu à la somme de 2 069,09 €.

Mme [B] est monitrice d'atelier en établissement et service d'aide par le travail (ESAT).

Par lettre notifiée le 4 mars 2019, Mme [B] a été convoquée à un entretien préalable fixé au 15 mars 2019 et un avertissement lui a ensuite été notifié le 9 avril 2019 pour :

- avoir eu des comportements et propos agressifs et déplacés à l'égard des travailleurs handicapés,

- avoir émis un avis sur le projet d'instituer la mise à disposition dans l'établissement de fiche de signalement d'événement indésirable,

- avoir divulgué auprès des travailleurs handicapés les sanctions professionnelles notifiées à des moniteurs.

Par lettre notifiée le 28 mars 2019, Mme [B] a été convoquée à un entretien préalable fixé au 8 avril 2019.

Mme [B] a ensuite été licenciée pour faute grave par lettre notifiée le 9 mai 2019 ; la lettre de licenciement indique :

« « 1. une agressivité persistante à l'encontre des usagers

Jeudi 28 mars 2019, à 8h35, j'ai reçu Melle P (travailleuse handicapée) en pleurs à cause d'une remarque très agressive de votre part. Vous lui avez crié, devant tous ses collègues, de s'installer dans le groupe de M. H (moniteur dans le même atelier), que vous ne vouliez plus l'avoir à votre table de travail car vous étiez "passé dans le bureau de la Directrice à cause d'elle".

A 8h45, lorsque je suis venue dans votre atelier en vous demandant à vous voir, vous m'avez répondu immédiatement "je sais pourquoi vous voulez qu'on se voit ; c'est parce que j'ai fait pleurer Melle [Y] Une fois dans votre bureau, vous m'avez dit avoir juste demanda à Melle P d'aller s'asseoir du côté du groupe de M. H (moniteur dans le même atelier) en disant que vous ne vouliez pas "avoir de problème à cause d'elle". Vous avez nié lui avoir crié dessus ou lui avoir dit que vous étiez "passé dans le bureau de la Directrice à cause d'elle". Pour vous, vous n'aviez pas été agressive, juste sèche. Mais, vexée, Melle P se serait mise à pleurer. Lorsque je vous ai demandé comment Melle P aurait pu savoir que nous nous étions vues la veille au soir, vous m'avez répondu que des travailleurs étaient autour de vous lorsque vous en aviez discuté le matin même avec vos collègues devant la machine à café et qu'ils avaient dû en parler avec Melle [Y]

Lors de votre entretien, jeudi 8 avril 2019, vous avez maintenu votre version des faits, à savoir que vous aviez été ferme lorsque vous aviez demandé à Melle [Y] de s'asseoir dans le groupe de M. H et que vexée Melle P se serait mise à pleurer. A aucun moment, vous ne lui auriez dit que vous étiez "passée dans le bureau de la Directrice".

Malgré vos arguments, je ne peux vous croire. En effet, j'ai moi-même constaté votre agressivité la veille au soir quand nous avons parlé de Melle P et de faits qui s'étaient produits quelques jours avant. Cet échange avait eu lieu de 17h10 à 17h30 c'est-à-dire une fois les travailleurs partis. De plus, Melle P m'a remontée à 8h35 les mêmes propos que vous m'aviez tenu la veille, soit 5 minutes après avoir commencé à travailler.

2. Un climat de stress et de tensions au sein de l'annexe

Mercredi 27 mars à 17h15, vous m'avez dit sur un ton très agressif que vous ne souhaitiez plus vous occuper des usagers qui travaillent avec Monsieur H (moniteur) car vous en aviez marre " de passer pour la méchante et que M. H soit le gentil" que vous ne pouviez plus rien dire aux travailleurs dont votre collègue a la référence car vous vous faites "reprendre à chaque fois".

La question n'est pas de reprendre un travailleur, mais de le faire avec professionnalisme et de manière distanciée de ce que le chef de service a tenté de vous faire comprendre le 21 février 2019. Or, je constate que dès qu'un travailleur n'a pas un comportement adéquat, vous continuez à le reprendre devant tout le monde, avec un ton très agressif, en le menaçant de lui retirer sa prime de comportement en fin de mois. Il en résulte que des travailleurs calmes sortent de leurs gonds et que d'autres pleurent.

Nous sommes un ESAT et non une usine, à ce titre, nous accueillons des personnes fragiles, à la compréhension parfois limitée. Crier, humilier, vexer ne permettra jamais à un travailleur de progresser et ce n'est pas comme cela que je souhaite que nos usagers soient accompagnés au sein de l'établissement.

Depuis cet événement, les témoignages sur l'ambiance délétère qui règne dans l'atelier sont nombreux "quand elle nous donne du travail, on n'entend que [F] crier", "elle nous donne du stress et de la pression", "[F] se venge contre les travailleurs", "elle ne connaît pas ses limites quand elle parle" "on n'est pas des chiens pour nous parler comme ça" "elle nous menace de ne pas voir de prime".

Par ailleurs, vous persistez à associer les travailleurs à nos différents alors qu'un comportement distancié et professionnel consisterait à les en préserver. Lorsque je vous ai vu dans votre bureau pour vous notifier votre mise à pied vous m'avez déclaré "je vais leur dire aux travailleurs que vous me mettez à pied". Il a fallu que je vous raisonne pour que cela n'arrive pas. Et, d'ailleurs, en quittant l'atelier, vous vous êtes exclamée devant tous les travailleurs "c'est vous qui êtes maltraitante en faisant ce que vous faites".

3. Un acharnement sur certains travailleurs

Les faits me prouvent que vous vous acharnez sur certains travailleurs. Melle P a pleuré à 2 reprises en raison de votre attitude vis-à-vis d'elle : une première fois parce qu'elle avait pris la casquette de son collègue pour plaisanter alors qu'il n'y avait pas de travail dans l'atelier, une deuxième fois parce que vous lui avez reproché de vous êtes fait reprendre à cause d'elle.

Après avoir été reprises par le chef d'atelier pour votre attitude agressive à l'égard de M. [P] (usager) vous n'avez eu de cesse de parler de lui pour montrer qu'il n'avait pas un comportement adéquat en atelier "hier, Monsieur [P] est tombé parce qu'il ne fait pas attention".

Ces faits me montrent que vous vous acharnez contre les travailleurs qui sont en opposition avec vous.

4. Aucune remontée d'informations importantes

Enfin, j'attends des moniteurs, comme de l'ensemble des professionnels de l'établissement, qu'ils me fassent part les faits importants qui se passent en atelier. Avant votre départ de l'ESAT, vendredi 22 mars 2019, vous auriez dû me dire que Melle P pleurait. Ce jour-là, j'ai été interpellé à midi par les travailleurs car Melle P pleurait et ne voulait pas déjeuner. Cette dernière qui n'a jamais voulu me dire pourquoi elle pleurait n'a mangé qu'un seul morceau de pain avant de rentrer chez elle.

Or, Melle P a fait un malaise dans les transports en rentrant chez elle le vendredi après-midi. Sa mère m'a informé le lundi 25 mars 2019 qu'elle avait été prise en charge par les pompiers et que les médecins avaient demandé qu'elle voit un cardiologue en urgence le lundi même. Mme P souhaitait me parler car elle avait trouvé sa fille très perturbée tout le week end., sans qu'elle arrive à lui faire dire ce qu'il s'était passé le vendredi matin.

Mme P avait appris d'un collègue de sa fille qu'elle s'était fait reprendre par un moniteur pour une histoire de casquette et voulait en savoir plus. A son retour de l'ESAT, Melle P m'a confirmé qu'elle s'était fait reprendre sévèrement par vous et M P (moniteur EV) ; elle m'a dit "je n'aime pas comment ils me parlent" et que (Mme N crie beaucoup lorsque M. H n'est pas là".

Malgré mes maintes demandes, je constate que vous n'arrivez pas à adopter un comportement distancié et professionnel avec les travailleurs que nous accueillons. Vous vous laissez très vite envahir par votre agressivité ce qui crée un climat délétère au sein de l'atelier dans lequel vous travaillez. Vous avez été reprise le 21 février 2019 par le chef d'atelier pour des propos agressifs à l'encontre de M. [P] (usager). Je vous ai convoqué à un entretien disciplinaire lundi 18 avril 2019 pour échanger sur vos propos et votre comportement vis-à-vis des travailleurs.

Nous considérons que ces faits constituent une faute grave rendant impossible votre maintien même temporaire au sein de la Fondation. Les explications recueillies auprès de vous lors de notre entretien n'ont pas permis de modifier notre appréciation et nous avons pris la décision de vous licencier pour faute grave. »

A la date de présentation de la lettre recommandée notifiant le licenciement, Mme [B] avait une ancienneté de 2 ans et 5 mois ; la fondation [5] occupait à titre habituel au moins onze salariés lors de la rupture des relations contractuelles.

Contestant la légitimité de son licenciement et réclamant diverses indemnités consécutivement à la rupture de son contrat de travail, Mme [B] a saisi le 11 octobre 2019 le conseil de prud'hommes de Créteil pour former les demandes suivantes :

« - Annuler l'avertissement notifié le 9 avril 2019,

- Annuler la mise à pied conservatoire notifiée à la salariée le 28 mars 2019,

- Dire et juger le licenciement de Madame [B] sans cause réelle et sérieuse,

- Condamner la Fondation [5] à lui verser les sommes suivantes :

' 1.163, 98 € à titre de rappel de salaire pour la période du 28 mars au 12 avril 2019,

' 116, 39 € au titre des congés payés y afférents,

' 7.241, 81 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

' 1.250, 07 € à titre d'indemnité légale de licenciement,

' 4.138,07 € au titre d'indemnité compensatrice de préavis,

' 413,81 € au titre des congés payés y afférents,

' 1.500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

- Ordonner la remise d'un bulletin de paie récapitulatif conforme à la décision à intervenir,

- Intérêts au taux légal avec capitalisation des intérêts,

- Ordonner l'exécution provisoire. »

Par jugement du 22 février 2021, auquel la cour se réfère pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, le conseil de prud'hommes a rendu la décision suivante :

« - Déclare recevable l'avertissement notifié le 9 avril 2018 à Madame [B] ;

- Déclare recevable la mise à pied conservatoire notifiée le 28 mars 2019 à Madame [B] ;

- Dit et juge que le licenciement de Madame [B] pour faute grave est fondé ;

- Déboute Madame [B] de l'ensemble de ses demandes ;

- Déboute la FONDATION [5] de sa demande reconventionnelle au paiement de la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

- Déboute la FONDATION [5] de sa demande de condamnation de Madame [B] aux entiers dépens. »

Mme [B] a relevé appel de ce jugement par déclaration transmise par voie électronique le 17 mars 2021.

La constitution d'intimée de la fondation [5] a été transmise par voie électronique le 12 avril 2021.

L'ordonnance de clôture a été rendue à la date du 29 novembre 2022.

L'affaire a été appelée à l'audience du 30 janvier 2023.

Par conclusions communiquées par voie électronique en date du 25 mai 2021, Mme [B] demande à la cour de :

« INFIRMER LE JUGEMENT RENDU LE 22 FEVRIER 2021 EN CE QU'IL A :

- DECLARE recevable l'avertissement notifié le 9 avril 2018 à Madame [B] ;

- DECLAREE recevable la mise à pied conservatoire notifiée le 28 mars 2019 à Madame [B] ;

- DIT ET JUGE le licenciement de Madame [B] pour faute grave fondé ;

- DEBOUTE Madame [B] de l'ensemble de ses demandes ;

STATUANT A NOUVEAU :

- DIRE ET JUGER Madame [B] recevable et bien fondée en sa demande ;

- ANNULER l'avertissement notifié à la salariée le 8 avril 2019 ;

- DIRE ET JUGER le licenciement de Madame [B] sans cause réelle et sérieuse ;

En conséquence,

- CONDAMNER la FONDATION [5] à régler à Madame [B] les sommes suivantes :

o 1.163,98 euros à titre de rappel de salaire pour la période du 28 mars au 12 avril 2019 ;

o 116,39 euros au titre des congés payés y afférents

o 7.241,81 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (3,5 mois) ;

o 1.250,07 euros à titre d'indemnité légale de licenciement

o 4.138,18 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis

o 413,81 euros au titre des congés payés y afférents

o 1.414,73 euros à titre de rappel de prime annuelle

o 3.000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile

o Dépens.

- ORDONNER la remise d'un bulletin de paie récapitulatif conforme à la décision à intervenir ;

Autres demandes :

- Intérêt au taux légal à compter de la saisine du Conseil de Prud'hommes

- Capitalisation des intérêts

- Exécution provisoire (Art. 515 du Code de Procédure Civile) »

Par conclusions communiquées par voie électronique en date du 9 juin 2021, la fondation [5] demande à la cour de :

« - Confirmer le jugement rendu 22 février 2021 par la section des activités diverses du Conseil de prud'hommes de CRETEIL,

- En conséquence, débouter Madame [F] [B] de l'ensemble de ses demandes,

- Condamner Madame [F] [B] à payer à la Fondation [5] la somme de 3.000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- La condamner aux entiers dépens. »

Lors de l'audience, l'affaire a été examinée et mise en délibéré à la date du 15 mars 2023 par mise à disposition de la décision au greffe (Art. 450 CPC)

MOTIFS

Vu le jugement du conseil de prud'hommes, les pièces régulièrement communiquées et les conclusions des parties auxquelles il convient de se référer pour plus ample information sur les faits, les positions et prétentions des parties.

Sur le licenciement

Il ressort de la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige que Mme [B] a été licenciée pour faute grave pour les faits suivants :

- son agressivité persistante à l'encontre des usagers et son acharnement sur certains travailleurs ;

- elle entretient un climat de stress et de tensions au sein de l'annexe ;

- elle ne fait aucune remontée d'informations importantes ;

Mme [B] conteste ces griefs et soutient que :

- en fait d'agressivité persistante à l'encontre des usagers, l'employeur invoque un seul fait : le 22 mars 2019, après avoir surpris Mademoiselle [Y], l'une des TH relevant de l'équipe de travailleurs de son collègue, en train de courir une casquette à la main dans l'atelier au milieu des chariots de manutention et des machines, elle l'a invité à regagner son poste de travail en ces termes : « retournez vous asseoir à votre place habituelle dans votre groupe pour éviter les problèmes » ; l'intéressée se serait mise à pleurer ; non seulement l'incident concernait un seul travailleur handicapé et en plus l'employeur ne justifie pas de ce qu'elle a fait preuve d'une agressivité persistante à son égard ;

- en ce qui concerne le grief relatif à l'acharnement, l'employeur indique que Mademoiselle P se serait plainte une seconde fois suite à l'incident du 22 mars 2019 aux motifs que Mme [B] lui aurait reproché de s'être fait reprendre à cause d'elle ; il ne verse aucun élément de preuve ; par ailleurs elle conteste avoir « raillé » M. N., suite à l'avertissement dont elle a fait l'objet après l'avoir recadré ; en réalité, animée de la plus grande bienveillance, « elle a rapporté la chute » qu'il a faite d'autant plus qu'il est diabétique ;

- en ce qui concerne le grief relatif au climat de stress et de tensions au sein de l'annexe, l'employeur lui reproche en fait de reprendre les travailleurs handicapés devant tout le monde, avec un ton très agressif, en menaçant de retirer la prime de comportement en fin de mois et qu'il en résulte que des travailleurs calmes sortent de leurs gonds et que d'autres pleurent ; cela est contredit par son dernier entretien annuel d'évaluation (pièce salarié n° 32), par sa formation en management des travailleurs handicapés (pièce salarié n° 33), par les attestations de ses anciens collègues, maître de stage ou directeur qui sont élogieuses à son égard (pièces salarié n° 34, 35, 36, 37) et par les mots de remerciements que les travailleurs handicapés qui l'accusent lui ont adressés durant les 3 années durant lesquelles elle les a encadrés (pièce salarié n° 44) ;

- les déclarations et signatures des travailleurs handicapés ont été recueillies dans des conditions ignorées (pièces employeur n° 31 et 32) ;

- l'attestation de M. [H] a sûrement été dictée car il ne maîtrise pas la langue française : de surcroît dans son attestation, il exprime des jugements de valeur et ne se limite pas à relater des faits (pièces employeur n° 35 et salarié n° 45 et 46) ;

- en ce qui concerne les remontées, l'employeur lui reproche de ne pas l'avoir informé de ce que Mademoiselle [Y] n'avait mangé qu'un seul morceau de pain le 22 mars 2019, ce qui est d'autant plus regrettable selon l'employeur, qu'elle a fait un malaise dans les transports en rentrant chez elle l'après-midi ; cependant elle était en repos l'après-midi et a donc quitté l'ESAT à midi.

La fondation [5] soutient qu'elle rapporte la preuve de l'ensemble des griefs contenus dans la lettre de licenciement (pièces employeur n° 31 à 39).

Il ressort de l'article L. 1235-1 du Code du travail qu'en cas de litige, le juge à qui il appartient d'apprécier le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties ; si un doute subsiste il profite au salarié.

Quand le licenciement est prononcé pour faute grave, il incombe à l'employeur de prouver la réalité de la faute grave, c'est à dire de prouver non seulement la réalité de la violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail mais aussi que cette faute est telle qu'elle impose le départ immédiat du salarié, le contrat ne pouvant se poursuivre même pour la durée limitée du préavis.

Pour apprécier la gravité de la faute, les juges doivent tenir compte des circonstances qui l'ont entourée et qui peuvent atténuer la faute et la transformer en faute légère.

Si un doute subsiste sur la gravité de la faute reprochée, il doit profiter au salarié.

Il résulte de l'examen des pièces versées aux débats et des moyens débattus que la fondation [5] apporte suffisamment d'éléments de preuve pour établir que Mme [B] crie régulièrement quand un travailleur handicapé a un comportement différent de celui qu'elle attend, qu'il lui arrive de menacer les travailleurs handicapés de leur retirer la prime, que ces comportements sont à l'origine d'un climat de stress et de tension dans son atelier, qu'elle a reproché à Mlle [U] qui est une travailleur handicapée d'être « passée au bureau à cause d'elle hier soir » et qu'elle ne voulait « plus la voir du côté de son groupe », qu'il s'agit d'un acte d'exclusion et de culpabilisation totalement inapproprié de la part d'un professionnel intervenant dans un ESAT.

Ces comportements sont en effet établis par la pièce n° 31 qui est un écrit de M. [Z], travailleur à l'ESAT, la pièce n° 32 qui est composée d'un écrit signé par cinq travailleurs handicapés, la pièce n° 34 qui est composée par le compte rendu de l'intervention de Mme [K], psychologue, à l'atelier, par la pièce n° 35 qui est la première attestation de M. [H] établie le 12 avril 2019 et par la pièce n° 39 qui est la deuxième attestation de M. [H] établie le 12 avril 2019.

La cour retient que les griefs relatifs à l'agressivité persistante à l'encontre des usagers au climat de stress et de tensions qu'elle entretient au sein de l'atelier l'annexe sont ainsi établis.

La cour retient aussi que ces griefs caractérisent une faute d'une gravité telle qu'elle imposait le départ immédiat de Mme [B], le contrat ne pouvant se poursuivre même pour la durée limitée du préavis au motif que, même si le métier de moniteur d'atelier dans un ESAT n'est pas facile et exige des qualités personnelles et relationnelles élevées, comme celles de veiller au respect des personnes handicapées et d'avoir une considération pleine de bienveillance à leur égard, et cela en toutes circonstances, le fait de crier pour donner des directives de travail sert exclusivement une attitude de domination d'un côté et de soumission des travailleurs handicapés de l'autre qui est contraire à ce qui doit être au c'ur des interventions des professionnels des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées : le respect et la bienveillance ; il en est de même de l'acte d'exclusion et de culpabilisation de Mlle A que la cour a retenu à l'encontre de Mme [B] qui la place lui aussi en dehors de sa fonction d'intervenant dans ESAT du fait que c'est un acte exclusif de respect et de bienveillance.

Le jugement déféré est donc confirmé en ce qu'il a jugé que le licenciement de Mme [B] est justifié par une faute grave et en ce qu'il a rejeté les demandes indemnitaires et salariales en découlant.

Sur la demande d'annulation de l'avertissement du 8 avril 2019

Par lettre du 8 avril 2019, notifié le 9 avril 2019, Mme [B] a fait l'objet d'un avertissement pour :

- avoir eu des comportements et propos agressifs et déplacés à l'égard des travailleurs handicapés,

- avoir émis un avis sur le projet d'instituer la mise à disposition dans l'établissement de fiche de signalement d'événement indésirable,

- avoir divulgué auprès des travailleurs handicapés les sanctions professionnelles notifiées à des moniteurs.

La lettre d'avertissement est formulée comme suit :

« D'une manière générale, je constate que vous réagissez de manière très agressive à ce qui ne vous convient pas. Vous avez déjà été reprise de manière orale pour avoir tenus des propos agressifs à l'encontre de vos collègues. Je constate désormais que vous adoptez la même attitude vis-à-vis de nos usagers.

Le 21 février 2019, vous avez perdu votre sang froid et vous êtes violemment emportée contre Monsieur N, l'un de nos usagers.

Vous lui avez demandé de découper des bandes de velcro en utilisant un gabarit. Monsieur N a essayé de vous faire comprendre qu'il n'en avait pas besoin ce que vous avez refusé d'entendre. Vous l'avez au contraire menacé de lui retirer sa prime s'il refusait d'obtempérer.

Vous entendant crier, Monsieur H (votre collègue) a demandé au chef d'atelier d'intervenir au plus vite. Vous avez reconnu avoir crié contre Monsieur N invoquant le fait qu'il s'était énervé et vous avait mal parlé. Votre attitude a inquiété Monsieur N qui s'est senti infantilisé par vos propos et votre ton alors que le but de l'accompagnement et de la prise en charge est notamment d'accompagner les travailleurs handicapés dans le développement de leur autonomie.

Le 14 février 2019, lors du Conseil de Vie Sociale (CVS), derniers lorsque nous avons évoqué la mise en place de la Fiche événement indésirable auprès des usagers et que j'ai expliqué que je voulais que la fiche d'événement indésirable soit utilisée par les travailleurs, vous avez haussé le ton, criant presque pour dire que vous n'étiez pas d'accord, argumentant sur le fait que la fiche d'événement indésirable pouvait être un outil de pression des usagers à l'encontre des moniteurs et que la Direction s'en était déjà saisi pour sanctionner l'un de vos collègues.

Outre le fait que ces propos sont mensongers (les fiches d'événement indésirables n'étaient pas mises en place lorsque ces sanctions ont été notifiées), ce n'est pas la fiche d'événement indésirable qui génère une sanction mais uniquement la faute constatée dans le cadre de l'exécution d'un contrat de travail.

Vous avez toute liberté pour exprimer vos opinions, néanmoins, je vous rappelle que vous devez, lors des réunions en présence des usagers d'adopter un comportement professionnel et être en mesure d'exprimer vos désaccords sans agressivité.

Votre attitude a totalement déstabilisé que je me suis sentie obligée de recevoir Monsieur [Y] le Président du CVS pour revenir sur le sujet de la fiche d'événement indésirable.

Lors de cet échange, j'ai découvert que vous vous étiez permise de raconter à Monsieur P que l'un de vos collègues avait déjà eu deux sanctions, et surtout d'entrer dans le détail du motif de ces sanctions.

Vous avez d'ailleurs reconnu lors de votre entretien préalable avoir divulgué ces informations à Monsieur B pour lui expliquer la raison de votre opposition à la mise en place des fiches d'événements indésirables dans l'établissement. Il ne vous appartient pas de divulguer des informations individuelles qui ne vous concernent pas à des tiers et d'autant plus à l'un de nos usagers.

Par ailleurs, ce qui concerne la vie de l'équipe, notamment un recadrage ou une sanction n'a pas à être partagé avec les usagers pour ne pas perturber leur accompagnement.

Ces propos ont fortement perturbé Monsieur B travailleur handicapé, orienté en ESAT en raison de troubles psychiques dont vous avez pleinement connaissance.

Ce comportement est inacceptable et totalement contraire au professionnalisme attendu dans le cadre de l'accompagnement des travailleurs handicapés de l'ESAT.

Ces comportements sont constitutifs d'un manquement à vos obligations professionnelles.

Vous vous devez, en effet d'adopter un comportement bien-traitant vis-à-vis de nos usagers.

Je vous rappelle à ce titre que vous avez signé la Charte de prévention de la maltraitance de la FONDATION [5] à votre arrivée le 17 octobre 2016. »

Mme [B] demande l'annulation de l'avertissement du 8 avril 2019.

La fondation [5] soutient que l'avertissement est justifié.

Le juge apprécie si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction. L'employeur doit fournir au juge les éléments qu'il a retenus pour prendre la sanction. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié, le juge forme sa propre conviction. Le juge peut ordonner, si besoin est, toutes les mesures d'instruction utiles.

Si un doute subsiste, il profite au salarié (article L. 1333-1 du Code du travail).

Il résulte de l'examen des pièces versées aux débats, précisément les pièces employeur n° 21 et 22, composées de l'attestation de M. [N], collègue de travail en formation, et de la fiche de signalement d'événement indésirable de M. [R], chef d'atelier, et des moyens débattus que la fondation [5] apporte pas suffisamment d'éléments de preuve pour établir que Mme [B] a imposé de manière autoritaire à M. N. une méthode de travail le 21 février 2019 avec l'emploi d'un gabarit de coupe alors que M. N. pouvait aussi employer une autre méthode pour réaliser les travaux de coupe de velcro en cause. La cour retient que ce comportement de domination/soumission est inapproprié dans les relations de travail et suffit à lui seul pour justifier l'avertissement litigieux même si les autres griefs mentionnés dans la lettre d'avertissement ne sont pas justifiés faute de preuve suffisante qu'il y a eu un abus de la liberté d'expression lors de la réunion de la CVS du 14 février 2019 dans la contestation de la fiche d'événement indésirable et une violation d'une obligation de confidentialité le 14 février 2019 dans la relation des sanctions prononcées contre son compagnon (pièce employeur n° 28).

Le jugement déféré est donc confirmé en ce qu'il a jugé que l'avertissement du 8 avril 2019 est justifié.

Sur la demande relative à la prime annuelle

Mme [B] demande la somme de 1 414,73 euros à titre de rappel de prime annuelle ; la fondation [5] s'oppose à cette demande.

La cour constate que Mme [B] n'articule aucun moyen propre au soutien de cette demande nouvelle.

La demande formée de ce chef sera donc rejetée faute de moyen étant précisé que l'article 954 du code de procédure civile qui dispose notamment que la cour n'examine les moyens au soutien des prétentions énoncées au dispositif que s'ils sont invoqués dans la discussion.

Sur les autres demandes

La cour condamne Mme [B] aux dépens en application de l'article 696 du Code de procédure civile.

Le jugement déféré est confirmé en ce qui concerne l'application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Il n'apparaît pas inéquitable, compte tenu des éléments soumis aux débats, de laisser à la charge de la fondation [5] les frais irrépétibles de la procédure d'appel.

L'ensemble des autres demandes plus amples ou contraires formées en demande ou en défense est rejeté, leur rejet découlant des motifs amplement développés dans tout l'arrêt.

PAR CES MOTIFS

La cour,

CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions,

Ajoutant

DÉBOUTE Mme [B] de sa demande relative à la prime annuelle,

DÉBOUTE la fondation [5] de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

DÉBOUTE les parties de leurs demandes plus amples et contraires,

CONDAMNE Mme [B] aux dépens.

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 6
Numéro d'arrêt : 21/02892
Date de la décision : 15/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-15;21.02892 ?
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