RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 13
RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES
DÉCISION DU 13 Mars 2023
(n° , 4 pages)
N°de répertoire général : N° RG 21/05921 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDMK3
Décision contradictoire en premier ressort ;
Nous, Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre, à la cour d'appel, agissant par délégation du premier président, assistée de Justine FOURNIER, greffière, lors des débats et de Victoria RENARD, greffière, lors de la mise à disposition, avons rendu la décision suivante :
Statuant sur la requête déposée le 13 Juillet 2020 par :
M. [R] [Y]
né le [Date naissance 1] 1978 à [Localité 4] (MAROC)
demeurant [Adresse 2] ;
comparant
Assisté par Me Thomas RAMONATXO du barreau de Paris substitué par Me Stéphanie QUENOT
Vu les pièces jointes à cette requête ;
Vu les conclusions de l'Agent Judiciaire de l'Etat, notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;
Vu les conclusions du procureur général notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;
Vu les lettres recommandées avec avis de réception par lesquelles a été notifiée aux parties la date de l'audience fixée au 30 Janvier 2023 ;
Entendus Me Thomas RAMONATXO substitué par Me Stéphanie QUENOT représentant M. [R] [Y]
Me Xavier NORMAND BODARD de la SELARL NORMAND & ASSOCIES substitué par Me Hadrien MONMONT, avocat représentant l'Agent Judiciaire de l'Etat,
Madame Anne BOUCHET, Substitute Générale,
Les débats ayant eu lieu en audience publique, le conseil du requérant ayant eu la parole en dernier ;
Vu les articles 149, 149-1, 149-2, 149-3, 149-4, 150 et R.26 à R40-7 du Code de Procédure Pénale ;
* * *
M. [R] [Y], de nationalité française, mis en examen des chefs de complicité de trafic de stupéfiants, complicité de trafic d'armes de catégorie A et B en réunion et association de malfaiteurs en vue de commettre un délit puni de plus de 10 ans d'emprisonnement, a été placé en détention provisoire à la maison d'arrêt de [Localité 3] du 15 novembre 2017 au 3 mai 2018, puis placé sous contrôle judiciaire.
Le 26 février 2019, la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris a prononcé la nullité de l'entière procédure et ordonné la levée du contrôle judiciaire. Cette décision est devenue définitive en suite du rejet du pourvoi intervenu le 29 avril 2019.
Le 14 janvier 2020, un avis de classement de la procédure a été rendu.
Le 13 juillet 2020, M. [Y] a adressé une requête au premier président de la cour d'appel de Paris en vue d'être indemnisé de sa détention provisoire, en application de l'article 149 du code de procédure pénale.
Il sollicite dans celle-ci, soutenue oralement,
- que sa requête soit déclarée recevable,
- le paiement des sommes suivantes :
* 15 000 euros au titre de son préjudice moral,
* 8 400 euros au titre de son préjudice matériel,
* 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans ses écritures, notifiées par RPVA le 20 septembre 2021 et déposées le 27 septembre 2021, développées oralement, l'agent judiciaire de l'Etat demande au premier président de juger la requête recevable, de ramener à de plus justes proportions le montant sollicité au titre du préjudice matériel lequel ne saurait excéder la somme de 4 500 euros, la demande formulée au titre du préjudice moral qui ne saurait excéder 10 000 euros ainsi que celle formulée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Le procureur général, reprenant oralement à l'audience les termes de ses conclusions déposées le 19 décembre 2022 conclut à la recevabilité de la requête pour une détention d'une durée de cinq mois et vingt-quatre jours et à la réparation du préjudice moral prenant notamment en considération le choc carcéral et l'indemnisation des frais d'avocat en lien avec la détention.
Le requérant a eu la parole en dernier.
SUR CE,
Sur la recevabilité
Au regard des dispositions des articles 149, 149-1, 149-2 et R.26 du code de procédure pénale, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, relaxe ou acquittement devenue définitive, a droit, à sa demande, à la réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention. Il lui appartient dans les six mois de cette décision, de saisir le premier président de la cour d'appel dans le ressort de laquelle celle-ci a été prononcée, par une requête, signée de sa main ou d'un mandataire, remise contre récépissé ou par lettre recommandée avec accusé de réception au greffe de la cour d'appel.
Cette requête doit contenir l'exposé des faits, le montant de la réparation demandée et toutes indications utiles prévues à l'article R.26 du même code.
Le délai de six mois ne court à compter de la décision définitive que si la personne a été avisée de son droit de demander réparation ainsi que des dispositions des articles 149-1,149-2 et 149-3 du code précité.
Il n'est pas démontré que M. [Y] aurait été avisé de son droit à demander réparation. Dans ces conditions, le délai n'a pas couru à son encontre, de sorte que la requête présentée le 13 juillet 2020 est recevable au titre d'une détention provisoire indemnisable du 10 novembre 2017 au 3 mai 2018, soit pour une durée de cinq mois et vingt-quatre jours.
Sur l'indemnisation
* Le préjudice moral
M. [Y], qui rappelle que lors de son incarcération il n'avait aucun passé judiciaire, soutient avoir subi une privation de liberté extrêmement importante et fait état d'un choc carcéral d'autant plus grave qu'il a été empêché de voir son épouse et ses cinq enfants, qu'il a subi des conditions de détention particulièrement dégradantes et que l'inquiétude de passer potentiellement dix ans en prison a été très importante.
L'agent judiciaire de l'Etat et le procureur général rappellent que le préjudice moral ne doit être apprécié qu'au regard de l'âge du requérant, de la durée et des conditions de la détention, de son état de santé, de sa situation familiale et d'éventuelles condamnations antérieures, soulignant que la preuve de conditions de détention plus difficiles que celles des autres détenus dans les mêmes circonstances n'est pas rapportée.
A la date de son incarcération, M. [Y] était marié et père de cinq enfants âgés de 12, 9, 5, 3 et 1 an comme le démontre le livret de famille qu'il produit et dont il a été séparé du fait de sa détention. Il a subi un préjudice moral certain en raison du choc carcéral subi, lequel a été aggravé par cette séparation familiale et la longueur de la détention sans être par ailleurs amoindri par une précédente incarcération.
Il ne peut être tenu compte comme facteur d'aggravation ni des conditions de détention faute pour le requérant de démontrer avoir subi personnellement des conditions de détention particulièrement difficiles ni de la peine encourue laquelle résulte des faits pour lesquels il a été mis en examen.
Il lui sera alloué une somme de 15 000 euros en réparation de son préjudice moral.
* Le préjudice matériel
M. [Y] sollicite une somme de 8 400 euros TTC au titre des frais de défense qu'il a engagés détaillant les diligences accomplies par son conseil.
Reprenant les mentions figurant sur la facture, l'agent judiciaire de l'Etat propose à ce titre une somme de 4 500 euros.
Le ministère public rappelle que seules les prestations liées directement au contentieux de la détention provisoire peuvent être prises en considération.
M. [Y] produit une facture de son conseil datée du 7 mai 2018 qui détaille les diligences accomplies par celui-ci dont il convient de retirer les frais d'ouverture du dossier, cinq des dix visites en maison d'arrêt, toutes n'étant pas lien exclusif avec la détention, et la préparation et l'assistance interrogatoire, qui ne sont pas en lien direct et exclusif avec la détention.
Il convient de lui allouer à ce titre la somme de 6 500 euros HT, soit 7 800 euros TTC.
PAR CES MOTIFS :
Déclarons la requête de M. [R] [Y] recevable,
Lui allouons les sommes suivantes :
- 15 000 euros en réparation de son préjudice moral,
- 7 800 euros en réparation de son préjudice matériel,
- 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboutons M. [Y] du surplus de ses demandes,
Laissons les dépens à la charge de l'Etat.
Décision rendue le 13 Mars 2023 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE MAGISTRAT DÉLÉGUÉ