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09/03/2023 | FRANCE | N°21/04837

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 5, 09 mars 2023, 21/04837


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 6 - Chambre 5



ARRET DU 09 MARS 2023



(n°2023/ , 11 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/04837 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDYU7



Décision déférée à la Cour : Jugement du 20 Mai 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY - RG n° 17/03679





APPELANT



Monsieur [T] [N]

[Adresse 1]

[Localité 2]

né le 10 Mai 1979 Ã

  [Localité 5] (95)



Assisté de Me Sabine MOUGENOT, avocat au barreau de PARIS, toque : K0191



INTIMEE



SARL COMPAGNIE D'ELECTRONIQUE ET DE MAINTENANCE INFORMATIQUE CEMI

[Adresse 3]

[Loca...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5

ARRET DU 09 MARS 2023

(n°2023/ , 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/04837 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDYU7

Décision déférée à la Cour : Jugement du 20 Mai 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY - RG n° 17/03679

APPELANT

Monsieur [T] [N]

[Adresse 1]

[Localité 2]

né le 10 Mai 1979 à [Localité 5] (95)

Assisté de Me Sabine MOUGENOT, avocat au barreau de PARIS, toque : K0191

INTIMEE

SARL COMPAGNIE D'ELECTRONIQUE ET DE MAINTENANCE INFORMATIQUE CEMI

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentée par Me Isabelle AYACHE REVAH, avocat au barreau de PARIS, toque : B0859

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 02 Février 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Catherine BRUNET, Présidente de chambre, Présidente de formation,

Madame Marie-José BOU, Présidente de chambre,

Madame Séverine MOUSSY, Conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame Catherine BRUNET, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier : Madame Cécile IMBAR, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Madame Catherine BRUNET, Présidente et par Madame Philippine QUIL, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Monsieur [T] [N] a été engagé par la société Compagnie d'Electronique et de Maintenance informatique (ci-après CEMI) à compter du 1er octobre 2002 en qualité d'ingénieur commercial.

Il exerçait en dernier lieu ces fonctions au statut cadre, niveau 8, coefficient 380.

La rémunération du salarié était composée d'une partie fixe et d'une partie variable.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des entreprises du bureau et du numérique du 15 décembre 1988.

La société occupait à titre habituel au moins onze salariés lors de la rupture des relations contractuelles.

Le 22 novembre 2017, M. [N] a saisi le conseil de prud'hommes de Bobigny d'une requête en résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts exclusifs de l'employeur au motif que la société ne lui aurait pas réglé l'intégralité des commissions qui lui étaient dues selon lui.

Par lettre du 23 novembre 2017, M. [N] a été convoqué à un entretien préalable fixé au 5 décembre 2017, une mise à pied à titre conservatoire lui étant notifiée.

Par lettre du 13 décembre 2017, il a été licencié pour faute grave.

M. [N] a sollicité en dernier lieu devant le conseil de prud'hommes la résiliation judiciaire de son contrat de travail et, subsidiairement, il a contesté son licenciement. Par jugement du 20 mai 2021 auquel la cour renvoie pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, cette juridiction l'a débouté de l'ensemble de ses demandes, l'a condamné aux dépens et a débouté la CEMI de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

M. [N] a régulièrement interjeté appel de ce jugement le 28 mai 2021.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 16 janvier 2023 auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des moyens et prétentions en application de l'article 455 du code de procédure civile, M. [N] demande à la cour d'infirmer le jugement et de :

- condamner la société CEMI à lui verser les sommes suivantes :

* 20 729,34 euros à titre de rappel de préavis, outre 2 072,93 euros de congés payés afférents,

* 3 149,93 euros à titre de rappel de mise à pied à titre conservatoire, outre 314,99 euros de congés payés afférents,

* 25 935,08 euros à titre de rappel d'indemnité de licenciement,

* 15 865,45 euros à titre de rappel de commission, outre 1 586,45 euros de congés payés afférents,

* 1 992,92 euros à titre de rappels de salaires sur commissions entre le 13 octobre 2017 et le 13 décembre 2017, outre 199,29 euros de congés payés afférents par mois,

* 1 445,40 euros à titre de solde de note de frais pour les mois d'août, septembre et octobre 2017,

* 89 827,12 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 6 000 euros à titre de dommages et intérêts pour défaut de mise en place de représentants du personnel,

* 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- ordonner la délivrance de bulletins de paie conformes sous astreinte définitive de 50 euros par jour de retard ;

- ordonner la délivrance de l'attestation Pôle emploi conforme ;

- dire que les condamnations porteront intérêts au taux légal à compter de la saisine ;

- ordonner la capitalisation des intérêts ;

- mettre les dépens à la charge de la société, y compris les frais d'exécution.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 20 décembre 2022 auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des moyens et prétentions en application de l'article 455 du code de procédure civile, la société CEMI demande à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a constaté que :

* la demande de M. [N] visant à faire prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de la société CEMI était injustifiée,

* le licenciement pour faute grave de M. [N] était justifié,

* la demande relative aux commissions était infondée ;

- débouter M. [N] de l'intégralité de ses demandes ;

A titre reconventionnel,

- rejeter les pièces n°56 à 60 versées aux débats par M. [N] ;

- condamner M. [N] à verser à la société CEMI la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de la présente instance.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 18 janvier 2023.

MOTIVATION

Sur le retrait de pièces

La cour constate que la société CEMI ne soutient aucun moyen au titre d'un retrait des pièces 56 à 60 produites par M. [N]. En conséquence et conformément aux dispositions de l'article 954 du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer sur cette demande.

Sur les rappels de salaire

Sur le rappel de commissions au titre de la société Aéroports de Paris

M. [N] soutient que la société CEMI lui a demandé d'effectuer une prestation auprès de la société Aéroports de Paris (ci-après la société ADP) qu'il a remplie et que dès lors, il doit percevoir une commission correspondant à 3% du chiffre d'affaires réalisé, comme pour les autres clients. Il souligne qu'il a débuté cette prestation de travail auprès de ce client par l'intermédiaire de M. [M], gérant de la société, puis qu'ensuite, il a été en relation directe avec M. [O], directeur des services informatiques de la société ADP. Il ne conteste pas que ce client était affecté à un autre commercial, M. [P], mais uniquement pour l'activité traditionnelle de la société qui est la fourniture de bornes et de terminaux. Il ajoute qu'à compter de l'année 2016, M. [M] a repris en direct ce compte, M. [P] n'intervenant plus. Il précise que sa prestation était différente de celle réalisée par ce salarié jusqu'à cette date dans la mesure où il s'agissait pour lui de commander pour le compte de ce client des ordinateurs, des accessoires ou des téléphones. Il soutient qu'il doit percevoir sur le chiffre d'affaires qu'il a généré auprès de ce client, une commission de 3%. Il fait valoir qu'il a toujours perçu une commission à ce taux pour toutes les affaires sur lesquelles il intervenait comme l'ensemble des commerciaux. Il souligne que la société ne produit aucun élément permettant d'établir un autre taux de commissionnement. Enfin, il fait valoir que la société CEMI ne peut pas 'à sa guise, modifier le montant ou l'assiette des commissions, ce qui serait parfaitement léonin, en s'abritant derrière l'absence de contrat écrit, dont elle supporte la faute'.

En réponse, la société soutient qu'elle ne devait pas payer à M. [N] des commissions sur le chiffre d'affaires qu'il a réalisé auprès de la société ADP. Elle fait valoir que ce compte était confié à un autre salarié, M. [P], qui n'en a pas été dessaisi à compter de 2016 et que les commandes de la société ADP étaient transmises soit à ce commercial soit à M. [M]. Elle ajoute qu'il peut arriver que la société ADP prenne contact avec elle pour l'achat de quelques produits bureautiques afin qu'elle en passe commande mais que cette prestation ponctuelle réalisée peu fréquemment par M. [N] ne demande pas de travail de prospection, de négociation ou de suivi et prend seulement quelques minutes, de sorte que ce travail ne peut pas générer de droit à commission. Elle affirme que M. [N] n'a jamais été chargé d'une mission commerciale pour le compte de la société ADP. S'agissant du montant de la commission, elle soutient qu'aucun élément légal ou contractuel ne justifie le versement d'une telle commission.

M. [N] verse aux débats des échanges de courriels entre M. [M], gérant de la société CEMI, et M. [O] de la société ADP aux fins de commande de matériels, ces courriels étant ensuite transmis à M. [N] par le gérant de la société avec parfois la mention ' à commander' ou 'peux-tu vérifier ''. Il produit également des courriels et des textos échangés directement avec M. [O] à compter du mois de février 2014, ce dernier passant commande auprès de lui. La cour relève que M. [M] a été systématiquement destinataire de ces courriels soit directement soit en copie. Elle constate que M. [N] établissait des propositions commerciales à destination de la société ADP (pièces 17, 22 et 23 du salarié), qu'à la demande de M. [M], il recherchait des solutions pour ce client (pièce 44 du salarié) et qu'il le renseignait (pièces 20 et 45 du salarié). En outre, il a organisé des rencontres de nature commerciale comme le démontrent ses pièces 37 et 39, la société ADP étant conviée à des présentations. Il résulte de ces éléments que M. [N] a effectué une prestation de travail en sa qualité d'ingénieur commercial au profit de la société ADP ce qui a généré pour la société CEMI un chiffre d'affaires.

La société CEMI soutient que la nature de cette prestation et le fait que M. [P] se soit vu confier ce client, priveraient M. [N] d'un droit à commission qui au surplus n'a pas de fondement.

Un salarié peut percevoir une rémunération composée d'une part fixe et d'une part variable. Cette part variable peut dépendre d'une participation, d'objectifs fixés par l'employeur ou d'un commissionnement, c'est à dire d'un pourcentage du chiffre d'affaires apporté par le salarié. Les parties conviennent en l'espèce de l'existence d'une rémunération variable sous la forme d'un commissionnement.

Aucun contrat de travail n'a été établi par écrit et la société n'a pas défini un plan de commissionnement. Comme elle le soutient, la convention collective applicable ne définit pas un montant de commission.

Cependant, il appartient à l'employeur de définir les conditions d'emploi qu'il propose au salarié comme d'ailleurs la convention collective l'impose puisqu'elle dispose que l'engagement d'un salarié doit être confirmé par écrit et doit mentionner ses appointements. S'agissant particulièrement de la rémunération variable, si l'employeur dispose de la possibilité d'en fixer les critères, ceux-ci doivent être définis afin que le salarié puisse d'une part, mobiliser ses efforts et d'autre part, évaluer sa rémunération et contester éventuellement le montant de celle-ci. Dès lors, comme le souligne à juste titre M. [N], l'absence de contrat de travail écrit ne saurait en soi le priver de la possibilité de revendiquer le paiement d'une rémunération variable.

M. [N] démontre par la production de documents intitulés 'commissions représentants' établis par la société CEMI pour les mois d'avril à septembre 2017 inclus qu'il percevait un commissionnement de 3% pour ses autres clients, ce qui n'est pas contesté par la société. Au surplus, la cour constate qu'il résulte de ce document pour le mois de juillet 2017, qu'une commission de 1 455,35 euros devait lui être versée et du bulletin de salaire du mois d'août 2017 qu'il l'a effectivement perçue. Il en va de même pour la commission au titre du mois de septembre 2017 figurant sur le bulletin de salaire du mois d'octobre 2017. Il verse également aux débats ses bulletins de salaire des mois de février et mai 2017 sur lesquels figure une commission et auxquels sont joints le document 'commissions représentants' mentionnant la même commission correspondant à 3% du chiffre d'affaires généré.

A défaut d'un plan de commissionnement, il ne peut pas être retenu l'existence d'une règle qui empêcherait un salarié de percevoir un commissionnement sur le chiffre d'affaires généré par son action auprès d'un client dès lors qu'un autre salarié serait chargé d'une démarche identique auprès du même client. De même, aucun élément ne permet de retenir que la nature de la prestation effectuée par M. [N] auprès de la société ADP ne permettait pas de générer un commissionnement. La cour relève en outre que la société CEMI qui dispose de tous les documents, ne produit pas d'élément aux débats permettant d'établir une comparaison entre la nature de la prestation effectuée par M. [N] auprès de ses autres clients donnant lieu à commissionnement et celle effectuée auprès de la société ADP alors qu'elle soutient que la différence de nature et de difficulté justifie l'absence de commissionnement.

En conséquence, la cour retient que la société CEMI devait payer à M. [N] un commissionnement de 3% sur le chiffre d'affaires qu'il a généré auprès de la société ADP.

M. [N] produit un tableau recensant les commandes de la société ADP dont il s'est occupé. Alors qu'elle dispose de tous les éléments concernant ces commandes, la société ne conteste pas utilement le décompte produit par le salarié car si elle invoque le fait que M. [N] aurait soit vendu à des clients à perte soit à un prix très légèrement supérieur au coût d'acquisition ce que le salarié conteste, elle produit des éléments ne concernant pas la société ADP.

En conséquence, sur le fondement du tableau produit par M. [N], il lui est dû la somme de 14 699,62 euros à titre de rappel de commissions relatives à la société ADP.

La décision des premiers juges sera infirmée sur ce chef de demande.

Sur les erreurs concernant d'autres commissions

M. [N] soutient que la société a commis des erreurs pour les autres commissions car elles n'ont pas été calculées sur le montant global de certaines factures.

La société fait valoir que les frais de port et de maintenance n'entrent pas dans l'assiette de calcul des commissions, et qu'il n'y avait pas lieu de payer à M. [N] une commission sur la base d'un montant de 7 266 euros pour la société Alizey technologie car les produits n'ont pas été vendus par le salarié. Elle ajoute que les exemples donnés par M. [N] de commissions calculées sur une assiette intégrant des frais de port et la maintenance ne peuvent pas être créateurs de droits.

Comme le fait valoir à juste titre M. [N], il appartient à la société CEMI de démontrer qu'elle s'est libérée de son obligation de lui payer un commissionnement à hauteur de 3% précédemment retenue par la cour. D'une part, elle ne produit aucun élément démontrant que les frais de port et de maintenance ne devaient pas entrer dans l'assiette de calcul du commissionnement ; d'autre part, il résulte de ses propres documents intitulés 'commissions représentants' que le commissionnement était calculé sur le chiffre d'affaires hors taxe ce qui inclut selon les factures produites, les frais de port et de maintenance. S'agissant de la facture Alizey Technologie, elle verse aux débats une attestation de M. [X], président directeur général de cette société, qui indique ne jamais avoir vu M. [N] et avoir fait un prototype dans le cadre d'un 'POC' en accord avec la société CEMI pour obtenir un autre client. Cependant, la cour constate une contradiction entre les conclusions de la société CEMI et les dires de M. [X] puisque l'employeur indique avoir remis à la société Alizey Technologie des produits prototypes alors que le témoin affirme avoir fait ce prototype. En outre, elle relève que la société CEMI a bien établi à l'adresse de la société Alizey technologie une facture d'un montant de 7 266 euros. Enfin, alors qu'elle dispose de tous les éléments ayant trait à cette commande, elle ne produit aucun autre élément objectif à ce titre.

En outre, le fait que M. [N] sollicite le règlement de ces sommes dans le cadre du présent litige et non en cours d'exécution de son contrat de travail est indifférent.

Dès lors, la cour retient que la société CEMI devait payer à M. [N] un commissionnement sur l'intégralité des factures objets de cette demande soit la somme de 1 165,83 euros au paiement de laquelle elle sera condamnée.

La décision des premiers juges sera infirmée sur ce chef de demande.

Il résulte de cette analyse que la société CEMI doit à M. [N] la somme totale de 15 865,45 euros à titre de rappel de commissions outre celle de 1 586,54 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés afférents au paiement desquelles la société sera condamnée.

Sur la résiliation du contrat de travail

M. [N] sollicite la résiliation de son contrat de travail en invoquant les manquements suivants de son employeur :

- le non -paiement de son salaire, les commissions au taux de 3% du chiffre d'affaires réalisé auprès du client Aéroport de Paris (ci-après ADP) ne lui ayant pas été payées et les commissions afférentes à d'autres clients comportant des erreurs ;

- un alourdissement de sa charge de travail ;

- un retrait du client ADP lorsqu'il a sollicité la régularisation de ses commissions relatives à ce client ;

- une menace d'audit sur les notes de frais.

La société soutient qu'elle n'a pas manqué à ses obligations.

Le salarié peut demander la résiliation de son contrat de travail en cas de manquements de son employeur à ses obligations. Il appartient au salarié de rapporter la preuve des manquements invoqués. Le juge apprécie si la gravité des manquements justifie la résiliation du contrat. Le manquement suffisamment grave est celui qui empêche la poursuite du contrat. Dans ce cas, la résiliation du contrat produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Pour apprécier la gravité des manquements reprochés à l'employeur, le juge prend en compte l'ensemble des événements survenus jusqu'à l'audience ou jusqu'à la rupture du contrat de travail si celle-ci est antérieure.

Lorsqu'un salarié demande la résiliation de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, tout en continuant à travailler à son service, et que ce dernier le licencie ultérieurement pour d'autres faits survenus au cours de la poursuite du contrat, le juge doit d'abord rechercher si la demande de résiliation du contrat de travail était justifiée ; c'est seulement dans le cas contraire qu'il doit se prononcer sur le licenciement notifié par l'employeur ; la date de la rupture est fixée à la date d'envoi de la lettre de licenciement

Seuls peuvent être de nature à justifier la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur des faits, manquements, ou agissements de ce dernier d'une gravité suffisante de nature à empêcher la poursuite du travail.

En l'espèce, la cour a précédemment retenu que M. [N] n'avait pas perçu l'intégralité de sa rémunération ce pendant plusieurs mois. La société CEMI a commis ainsi un manquement suffisamment grave pour empêcher la poursuite du contrat de travail. En conséquence, la résiliation du contrat de travail sera prononcée aux torts de la société et produira ses effets à la date d'envoi de la lettre de licenciement soit le 13 décembre 2017.

Sur les conséquences de la rupture du contrat de travail

La résiliation du contrat de travail prononcée aux torts de l'employeur produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

En conséquence, conformément aux dispositions de l'article 5.13 de la convention collective applicable, il est dû à M. [N] une indemnité compensatrice de préavis de 20 476,50 euros outre la somme de 2 047,65 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés afférents sur la base d'une moyenne de salaire de 6 825,50 euros après intégration des commissions dues au vu de l'attestation Pôle emploi et des tableaux afférents au rappel de commissions produits aux débats.

S'agissant de l'indemnité de licenciement, M. [N] invoque les dipositions de l'article 5.14 de la convention collective applicable. Cependant, l'application des dispositions des articles L. 1234-9 et R. 1234-2 du code du travail dans leur rédaction applicable au litige étant plus favorable, il convient d'en faire application et de condamner en conséquence la société CEMI à payer à M. [N] à ce titre la somme de 25 935,08 euros.

Enfin, le licenciement de M. [N] étant dépourvu de cause réelle et sérieuse, la société CEMI sera condamnée à lui payer la somme de 3 149,93 euros à titre de rappel de salaire afférent à la mise à pied conservatoire outre celle de 314,99 à titre d'indemnité compensatrice de congés payés afférents.

Aux termes de l'article L. 1235-3 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige, si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis. Si l'une ou l'autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés par le même article, en l'espèce entre 3 et 13 mois compte tenu de l'ancienneté de M. [N] de 15 ans.

Compte tenu notamment de l'effectif de l'entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à M. [N], de son âge, 38 ans, de son ancienneté, 15 ans, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies notamment au regard des avis de situation Pôle emploi produits aux débats démontrant qu'il a perçu des allocations pendant 645 jours, il y a lieu de lui allouer, en application de l'article L. 1235-3 du code du travail, une somme de 60 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse au paiement de laquelle la société sera condamnée.

La décision des premiers juges sera infirmée sur ces chefs de demande.

Sur le solde de notes de frais

M. [N] sollicite le paiement de la somme de 1 445,40 euros au titre des frais professionnels afférents aux mois d'août, septembre et octobre 2017.

La société fait valoir qu'elle lui a réglé la somme de 797,59 euros nets à ce titre et que le surplus ne lui est pas dû car il a sollicité abusivement le remboursement de frais liés à sa vie personnelle.

M. [N] soutient qu'il bénéficiait d'un avantage en nature de 358 euros par mois qui comprenait le véhicule y compris pour un usage privé et les frais de carburant afférents de sorte qu'il est légitime à solliciter le remboursement des frais de carburant. Il ajoute qu'aucune note ne régissait le remboursement des frais dans l'entreprise mais qu'au moment de son embauche, il lui avait été indiqué que les frais de péage et d'essence étaient pris en charge et qu'un usage existait consistant en un remboursement des frais. Il affirme que depuis 15 ans, ces frais lui sont remboursés.

La cour constate en premier lieu que M. [N] a tenu compte de la somme qui lui a été payée au titre des frais professionnels figurant sur le reçu pour solde de tout compte, 797,59 euros, puisque le total des frais professionnels figurant sur les notes de frais pour les mois d'août, septembre et octobre 2017 est de 2 242,99 euros et qu'il sollicite à ce titre la somme de 1 445,40 euros.

En second lieu, aux termes de l'article 2.2.3 de l'arrêté du 10 décembre 2002 relatif à l'évaluation des avantages en nature, lorsque le salarié utilise en permanence le véhicule de son entreprise et paie ses frais de carburant, l'évaluation de l'avantage résultant de l'usage privé est effectuée soit sur la base des pourcentages prévus à l'alinéa précédent auxquels s'ajoute l'évaluation des dépenses de carburant pour l'usage privé et professionnel à partir des frais réellement engagés, soit d'un forfait global de 12% du coût d'achat du véhicule et de 9% de ce coût lorsque ce véhicule a plus de cinq ans. M. [N] bénéficiait d'un avantage en nature pour le véhicule, celui-ci figurant sur ses bulletins de paie pour une somme de 358 euros. Il démontre que cette somme correspond à 12% du coût d'achat du véhicule de moins de cinq ans dont il bénéficiait ce dont il se déduit, par application des dispositions précitées, que cet avantage en nature comprenait le véhicule et les frais d'essence afférents y compris pour un usage privé.

Dès lors, ses frais d'essence doivent lui être remboursés y compris pour ce qui concerne sa vie privée donc ses vacances et ses week-ends. La société fait valoir que M. [N] a effectué trois pleins d'essence entre le 20 et le 21 août 2017. Cependant, il résulte des tickets de paiement par carte bancaire joints aux notes de frais qu'il les a effectués à plusieurs heures d'intervalle lors d'un voyage en Espagne qui peut impliquer le parcours de distances importantes et donc une consommation d'essence soutenue. La société souligne également que M. [N] sollicite le remboursement de frais d'essence exposés alors qu'il était placé en arrêt de travail pour maladie. Mais l'avantage en nature est un élément de rémunération qui ne peut pas être retiré pendant la suspension du contrat de travail sauf disposition contraire qui en l'espèce, n'existe pas. En conséquence, la cour retient que la société doit rembourser à M. [N] les frais d'essence figurant sur ses notes de frais pour les mois d'août, septembre et octobre 2017.

La société fait valoir ensuite que les frais de péage et les frais de parking figurant sur ces notes ne doivent pas être remboursés à M. [N]. Elle précise que ne doivent être considérés comme des frais professionnels que les frais de parking exposés dans le cadre de son activité professionnelle. M. [N] se prévaut d'un propos de l'employeur au moment de son engagement, d'un usage dans l'entreprise puis soutient que M. [P] a sollicité le remboursement de frais de parking et de péage sans être sanctionné.

Les frais professionnels sont des frais que le salarié justifie avoir exposés pour les besoins de son activité professionnelle et dans l'intérêt de l'entreprise. M. [N] ne démontre pas l'existence d'un engagement de la part de son employeur consistant en un remboursement de tous les frais de parking et de péage. Le seul fait que des frais ont pu être remboursés à un seul salarié de l'entreprise qui en emploie au moins onze et pendant une brève période n'est pas de nature à démontrer l'existence d'un usage qui doit être constant, fixe et général. Enfin, il est indifférent que M. [P] ait été ou pas sanctionné pour apprécier si le remboursement des frais de péage et de parking est dû à M. [N]. Celui-ci ne démontrant pas l'existence d'un engagement unilatéral de l'employeur, d'un usage dans l'entreprise et de l'exposition de ces frais pour les besoins de son activité professionnelle, étant observé au surplus qu'ils ont été engagés au cours de cette période pendant des vacances, des week-ends et un arrêt de travail, les frais de parking et de péage figurant sur les notes de frais des mois d'août, septembre et octobre 2017 ne doivent pas lui être remboursés.

Enfin, M. [N] sollicite le remboursement d'une table réglable pour ordinateur. Il soutient qu'elle correspond à une commande d'un client qu'il a honorée en passant commande sur son compte Amazon. Il produit des justificatifs (pièce 64) à ce titre de sorte que le coût de cette table doit lui être remboursé.

Au terme de cette analyse, sur la base des notes de frais produites et des justificatifs, il convient de condamner la société CEMI a payer à M. [N] la somme de 1 039,95 euros à titre de solde de notes de frais pour les mois d'août, septembre et octobre 2017.

La décision des premiers juges sera infirmée sur ce chef de demande.

Sur la demande de dommages et intérêts pour absence d'institutions représentatives du personnel

M. [N] soutient que la société n'a pas organisé d'élections professionnelles et qu'à défaut de produire un procés-verbal de carence, elle doit être condamnée à indemniser son préjudice caractérisé par le fait qu'il n'a pas pu se défendre et qu'il n'a pas pu présenter ses réclamations.

La société CEMI fait valoir que le salarié n'a jamais sollicité la mise en place de nouvelles élections, qu'il ne justifie pas de l'existence d'un préjudice en précisant qu'il a pu être assisté lors de l'entretien préalable.

Il résulte de l'application combinée de l'article L. 2311-2 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, ensemble l'alinéa 8 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, l'article 27 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'article 1382, devenu 1240, du code civil et l'article 8, § 1, de la directive 2002/14/CE du 11 mars 2002 établissant un cadre général relatif à l'information et la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne, que l'employeur qui n'a pas accompli, bien qu'il y soit légalement tenu, les diligences nécessaires à la mise en place d'institutions représentatives du personnel, sans qu'un procès-verbal de carence ait été établi, commet une faute qui cause un préjudice aux salariés, privés ainsi d'une possibilité de représentation et de défense de leurs intérêts.

La cour constate que la société n'a pas accompli les diligences nécessaires à la mise en place d'institutions représentatives du personnel alors que son effectif était supérieur à onze salariés et qu'elle ne justifie pas avoir établi un procés-verbal de carence.

En conséquence, elle sera condamnée à payer à M. [N] une somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts de nature à indemniser son entier préjudice à ce titre.

La décision des premiers juges sera infirmée sur ce chef de demande.

Sur le remboursement des indemnités de chômage à Pôle emploi

Conformément aux dispositions de l'article. L.1235-4 du code du travail, il y a lieu d'ordonner à la société CEMI de rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage versées à M. [N] du jour du licenciement au jour du présent arrêt, dans la limite de 6 mois d'indemnités.

Sur le cours des intérêts

En application des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, les créances salariales et le remboursement des frais professionnels produisent intérêt au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation et les créances indemnitaires produisent intérêt au taux légal à compter de la décision qui les prononce, la capitalisation des intérêts étant ordonnée conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du même code.

Sur la remise des documents

Il sera ordonné à la société CEMI de remettre à M. [N] une attestation Pôle emploi et des bulletins de salaire conformes à la présente décision sans qu'il y ait lieu à prononcer une astreinte.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Partie perdante, la société Compagnie d'Electronique et de Maintenance Informatique sera condamnée au paiement des dépens. Le jugement sera infirmé en ce qu'il a mis les dépens à la charge du salarié.

La société Compagnie d'Electronique et de Maintenance Informatique sera condamnée à payer à M. [N] la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. La société sera déboutée de sa demande à ce titre.

PAR CES MOTIFS

LA COUR statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

INFIRME le jugement dans toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

PRONONCE la résiliation du contrat de travail aux torts de la société Compagnie d'Electronique et de Maintenance Informatique et dit qu'elle produit ses effets au 13 décembre 2017,

DIT que la résiliation du contrat de travail produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

CONDAMNE la société Compagnie d'Electronique et de Maintenance Informatique à payer à M. [T] [N] les sommes suivantes :

- 15 865,45 euros à titre de rappel de commissions ;

- 1 586,54 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés afférents ;

- 20 476,50 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;

- 2 047,65 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés afférents ;

- 25 935,08 euros à titre d'indemnité de licenciement ;

- 3 149,93 euros à titre de rappel de salaire afférent à la mise à pied conservatoire ;

- 314,99 à titre d'indemnité compensatrice de congés payés afférents ;

- 1 039,95 euros à titre de solde de notes de frais pour les mois d'août, septembre et octobre 2017,

avec intérêts au taux légal à compter de la réception par la société Compagnie d'Electronique et de Maintenance Informatique de la convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation du conseil de prud'hommes et capitalisation de ceux-ci dès lors qu'ils seront dus pour une année entière,

CONDAMNE la société Compagnie d'Electronique et de Maintenance Informatique à verser à M. [T] [N] les sommes suivantes :

- 60 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- 2 000 euros à titre de dommages et intérêts pour défaut de mise en place de représentants du personnel ;

- 3 000 euros au titre des dipositions de l'article 700 du code de procédure civile,

avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision et capitalisation de ceux-ci dès lors qu'ils seront dus pour une année entière,

ORDONNE à la société Compagnie d'Electronique et de Maintenance Informatique de rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage versées à M. [T] [N] du jour du licenciement au jour du présent arrêt, dans la limite de 6 mois d'indemnités.

ORDONNE à la société Compagnie d'Electronique et de Maintenance Informatique de remettre à M. [T] [N] une attestation Pôle emploi et des bulletins de salaire conformes à la présente décision,

DIT n'y avoir lieu à astreinte,

DÉBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

CONDAMNE la société Compagnie d'Electronique et de Maintenance Informatique aux dépens de première instance et d'appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 21/04837
Date de la décision : 09/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-09;21.04837 ?
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