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09/03/2023 | FRANCE | N°19/09883

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 5, 09 mars 2023, 19/09883


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 6 - Chambre 5



ARRET DU 09 MARS 2023



(n° 2023/ , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/09883 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CAWI7



Décision déférée à la Cour : Jugement du 08 Juillet 2019 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F18/05654





APPELANT



Monsieur [T] [U]

[Adresse 6]

[Adresse 6]

[Localité 5]
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br>né le 27 Novembre 1972 à [Localité 7] SRI LANKA



Représenté par Me Bernardine TYL-GAILLARD, avocat au barreau de PARIS, toque : P0462



INTIMEES



SARL PAIN QUO [Adresse 8]

[Adresse 1]

[Loca...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5

ARRET DU 09 MARS 2023

(n° 2023/ , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/09883 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CAWI7

Décision déférée à la Cour : Jugement du 08 Juillet 2019 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F18/05654

APPELANT

Monsieur [T] [U]

[Adresse 6]

[Adresse 6]

[Localité 5]

né le 27 Novembre 1972 à [Localité 7] SRI LANKA

Représenté par Me Bernardine TYL-GAILLARD, avocat au barreau de PARIS, toque : P0462

INTIMEES

SARL PAIN QUO [Adresse 8]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Carine KALFON, avocat au barreau de PARIS, toque : A0918

SARL PAIN QUO [Adresse 2]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Carine KALFON, avocat au barreau de PARIS, toque : A0918

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 10 janvier 2023, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Séverine MOUSSY, conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Catherine BRUNET, Présidente de chambre, Présidente de formation,

Madame Marie-Christine HERVIER, Présidente de chambre,

Madame Séverine MOUSSY, Conseillère

Greffier : Madame Cécile IMBAR, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Madame Catherine BRUNET, Présidente et par Madame Philippine QUIL, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Par contrat de travail à durée indéterminée du 13 juillet 2011 à effet du 16 juillet suivant, la société « Le Pain quotidien [Adresse 9] » a embauché M. [T] [U] en qualité de plongeur, statut employé, niveau I, échelon 1, moyennant un salaire mensuel brut de 1 380,19 euros pour 151,67 heures.

Le contrat stipule que les parties ont expressément convenu que, compte tenu de la nature de son activité et des nécessités de l'entreprise, le salarié pourra être amené à changer de lieu de travail dans la zone géographique suivante : Ile-de-France ; que la société informera le salarié dans les meilleurs délais et au moins un mois à l'avance.

Le contrat stipule encore que les parties ont expressément convenu que le salarié pourra être « détaché temporairement dans les autres sociétés du groupe « le Pain Quotidien » situés en région Ile-de-France » ; que le détachement, qui ne constituera pas une modification du contrat de travail, sera formalisé au moyen d'un document spécifiant ses conditions d'exécution.

Par avenant à effet du 1er avril 2012, M. [U] est passé cuisinier, statut employé, niveau I, échelon 3, moyennant un salaire mensuel brut de 1 409,01 euros.

Un « avenant » du 1er mai 2016 passé avec la société Pain Quo [Adresse 8] prévoit que M. [U] exercera pour cette société les fonctions de cuisinier, statut employé, niveau I, échelon 3, moyennant un salaire mensuel brut de 1 500 euros.

Par lettre recommandée datée du 2 juin 2016, la société Pain Quo [Adresse 8] a notifié à M. [U] la modification de son lieu de travail à compter du 1er juillet 2016 et l'a informé qu'il exercerait désormais son activité de cuisinier dans « notre restaurant Pain Quo [Adresse 2] » situé [Adresse 2] à [Localité 4].

Suivant ordre de mission daté du 3 juin 2016, la société Pain Quo [Adresse 8] a notifié à M. [U] qu'il serait « détaché » à compter du 7 juin 2016 au sein du « restaurant Pain Cho [Adresse 2] » pour une durée de trois semaines avec éventuelle prolongation notifiée 48 heures au moins avant la date de fin prévue. L'ordre de mission précisait que, pendant la période de détachement, le contrat de travail qui liait la société Pain Quo [Adresse 8] à M. [U] n'était ni rompu, ni suspendu et qu'il conservait tous ses effets notamment pour le versement de la rémunération.

M. [U] a présenté un arrêt maladie à compter du 6 juin 2016 jusqu'au 7 septembre 2016.

Par lettre recommandée datée du 14 novembre 2016, la société Pain Quo [Adresse 2] a convoqué M. [U] à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 23 novembre 2016.

Par lettre recommandée datée 1er décembre 2016, la société Pain Quo [Adresse 2] a notifié à M. [U] son licenciement pour faute grave.

La relation contractuelle est soumise à la convention collective nationale des hôtels, cafés restaurants en date du 30 avril 1997 et la société Pain Quo [Adresse 2] employait au moins onze salariés lors de la rupture de cette relation.

Contestant son licenciement et estimant ne pas être rempli de ses droits, M. [U] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris le 9 novembre 2017 afin d'obtenir la condamnation de la société Pain Quo [Adresse 8] et de la société Pain Quo [Adresse 2] à lui verser diverses sommes au titre de l'exécution et de la rupture du contrat de travail.

Par jugement du 8 juillet 2019 auquel il convient de se reporter pour l'exposé de la procédure antérieure et des demandes initiales des parties, le conseil de prud'hommes de Paris a débouté le salarié de l'ensemble de ses demandes et laissé les dépens à sa charge.

Par déclaration du 2 octobre 2019, M. [U] a interjeté appel du jugement.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 4 avril 2022.

Par arrêt du 29 septembre 2022, la cour d'appel de Paris a :

- ordonné la révocation de l'ordonnance de clôture intervenue le 4 avril 2022 ;

- ordonné la réouverture des débats,

- invité les parties à conclure sur les demandes dont la cour était saisie :

* conclusions de M. [U] avant le 15 novembre 2022,

* conclusions de la SARL Pain Quo [Adresse 8] et Pain Quo [Adresse 2] avant le 15 décembre 2022 ;

- renvoyé l'affaire à l'audience de la cour du mardi 10 janvier 2023 à 9 heures (salle Madeleine HERAUDEAU, 2-H-10), à laquelle la clôture interviendra et l'affaire sera plaidée.

La cour d'appel de Paris a constaté que les demandes de M. [U], appelant, étaient dirigées dans le dispositif de ses écritures contre la SARL le Pain quotidien ce qui correspond à l'enseigne des deux sociétés mais à aucune des deux dénominations. La cour a affirmé ne pas être en mesure de déterminer la société à l'encontre de laquelle le concluant dirigeait ses prétentions et de statuer sur ses demandes.

Afin de respecter le principe de la contradiction, l'arrêt a ordonné la réouverture des débats pour recueillir les observations des parties sur les demandes dont la cour était saisie, les dépens et les frais irrépétibles étant réservés.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 12 octobre 2022 auxquelles la cour renvoie pour plus ample exposé des prétentions et moyens en application de l'article 455 du code de procédure civile, M. [U] demande à la cour de :

- infirmer en tous points le jugement ;

statuant à nouveau,

- dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

en conséquence,

- condamner la « SARL Le Pain Quotidien [Adresse 2] » à lui verser les sommes suivantes :

* 3 343,36 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;

* 334,33 euros au titre des congés payés afférents ;

* 2 246,32 euros à titre d'indemnité de licenciement ;

* 5 015,04 euros à titre de rappel de salaire de juin 2016 à décembre 2016 ;

* 501,50 euros au titre des congés payés afférents ;

* 10 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

* 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;

* 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la « société Le Pain Quotidien [Adresse 2] » aux dépens.

Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 14 décembre 2022 auxquelles la cour renvoie pour plus ample exposé des prétentions et moyens en application de l'article 455 du code de procédure civile, la « société Pain quotidien [Adresse 8] » et la « société Pain quotidien [Adresse 2] » demandent à la cour de :

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions ;

en conséquence,

- constater que l'ensemble des demandes de M. [U] sont dirigées à l'encontre de la « société Pain Quotidien [Adresse 2] » ;

- juger que le licenciement pour faute grave est justifié ;

- juger que la santé de M. [U] n'était pas incompatible avec son lieu de travail ;

- juger que le demandeur n'a fait l'objet d'aucun agissement pouvant se rattacher à un quelconque harcèlement moral ;

- juger que la « société Pain Quotidien [Adresse 2] » n'a pas été défaillante en son obligation de sécurité de résultat ;

- juger le demandeur mal fondé en toutes ses demandes, fins et conclusions ;

en conséquence,

- le débouter de l'intégralité de ses demandes ;

- le condamner aux dépens.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 10 janvier 2023.

MOTIVATION

A titre liminaire, la cour observe que M. [U] n'a pas utilement critiqué le jugement concernant les dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité et pour non-respect de la procédure de licenciement ni formulé de demandes de sorte qu'elle n'est pas saisie à ces titres.

De plus, la cour relève que, dans leurs dernières conclusions respectives, les parties ne contestent pas la qualité d'employeur de la société Pain Quo [Adresse 2] à l'égard de M. [U]. Celui-ci s'est retrouvé dans un lien de subordination avec cette société qui a exercé un pouvoir de direction, établi les bulletins de paie, sollicité des visites auprès de la médecine du travail, pris l'initiative de la procédure de licenciement et notifié le licenciement au salarié.

Sur les dommages-intérêts pour harcèlement moral

L'article L. 1152-1 du code du travail dispose :

« Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. »

L'article L. 1154-1 du même code précise :

« Lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. »

A l'appui de son allégation de harcèlement moral, M. [U] invoque :

- les multiples alertes à son employeur par lettres recommandées des 6 et 30 juin, 29 juillet, 1er août et 3 septembre 2016 ;

- les réserves émises par le médecin du travail sur l'aptitude de M. [U] en subordonnant l'aptitude du salarié aux résultats médicaux ;

- le non-respect des préconisations du médecin du travail.

La cour relève que toutes les lettres recommandées avec avis de réception invoquées par M. [U] ont été adressées à la société Pain Quo [Adresse 8] et non à la société Pain Quo [Adresse 2] à l'encontre de laquelle il forme sa demande en dommages-intérêts.

Toutefois, il est manifeste que les deux sociétés en présence relevant du groupe à l'enseigne Le Pain Quotidien n'ont pas fait preuve d'une grande rigueur juridique dans la gestion de la relation contractuelle passée avec M. [U] et que celui-ci a pu légitimement penser qu'il devait continuer au cours de l'été 2016 à écrire à la société Pain Quo [Adresse 8]. Au demeurant, la société Pain Quo [Adresse 2] ne conteste pas avoir eu connaissance des lettres recommandées invoquées par le salarié à l'appui de son allégation de harcèlement moral.

Dans sa lettre recommandée datée du 5 juin 2016 avec avis de réception du 9 juin 2016, M. [U] a dénoncé à la société Pain Quo [Adresse 8] un harcèlement moral de la part de « [Z] » et soutenu que son changement de lieu de travail en était une manifestation. Il a également informé l'employeur qu'il souffrait de maladies chroniques (diabète, asthme, allergie, hypertension artérielle), fait valoir que ce changement de lieu de travail aurait un impact sur son état de santé car la cuisine était au sous-sol dans l'établissement exploité par la société Pain Quo [Adresse 2] et sollicité une visite auprès de la médecine du travail.

Dans la lettre recommandée du 3 septembre 2016 avec avis de réception du 6 septembre 2016, M. [U] rappelle que sa mutation s'inscrit dans le cadre du harcèlement moral dont il est victime par « [Z] » et notifie l'exercice de son droit de retrait.

M. [U] verse aux débats une attestation de M. [P] [N], son collègue dans l'établissement exploité par la société Pain Quo [Adresse 8], dont il ressort que M. [U] était intervenu en sa faveur auprès de « M. [Z] », de Mme [S] [R] et de M. [G] [H] parce qu'ils voulaient le mettre dehors en raison de son état de santé. M. [N] dénonce également un management dépourvu de respect à leur égard et déclare que le changement de lieu de travail de M. [U] a été décidé en représailles. Il indique que, lorsque M. [U] avait déjà travaillé dans l'établissement exploité par la société Pain Quo [Adresse 2], il avait souffert d'allergie pendant trois jours, que son visage et ses yeux étaient enflés, que ses yeux pleuraient et qu'il ne pouvait plus respirer et que c'est pour cette raison qu'il avait été finalement affecté dans l'établissement exploité par la société Pain Quo [Adresse 8] par « Mme [S] » et « M. [Z] ». M. [N] qualifie le changement de lieu de travail de M. [U] d' « abus de pouvoir ».

Les problèmes de santé évoqués par M. [U] dans ses multiples lettres recommandées avec avis de réception au cours de l'été 2016 sont attestés, par ailleurs, par les fiches du médecin du travail des 11 et 20 juillet, 1er et 15 septembre 2016 ainsi que par des pièces médicales produites par le salarié. A cet égard, la dernière fiche du 15 septembre 2016 indiquait que le salarié était adressé à son médecin traitant pour une prise en charge médicale et que l'aptitude au poste serait appréciée à la suite des résultats des examens complémentaires des 12 et 17 octobre 2016.

Eu égard à l'ensemble de ces éléments pris dans leur ensemble, M. [U] présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement.

Or, en l'espèce, les sociétés intimées ont certes consacré un développement dans leurs dernières écritures au respect de l'obligation de sécurité mais aucun sur les allégations de harcèlement moral puisqu'elles se bornent à discuter le quantum des dommages-intérêts sollicités.

Les sociétés intimées ne produisent aucun élément objectif de nature à justifier la décision de fixer le lieu de travail de M. [U] dans l'établissement exploité par la société Pain Quo [Adresse 2] exclusif de tout harcèlement moral ' l'existence de la clause de mobilité stipulée dans le contrat de travail initial n'étant pas suffisante pour objectiver cette décision.

Partant, la société Pain Quo [Adresse 2] sera condamnée à payer à M. [U] une somme de 6 000 euros à titre de dommages-intérêts suffisant à réparer son entier préjudice et la décision des premiers juges sera infirmée à ce titre.

Sur la rupture du contrat de travail

La lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, est ainsi rédigée :

« ['] Vous êtes en absence injustifiée depuis le jeudi 8 septembre 2016, votre arrêt maladie s'achevant le mercredi 7 septembre 2016 au soir. Nous vous avons adressé deux courriers de mise en demeure, en recommandé avec AR, les 28 octobre et le 4 novembre 2016 vous invitant à reprendre votre poste ou à produire des justificatifs d'absence. Malgré l'envoi de ces deux courriers, nous n'avons reçu aucun justificatif de votre part.

A ce jour, vous ne nous avez fait parvenir aucun document ni arrêt médical justifiant de votre absence médicale et vous n'avez pas souhaité vous en expliquer lors de l'entretien préalable.

Nous ne pouvons plus, dès lors, tolérer un tel comportement qui, ainsi que vous pouvez l'imaginer, désorganise fortement le fonctionnement de notre Entreprise dans des conditions nous créant les plus grandes difficultés pour répondre aux demandes des clients.

Par ailleurs, votre attitude totalement inadmissible a également été préjudiciable à vos collègues de travail qui ont été contraints de suppléer votre carence.

Nous vous rappelons enfin que les absences injustifiées contreviennent aux dispositions de l'article 7 « Absences » de votre contrat de travail à durée indéterminée, qui vous sont pourtant applicables.

L'ensemble de ces faits a gravement perturbé le fonctionnement et mis en cause la bonne marche de l'entreprise.

Compte tenu de la gravité des faits qui vous sont reprochés, votre maintien dans l'entreprise s'avère impossible ['] »

* sur le bien-fondé du licenciement

En application des articles L. 1234-1 et L. 1234-9 du code du travail que la faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié constituant une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et nécessite son départ immédiat sans indemnité. L'employeur qui invoque une faute grave doit en rapporter la preuve.

L'article R. 4624-22 du code du travail dans sa version applicable au présent litige dispose que le salarié bénéficie d'un examen de reprise du travail par le médecin du travail:

(') 3° Après une absence d'au moins trente jours pour cause d'accident du travail, de maladie ou d'accident non professionnel.

Suivant l'article R. 4624-23 du même code, l'examen de reprise a pour objet :

1° De délivrer l'avis d'aptitude médicale du salarié à reprendre son poste ;

2° De préconiser l'aménagement, l'adaptation du poste ou le reclassement du salarié ;

3° D'examiner les propositions d'aménagement, d'adaptation du poste ou de reclassement faites par l'employeur à la suite des préconisations émises par le médecin du travail lors de la visite de préreprise.

Dès que l'employeur a connaissance de la date de la fin de l'arrêt de travail, il saisit le service de santé au travail qui organise l'examen de reprise dans un délai de huit jours à compter de la reprise du travail par le salarié.

Enfin, aux termes de l'article L. 4131-1 du code du travail, le travailleur alerte immédiatement l'employeur de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu'elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ainsi que de toute défectuosité qu'il constate dans les systèmes de protection.

Il peut se retirer d'une telle situation.

L'employeur ne peut demander au travailleur qui a fait usage de son droit de retrait de reprendre son activité dans une situation de travail où persiste un danger grave et imminent résultant notamment d'une défectuosité du système de protection.

En l'espèce, il n'est pas contesté que M. [U] a présenté un arrêt de travail supérieur à un mois qui s'est achevé le 7 septembre 2016.

Au cours de l'été 2016 et notamment le 22 août 2016, le médecin du travail avait indiqué que M. [U] ne pouvait pas reprendre son poste de travail et qu'il l'adressait à son médecin traitant pour un arrêt de travail ; qu'il serait revu à la reprise huit jours plus tard par le médecin du travail. Le 1er septembre 2016, le médecin du travail avait indiqué qu'une reprise du travail était envisageable sous réserve que le salarié ne soit pas en contact avec la farine (pas de travaux de nettoyage) et qu'il était adressé en consultation spécialisée le 17 octobre 2016.

Enfin, dans la fiche datée du 15 septembre 2016, lors de la visite de reprise, le médecin du travail a indiqué que le salarié était adressé à son médecin traitant pour une prise en charge médicale et que son aptitude au poste serait précisée à la suite de résultats d'examens complémentaires les 12 et 17 octobre 2016.

C'est dans ces circonstances que la société Pain Quo [Adresse 2] a considéré que M. [U] avait abandonné son poste à compter du 8 septembre 2016 et n'avait pas justifié de son absence depuis cette date. La société soutient qu'elle a adressé à M. [U] deux lettres de mise en demeure les 28 octobre et 4 novembre 2016 mais la preuve de l'envoi en recommandé avec avis de réception n'est pas rapportée de sorte que ces lettres ne peuvent s'analyser en des lettres de mise en demeure.

La société Pain Quo ne justifie pas des diligences effectuées par elle auprès de la médecine du travail pour qu'à l'issue de la visite de reprise, le salarié soit revu en octobre 2016 afin d'apprécier son aptitude à occuper le poste de cuisinier dans l'établissement exploité au [Adresse 2], conformément à ce que le médecin du travail prescrivait le 15 septembre 2016.

La société ne justifie pas non plus que M. [U] aurait refusé de se rendre à une nouvelle visite médicale auprès du médecin du travail. D'autant que M. [U] avait notifié à l'employeur le 6 septembre 2016 l'exercice de son droit de retrait pour des raisons tirées de son état de santé qu'il estimait incompatible avec le poste de travail sur lequel la société Pain Quo [Adresse 2] l'avait affecté.

Alors même que la société Pain Quo [Adresse 2] ne justifie pas que le médecin du travail aurait revu M. [U] après ses examens de la mi-octobre 2016 et aurait conclu à son aptitude y compris avec des réserves telles que l'absence de contact avec la farine et de port de charges lourdes, elle a considéré que son salarié pouvait effectivement occuper le poste de cuisinier dans l'établissement exploité au [Adresse 2] dès lors que la cuisine était, selon elle, bien ventilée et éloignée de la boulangerie et que M. [U] n'était pas légitime à exercer son droit de retrait.

Au demeurant, M. [U] n'était pas tenu de reprendre le travail avant l'organisation de la visite de reprise le 15 septembre 2016 ' son contrat étant resté suspendu à partir du 8 septembre 2016 et jusqu'à la visite de reprise.

De plus, M. [U] avait un motif raisonnable de penser que son affectation dans l'établissement exploité par la société Pain Quo [Adresse 2] présentait un danger grave et imminent pour sa santé puisque le médecin du travail lui-même avait annoncé subordonner son avis sur l'aptitude de M. [U] aux résultats d'examens médicaux complémentaires et qu'il l'avait renvoyé vers son médecin traitant pour une prise en charge médicale. Aucune sanction ne pouvait être donc prise à l'encontre du salarié après le 15 septembre 2016, étant rappelé qu'aucun avis d'aptitude avec ou sans réserve n'est finalement produit par l'employeur.

Dès lors, la société Pain Quo [Adresse 2] est défaillante à rapporter la preuve d'une faute imputable à M. [U]. Le licenciement est donc dépourvu de cause réelle et sérieuse et la décision des premiers juges sera infirmée à ce titre.

* sur les conséquences du licenciement

* sur l'indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents

En application de l'article L. 1234-1 du code du travail et de la convention collective et eu égard à l'ancienneté de M. [U] dont les parties s'accordent pour dire qu'elle est supérieure à cinq ans, une somme de 3 000,04 correspondant à celle qu'il aurait perçue s'il avait effectué son préavis de deux mois sera allouée au salarié, outre la somme de 300 euros au titre des congés payés afférents.

La décision des premiers juges sera donc infirmée à ce titre.

* sur l'indemnité légale de licenciement

En application des articles L. 1234-9, R. 1234-1 et R.1234-2 du code du travail dans leur version applicable à la date du licenciement et eu égard à une ancienneté de cinq ans et six mois (préavis inclus), une somme de 2 246,32 sera allouée à M. [U] à titre d'indemnité légale de licenciement calculée à partir de la moyenne la plus favorable des douze derniers mois avant son arrêt de travail et dans la limite de la somme demandée.

* sur l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Aux termes de l'article L. 1235-3 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige, si un licenciement intervient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse et qu'il n'y a pas réintégration du salarié dans l'entreprise, il est alloué au salarié à la charge de l'employeur une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Compte tenu de l'effectif de l'entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée au salarié, de son âge - 44 ans - de son ancienneté, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle ainsi que des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies ' M. [U] ne produisant aucun élément sur sa situation actuelle - il lui sera alloué, en application de l'article L. 1235-3 du code du travail, une somme de 10 000 euros, suffisant à réparer son entier préjudice.

Sur l'exécution du contrat de travail

* sur le rappel de salaire de juin à décembre 2016 et les congés payés afférents

M. [U] soutient qu'il n'a perçu aucun salaire pendant la période qualifiée d'absence injustifiée par la société Pain Quo [Adresse 2] et n'a pas bénéficié du maintien de son salaire pendant son arrêt de travail alors qu'il a plus de cinq d'ancienneté.

Ce à quoi la société Pain Quo [Adresse 2] réplique que le salarié s'est volontairement placé en situation fautive à compter du 8 septembre 2016 en ne se présentant pas à son poste de travail et en invoquant un droit de retrait ; qu'il ne peut donc prétendre au paiement de son salaire entre le 8 septembre et le 1er décembre 2016. La société réplique encore que, « concernant la période antérieure à son dernier arrêt, M. [U] ne sollicite aucun rappel de salaire et ne produit d'ailleurs aucun décompte à ce titre ».

Comme la cour l'a déjà indiqué, M. [U] a pu légitimement exercer son droit de retrait. De ce fait, l'employeur ne pouvait supprimer le versement de son salaire entre le 8 septembre et le 1er décembre 2016. Il lui sera donc alloué la somme de 4 163,80 euros au titre du rappel de salaire pour cette période ' le quantum sollicité n'ayant fait l'objet d'aucune observation de la part de l'employeur ' ainsi que la somme de 416,38 euros au titre des congés payés afférents.

S'agissant du complément de rémunération auquel M. [U] pouvait prétendre pendant son arrêt de travail, la cour déduit de ses écritures qu'il sollicite une somme de 851,24 euros sans toutefois l'expliciter ni fournir ses décomptes d'indemnités journalières. Partant, M. [U] sera débouté de sa demande en paiement du complément de rémunération relatif à la période correspondant à son arrêt de travail.

Sur les autres demandes

* sur les intérêts

La cour rappelle que les intérêts au taux légal portant sur les condamnations de nature salariale sont dus à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation et ceux portant sur les condamnations de nature indemnitaire sont dus à compter de la décision qui les prononce.

* sur le remboursement à Pôle emploi

Conformément aux dispositions de l'article. L.1235-4 du code du travail, la cour ordonne à la société Pain Quo [Adresse 2] de rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage versées à M. [U] du jour du licenciement au jour du présent arrêt, dans la limite de six mois d'indemnités.

* sur les dépens et sur l'article 700 du code de procédure civile

La société Pain Quo [Adresse 2] sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel. La décision des premiers juges sera donc infirmée sur les dépens.

La société Pain Quo [Adresse 2] sera condamnée à payer à M. [U] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

LA COUR, statuant par arrêt contradictoire et par mise à disposition,

INFIRME le jugement en toutes ses dispositions dans la limite de sa saisine ;

Et statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

CONDAMNE la société Pain Quo [Adresse 2] à payer à M. [T] [U] les sommes suivantes :

* 4 163,80 euros à titre de rappel de salaire entre le 8 septembre et le 1er décembre 2016 ;

* 416,38 euros au titre des congés payés afférents ;

* 6 000 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral ;

DIT que le licenciement de M. [T] [U] est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

CONDAMNE la société Pain Quo [Adresse 2] à payer à M. [T] [U] les sommes suivantes :

* 3 000,04 euros à titre d'indemnité de préavis ;

* 300 euros au titre des congés payés afférents ;

* 2 246,32 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement ;

* 10 000 euros au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

RAPPELLE que les intérêts au taux légal portant sur les condamnations de nature salariale sont dus à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation et ceux portant sur les condamnations de nature indemnitaire sont dus à compter de la décision qui les prononce ;

ORDONNE à la société Pain Quo [Adresse 2] de rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage versées à M. [T] [U] du jour du licenciement au jour du présent arrêt, dans la limite de six mois d'indemnités ;

CONDAMNE la société Pain Quo [Adresse 2] à payer à M. [T] [U] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

DÉBOUTE les parties du surplus de leurs demandes ;

CONDAMNE la société Pain Quo [Adresse 2] aux dépens de première instance et d'appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 19/09883
Date de la décision : 09/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-09;19.09883 ?
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