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09/03/2023 | FRANCE | N°19/00113

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 10, 09 mars 2023, 19/00113


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 4 - Chambre 10



ARRÊT DU 09 MARS 2023



(n° , 11 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/00113 - N° Portalis 35L7-V-B7D-B7AI3



Décision déférée à la Cour : Décision du 18 Décembre 2018 -Tribunal de Grande Instance de PARIS RG n° 14/04297





APPELANTE



Madame [U] [B]

née le 06 Juillet 1956 à [Localité 8] (MAROC)

[Adresse 1]



[Localité 2]



Représentée et et assistée par Me Laurent-Haim BENOUAICH de la SCP BBO, avocat au barreau de PARIS, toque : R057, substitué à l'audience par Me Pièrre-Alain TOUCHARD, avocat au barrea...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 10

ARRÊT DU 09 MARS 2023

(n° , 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/00113 - N° Portalis 35L7-V-B7D-B7AI3

Décision déférée à la Cour : Décision du 18 Décembre 2018 -Tribunal de Grande Instance de PARIS RG n° 14/04297

APPELANTE

Madame [U] [B]

née le 06 Juillet 1956 à [Localité 8] (MAROC)

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée et et assistée par Me Laurent-Haim BENOUAICH de la SCP BBO, avocat au barreau de PARIS, toque : R057, substitué à l'audience par Me Pièrre-Alain TOUCHARD, avocat au barreau de PARIS, toque : R057

INTIMÉ

Monsieur [E] [Z]

né le 12 Août 1980

[Adresse 6]

[Localité 3]

Représenté et et assisté par Me Pierre CYCMAN, avocat au barreau de PARIS, toque : A0141, substitué à l'audience par Me Chloé SAVOLDELLI, avocat au barreau de PARIS, toque : A0141,

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été plaidée le 12 Janvier 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Florence PAPIN, Présidente

Mme Valérie MORLET, Conseillère

M. Laurent NAJEM, Conseiller

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame Florence PAPIN, Présidente dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Ekaterina RAZMAKHNINA

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Florence PAPIN, Présidente et par Catherine SILVAN, greffier, présent lors de la mise à disposition.

***

Rappel des faits et de la procédure :

Exerçant de longue date la profession de chirurgien-dentiste dans un cabinet situé au [Adresse 4], qu'elle partage avec d'autres professionnels de santé, Mme [U] [B], qui avait elle-même acquis en octobre 2001 la patientèle du docteur [N], puis en décembre 2005 celle du docteur [M], ses deux anciens associés, s'est adjointe, aux termes d'un contrat en date du 29 janvier 2007, la collaboration libérale et à mi-temps de M. [E] [Z] prévoyant une rétrocession de 50 % des honoraires.

Courant juin 2012, M. [Z] a rompu son contrat pour s'installer dans un cabinet situé au [Adresse 5].

Mme [B] s'est plainte d'un détournement de sa patientèle par son confrère et d'un effondrement de son activité, a saisi l'autorité ordinale afin de trouver une solution amiable au conflit puis a déposé une plainte déontologique.

Le conseil départemental de [Localité 7] a saisi la chambre disciplinaire de première instance qui a donné, le 19 juin 2014, un avertissement au docteur [Z].

Sur l'appel de Mme [B], le conseil national de l'Ordre des chirurgiens-dentistes a prononcé, le 2 février 2016, une interdiction d'exercice pendant un mois, dont quinze jours avec sursis considérant le fait de s'établir à proximité immédiate sans autorisation, le non respect du délai de préavis et le défaut de rétrocession d'honoraires pour la pose d'implants mais rejetant les autres griefs formulés et notamment le détournement de patientèle.

Parallèlement, Mme [U] [B] a introduit une instance en référé devant le président du tribunal de grande instance de Paris pour qu'il fasse cesser en urgence la situation litigieuse. Par arrêt du 8 octobre 2013, réformant l'ordonnance rendue le 21 juin 2013 par le juge des référés qui avait rejeté les demandes du docteur [B], la cour d'appel de Paris a fait injonction, sous astreinte, au docteur [Z] de cesser son activité au [Adresse 5] à charge pour lui de confirmer cette cessation d'activité à son confrère, ainsi qu'au conseil de l'ordre des chirurgiens-dentistes dans les huit jours de la cessation effective.

Par acte extra-judiciaire en date du 18 mars 2014, Mme [B] a fait assigner M. [Z] devant le tribunal de grande instance de Paris en responsabilité et réparation de préjudices qu'elle rattache aux agissements de son confrère.

Le 18 décembre 2018, le tribunal de grande instance de Paris a :

-Déclaré irrecevable la demande de sursis à statuer formulée par M. [E] [Z] dans ses dernières conclusions du 13 septembre 2016 ;

-Condamné M. [E] [Z] à payer à Mme [U] [B] la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral, avec intérêts au taux légal à compter du présent jugement ;

-Ordonné une expertise avant dire droit et désigné pour y procéder Mme [S] [I], expert près la cour d'appel de Paris,

-Débouté Mme [U] [B] de sa demande de provision ;

-Débouté M. [E] [Z] de sa demande reconventionnelle de dommages et intérêts ;

-Débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

-Condamné M. [E] [Z] à payer à Mme [U] [B] la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

-Réservé les dépens ;

-Ordonné l'exécution provisoire du présent jugement.

Mme [U] [B] a interjeté appel du jugement le 27 décembre 2018.

Une ordonnance de clôture a été rendue le 20 octobre 2021, révoquée par la cour le 16 décembre 2021, l'affaire n'étant pas en état au regard de la numérotation, de l'identification précise des pièces des parties et de la référence précise dans les conclusions à ces pièces pour chaque prétention.

Une nouvelle ordonnance de clôture a été prise le 16 novembre 2022.

Les parties ont cependant conclu postérieurement.

Par ses dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 14 décembre 2022, Mme [U] [B] demande à la cour, sur le fondement des articles 1382,1383, 1134 anciens du code civil, de l'article R 4127-277 du code de la santé publique, de :

-Rejeter la demande de [Localité 8] de l'ordonnance de clôture et la demande subsidiaire de rejet des conclusions du 15 novembre 2022 pour violation du principe du contradictoire ;

-Juger irrecevables les conclusions du Docteur [Z] du 13 décembre 2022 en ce qu'elles contiennent des développements au fond ;

-Juger le Docteur [U] [B] recevable et bien fondée en son appel,

Y faisant droit :

-Infirmer le jugement en ce qu'il a limité l'indemnisation de Mme [U] [B] au titre de son préjudice moral à la somme de 10 000 euros ;

-Infirmer le jugement en ce qu'il a débouté Mme [U] [B] de sa demande plus ample de condamnation de M. [E] [Z] à lui payer une somme de 500 000 euros à titre d'indemnisation de son entier préjudice en réparation des actes de concurrence déloyale commis ;

-Infirmer le jugement en ce qu'il a limité l'indemnisation de Mme [U] [B] au titre de l'article 700 à la somme de 4 000 euros ;

Amendant et statuant à nouveau :

- Juger que le Docteur [E] [Z] a commis des manquements déontologiques accompagnés d'actes de concurrence déloyale et de manquements contractuels ;

- 1/ Sur la concurrence déloyale

Condamner le Docteur [E] [Z] à payer au Docteur [U] [B] une somme de 500 000 euros à titre d'indemnisation de son entier préjudice ;

- 2/ Sur le préjudice moral :

Condamner le Docteur [E] [Z] à payer au Docteur [U] [B] une somme de 50 000 euros ;

- 3/ Sur les rétrocessions d'honoraires :

Condamner le Docteur [E] [Z] à payer au Docteur [U] [B] une somme de 37 920 euros, subsidiairement 3 740 euros, très subsidiairement 890 euros ;

- 4/ Sur l'article 700 de première instance :

Condamner le Docteur [E] [Z] à payer au Docteur [U] [B] une somme de 10 000 euros.

Ajoutant au jugement de première instance :

- Condamner le Docteur [E] [Z] au paiement d'une somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du CPC, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel, comprenant notamment :

- Les frais d'établissement du procès-verbal du 13 décembre 2013 à 19H05 ;

- Les frais d'établissement du procès-verbal du 18 décembre 2013 à 10H15 ;

- Les frais d'établissement du procès-verbal du 14 janvier 2014 à 22H20 ;

- Les frais d'établissement du rapport d'expertise.

En toute hypothèse :

- Juger le Docteur [E] [Z] mal fondé en son appel incident ;

- L'en débouter ;

- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déboute le Docteur [Z] de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts.

Elle fait valoir concernant la concurrence déloyale :

-qu'il n'y a jamais eu de projet commun d'installation dans des locaux plus grands, qu'elle n'a jamais donné son accord à son installation concurrentielle dans un immeuble situé dans la même rue que la sienne,

-qu'il a subitement déserté son cabinet pour s'installer à proximité immédiate, lui dérobant sa clientèle et du matériel,

-qu'en violant les dispositions de l'article R 4127-277 du code de la santé publique, en réalisant parallèlement des détournements de patientèle et en copiant son logiciel de gestion et lui dérobant du matériel, le Docteur [Z] a commis des actes de concurrence déloyale,

-qu'elle avait donné instruction d'orienter tous les nouveaux patients vers lui, patients qui dès lors demeuraient les siens,

-que la liste des patients du 10 juillet 2012 qu'il verse aux débats démontre qu'il considère les patients qu'il a traités sur ses instructions comme siens, en méconnaissance des règles déontologiques et de la collaboration,

- que ce détournement de clientèle a été réalisé par des moyens illicites : copie du logiciel de gestion Julie, démarchage actif et vol de matériel,

-que ces manoeuvres ont occasionné l'effondrement de ses conditions d'exploitation et qu'elle envisage l'arrêt d'exploitation de son cabinet ce dont elle demande indemnisation.

Le docteur [B] sollicite également la somme de 37.920 euros au titre de la rétrocession d'honoraires concernant les implants au vu de la livraison objectivée par l'expert de 79 implants.

Par ses dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 19 décembre 2022, M. [E] [Z] demande à la cour de :

-Ordonner le [Localité 8] de l'ordonnance de clôture du 16 novembre 2022 et accueillir les présentes écritures.

-Si par extraordinaire, les conclusions du Docteur [Z] devaient être écartées,

-Rejeter celles signifiées par le Docteur [B] le 15 novembre 2022, en violation du principe du contradictoire.

Sur l'appel principal,

-Confirmer le jugement prononcé par le tribunal de grande instance de Paris le 18 décembre 2018, en ce qu'il a débouté Mme [B] de sa demande de condamnation du Docteur [Z] à lui payer la somme de 500 000 euros à titre d'indemnisation de son entier préjudice en réparation des actes de concurrence déloyale, jugé qu'aucun vol de matériel appartenant à Mme [B] n'est imputable à M. [Z], jugé que M. [Z] n'a pas copié le logiciel de gestion Julie appartenant au cabinet de Mme [B].

En conséquence,

-Débouter Mme [B] de l'appel principal qu'elle a interjeté contre ledit jugement du 18 décembre 2018,

Sur l'appel incident,

-En revanche, recevoir M. [Z] en son appel incident et l'y déclarant bien fondé,

-Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit que M. [Z] a commis des actes de concurrence déloyale au détriment de Mme [B], condamné M. [Z] à payer à Mme [B] la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral, dit que M. [Z] est redevable envers Mme [B] des rétrocessions d'honoraires au titre des actes d'implantologie réalisés entre le 18 mars 2009 et le 30 juin 2012, ordonné une expertise ayant pour objet de déterminer le montant des rétrocessions d'honoraires dues par M. [Z] à Mme [B] au titre des actes d'implantologie qu'il a réalisés entre le 18 mars 2009 et le 30 juin 2012, débouté M. [Z] de sa demande reconventionnelle de dommages et intérêts, condamné M. [Z] à payer à Mme [B] la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

Et, statuant à nouveau,

-Dire et juger que le Docteur [Z] n'a commis aucun acte de concurrence déloyale au détriment du Docteur [B],

-Dire et juger que le Docteur [B] ne fait la preuve d'aucun préjudice en rapport de cause à effet,

-Dire et juger que les demandes de rétrocession d'honoraires sont totalement infondées et qu'en tout état de cause elles sont prescrites comme ayant été formulées, dans l'assignation introductive d'instance, plus de 5 ans après les faits prétendument dénoncés,

-Dire et juger que le Docteur [B] ne fait la preuve d'aucun préjudice en rapport de cause à effet avec les prétendues fautes précitées,

-La débouter de l'ensemble de ses demandes,

-Débouter le Docteur [B] de sa demande de condamnation du Docteur [Z] au paiement de la somme de 37 920 euros au titre de rétrocessions d'honoraires sur les actes d'implantologie qu'il a réalisés entre le 18 mars 2009 et le 30 juin 2012,

-Dire et juger que l'appel incident du Docteur [Z] est recevable et fondé,

-Condamner le Docteur [B] à lui payer, à titre de réparation pour le préjudice causé par les procédures disciplinaire et civile qu'elle a initiées de mauvaise foi, la somme de 150 000 euros à titre de dommages et intérêts,

-Condamner le Docteur [B] à payer au Docteur [Z] la somme de 20 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.

Il fait valoir concernant la concurrence déloyale :

-que la seule restriction à l'installation d'un praticien est édictée par l'article R 4127-278 du code de la santé publique prohibant l'installation dans le même immeuble et que sa seule installation à proximité n'est pas fautive dès lors qu'aucun détournement de clientèle n'est prouvé,

-que Mme [B] ne peut soutenir que des personnes qu'elle n'a jamais reçues et ne connaît pas faisaient partie ipso facto de sa clientèle alors que son contrat lui permettait de développer sa clientèle propre,

-qu'elle s'est toujours refusée à faire une liste de ses patients et de ceux de son collaborateur, considérant que tous les patients étaient siens, qu'il n'a effectué aucun démarchage actif, se contentant d'informer de son transfert ses patients, ayant le droit d'apposer une plaque dans l'immeuble de Mme [B] comme le rappelle le conseil de l'ordre,

-qu'il n'a commis aucune faute,

-que lorsqu'il a commencé à collaborer en 2007, son planning n'était pas suffisamment rempli et qu'il s'est employé en travaillant beaucoup, en démarchant les commerçants, et en partenariat avec SOS dentaire à développer sa clientèle, alors que l'appelante avait une activité à mi-temps sans actes complexes,

-que par conséquent lorsque leur collaboration a cessé, il est normal que le chiffre d'affaires, qui avait augmenté du fait de son activité, ait diminué, l'appelante continuant une activité réduite, dans un secteur où la concurrence est forte,

-que la baisse de chiffre d'affaires invoquée n'est pas la conséquence d'actes de concurrence déloyales,

-qu'il n'a pas fait de copie illicite du logiciel Julie, ayant lui-même acheté ce matériel, ni commis de vol de matériel.

Le docteur [Z] conteste devoir pour les actes d'implantologie une rétrocession d'honoraires, demande tardive en cours de procédure, les parties ayant convenu verbalement que la phase chirurgicale était exempte de rétrocession, étant réalisée à l'extérieur dans un bloc chirurgical qu'il louait à l'exception d'une dizaine d'actes.

Par arrêt en date du 12 janvier 2023, la cour, avant le déroulement des débats, a ordonné la révocation de l'ordonnance de clôture en date du 16 novembre 2022 , déclaré les conclusions des parties notifiées postérieurement recevables et clôturé la procédure à cette date.

L'affaire a été mise en délibéré au 9 Mars 2023.

MOTIFS

Sur la concurrence déloyale :

La concurrence déloyale n'interdit pas l'activité concurrentielle, mais réprime l'abus dans la liberté d'entreprendre qui est sanctionné par les dispositions de l'article 1382 devenu l'article 1240 du code civil selon lequel tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

Trois conditions doivent être réunies : une faute, qui vise tout procédé contraire aux usages du commerce et à l'honnêteté professionnelle, un préjudice, qui concerne tout dommage subi générateur d'un trouble commercial et un lien de causalité entre la faute et le préjudice.

*Sur la faute :

Il y a lieu de préciser à titre liminaire que les dispositions de l'article R 4127-278 du code de la santé publique, qui prohibent une installation d'un chirurgien-dentiste dans le même immeuble qu'un confrère et concernent tous les chirurgiens-dentistes et non les seuls collaborateurs, n'ont pas vocation à recevoir application en l'espèce, le docteur [Z] s'étant installé dans un immeuble voisin mais distinct de celui du docteur [B].

L'article R 4127-277 du code de la santé publique, rappelé expressément dans le contrat de collaboration conclu entre les parties, prévoit qu'il est interdit au collaborateur de s'installer à titre professionnel pendant deux ans dans un poste où il puisse entrer en concurrence avec le chirurgien-dentiste titulaire sauf accord entre les parties.

Par décisions du 19 juin 2014 et 2 février 2016, la chambre disciplinaire de première instance puis la chambre disciplinaire nationale de l'Ordre des chirurgiens-dentistes ont jugé que l'installation du docteur [Z] [Adresse 5], sans l'accord, ni du conseil de l'Ordre, ni du docteur [B], susceptible de lui permettre d'entrer en concurrence avec cette dernière, installée [Adresse 4], s'est faite en violation de l'article R 4127-277 du code de la santé publique ce qui constitue une faute déontologique.

En effet, il ne résulte d'aucune pièce versée aux débats que le docteur [B] ait donné son accord à une installation de son collaborateur dans un immeuble situé dans la même rue que la sienne; la simple connaissance par elle de son projet d'installation ne peut en aucun cas constituer une autorisation.

Un patient confié à un collaborateur par le titulaire du cabinet ne peut être regardé comme relevant de la patientèle personnelle du collaborateur même si le titulaire n'a pas soigné ce patient.

L'appelante justifie que son secrétariat avait instruction d'orienter tous les nouveaux patients vers son collaborateur. Pour autant, ces patients restaient les patients du docteur [B]. Si le docteur [Z] était libre de développer sa patientèle pendant sa collaboration, elle ne pouvait être constituée que de patients ayant spécifié, lors de leur prise de rendez-vous, vouloir être soignés par ce dernier.

Le docteur [Z] a remis au docteur [B] après son départ le 10 juillet 2012 une liste mentionnant leurs patients respectifs, liste qui devait être discutée par les parties, discussion qui n'a jamais eu lieu en raison du refus du docteur [B].

Le docteur [B] justifie pour neuf d'entre eux, qui figurent parmi les patients que le docteur [Z] s'attribue, qu'ils avaient été traités par elle auparavant.

Huit patients, que le docteur [Z] considère comme les siens, résultent de la cession de clientèle de ses associés.

Le contenu de cette liste, même si elle n'avait pas un caractère définitif comme cela résulte d'un courrier de l'intimé en date du 28 décembre 2012, démontre a minima la confusion dans l'esprit du docteur [Z] entre les patients qu'il a traités en tant que collaborateur, qui sont les patients du docteur [B] et ceux qu'il a traités en son nom, qui seuls constituent sa patientèle personnelle.

Le docteur [Z] a adressé aux patients le 28 juin 2012 (pièce 27) une lettre circulaire annonçant son départ et son installation à proximité, envoi réitéré le 11 octobre 2012 (pièce 28).

Le premier envoi est antérieur à celui en date du 10 juillet 2012 de la liste au sujet de laquelle les parties devaient discuter pour se répartir les patients.

Il se déduit de cette seule chronologie que le docteur [Z] n'a pas adressé cette lettre circulaire à ses seuls patients alors qu'un certain nombre des attributions de patients résultant de la liste sont contestées par le docteur [B].

Il ne rapporte non plus pas la preuve, comme il l'allègue, d'avoir adressé cette lettre aux seuls patients qu'il s'attribuait dans cette liste alors que l'information de la patientèle du docteur [B] n'avait pas lieu d'être.

En pièces 3 et 88 de l'appelante, Mme [P], assistante dentaire, atteste de l'information délivrée verbalement par lui à chaque patient, donc sans distinction entre ses propres patients et ceux du cabinet, de son installation à proximité immédiate du cabinet du docteur [B].

Madame [K] atteste en pièce 79 de l'appelante qu'alors qu'elle était patiente du docteur [B] et a dû prendre en juin 2012 un rendez- vous en urgence assuré par le docteur [Z] qu''à la fin de l'intervention, ce dernier m'explique son projet d'ouvrir prochainement son propre cabinet, dans la même rue, et m'en détaille le style et les méthodes de travail qui seront plus modernes que celui de Mme [B]. J'ai donc clairement compris qu'il m'incitait à devenir (sa) patiente.'.

Ces actes doivent être qualifiés de démarchage actif de la patientèle du docteur [B].

Il résulte du dossier que le docteur [Z] a pu éditer le listing client du cabinet du docteur [B] au mois d'octobre 2012 à partir du logiciel 'Julie' acquis par cette dernière le 18 juillet 2007 selon la facture produite.

M.[D], distributeur et expert agréé en informatique, atteste (pièce 107 de l'appelante) que pour pouvoir accéder ou utiliser le fichier client, il faut, compte tenu des protections, faire une copie frauduleuse du logiciel.

Si le docteur [Z] a effectivement acheté pour son cabinet ce logiciel le 18 juillet 2012 (pièce 39), pour autant il ne pouvait plus avoir accès après son départ au logiciel du docteur [B] sauf à en avoir fait une copie frauduleuse.

Il résulte également des pièces 2 et 3 de l'appelante, attestations de Mme [P], assistante dentaire, et de Madame [L], assistante dentaire à la retraite, qu'elles ont pu constater, dans les jours qui ont suivi son départ, la disparition de petits matériels de chirurgie.

Ces attestations ne sont pas utilement combattues par les factures d'achat d'un lot de petite instrumentation livré le 11 juillet 2012 au docteur [Z], qui avait quitté le cabinet de Madame [B] depuis la fin du mois de juin, cet achat n'empêchant pas qu'il ait pu emmener du matériel au moment de son départ pour démarrer son activité.

En s'installant à proximité immédiate du cabinet du docteur [B] en violation des dispositions de l'article R 4127-277 du code de la santé publique, rappelées dans le contrat de collaboration et en réalisant parallèlement un démarchage actif de sa patientèle, en copiant son logiciel de gestion, et en emportant du petit matériel de chirurgie, le Docteur [Z] a eu un comportement fautif.

Sur le préjudice et le lien de causalité :

Le premier juge a alloué au docteur [B] la somme de 10 000 euros de dommages et intérêts au titre de son préjudice moral et l'a débouté de sa demande au titre d'un préjudice professionnel.

Il lui a été reproché de ne pas produire ses bilans pour la période de 2004 à 2014 ce qu'elle fait en cause d'appel.

Le docteur [B] ne justifie cependant pas de la situation de son cabinet à ce jour mais uniquement jusqu'en 2015 soit 8 années avant que la cour ne statue.

Elle fait état d'une situation à ce point dégradée qu'elle serait dans l'obligation de céder son cabinet pour la somme de 30 000 euros dont 20 000 euros de patientèle sans justifier de ses allégations ni qu'une vente soit effectivement intervenue.

La cour observe que le chiffre d'affaires de l'année 2012 est supérieur à celui de l'année 2011 alors qu'elle reproche au docteur [Z] d'avoir détourné sa patientèle dès le mois de juin 2012.

Les chiffres d'affaires pour les années 2013 et 2014 montrent un retour à la situation antérieure à la collaboration entre les parties, l'augmentation des charges (et dès lors la baisse des bénéfices) n'étant pas explicitée.

Le docteur [B] ne justifie pas du nombre de patients de son cabinet qui l'ont effectivement quittée pour rejoindre le cabinet du Docteur [Z].

Il n'est pas justifié que le préjudice matériel allégué résulte de manoeuvres et non du seul départ du Docteur [Z], collaborateur devenu au fil de leur collaboration expérimenté, qui lui rétrocédait 50% de ses honoraires.

Elle ne justifie pas des nouveaux contrats de collaboration signés, ni du nombre d'heures effectuées par ses éventuels nouveaux collaborateurs ou par elle en compensation du départ du Docteur [Z], qui travaillait le samedi, d'autant que la particularité du cabinet est d'avoir un seul fauteuil ce qui conduisait les chirurgiens dentistes à ne pas pouvoir travailler simultanément.

Dès lors, il ne sera pas fait droit à sa demande au titre d'un préjudice professionnel en l'absence de preuve du lien de causalité entre la faute et le préjudice allégué.

La décision est confirmée en ce qu'il a été fait droit à sa demande au titre d'un préjudice moral par des motifs pertinents que la cour adopte.

* Sur la rétrocession d'honoraires au titre d'actes d'implantologie :

Le premier juge a jugé prescrits les actes d'implantologie antérieurs au 18 mars 2009 et décidé que le docteur [Z] était redevable de rétrocessions d'honoraires au titre d'actes d'implantologie postérieurs puis a ordonné concernant le quantum une expertise confiée à Mme [I], dont le rapport a été déposé le 24 juin 2022.

Il conclut :

- qu'un seul patient du docteur [B] a subi de façon certaine des actes d'implantologie pendant la période de collaboration : Mme [A] (montant d'honoraires perçus : 1 780 euros),

- que concernant M. [V], les pièces communiquées ne permettent pas de déterminer si les actes sont antérieurs ou postérieurs au 30 juin 2012,

-que si les actes ont été antérieurs, il estime la rétrocession d'honoraires à la somme de 3740 euros et sinon à celle de 890 euros.

La prescription des actes d'implantologie antérieurs au 18 mars 2009 n'est pas contestée à hauteur de cour par le docteur [B].

Le premier juge a considéré par des motifs pertinents qu'il y a lieu d'adopter que la preuve d'un accord des parties sur l'absence de rétrocessions d'honoraires au sujet des actes d'implantologie n'était pas rapportée.

Le montant de celles-ci n'a pu être contrôlé par M. [C], commissaire aux comptes, qui en atteste, sa comptabilité n'ayant pas été mise à sa disposition par le docteur [Z] et ce d'autant que le docteur [B] s'est acquittée de factures relatives à ces actes même si certains équipements ont été pris en charge par le docteur [Z].

Dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice et les parties, concluant sur ce point, il y a lieu en application de l'article 568 du code de procédure civile de statuer sur le montant de la rétrocession.

Le docteur [B] fonde sa demande sur les 79 implants livrés durant la période litigieuse, constatés par l'expert en page 25 du rapport.

Cependant aucun élément ne permet de remettre en cause le dire du docteur [Z] concernant le fait qu'au début de son exercice, un chirurgien-dentiste a des pertes d'implants et qu'il ne les pratiquait pas sur les patients du docteur [B] qui avait ses propres correspondants pour ces actes au vu notamment des pièces 49-1 et 2 de l'intimé (notamment les docteurs [T] et [G]).

Le docteur [Z] ne rapportant pas la preuve de l'antériorité des interventions concernant M. [V], patient du docteur [B], au 30 juin 2012, malgré les demandes de l'expert à ce sujet, et l'attestation du patient étant insuffisamment précise, il y a lieu de fixer à 3 740 euros le montant des rétrocessions d'honoraires dues par le docteur [Z] au docteur [B] au titre des implants pour la période postérieure au 18 mars 2009.

Cette condamnation sera ajoutée à la décision entreprise.

Sur la demande de dommages et intérêts du docteur [Z] :

Le docteur [Z] sollicite la somme de 150 000 euros de dommages et intérêts pour les procédures civiles et disciplinaires qui auraient été initiées de mauvaise foi.

L'exercice d'une action en justice constitue un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages et intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi, d'erreur grossière équivalente au dol, de légèreté blâmable ou de faute dont la preuve n'est pas rapportée en l'espèce.

En l'espèce dans la mesure où les différentes procédures disciplinaires ont abouti à des condamnations du docteur [Z] et où il est retenu son comportement fautif, il y a lieu de le débouter de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.

La décision déférée est confirmée de ce chef.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens :

La décision déférée est confirmée en ce qui concerne l'article 700 du code de procédure civile.

Les frais d'établissement des PV des 13 et 18 décembre 2013 ainsi que du 14 janvier 2014 sont compris dans les frais irrépétibles.

Le docteur [Z] est condamné aux dépens de première instance, qui avaient été réservés, et d'appel comprenant les frais d'expertise judiciaire.

Il est également condamné en équité à payer au docteur [B] la somme de 5.000 euros au titre des frais irrépétibles à hauteur d'appel.

PAR CES MOTIFS

Confirme la décision entreprise,

Y ajoutant,

Condamne le docteur [Z] à payer au docteur [B] la somme de 3 740 euros au titre de rétrocessions d'honoraires,

Condamne le docteur [Z] à payer au docteur [B] une indemnité de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel,

Condamne le docteur [Z] aux dépens de première instance et d'appel qui comprendront les frais d'expertise judiciaire ordonnée par le premier juge,

Déboute les parties de toutes demandes plus amples ou contraires.

LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 4 - chambre 10
Numéro d'arrêt : 19/00113
Date de la décision : 09/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-09;19.00113 ?
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