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08/03/2023 | FRANCE | N°21/15217

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 6, 08 mars 2023, 21/15217


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 6



ARRET DU 08 MARS 2023



(n° , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/15217 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEH2Y



Décision déférée à la Cour : Jugement du 30 Mars 2021 -Tribunal de Commerce de Bobigny - RG n° 2020F00640





APPELANTE



Madame [J] [L]

née le [Date naissance 2]1980 à [Loc

alité 4] (ALGERIE), de nationalité française,

[Adresse 1]

[Adresse 1]



Représentée par Me Parfait HABA, avocat au barreau de PARIS





INTIMEE



Société CAISSE DE CREDIT MUTUEL [...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 6

ARRET DU 08 MARS 2023

(n° , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/15217 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEH2Y

Décision déférée à la Cour : Jugement du 30 Mars 2021 -Tribunal de Commerce de Bobigny - RG n° 2020F00640

APPELANTE

Madame [J] [L]

née le [Date naissance 2]1980 à [Localité 4] (ALGERIE), de nationalité française,

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Parfait HABA, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE

Société CAISSE DE CREDIT MUTUEL [Localité 5] CHAUSSEE D'ANTIN

immatriculée au RCS PARIS sous le N°495 392 052, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représentée par Me Sylvie LANGLAIS de la SCP SCP LANGLAIS-CHOPIN, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, toque : 7

substituée par Me Beatrice COHEN-LARCHEVEQUE

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 26 Janvier 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. Vincent BRAUD,Président, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

M.Marc BAILLY, Président de chambre,

M.Vincent BRAUD, Président,

MME Pascale SAPPEY-GUESDON, Conseillère, conseiller

Greffier, lors des débats : Madame Anaïs DECEBAL

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par M.Vincent BRAUD, Président, et par Anaïs DECEBAL,Greffier, présent lors de la mise à disposition.

*

* *

Par acte sous seing privé du 13 avril 2016, La Caisse de crédit mutuel Paris Chaussée d'Antin a consenti à la société par actions simplifiée Le Think Hub un prêt professionnel no 10278 06068 00020313903 d'un montant de 42 000 euros au taux de 2,500 % amortissable en 84 mensualités de 574,94 euros assurance incluse.

Par le même acte, [Y] [E] et [J] [L], présidente de la société, se sont portés cautions solidaires de ladite société, dans la limite de la somme de 50 400 euros chacun et pour la durée de 108 mois.

Ce prêt était en outre assorti de la garantie de Bpifrance Financement à concurrence de 70%.

Par jugement du 27 novembre 2019, le tribunal de commerce de Bobigny a prononcé la liquidation judiciaire de la société Le Think Hub.

Par lettre recommandée du 9 décembre 2019, la Caisse de crédit mutuel Paris Chaussée d'Antin a mis en demeure [J] [L] de lui régler sous huit jours la somme de

24 253,07 euros en sa qualité de caution solidaire.

Par exploit en date du 27 mai 2020, la société Caisse de crédit mutuel Paris Chaussée d'Antin a assigné [J] [L] devant le tribunal de commerce de Bobigny aux fins d'obtenir sa condamnation à lui payer, en sa qualité de caution de la société Le Think Hub, la somme de 24 253,07 euros assortie des intérêts au taux de 2,500 % l'an à compter du 21 mars 2020 et jusqu'à complet paiement, avec capitalisation annuelle des intérêts, outre sa condamnation à lui payer la somme de 2 500 euros au titre de ses frais irrépétibles et les dépens.

Par jugement contradictoire en date du 30 mars 2021, le tribunal de commerce de Bobigny a :

' Reçu la Caisse de crédit mutuel Paris Chaussée d'Antin en ses demandes ;

' Les a déclarées partiellement fondées et y a fait partiellement droit ;

' Condamné [J] [L], en sa qualité de caution, à payer à la Caisse de crédit mutuel Paris Chaussée d'Antin la somme de 24 253,07 euros outre les intérêts au taux contractuel de 2,5 % l'an à compter du lendemain du 9 décembre 2019, date de la mise en demeure ;

' Ordonné la capitalisation des intérêts conformément à l'article 1343-2 du code civil ;

' Condamné [J] [L] à payer à la Caisse de crédit mutuel Paris Chaussée d'Antin la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

' Débouté [J] [L] de l'ensemble de ses demandes ;

' Rappelé que l'exécution provisoire est de droit ;

' Condamné [J] [L] aux entiers dépens ;

' Liquidé les dépens à recouvrer par le greffe à la somme de 74,54 euros toutes taxes comprises (dont 12,42 euros de taxe sur la valeur ajoutée).

***

Par déclaration du 3 août 2021, [J] [L] a interjeté appel du jugement.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 20 octobre 2022, [J] [L] demande à la cour de :

RECEVOIR Madame [J] [L] en son appel et la déclarer fondée ;

INFIRMER le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Bobigny 30 mars 2021 en toutes ses dispositions ;

Statuer à nouveau de la manière suivante :

À titre principal,

JUGER que la CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL [Localité 5] CHAUSSEE D'ANTIN a manqué à son devoir d'information relative aux conditions et modalités d'intervention de la garantie BPI France Financement ;

En conséquence,

PRONONCER la nullité de l'engagement de cautionnement solidaire souscrit par Madame [J] [L] le 13 avril 2016 eu égard à la dissimulation intentionnelle (dol) des conditions et modalités d'intervention de la garantie BPI France Financement par la CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL [Localité 5] CHAUSSEE D'ANTIN ;

À titre subsidiaire,

JUGER qu'avec un revenu mensuel net d'un montant de 0 € et un passif net d'un montant de - 72 880,94 €, au 13 avril 2016, les revenus et patrimoine de Madame [J] [L] ne lui permettaient pas de faire face à son engagement de caution d'un montant de 50.400 € tant au jour de la souscription de celui-ci qu'au jour de l'appel en garantie ;

DIRE que le cautionnement du 13 avril 2016 était disproportionné par rapport aux revenus et patrimoine de Madame [J] [L] ;

JUGER que le taux d'endettement de 33% autorisé par la jurisprudence est dépassé ;

Par conséquent,

DÉCLARER inopposable à Madame [J] [L] l'acte de cautionnement conclu le 13 avril 2016 ;

DÉCHARGER Madame [J] [L] de l'engagement de caution du 13 avril 2016;

À titre plus subsidiaire,

CONSTATER la défaillance de CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL [Localité 5] CHAUSSEE D'ANTIN dans l'administration de la preuve de l'information annuelle de la caution depuis la souscription de l'engagement de caution litigieux jusqu'à ce jour ;

En conséquence,

PRONONCER la déchéance du droit de CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL [Localité 5] CHAUSSEE D'ANTIN aux intérêts conventionnels ;

DÉBOUTER la CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL [Localité 5] CHAUSSEE D'ANTIN de ses demandes de condamnation au paiement des intérêts au taux légal ainsi que des pénalités et intérêts de retard, conventionnels ou légaux ;

À titre reconventionnel,

DIRE que la CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL [Localité 5] CHAUSSEE D'ANTIN a manqué à son devoir de mise en garde et à son obligation de conseil à l'égard de Madame [J] [L] ;

En conséquence,

CONDAMNER la CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL [Localité 5] CHAUSSEE D'ANTIN à de justes dommages et intérêts à hauteur d'un montant de 30.000 € à verser à Madame [J] [L] ;

ORDONNER la capitalisation des intérêts en application de l'article 1343-2 du Code civil;

En toute hypothèse,

OCTROYER les délais de paiement à Madame [J] [L] ;

EN TOUT ÉTAT DE CAUSE,

DÉBOUTER la CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL [Localité 5] CHAUSSEE D'ANTIN de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

CONDAMNER la CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL [Localité 5] CHAUSSEE D'ANTIN à verser à Madame [J] [L] la somme de 4.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, déduction faite au profit de Maître Parfait HABA, Avocat au Barreau de Paris ;

CONDAMNER la CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL [Localité 5] CHAUSSEE D'ANTIN aux entiers dépens.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 14 novembre 2022, la société coopérative de crédit à capital variable et à responsabilité statutairement limitée Caisse de crédit mutuel Paris Chaussée d'Antin demande à la cour de :

DEBOUTER Madame [J] [L] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

CONFIRMER le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Bobigny le 30 mars 2021 dans l'ensemble de ses dispositions.

En conséquence,

CONDAMNER Madame [J] [L], en sa qualité de caution solidaire de la société LE THINK HUB, à payer à la CAISSE DE CREDIT MUTUEL [Localité 5] CHAUSSEE D'ANTIN la somme de 24 253,07 €, outre les intérêts au taux contractuel de 2,500 % à compter du 09/12/2019 date de la mise en demeure.

ORDONNER la capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du Code civil.

CONDAMNER Madame [J] [L] à payer à la CAISSE DE CREDIT MUTUEL [Localité 5] CHAUSSEE D'ANTIN la somme de 1 000 € au titre des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

Y ajoutant,

CONDAMNER Madame [J] [L] à payer à la CAISSE DE CREDIT MUTUEL [Localité 5] CHAUSSEE D'ANTIN la somme supplémentaire de 3 000 € au titre des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

CONDAMNER Madame [J] [L] aux entiers dépens, de première instance et d'appel.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux dernières conclusions écrites déposées en application de l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 22 novembre 2022 et l'audience fixée au 26 janvier 2023.

CELA EXPOSÉ,

Sur le dol :

L'article 1109 ancien du code civil, dans sa rédaction applicable à l'espèce, dispose :

« Il n'y a point de consentement valable si le consentement n'a été donné que par erreur ou s'il a été extorqué par violence ou surpris par dol. »

L'article 1116 ancien du même code dispose :

«  Le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les man'uvres pratiquées par l'une des parties sont telles, qu'il est évident que, sans ces man'uvres, l'autre partie n'aurait pas contracté.

« Il ne se présume pas et doit être prouvé. »

[J] [L] soutient que la banque a manqué à son obligation d'information et s'est livrée à une réticence dolosive, en portant à la connaissance de la caution la garantie de BPIFrance Financement sans l'informer des conditions de cette garantie de manière à lui faire comprendre que son propre engagement n'était pas subsidiaire.

La Caisse de crédit mutuel Paris Chaussée d'Antin n'était cependant pas tenue envers la caution d'une obligation d'information précontractuelle sur le fonctionnement des autres garanties assortissant le prêt cautionné.

Au demeurant, le contrat de crédit, signé et paraphé par [J] [L], stipule en son article 5.1 Bpifrance Financement GARANTIE :

« Bpifrance Financement garantit le remboursement en capital, intérêts, frais et accessoires du(des) crédit(s) mentionné(s) ci-dessous à hauteur de 70,000 00 %. [']

« Lorsque le crédit est garanti par le cautionnement solidaire d'une ou plusieurs personnes physiques, il est expressément convenu que le montant total de ce cautionnement est limité à 50 % maximum de l'encours du crédit ou au pourcentage indiqué dans la notification Bpifrance Financement s'il est différent, dans le cas où une telle notification est prévue. Il est rappelé en conséquence que, pour chaque caution personne physique, le montant de l'engagement indiqué dans la mention manuscrite apposée conformément à l'article L. 341-2 du code de la consommation correspond au pourcentage garanti par elle du montant d'origine du crédit, majoré d'une marge de 20 % au titre des intérêts, pénalités ou intérêts de retard.

« De plus, et comme indiqué dans l'article « RECOURS DE LA CAUTION ' LIMITES » de l'engagement de cautionnement signé par elle(s), la ou les cautions ne peuvent engager aucun recours à l'encontre de Bpifrance Financement ni se prévaloir de l'existence de la garantie Bpifrance Financement pour s'opposer à la mise en jeu de son (leur) engagement, différer le paiement des sommes qui lui (leur) seront réclamées par le prêteur ou en réduire le montant ; il est en effet expressément rappelé que la garantie Bpifrance Financement ne bénéficie qu'au prêteur. »

L'acte de prêt et de cautionnement précise encore à l'article Pluralité de cautions ou de garanties que « le présent cautionnement s'ajoute et s'ajoutera à toutes garanties réelles et personnelles qui ont pu ou pourront être fournies au profit du prêteur par la caution, par le cautionné ou par tout tiers. »

Les clauses précitées de l'acte de cautionnement et de prêt donnaient une information complète à [J] [L], qui n'a pu se méprendre sur la portée de son engagement ni sur le caractère subsidiaire de la garantie fournie par Bpifrance Financement.

Dans ces circonstances, la réticence dolosive alléguée n'apparaît pas établie.

Aucune man'uvre dolosive ne ressort davantage du fait que la proposition commerciale émise le 1er avril 2016 mentionnait que les garanties seraient constituées de la « caution personnelle et solidaire des associés BPI et/ou autres à 50 % » (pièce no 3 de l'appelante), puisque cette indication est reprise et détaillée dans l'article 5.1 précité. Alors qu'elle a apposé la mention manuscrite « En me portant caution de LE THINK HUB dans la limite de la somme de 50 400 € ['] pour la durée de 108 mois' », [J] [L] ne peut soutenir qu'elle ait pu croire que l'intervention de la garantie Bpifrance Financement limiterait la somme qui pouvait lui être réclamée par la Caisse de crédit mutuel Paris Chaussée d'Antin.

Le dol allégué n'est pas prouvé, si bien que le cautionnement de [J] [L] n'encourt pas la nullité.

Sur la disproportion du cautionnement :

En application des dispositions de l'article L. 341-4 ancien du code de la consommation devenu l'article L. 332-1 du même code, un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.

La charge de la preuve de la disproportion incombe à la caution poursuivie qui l'invoque et celle-ci doit être appréciée à la date de l'engagement, en tenant compte de ses revenus et patrimoine ainsi que de son endettement global.

La banque n'a pas à vérifier les déclarations qui lui sont faites à sa demande par les personnes se proposant d'apporter leur cautionnement sauf s'il en résulte des anomalies apparentes.

En l'occurrence, [J] [L] fait valoir que :

' la fiche de renseignements patrimoniaux omet un prêt d'honneur souscrit pour 20 000 euros ;

' les salaires mensuel et annuel indiqués respectivement pour 2 373,14 euros et 36 000 euros étaient prévisionnels ;

' ses revenus réels de 2015 étaient nuls ;

' elle ne possédait aucun patrimoine ;

' avec une dette de caution de 50 400 euros, le seuil d'endettement de 33 % était largement dépassé.

La Caisse de crédit mutuel Paris Chaussée d'Antin produit la fiche patrimoniale remplie par [J] [L] le 12 avril 2016 où celle-ci déclare :

' Être célibataire, sans personne à charge ;

' Percevoir un salaire mensuel de 2 373,14 euros, exerçant l'activité de présidente depuis novembre 2013 au sein du cabinet Salihanne Consulting, pour un total annuel de 36 000 euros ;

' Ne pas supporter de charge de logement ;

' Rembourser la somme de 489,83 euros par mois au titre d'un crédit à la consommation, pour une durée restante de cinq ans.

Le 1er avril précédent, [J] [L] avait fait tenir à la Caisse de crédit mutuel Paris Chaussée d'Antin « les trois dernières factures de [s]on cabinet de conseil qui représentent [s]es entrées financières mensuelles » (pièce no 15 de l'appelante), soit environ 9 000,00 euros par mois, ce qui lui permettait de se verser le salaire indiqué dans la fiche patrimoniale.

Les déclarations de la caution n'étaient ainsi entachées d'aucune anomalie apparente, si bien que la banque pouvait légitimement s'y fier. Quoique la Caisse de crédit mutuel Paris Chaussée d'Antin reconnaisse qu'elle avait été également informée, le 1er avril 2016, de l'intention de [J] [L] de solliciter un prêt d'honneur, elle n'avait pas à en tenir compte pour apprécier la disproportion éventuelle de l'engagement de caution puisque ce prêt d'honneur fut contracté par [J] [L] le 13 mai 2016 (pièce no 5 de l'appelante), soit après le cautionnement lui-même. Du reste, [J] [L] n'a pas jugé nécessaire d'en faire mention dans la fiche patrimoniale qu'elle a certifiée exacte et sincère.

L'engagement souscrit par [J] [L] à concurrence de 50 400 euros, qui représentait moins d'une fois et demie ses revenus annuels déclarés, n'était pas, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné auxdits revenus, compte tenu de l'emprunt par elle déclaré. La Caisse de crédit mutuel Paris Chaussée d'Antin est par suite fondée à s'en prévaloir.

Sur la déchéance des intérêts :

En application de l'article L. 313-22 du code monétaire et financier, les établissements de crédit ayant accordé un concours financier à une entreprise, sous la condition du cautionnement par une personne physique ou une personne morale, sont tenus au plus tard avant le 31 mars de chaque année de faire connaître à la caution le montant du principal et des intérêts, commissions, frais et accessoires restant à courir au 31 décembre de l'année précédente au titre de l'obligation bénéficiant de la caution, ainsi que le terme de cet engagement. Si l'engagement est à durée indéterminée, ils rappellent la faculté de révocation à tout moment et les conditions dans lesquelles celle-ci est exercée.

Cette information est due jusqu'à l'extinction de la dette. La charge de la preuve de l'envoi de l'information incombe à la banque, qui n'a pas à justifier de sa réception. Cette preuve peut être effectuée par tout moyen mais la preuve de l'envoi ne peut notamment résulter de la seule production de copies de lettres.

En l'espèce, la Caisse de crédit mutuel Paris Chaussée d'Antin ne produit que des lettres d'information datées du 17 février 2017, du 19 février 2018 et du 18 février 2019 à l'adresse de [J] [L]. Elle ne justifie pas de leur envoi.

Par ailleurs, les lettres de mise en demeure envoyées le 9 décembre 2019 et le 10 janvier 2020 n'indiquent pas à [J] [L] le montant du principal et des intérêts, commissions, frais et accessoires restant à courir au 31 décembre de l'année précédente au titre de l'obligation bénéficiant de la caution, ni le terme de cet engagement.

La sanction du défaut d'information annuelle est la déchéance du droit aux intérêts conventionnels depuis la précédente information jusqu'à la date de communication de la nouvelle information, la caution restant néanmoins personnellement redevable des intérêts au taux légal à compter de la première mise en demeure dont elle a fait l'objet, par application des articles 1231-6 et 1344-1 du code civil. Les paiements effectués par le débiteur principal sont réputés, dans les rapports entre la caution et l'établissement, affectés prioritairement au règlement du principal de la dette.

La déclaration de créance du 9 décembre 2019 fait apparaître que la première échéance impayée est celle du 5 novembre 2019. Il s'ensuit, au vu du tableau d'amortissement prévisionnel (pièce no 7 de l'intimée), que le débiteur principal s'est acquitté de 42 mensualités du 5 mai 2016 au 5 octobre 2019, soit en intérêts et capital les sommes de :

673,17 € + 3 691,15 € (année 2016) + 893,25 € + 5 653,23 € (année 2017) + 750,27 € + 5 796,21 € (année 2018) + 513,43 € + 4 941,97 € (année 2019) = 22 912,68 euros.

Ainsi, depuis le déblocage du prêt de 42 000 euros, la société Le Think Hub a remboursé 22 912,68 euros, soit une différence de 19 087,32 euros correspondant au restant dû après imputation sur le capital des sommes réglées par le débiteur principal.

Aux termes de l'article 1231-5, alinéa 3, du code civil, lorsque l'engagement a été exécuté en partie, la pénalité convenue peut être diminuée par le juge, même d'office, à proportion de l'intérêt que l'exécution partielle a procuré au créancier, sans préjudice de l'application de l'alinéa précédent.

Au regard de l'exécution partielle du débiteur principal, l'indemnité conventionnelle de 7% du capital dû à la déchéance du terme sera réduite à 100 euros.

Ainsi que le fait valoir [J] [L], tant la proposition commerciale du 1er avril 2016 que le contrat de crédit qu'elle a signé et paraphé le 13 avril 2016 prévoient que le montant total du cautionnement est limité à 50 % de l'encours du crédit. Ce pourcentage a été confirmé par un courriel de BPIFrance du 4 novembre 2020 (pièce no 14 de l'appelante).

[J] [L] sera condamnée en conséquence à payer la somme totale de :

(19 087,32 € + 100 €) × 50 % = 9 593,66 euros

qui portera intérêts au taux légal à compter du 9 décembre 2019, date de mise en demeure.

Le jugement attaqué sera confirmé en ce qu'il prononce la capitalisation des intérêts conformément à l'article 1343-2 du code civil.

Sur le devoir de mise en garde :

Aux termes de l'article 1147 ancien du code civil, dans sa rédaction applicable à l'espèce, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.

Il résulte de ce texte que la banque est tenue lors de la conclusion du contrat, à l'égard d'une caution dont elle n'a pas constaté le caractère averti, d'un devoir de mise en garde à raison des capacités financières de la caution et des risques d'endettement né de l'octroi du prêt en cas de mise en 'uvre de son engagement (1re Civ., 14 oct. 2015, no 14-14.531).

En l'espèce, [J] [L], née le [Date naissance 2] 1980, était âgée de 36 ans au jour de son engagement. Titulaire d'un master spécialisé en management des progiciels de gestion intégrés (ERP) et d'un master en management et gestion, elle fait état de l'expérience professionnelle suivante :

' Consultante fonctionnelle AMOA assurance chez AXA (2007-2010)

' Consultante ERP Oracle chez Suez France (2010-2013)

' Consultante fonctionnelle AMOA assurance vie au Crédit agricole Assurances (2013-2015)

' Chef de projet recette Eckert chez AEP (Assurance Épargne Pension) (2015-2016)

' Consultante AMOA moyens de paiement en masse à la Banque de France (2017-2018)

' Responsable recette et homologation projets innovants chez Bpifrance (2018-2020) (pièce no 19 de l'intimée).

[J] [L] était également présidente de la société Salihanne Consulting créée en 2013, ayant pour activité le conseil et la formation en informatique, radiée le 15 mai 2019.

La société cautionnée Le Think Hub a été créée le 1er avril 2016, avec pour activité « le coworking, le coaching professionnel et les événementiels ».

[J] [L], à l'initiative du projet, en était la présidente. Elle avait de ce fait sur la société cautionnée des connaissances sur ses charges, ressources et facultés de remboursement raisonnablement prévisibles, lui permettant d'apprécier le risque pris, comme l'atteste le dossier prévisionnel établi le 8 mars 2016 à partir de « données validées par la direction », et remis à la banque (pièce no 17 de l'intimée).

La Caisse de crédit mutuel Paris Chaussée d'Antin démontre par l'ensemble de ces éléments le caractère averti de la caution, de sorte que la banque n'avait aucune obligation de mise en garde à son égard. Le jugement querellé sera confirmé en ce qu'il déboute [J] [L] de ce chef.

Sur la demande de délais de payement :

[J] [L] sollicite les plus larges délais de paiement, au motif qu'elle ne vit que de ses indemnités journalières et des allocations de chômage de son mari, avec un enfant à charge.

L'article 1343-5 du code civil dispose :

« Le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues.

« Par décision spéciale et motivée, il peut ordonner que les sommes correspondant aux échéances reportées porteront intérêt à un taux réduit au moins égal au taux légal, ou que les paiements s'imputeront d'abord sur le capital.

« Il peut subordonner ces mesures à l'accomplissement par le débiteur d'actes propres à faciliter ou à garantir le paiement de la dette.

« La décision du juge suspend les procédures d'exécution qui auraient été engagées par le créancier. Les majorations d'intérêts ou les pénalités prévues en cas de retard ne sont pas encourues pendant le délai fixé par le juge.

« Toute stipulation contraire est réputée non écrite.

« Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux dettes d'aliment. »

Au regard de l'absence de perspective d'apurement de la dette par [J] [L], et du délai de plus de trois ans dont elle a bénéficié de facto depuis la mise en demeure, il n'y a pas lieu de faire droit à sa demande.

Sur les dépens et les frais irrépétibles :

Aux termes de l'article 696, alinéa premier, du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie. L'appelante en supportera donc la charge.

En application de l'article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer :

1o À l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

2o Et, le cas échéant, à l'avocat du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle partielle ou totale une somme au titre des honoraires et frais, non compris dans les dépens, que le bénéficiaire de l'aide aurait exposés s'il n'avait pas eu cette aide. Dans ce cas, il est procédé comme il est dit aux alinéas 3 et 4 de l'article 37 de la loi no 91-647 du 10 juillet 1991 .

Dans tous les cas, le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à ces condamnations.

Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu'elles demandent.

La somme allouée au titre du secundo ne peut être inférieure à la part contributive de l'État majorée de 50 %.

Il n'y a pas lieu en équité à condamnation sur ce fondement.

LA COUR, PAR CES MOTIFS,

INFIRME PARTIELLEMENT le jugement en ce qu'il condamne [J] [L], en sa qualité de caution, à payer à la Caisse de crédit mutuel Paris Chaussée d'Antin la somme de 24 253,07 euros outre les intérêts au taux contractuel de 2,5 % l'an à compter du lendemain du 9 décembre 2019, date de la mise en demeure ;

Statuant à nouveau dans cette limite, et y ajoutant,

DÉBOUTE [J] [L] de sa demande principale en nullité du cautionnement ;

DÉBOUTE [J] [L] de sa demande subsidiaire tendant à lui déclarer inopposable l'acte de cautionnement conclu le 13 avril 2016 et à l'en décharger ;

CONDAMNE [J] [L] à payer à la Caisse de crédit mutuel Paris Chaussée d'Antin la somme de 9 593,66 euros, outre intérêts au taux légal à partir du 9 décembre 2019 ;

DÉBOUTE [J] [L] de ses demandes de dommages et intérêts et de délai de payement ;

CONFIRME toutes les autres dispositions non contraires ;

DIT n'y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE [J] [L] aux dépens ;

REJETTE toute autre demande plus ample ou contraire.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 6
Numéro d'arrêt : 21/15217
Date de la décision : 08/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-08;21.15217 ?
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