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03/03/2023 | FRANCE | N°16/13468

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 12, 03 mars 2023, 16/13468


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 12



ARRÊT DU 03 MARS 2023



(n° , 8 pages)





Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 16/13468 - N° Portalis 35L7-V-B7A-BZ3HL



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 22 Juillet 2016 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de PARIS RG n° 15/01255



APPELANTE

SAS [6]

[Adresse 1]

[Localité 4]

représentée par Me Jé

rôme ARTZ, avocat au barreau de PARIS, toque : L0097 substitué par Me Gauthier KERTUDO, avocat au barreau de PARIS, toque : L0097



INTIMEE

URSSAF CENTRE VAL DE LOIRE

[Adresse 2]

[Adresse 7]

[...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 12

ARRÊT DU 03 MARS 2023

(n° , 8 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 16/13468 - N° Portalis 35L7-V-B7A-BZ3HL

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 22 Juillet 2016 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de PARIS RG n° 15/01255

APPELANTE

SAS [6]

[Adresse 1]

[Localité 4]

représentée par Me Jérôme ARTZ, avocat au barreau de PARIS, toque : L0097 substitué par Me Gauthier KERTUDO, avocat au barreau de PARIS, toque : L0097

INTIMEE

URSSAF CENTRE VAL DE LOIRE

[Adresse 2]

[Adresse 7]

[Localité 3]

représentée par Mme [H] [X] en vertu d'un pouvoir spécial

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 03 Novembre 2022, en audience publique et en double rapporteur, les parties ne s'y étant pas opposées, devant M. Pascal PEDRON, Président de chambre et M. Gilles REVELLES, Conseiller.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

M. Pascal PEDRON, Président de chambre

M. Gilles REVELLES, Conseiller

M. Gilles BUFFET, Conseiller

Greffier : Mme Claire BECCAVIN, lors des débats

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- prononcé

par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, initialement prévu le 06 janvier 2023 et prorogé au 10 février 2023 puis au 03 mars 2023,les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

-signé par M. Gilles REVELLES, Conseiller, pour M. Pascal PEDRON, Président de chambre, légitimement empêché et par Mme Claire BECCAVIN, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La cour statue sur l'appel interjeté par la S.A.S. Société [6] ([8]) (la société ' le donneur d'ordre) d'un jugement rendu le 22 juillet 2016 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris dans un litige l'opposant à l'Urssaf du Centre Val-de-Loire (l'Urssaf).

FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

La société a signé deux contrats successifs avec la société [5] (le sous-traitant). Dans le cadre d'un contrôle du sous-traitant, l'inspection du recouvrement a adressé à la société, donneur d'ordre, une lettre du 30 janvier 2014 afin qu'elle produise la totalité des documents contractuels ayant régi leur rapport. La société a transmis à l'inspection du recouvrement le 13 mai 2014 les pièces demandées. L'organisme de sécurité sociale a adressé le 23 juin 2014 à la société en qualité de donneur d'ordre une lettre d'observations lui notifiant un redressement d'un montant de 230 367 euros au titre de la solidarité financière. Par lettre du 24 juillet 2014, la société a répondu aux observations de l'inspection du recouvrement. En réponse, l'inspection du recouvrement a ramené le redressement à la somme de 167 284 euros le 20 octobre 2014. L'Urssaf a adressé à la société une mise en demeure en date du 3 novembre 2014 pour un montant de 167 284 euros.

La société a saisi la commission de recours amiable d'une contestation de la mise en demeure. Cette instance ayant rejeté son recours le 19 février 2015, la société a porté le litige devant le tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris le 24 février 2015, lequel par jugement du 22 juillet 2016, a :

- Confirmé le redressement entrepris par l'Urssaf à l'encontre de la société pour la période du 1er juin 2011 au 31 décembre 2013 ;

- Reçu l'Urssaf en sa demande reconventionnelle ;

- Condamné la société à lui payer la somme de 167 284 euros ;

- Débouté la société de sa demande formée sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Rejeté les demandes plus amples ou contraires ;

- Rappelé que la procédure est sans frais ni dépens.

Pour statuer ainsi le tribunal a retenu qu'il appartenait au donneur d'ordres de fournir une attestation Urssaf de moins de 6 mois et qu'elle n'a pas satisfait à cette obligation lors de la conclusion du contrat le 1er septembre 2011 alors qu'il lui était tout à fait possible de se faire délivrer cette attestation par son sous-traitant ; que la société devait également fournir pour chaque période un extrait Kbis de moins de 6 mois et n'a satisfait à cette obligation que lors de la première période de 6 mois après la conclusion du contrat de sous-traitance et lors de la période du 1er octobre 2012 au 31 mars 2013 ; qu'il résulte des éléments soumis à l'attention du tribunal que la société n'a rempli son obligation de vigilance que pour la période du 9 janvier 2012 au 08 février 2012, ainsi que l'a retenu l'inspecteur du recouvrement, et pour la période du 1er octobre 2012 au 31 mars 2013 ; qu'aucun lien de causalité n'est exigé entre la faute du donneur d'ordre (non-respect de l'obligation de vigilance) et le dommage constaté (l'infraction de travail dissimulé).

La société a interjeté appel de ce jugement le 20 octobre 2016, lequel lui a été notifié le 12 octobre 2016.

L'appel a été évoqué à l'audience du 2 septembre 2021 puis renvoyé à l'audience du 13 janvier 2022.

Par arrêt du 4 mars 2022, la cour d'appel de Paris a ordonné la réouverture des débats à l'audience du 7 avril 2022.

Au rappel de l'affaire, le renvoi a été ordonné à l'audience du 3 novembre 2022 pour communication du P.-V. de travail dissimulé par l'Urssaf et pour conclusions complémentaires

A l'audience du 22 novembre 2022, par conclusions écrites soutenues oralement à l'audience par son conseil, la société demande à la cour de :

- Infirmer le jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris du 22 juillet 2016 en toutes ses dispositions ;

En conséquence,

- Constater qu'elle a bien respecté son obligation de vigilance à l'égard de son sous-traitant ;

- Constater que les conditions de la mise en 'uvre de la solidarité financière ne sont pas réunies ;

- Infirmer la décision de la CRA du 19 février 2015 ;

- Annuler la mise en demeure du 3 novembre 2014 ;

En tout état de cause,

- Condamner l'Urssaf à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner l'Urssaf au paiement des entiers dépens.

Par conclusions écrites soutenues oralement à l'audience par son représentant, l'Urssaf demande à la cour, au visa des articles 524 du code de procédure civile, L. 82221-1 et suivants, et D. 8222-5 du code du travail, de :

À titre principal,

- Constater que la demande tendant à voir l'irrégularité de la procédure de mise en 'uvre de la solidarité financière est une demande nouvelle et est contraire au principe de prohibition des demandes nouvelles en appel ;

En conséquence,

- Déclarer irrecevable la demande tendant à voir constater l'irrégularité de la procédure de mise en 'uvre de la solidarité financière ;

- Confirmer le redressement opéré dans son intégralité ;

- Confirmer le jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris rendu le 22 juillet 2016 n°15-01255 ;

- Valider la mise en 'uvre du 3 novembre 2014 pour son montant de 167 284 euros ;

- Condamner la société à lui payer la somme de 167 284 euros ;

- Condamner la société aux dépens ;

- Condamner la société au paiement de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Débouter la société de l'ensemble de ses demandes ;

À titre subsidiaire,

- Constater que la procédure de mise en 'uvre de la solidarité financière est régulière ;

En conséquence,

- Confirmer le redressement opéré dans son intégralité ;

- Confirmer le jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris rendu le 22 juillet 2016 n°15-01255 ;

- Valider la mise en demeure du 3 novembre 2014 pour son montant de 167 284 euros ;

- Condamner la société à lui payer la somme de 167 284 euros ;

- Condamner la société aux dépens ;

- Condamner la société au paiement de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Débouter la société de l'ensemble de ses demandes.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties déposées par les parties et visées par le greffe pour un exposé complet des moyens et arguments développés et soutenus à l'audience.

SUR CE,

Sur la régularité de la mise en 'uvre de la solidarité financière

1) En droit

L'article L. 8222-1 du code du travail dispose :

« Toute personne vérifie lors de la conclusion d'un contrat dont l'objet porte sur une obligation d'un montant minimum en vue de l'exécution d'un travail, de la fourniture d'une prestation de services ou de l'accomplissement d'un acte de commerce, et périodiquement jusqu'à la fin de l'exécution du contrat, que son cocontractant s'acquitte :

« 1° des formalités mentionnées aux articles L. 8221-3 et L. 8221-5 ;

« 2° de l'une seulement des formalités mentionnées au 1°, dans le cas d'un contrat conclu par un particulier pour son usage personnel, celui de son conjoint, partenaire lié par un pacte civil de solidarité, concubin, de ses ascendants ou descendants.

« Les modalités selon lesquelles sont opérées les vérifications imposées par le présent article sont précisées par décret. »

L'article L. 8222-2 du code du travail dispose que :

« Toute personne qui méconnaît les dispositions de l'article L. 8222-1, ainsi que toute personne condamnée pour avoir recouru directement ou par personne interposée aux services de celui qui exerce un travail dissimulé, est tenue solidairement avec celui qui a fait l'objet d'un procès-verbal pour délit de travail dissimulé :

« 1° Au paiement des impôts, taxes et cotisations obligatoires ainsi que des pénalités et majorations dus par celui-ci au Trésor ou aux organismes de protection sociale ;

« 2° Le cas échéant, au remboursement des sommes correspondant au montant des aides publiques dont il a bénéficié ;

« 3° Au paiement des rémunérations, indemnités et charges dues par lui à raison de l'emploi de salariés n'ayant pas fait l'objet de l'une des formalités prévues aux articles L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche et L. 3243-2, relatif à la délivrance du bulletin de paie. »

L'article 9 du code de procédure civile dispose qu'il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.

Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.

En application du deuxième alinéa du deuxième texte précité le donneur d'ordre qui méconnaît les obligations de vigilance énoncées au premier article précité est tenu solidairement au paiement des cotisations obligatoires, pénalités et majorations dues par son sous-traitant qui a fait l'objet d'un procès-verbal pour délit de travail dissimulé.

Par une décision n°2015-479 QPC du 31 juillet 2015, le Conseil constitutionnel a déclaré conforme à la constitution les dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 8222-2 du code du travail, sous réserve qu'elles n'interdisent pas au donneur d'ordre de contester la régularité de la procédure, le bien-fondé de l'exigibilité des impôts, taxes et cotisations obligatoires ainsi que des pénalités et majorations y afférentes au paiement solidaire desquels il est tenu.

L'article R. 133-8-1 du code de la sécurité sociale dispose :

« Lorsqu'il ne résulte pas d'un contrôle effectué en application de l'article L. 243-7 du présent code ou de l'article L. 724-7 du code rural et de la pêche maritime, tout redressement consécutif à la mise en 'uvre des dispositions de l'article L. 133-4-5 est porté à la connaissance du donneur d'ordre ou du maître d'ouvrage par un document signé par le directeur de l'organisme de recouvrement, transmis par tout moyen permettant de rapporter la preuve de sa date de réception.

« Ce document rappelle les références du procès-verbal pour travail dissimulé établi à l'encontre du cocontractant, précise le manquement constaté, la période sur laquelle il porte et le montant de la sanction envisagé.

« Ce document informe également la personne en cause qu'elle dispose d'un délai de trente jours pour présenter ses observations par tout moyen permettant de rapporter la preuve de leur date de réception et qu'elle a la faculté de se faire assister par une personne ou un conseil de son choix. A l'expiration de ce délai et, en cas d'observations du donneur d'ordre ou du maître d'ouvrage, après lui avoir notifié le montant de la sanction, le directeur de l'organisme de recouvrement met en recouvrement les sommes dues selon les règles et sous les garanties et sanctions applicables au recouvrement des cotisations de sécurité sociale.»

Ce texte prévoit la mise en 'uvre de la solidarité financière au vu d'un procès-verbal de constat de travail dissimulé.

Le donneur d'ordre peut invoquer, à l'appui de sa contestation de la solidarité financière, les irrégularités entachant le redressement opéré à l'encontre de son cocontractant du chef de travail dissimulé.

Il en résulte que si la mise en 'uvre de la solidarité financière du donneur d'ordre n'est pas subordonnée à la communication préalable à ce dernier du procès-verbal pour délit de travail dissimulé, établi l'encontre de son sous-traitant, l'organisme de recouvrement est cependant tenu, pendant la procédure contentieuse, de produire ce procès-verbal devant la juridiction de sécurité sociale en cas de contestation par le donneur d'ordre de l'existence ou du contenu de ce document (Cass., Civ. 2, 8 avril 2021, n°20-11126 ; Cass., Civ. 2, 3 juin 2021, n°20-14013 ; Cass., Civ. 2, 24 juin 2021, n°20-10946 ; Cass., Civ. 2, 23 juin 2022, n°20-22128).

2) Prétentions des parties

La société sous-traitante soutient que le respect des droits de la défense est un principe fondamental reconnu par les lois de la République et que les principes du contradictoire, de loyauté et d'équité sont consacrés par l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme. Cela signifie que chaque partie doit être en mesure de pouvoir discuter en toute connaissance de cause de l'énoncé des faits et des moyens juridiques que ses adversaires lui opposent et que toute autorité doit veiller à ce que les administrés, auxquels elle notifie une décision individuelle défavorable, soient mis en mesure de pouvoir se défendre et contester les griefs formulés contre eux. La société soutient dès lors que l'Urssaf doit transmettre aux donneurs d'ordre, débiteur solidaire, la procédure de redressement réalisée à l'encontre du débiteur principal, condamné pour travail dissimulé, et le procès-verbal d'infraction du dit débiteur principal. La société ajoute que pour la Cour de cassation le redressement n'est valable que si la réalité du procès-verbal pour travail dissimulé valide est vérifiée. Cela signifie que le donneur d'ordre ne peut vérifier la régularité de la procédure que si l'Urssaf lui transmet le procès-verbal d'infraction pour travail dissimulé du sous-traitant. En l'absence de transmission par l'Urssaf de la procédure de redressement du sous-traitant et du procès-verbal d'infraction, le donneur d'ordre est dans l'impossibilité d'opposer à l'Urssaf les éventuelles irrégularités de procédure vis-à-vis du cocontractant sanctionné ou de contrôler le montant du redressement opéré et le pourcentage qui lui est imputé. Le Conseil constitutionnel et le Conseil d'État ont décidé que l'administration ne pouvait pas refuser la communication des documents utiles à la défense du débiteur solidaire, sauf à le priver d'une garantie constitutionnellement protégée. En cas de refus de communication de l'Urssaf, la solidarité financière ne peut pas être mise en 'uvre l'Urssaf doit établir les faits qu'elle indique dans sa lettre d'observations.

Si au cas d'espèce, l'Urssaf a fini par communiquer le procès-verbal d'infraction, elle n'a pas pour autant communiqué les annexes dressées à l'encontre de la société sous-traitante et elle ne démontre pas que ce document a été communiqué à la société au moment du redressement, de sorte que la société a été dans l'impossibilité d'opposer à l'Urssaf les éventuelles irrégularités de la procédure vis-à-vis de son cocontractant sanctionné ou de contrôler le montant du redressement opéré et le pourcentage qui lui est imputé lors du contrôle puis de la procédure contentieuse, a fortiori sans les annexes dont l'absence ne permet pas de comprendre le procès-verbal. En l'espèce le redressement envisagé au titre de la solidarité financière repose sur un procès-verbal constatant l'infraction de travail dissimulé à l'encontre de son sous-traitant. Néanmoins, au jour de la notification de la lettre d'observations la société n'a eu accès ni au procès-verbal transmis au procureur de la République dont elle ignore tout du contenu, ni à la lettre d'observations adressée au sous-traitant, ni au reste des procès-verbaux d'audition qui ont pourtant permis de caractériser le délit de travail dissimulé pour dissimulation d'emploi salarié de sorte. Elle soutient qu'elle n'a donc reçu aucune information sur les faits susceptibles de constituer une infraction pénale et notamment aucun élément permettant de caractériser le travail dissimulé de son sous-traitant et que le seul contenu de la lettre d'observations du 23 juin 2014 ne lui permettait pas de se défendre et de contester son redressement puisqu'elle était dans l'impossibilité de vérifier la régularité de la procédure de redressement et son calcul. La société soutient qu'elle aurait dû avoir accès dans le cadre de la procédure à la connaissance précise et détaillée des éléments contenus dans les auditions qui ont permis à l'Urssaf d'établir le P.-V. d'infraction conduisant au redressement et qu'à défaut, l'Urssaf n'a pas respecté le principe du contradictoire.

L'Urssaf rétorque que l'article 564 du code de procédure civile dispose qu'à peine d'irrecevabilité soulevée d'office les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la réalisation d'un fait ; que selon l'article 565 du même code les prétentions ne sont pas nouvelles, dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent ; qu'enfin en application de l'article 566 du même code, les parties peuvent ajouter à leur demande devant le premier juge toutes celles qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément.

L'Urssaf observe que lors de la phase de contradictoire puis en première instance, la société avait uniquement contesté le bien-fondé du redressement n'invoquant que des moyens de fonds sans jamais contester la régularité de la procédure de mise en 'uvre de la solidarité financière. La société n'avait donc soulevé aucun moyen de forme et ce jusqu'à ses écritures du 9 novembre 2021. En particulier, elle n'avait pas contesté l'existence ou le contenu du procès-verbal pour délit de travail dissimulé établi l'encontre de son cocontractant et n'avait pas sollicité la communication dudit procès-verbal ni lors de la phase contradictoire ni en première instance devant le tribunal des affaires de sécurité sociale. L'Urssaf soutient alors que la demande de constatation de l'irrégularité de la procédure n'est pas l'accessoire ou le complément nécessaire de la demande présentée en première instance de constatation de l'absence du bien-fondé du redressement et ne remplit aucune des conditions des articles précités si bien que cette demande formée pour la première fois en appel par la société doit être jugée irrecevable.

À titre subsidiaire, elle fait valoir que la mise en 'uvre de la solidarité financière du donneur d'ordre n'est pas subordonnée à la communication préalable à ce dernier du procès-verbal pour délit de travail dissimulé établi à l'encontre du sous-traitant mais que l'organisme de recouvrement est tenu toutefois, pendant la procédure contentieuse de produire ce procès-verbal devant la juridiction de sécurité sociale en cas de contestation par le donneur d'ordre de l'existence ou du contenu de ce document. Il s'ensuit que l'absence de communication au donneur d'ordre du procès-verbal de travail dissimulé établi à l'encontre du sous-traitant et de ses pièces jointes préalablement à la procédure contentieuse n'est pas de nature à justifier l'annulation de la procédure. Au cas d'espèce, l'Urssaf observe que la société n'a jamais sollicité le procès-verbal et n'en a contesté ni l'existence ni le contenu jusqu'au 9 novembre 2021. L'absence de communication du procès-verbal de délit de travail dissimulé au stade précontentieux n'est pas de nature à justifier l'annulation de la procédure puisque l'Urssaf n'est pas tenue de joindre à la lettre d'observations adressée au donneur d'ordre le procès-verbal établi à l'encontre du sous-traitant et constatant le délit de travail dissimulé à l'origine du redressement litigieux. Elle ajoute qu'aucune disposition légale ne la délie de son obligation de respecter le secret professionnel et le secret de l'enquête et de l'instruction prévu à l'article 11 du code de procédure pénale qui lui interdit de communiquer au donneur d'ordre, tiers à la procédure pénale, le procès-verbal d'infraction pour travail dissimulé, de sorte qu'il ne peut lui être reproché de ne pas avoir, au stade précontentieux, communiqué au donneur d'ordre le procès-verbal d'infraction pour travail dissimulé établi à l'encontre du sous-traitant. On ne peut pas davantage lui reprocher de ne pas l'avoir communiqué en première instance dès lors que le donneur d'ordre n'en avait ni sollicité la communication ni contesté l'existence ou le contenu, le tribunal n'ayant d'ailleurs pas ordonné la production de ce procès-verbal en l'absence de contestation. Le donneur d'ordre ayant contesté pour la première fois ce point le 9 novembre 2021 devant la cour, elle a adressé ledit procès-verbal par lettre du 13 décembre 2021, de sorte qu'il est vérifiable que la société sous-traitante a fait l'objet d'un procès-verbal pour délit de travail dissimulé. Elle ajoute que ce procès-verbal est communiqué désormais en pièce n° 11 conformément à l'injonction faite par la cour de céans le 13 janvier 2022.

3) Réponse de la cour

Contrairement à ce que soutient l'Urssaf, la demande visant la constatation de l'irrégularité de la procédure de mise en 'uvre de la solidarité financière n'est pas une prétention nouvelle dès lors qu'il s'agit d'un moyen de pur droit, d'un fondement juridique différent, pour obtenir la même fin que celle soumise au premier juge, à savoir l'annulation du redressement contesté, et non une fin nouvelle, à savoir une demande stricto sensu.

Le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure de mise en 'uvre de la solidarité financière est donc recevable.

Au cas d'espèce, le procès-verbal d'infraction de travail dissimulé a été produit par l'Urssaf devant la cour (sa pièce n° 11).

Il est constant que la société n'a pas contesté l'existence ou le contenu de ce document avant le 9 novembre 2021, soit devant la cour d'appel.

Néanmoins, force est de constater que si l'Urssaf reconnaît elle-même avoir communiqué, en phase contentieuse comme elle y est tenue, le procès-verbal de travail dissimulé dont la production a été demandée par la cour dès lors que la société en contestait l'existence et le contenu, le procès-verbal a été produit seul sans ses quatre annexes qui ont pourtant été adressées au procureur de la République avec ledit procès-verbal.

L'Urssaf écrit elle-même dans ses conclusions que l'absence de communication au donneur d'ordre du procès-verbal de travail dissimulé établi à l'encontre du sous-traitant et de ses pièces jointes préalablement à la procédure contentieuse n'est pas de nature à justifier l'annulation de la procédure. Ce point est exact et ne peut pas utilement être contesté par la société. Il importe peu que l'Urssaf ne lui ait pas communiqué le procès-verbal et ses « pièces jointes » avant la phase contentieuse dès lors qu'elle n'y était pas tenue. En revanche, en phase contentieuse, le donneur d'ordre qui conteste la régularité d ela mise en oeuvre de sa solidarité financière devant être mis en mesure de contester contradictoirement la régularité de la procédure, le bien-fondé de l'exigibilité des cotisations et contributions sociales ainsi que des pénalités et majorations y afférentes au paiement solidaire desquels il est tenu, le procès-verbal devait être produit avec ses quatre annexes qui en sont des éléments indissociables et substantiels.

En conséquence, à défaut d'avoir communiqué le procès-verbal dans sa totalité afin de permettre au donneur d'ordre d'exercer utilement ses droits, l'Urssaf n'est pas fondée à mettre en 'uvre de la solidarité financière et la procédure de redressement doit être annulée.

Le jugement sera infirmé en toutes ses dispositions.

Sur les demandes annexes

L'Urssaf, succombant en cette instance, devra en supporter les dépens.

Aucune considération tirée de l'équité ou de la situation des parties ne commande de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de la société.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

DÉCLARE l'appel de la S.A.S. Société [6] ([8]) recevable ;

REJETTE la fin de non-recevoir soulevée par l'Urssaf du Centre Val-de-Loire à l'encontre de la demande tendant à voir contester l'irrégularité de la procédure de mise en 'uvre de sa solidarité financière soulevée par la S.A.S. Société [6] ([8]) ;

INFIRME le jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris du 22 juillet 2016 en toutes ses dispositions ;

Et statuant à nouveau ;

DIT que l'Urssaf du Centre Val-de-Loire n'est pas fondée à mettre en 'uvre la solidarité financière de la S.A.S. Société [6] ([8]) en sa qualité de donneur d'ordre de la société [5] (sous-traitant) ;

ANNULE en conséquence le redressement opéré par mise en demeure du 3 novembre 2014 ;

REJETTE la demande en paiement de l'Urssaf du Centre Val-de-Loire ;

DIT n'y avoir lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice de la S.A.S. Société [6] ([8]) ou de l'Urssaf du Centre Val-de-Loire ;

CONDAMNE l'Urssaf du Centre Val-de-Loire aux dépens de la procédure d'appel.

La greffière Pour le président empêché


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 12
Numéro d'arrêt : 16/13468
Date de la décision : 03/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-03;16.13468 ?
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