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02/03/2023 | FRANCE | N°22/05702

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 12, 02 mars 2023, 22/05702


Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 12



ARRET DU 02 MARS 2023



(n° , 12 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/05702 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFPQK



Décision déférée à la Cour : Jugement du 06 Janvier 2022 - JURIDICTION D'INDEMNISATION DES VICTIMES D'ATTENTATS TERRORISTES du tribunal judiciaire de PARIS - RG n° 20/10436





APPELANTE


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née le [Date naissance 2] 1986 à [Localité 10] (08)

représentée par Me Jeanne BAECHLIN de la SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barr...

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 12

ARRET DU 02 MARS 2023

(n° , 12 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/05702 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFPQK

Décision déférée à la Cour : Jugement du 06 Janvier 2022 - JURIDICTION D'INDEMNISATION DES VICTIMES D'ATTENTATS TERRORISTES du tribunal judiciaire de PARIS - RG n° 20/10436

APPELANTE

Madame [Z] [H]

[Adresse 1]

[Localité 7]

née le [Date naissance 2] 1986 à [Localité 10] (08)

représentée par Me Jeanne BAECHLIN de la SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034

Ayant pour avocats plaidants Me Frédéric BIBAL et Me TAPINOS Daphné, avocats au barreau de PARIS, toque : A0580

INTIMES

Le FONDS DE GARANTIE DES VICTIMES DES ACTES DE TERRORISME ET D'AUTRES INFRACTIONS

[Adresse 5]

[Localité 8] - FRANCE

représenté par Me Hélène FABRE de la SELARL FABRE ET ASSOCIEES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0124, substitué par Maître TONDJMAN Noémie, avocat au barreau de PARIS

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE de [Localité 6]

[Adresse 4]

[Localité 6]

non représentée

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 19 Janvier 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Catherine COSSON, Conseillère faisant fonction de présidente, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Catherine COSSON, Conseillère faisant fonction de présidente

Mme Sylvie LEROY, Conseillère

Mme Dorothée DIBIE, Conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Roxanne THERASSE

ARRÊT :

- réputé contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Catherine COSSON, Conseillère faisant fonction de présidente et par Eva ROSE-HANO, Greffière présente lors du prononcé.

Mme [Z] [H] et son compagnon, M. [P], ont été victimes de l'acte terroriste perpétré dans la salle du Bataclan le 13 novembre 2015, où il se trouvaient au premier balcon, face à la scène.

Ils ont sollicité du Fonds de Garantie des Victimes d'actes de Terrorismes et d'autres Infractions (FGTI) la prise en charge de leurs préjudices.

Le 18 avril 2016, le FGTI a versé une première provision d'un montant de 16 000 euros à Mme [H].

Le FGTI a mandaté le docteur [X] [K], psychiatre, pour qu'il soit procédé à leur expertise médicale, dont le rapport concernant Mme [H] a été déposé le 26 mai 2018.

A la suite de l'échec des discussions amiables, M. [P] et Mme [H] ont fait assigner le FGTI, la CPAM de [Localité 11] et la CPAM de [Localité 6] devant le tribunal judiciaire de Paris aux fins d'indemnisation de leurs préjudices.

Mme [H] a interjeté appel du jugement du 6 janvier 2022, rendu par la juridiction d'indemnisation des victimes d'attentats terroristes du tribunal judiciaire de Paris (JIVAT) qui a, entre autres dispositions, déclaré entier le droit à indemnisation des demandeurs, et avant déduction de la somme de 64.215 euros :

- condamné le FGTI à lui verser, avec intérêts au taux légal à compter du jugement, les sommes suivantes :

. Dépenses de santé actuelles : 560 euros

' Tierce personne temporaire : 144 euros

' Pertes de gains professionnels actuels : 231,56 euros

' Dépenses de santé futures : 85 euros

' Incidence professionnelle : 6 000 euros

' Déficit fonctionnel temporaire : 7 580,25 euros

' Souffrances endurées : 70 000 euros

' Déficit fonctionnel permanent : 20 350 euros

' Préjudice d'agrément : 5 000 euros

' Préjudice exceptionnel spécifique des victimes de terrorisme : 30 000 euros

- débouté Mme [Z] [H] de ses demandes au titre des pertes de gains professionnels

futurs et au titre du préjudice d'établissement,

- ordonné la capitalisation des intérêts échus,

- déclaré le jugement commun à la CPAM de [Localité 11] et à la CPAM de [Localité 6],

- condamné le FGTI aux dépens et à payer à M. [O] [P] et Mme [Z] [H] la somme de 2.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit que l'exécution provisoire de la décision est limitée à hauteur des deux tiers du montant des indemnisations allouées et de la totalité en ce qui concerne les frais irrépétibles et les dépens.

Ce jugement est définitif à l'égard de M. [P].

*******************************

Aux termes de ses conclusions notifiées par la voie électronique le 9 novembre 2022, Mme [H] demande à la cour de :

- Infirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions relatives aux postes de préjudice, à l'exception des dépenses de santé actuelles et, statuant à nouveau, lui allouer les sommes suivantes :

A titre principal, pour un solde de 520 543,97 euros :

Tierce personne :198,66 euros

Pertes de gains professionnels actuels : 70 614,62 euros

Pertes de gains professionnels futurs : 163.428,35 euros

Incidence professionnelle : 100.000 euros

Déficit fonctionnel temporaire : 9 358,34 euros

Souffrances endurées : 50.000 euros

Préjudice d'angoisse de mort imminente : 60.000 euros

Déficit fonctionnel permanent : 55.000 euros

Préjudice d'agrément : 15.000 euros

Préjudice d'établissement : 11.159 euros

Préjudice exceptionnel spécifique des victimes de terrorisme : 50.000 euros

Total : 584.758,97 euros

Provision à déduire : 64.215 euros

A titre subsidiaire, pour un solde similaire, reprenant l'ensemble des postes de préjudice sus-mentionnés, avec pour seule nuance, une globalisation des souffrances endurées et du préjudice d'angoisse de mort imminente,

En conséquence,

Condamner le FGTI aux dépens et à lui verser la somme de 520.543,97 euros en réparation des préjudices subis, outre celle de 5.629,35 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Juger que ces sommes porteront intérêt au taux légal avec capitalisation annuelle à compter de la demande d'indemnisation amiable, soit le 4 juin 2019

Déclarer le présent arrêt opposable à la CPAM de [Localité 6].

Aux termes de ses conclusions notifiées par la voie électronique le16 août 2022, le FGTI demande à la cour de :

- infirmer le jugement sur l'indemnisation du déficit fonctionnel temporaire, du préjudice d'angoisse de mort imminente et des souffrances endurées et, statuant à nouveau, fixer ces postes de préjudices de la manière suivante :

- déficit fonctionnel temporaire : 7.018,75 € ;

- souffrances endurées : 30.000 € ;

- préjudice d'angoisse de mort imminente : 10.000 € ;

- confirmer le jugement sur les autres postes de préjudice,

- infirmer le jugement en ce qu'il a alloué une indemnité de 2.000 € au titre des frais

irrépétibles et rejeter la demande formulée à ce titre ;

- infirmer le jugement en ce qu'il l'a condamné aux dépens et les mettre à la charge du Trésor public ;

- déduire des sommes qui seront allouées les provisions versées à Mme [H], à hauteur de 64.215 € et celles qui ont été payées au titre de l'exécution provisoire à hauteur de 30.085,54 €,

- rejeter toutes demandes plus amples ou contraires.

La déclaration d'appel et les conclusions de l'appelante ont été dénoncées à la CPAM de [Localité 6] par acte du 8 juin 2022 remis à personne morale.

CELA ETANT EXPOSE, LA COUR :

Au moment des faits, Mme [H] et M. [P] situés au premier

balcon face à la scène, sont parvenus à se cacher le long des sièges puis à sortir de la salle de spectacle, à ouvrir une trappe au plafond donnant sur les toits avant d'entrer dans un logement adjacent aux toits du Bataclan, et d'y demeurer reclus pendant plusieurs heures.

Il ressort du rapport de l'expert en date du 26 mai 2018 que Mme [H] a développé à la suite des faits, 'une réaction de stress aigue qui s'est chronicisé sous les traits d'un état de stress post-traumatique et s'est compliqué par un état dépressif post-traumatique'.

L'expert a conclu comme suit :

- Déficit fonctionnel temporaire partiel:

à 75% du 13 au 20 novembre 2015

à 50% du 21 novembre 2015 au 31 mai 2016

à 25% du 1er juin 2016 au 14 mai 2018

- Tierce personne temporaire : 1h par jour du 13 au 20 novembre 2015

- Date de consolidation : 14 mai 2018

- Séquelles : syndrome post-traumatique de type anxieux

- Déficit fonctionnel permanent : 10 %

- Souffrances endurées : 5/7

- Préjudice d'angoisse de mort imminente : important

- Préjudice d'agrément : plus de concert

- préjudice professionnel : en relation partielle avec les faits

Au vu de ces éléments et de l'ensemble des pièces versées aux débats, les postes de préjudice dont appel, subis par Mme [H] qui était âgée de 29 ans lors des faits, et de 33 ans à la date de la consolidation de son état, comme étant née le [Date naissance 2] 1986, sont indemnisés comme suit:

Préjudices patrimoniaux :

* temporaires avant consolidation

- tierce personne

Les parties s'accordent sur le nombre d'heures à indemniser, soit 8 heures entre le 13 et le 20 novembre 2015, mais s'opposent sur le taux horaire, Mme [H] demandant à la cour de réparer son préjudice sur la base de 22 € de l'heure afin de tenir compte des jours fériés et des congés payés, tandis que le FGTI conclut, s'agissant d'actes 'non techniques', à la confirmation du jugement qui l'a fixée à 18 euros de l'heure.

Sur la base de 20 euros de l'heure qui correspond au besoin, le préjudice s'établit à : 8 jours x 1 heure x 20 euros = 160 euros.

- perte de gains professionnels actuels

Mme [H] sollicite la somme de 70.614,62 €, après revalorisation, au titre de la perte de primes de productivité et de la perte de gains due à la rupture conventionnelle avec son employeur et à sa reconversion, avant consolidation.

Sur la prime de productivité

Les parties s'accordent sur le montant de la perte de la prime de productivité consécutive à son arrêt de travail du 3 mai 2016 au 27 mai 2016, à hauteur de la somme de 231,56 euros.

Sur la perte de gains dues à la rupture conventionnelle intervenue et à sa reconversion

Mme [H], salariée au sein d'une mutuelle de santé lorsque l'attentat est survenu, sollicite la somme de 66.223,80 € avant revalorisation, pour la période comprise entre le 12 juillet 2016 (date de la rupture conventionnelle) et le 14 mai 2018 (date de la consolidation).

Elle expose avoir repris le travail le 17 novembre 2015, mais avoir ressenti le besoin de changer de vie en raison d'un sentiment d'inutilité sur le plan humain, motif pour lequel elle a opté pour une réorientation professionnelle en négociant une rupture conventionnelle le 12 juillet 2016.

En réplique, le FGTI s'oppose à la demande.

Rappelant que Mme [H] a repris immédiatement son poste, sans le bénéfice d'un quelconque aménagement ni restriction, et que l'expert a estimé que sa réorientation professionnelle n'était pas 'une nécessité indispensable', il soutient que sa décision de ré-orientation professionnelle n'est pas motivée par une inaptitude médicale à l'exercice de son ancienne profession ; qu'elle n'est pas imputable de manière directe et certaine à l'attentat, mais résulte d'une démarche personnelle dont il ne saurait assumer les conséquences financières.

Sur ce,

A la date de l'attentat, Mme [H] était responsable de communication au sein de la mutuelle de santé Groupe France Mutuelle, où elle était employée depuis trois ans et huit mois. Elle a conclu une rupture conventionnelle avec son employeur le 12 juillet 2016. Elle s'est inscrite à une formation pour effectuer un CAP 'cuisine' et a obtenu son diplôme le 5 juillet 2017. Elle a ensuite obtenu un CAP en spécialité pâtisserie en juin 2018.

Le 1er février 2018, puis à nouveau le 18 juillet 2018, elle a souscrit un contrat d'appui au projet d'entreprise pour la création ou la reprise d'une activité économique avec une coopérative, la société Coopaname.

Contrairement à ce qu'avance le FGTI, la rupture conventionnelle, survenue sept mois seulement après les faits, est bien imputable aux conséquences de l'attentat, qui a constitué l'élément déclencheur de la réorientation professionnelle décidée par Mme [H] en juillet 2016.

Il résulte en effet des pièces communiquées que son état de santé s'est progressivement détérioré : atteinte d'un stress post-traumatique, Mme [H] a souffert de crises d'angoisse, de réveils nocturnes avec reviviscence des faits et de difficultés de concentration, qui l'ont amenée à consulter dans les six mois qui sont suivi les faits, les praticiens suivant :

- aux UMJ de l'[9] les 21 décembre 2015 et 7 janvier 2016, l'interne en psychiatrie qui a décrit un état de stress aigu,

- du 21 novembre 2015 au 11 juillet 2017, Mme [R], sophrologue,

- M. [V], ostéopathe.

Puis, alors qu'elle s'était seulement arrêtée une semaine au mois de novembre 2015, Mme [H] a été placée en arrêt maladie du 3 au 27 mai 2016.

Elle produit aux débats six attestations de collègues de travail et d'amis qui, de manière unanime, témoignent de ce qu'elle a connu, à compter de la reprise de son travail, une phase continue de dégradation de son bien-être professionnel marquée par une démotivation du fait de la remise en cause de la pertinence des projets à mener, et l'exacerbation d'une fragilité psychique faisant obstacle à l'exercice de son rôle de 'manager', son ancienne directrice des ressources humaines déclarant même l'avoir sentie perdue, sans réelle envie, avant la rupture conventionnelle.

Dans son rapport d'expertise, le docteur [K], psychiatre, qui a examiné la victime le 14 mai 2018, relate qu'elle décrit très bien avoir ressenti le besoin de changer de vie en ces termes : « Je me suis sentie inutile sur le plan humain, j'ai la chance d'être en vie, je souhaite faire plus attention aux autres et ai besoin de contacts humains ».

Certes, comme le fait valoir le FGTI, Mme [H] n'a pas été déclarée inapte au travail, mais l'attentat a bien été à l'origine d'un syndrome post-traumatique qui s'est chronicisé et qui a été à l'origine de sa décision de quitter son emploi qui était stable depuis plusieurs années et lui donnait satisfaction, ainsi que de sa réorientation vers un métier d'une toute autre nature, qui donnait plus de sens à sa vie.

Cette décision a été bénéfique puisque, arrêtée pendant presqu'un mois pour maladie en mai 2016 elle a pu, après s'être formée à un autre travail et avoir tenté une reconversion, reprendre, en avril 2022, un métier assez similaire à celui occupé auparavant.

Dès lors, l'ensemble de ces éléments concordants fait la preuve du lien direct et certain entre les conséquences de l'attentat dont Mme [H] a été victime et la rupture conventionnelle avec son employeur, et les pertes de gains qui en découlent méritent réparation.

Le calcul non subsidiairement critiqué des pertes de gains professionnels actuels s'établit, sur la base du salaire net mensuel de Mme [H] en 2015, soit 2.956,42 euros, pour la période du 12 juillet 2016 au 14 mai 2018 (672 jours) à 66.223,80 euros (2.956,42 euros × 672 jours) / 30 jours.

La perte de gains actuels totale de Mme [H] s'élève à 66.455,36 euros (231,56 euros + 66.223,80 euros).

Mme [H] en sollicite la revalorisation sur la base du convertisseur INSEE du pouvoir d'achat de l'euro.

Le FGTI s'y oppose au motif que ces dernières années ont été marquées par une baisse du pouvoir d'achat des français, liée à une stagnation des salaires au regard de l'inflation, de sorte qu'il n'existe aucune raison pour qu'il compense cette éventuelle perte de pouvoir d'achat, conjoncturelle.

Cependant, la perte de gains doit être revalorisée afin que la somme allouée au jour de la liquidation, donne à la victime un pouvoir d'achat identique à celui de la somme dont elle a été privée et dont elle aurait dû bénéficier dans le passé et la somme calculée par Mme [H] en fonction du tableau des coefficients de l'INSEE d'érosion monétaire est retenue.

Il lui revient en conséquence la somme de 70.614,62 euros.

- permanents après consolidation

- perte de gains professionnels futurs

Mme [H] sollicite, après revalorisation, la somme totale de 163.428,35 euros, pour la période comprise entre le 14 mai 2018 au 30 mars 2022, d'une part, et pour la période courant à compter d'avril 2022, d'autre part.

Le FGTI s'y oppose au même motif que pour l'indemnisation des pertes de gains professionnels actuels.

Observant en outre que le faible montant des revenus de Mme [H] pour les années 2020 et 2021 est la conséquence, de manière successive, d'un congé maternité au début de l'année 2020, d'une activité partielle en juin et juillet 2020, d'une période d'absence non rémunérée entre août 2020 et mars 2021, et d'une période de congé sans solde d'avril 2021 à avril 2022, il souligne qu'à supposer admis le lien de causalité entre la reconversion professionnelle de Mme [H] et les conséquences de l'attentat, les périodes non travaillées ne peuvent donner lieu à indemnisation.

Sur ce,

La cour ayant retenu l'existence d'un lien de causalité direct et certain entre la décision de Mme [H] de se réorienter professionnellement et l'attentat, il y a lieu de l'indemniser des pertes de gains professionnels qui en découlent après la consolidation.

sur la période du 14 mai 2018 au 30 mars 2022

Ainsi qu'il a été dit, le 1er février 2018, puis le 18 juillet 2018, elle a souscrit un contrat d'appui au projet d'entreprise pour la création ou la reprise d'une activité économique avec une coopérative d'activité et d'emploi, la société Coopaname.

Elle a été inscrite à Pôle Emploi du 14 juillet 2016 au 31 décembre 2019, et a perçu une allocation de retour à l'emploi du 17 août 2016 au 31 décembre 2018.

Le 1er octobre 2019, elle a signé un contrat de travail à durée indéterminée avec la société Coopaname, avec mission de développer son projet de fabrication et vente de pâtisseries, et d'animation d'ateliers cuisine, pour une durée de travail de 151,67 heures et une rémunération mensuelle brute de 1521,25 euros soit 1.212 euros nette imposable, alors qu'elle était de 2.956,42 euros en 2015.

Le préjudice s'établit comme suit :

- du 15 mai au 31 décembre 2018, sur la base de son salaire net de l'année 2015, soit 35.477 euros, sa perte de gains est de 22.453 euros (35.477 euros × 231 jours) / 365 jours), et après revalorisation, comme demandé, de 23.184,81 euros,

- en 2019, sa perte de gains est de 31.752 euros (35.477 euros - 3.725 euros gains de 2019), et après revalorisation, de 32.786,89 euros,

- en 2020 :

Mme [H] et M. [P] ont eu un enfant, [U], né le [Date naissance 3] 2020.

Mme [H] s'est donc trouvée en congé de maternité jusqu'en avril 2020 ouvrant droit à des indemnités journalières.

Elle a perçu :

- en mai 2020 un salaire net de 1.138,10 euros pour une activité partielle de 126 heures,

- en juin 2020 un salaire net de 1.143,15 euros pour une activité partielle de 114 heures

- en juillet 2020 un salaire net de 1.142,15 euros pour une activité partielle de 76 heures.

Il s'ensuit que bien que figure la mention d'une activité partielle sur ses bulletins de paye, Mme [H] a perçu l'intégralité de son salaire pour les trois mois considérés, de sorte qu'il n'y a pas d'incidence sur le calcul des pertes de gains.

En revanche, entre août et décembre 2020 ses bulletins de paye mentionnent : 'absences non rémunérées', et Mme [H] n'a perçu de ce fait, aucun salaire. Elle ne peut prétendre à aucune perte de gains imputable aux conséquences de l'attentat durant cette période, volontairement non travaillée.

Son avis d'impôt sur le revenu 2021 fait état d'un revenu pour l'année 2020 de 8.453 euros, incluant les indemnités journalières réglées durant son congé de maternité.

En définitive, pour l'année 2020, son préjudice est le suivant :

Mme [H] aurait dû percevoir entre janvier et juillet 2020, la somme de 20.694,94 euros (2.956,42 euros x 7 mois ).

Elle a perçu 8.453 euros, soit une somme à lui revenir de 12.241,94 euros, et après revalorisation, de 13.091,90 euros,

- en 2021 jusqu'en mars 2022 : Mme [H] a fait le choix de ne pas travailler. Ses bulletins de paye jusqu'en mars 2021 mentionnent : 'absences non rémunérées', puis elle a pris un congé sans solde entre avril 2021 et mars 2022.

Elle ne peut prétendre à aucune perte de gains imputable aux conséquences de l'attentat, durant cette période volontairement non travaillée.

Sur la période à compter d'avril 2022

A compter du 4 avril 2022, Mme [H] a été embauchée par la société Ekwateur en contrat à durée indéterminée, en qualité de chef de projet avec le statut de cadre, moyennant un salaire de 2.852,16 € nets mensuels.

Sur la base d'un différentiel de 100 euros par mois par rapport à son salaire de 2015, soit 1.200 € nets annuels, comme demandé, et en procédant par capitalisation par référence à l'euro de rente jusqu'à 65 ans du barème de capitalisation de la Gazette du Palais 2022, qui est le mieux adapté aux données économiques et sociologiques actuelles, pour une femme de 35 ans, son âge en avril 2022, le préjudice est de : 1.200 euros × 29,338 = 35.205,60 €

Dès lors, le montant total des pertes de gains futurs s'élève à la somme de 104.269,20 euros (23.184,81 euros + 32.786,89 euros + 13.091,90 euros + 35.205,60 euros).

- incidence professionnelle

Mme [H] demande la somme de 100.000 euros, en faisant valoir que le travail qu'elle a retrouvé est un travail alimentaire et qu'elle subit une pénibilité dans l'emploi.

La JIVAT lui a alloué la somme de 6.000 euros au titre de la pénibilité accrue.

Sur ce

La cour constate que Mme [H] a très peu exercé dans le domaine de la cuisine, puisqu'à la suite de la naissance de son fils, elle n'a pas poursuivi son projet de fabrication et vente de pâtisseries, ainsi que d'animation d'ateliers cuisine, en dépit du contrat qui la liait avec la coopérative Coopaname.

Elle ne rapporte pas la preuve de ce qu'elle aurait interrompu cette activité dans laquelle elle s'était réorientée faute de pouvoir en tirer un salaire, ni de ce qu'elle aurait repris un emploi proche de celui qu'elle faisait auparavant sans en retirer de gratifications.

Elle prétend d'ailleurs, sans communiquer aucune preuve justificative, continuer à faire fonctionner son entreprise de vente de cours de cuisine en ligne, en espérant un jour pouvoir en tirer un salaire.

En considération de ces éléments, la cour retient exclusivement la pénibilité accrue dans l'emploi et confirme le jugement entrepris qui lui a alloué la somme de 6.000 euros au titre de l'incidence professionnelle.

Préjudices extra-patrimoniaux :

*Avant consolidation

- déficit fonctionnel temporaire

L'incapacité fonctionnelle partielle subie par la victime durant la maladie traumatique pour la période antérieure à la date de consolidation ainsi que sa perte de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante et la privation de ses activités privées souffertes durant cette même période sont indemnisées sur la base d'un taux journalier de 30 euros pour un déficit fonctionnel temporaire total par la somme de 8.422,50 euros.

- souffrances et préjudice d'angoisse de mort imminente

Mme [H] a été indemnisée par la JIVAT au titre du préjudice de souffrances incluant le préjudice d'angoisse de mort imminente par la somme de 70.000 euros.

Elle demande, en application de la jurisprudence récente de la chambre mixte de la Cour de cassation, qui consacre l'autonomie de ces deux postes de préjudice, la somme de 50.000 euros au titre des souffrances endurées et celle de 60.000 euros au titre du préjudice d'angoisse de mort imminente, tandis que le FGTI offre respectivement 30.000 euros et 10.000 euros.

sur préjudice d'angoisse de mort imminente

En l'espèce, ce préjudice est constitué par le traumatisme subi par Mme [H] lorsqu'elle a pris conscience de la gravité de la situation, au moment où, après avoir entendu les premiers coups de feu vers 21h 40, sans bien comprendre ce qu'il se passait, elle a vu le visage apeuré et la fuite précipitée d'un des guitaristes.

Avec son compagnon, elle s'est accroupie, et est sortie en rampant avec d'autres personnes derrière des fauteuils, alors que des coups de feu retentissaient et que des gens criaient. .

Mme [H] raconte que certaines personnes étaient tétanisées : 'il a fallu les motiver un peu, j'ai dû dire : avancez s'il vous plaît, ne levez pas la tête, des choses comme ça'...

'Je me suis forcée à ne pas regarder en bas, vers les coups de feu et les cris. J'ai tout de même légèrement tournée la tête. C'est la première fois que je voyais des personnes décédées, et il y avait des tas de personnes ensanglantées'.

Elle relate qu'une fois arrivée au bout de l'allée des sièges, il y avait une sorte de sas, avec au plafond, une trappe qu'une personne est parvenue à ouvrir et qui a aidé les gens à monter ; que d'un commun accord, les femmes et les plus jeunes ont été sortis en premier. Cette trappe conduisait au toit, relativement plat et grâce à une échelle de secours, il a été possible d'accéder à un appartement dont l' occupant les a recueillis, aux environs de 22 heures. Elle précise qu'ils étaient une cinquantaine et qu'ils y sont restés pendant environ 1h 15 ou 1 h30, avant l'intervention du RAID ou du GIGN.

Elle ajoute : 'même si les coups de feu étaient loin, j'avais peur que les personnes armées nous trouvent ou qu'ils fassent exploser le Bataclan ou l'immeuble mitoyen à la salle de spectacles, dans lequel nous étions. J'ai vu des hommes sur le toit et nous avons vu les viseurs de leurs armes pointer dans l'appartement. Nous avons attendu assez longtemps l'arrivée des forces de l'ordre (vers 1h, 1h15 )'. Elle dit être rentrée à son domicile à 2 heures du matin.

Mme [H] a été exposée au risque de mort et a craint pour sa vie depuis les premiers coups de feu qui ont retenti dans la salle du Bataclan, jusqu'au moment où, prise en charge par les forces de l'ordre, elle a pu quitter l'appartement où elle s'était se réfugiée.

Le préjudice d'angoisse de mort imminente est réparé par la somme de 40.000 €.

sur les souffrances

Les événements traumatiques auxquels Mme [H] a été confrontée, entre les premiers coups de feu et sa sortie de l'immeuble avec les forces de l'ordre, puis la vision à l'extérieur, des personnes décédées allongées au sol et blessées, ainsi que les souffrances psychologiques endurées jusqu'à la consolidation, justifient l'octroi de la somme de 30.000 euros.

*Après consolidation

- déficit fonctionnel permanent

La JIVAT a alloué à Mme [H] la somme de 20.350 euros, qu'elle demande de porter à 55.000 euros compte tenu des séquelles qu'elle conserve, c'est à dire un stress post traumatique de type anxieux, en exposant que le barème du Concours Médical 2001 est obsolète et que le barème le plus approprié pour assurer la réparation intégrale des victimes des actes de terrorisme est le Guide/ Barème des Invalidités applicable au titre du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, qui se révèle plus conforme à la réalité des préjudices subis.

En réponse, le FGTI fait valoir que s'il est donné aux victimes d'actes de terrorisme le statut de victimes civiles de guerre, ces victimes ne font pas partie du personnel militaire en exercice de sorte que l'indemnisation de leurs préjudices ne peut relever que du droit commun ce qui justifie de faire application du barème du Concours Médical lequel de plus participe à l'égalité de traitement de toutes les victimes.

Sur ce,

Le préjudice de Mme [H] est réparé en droit commun.

La disposition du jugement qui a alloué la somme de 20.350 euros sur la base du taux de 10 % retenu par l'expert, qui n'est pas autrement discutée, est confirmée.

- préjudice d'agrément

Mme [H] demande l'infirmation du jugement qui lui a alloué une indemnité de 5.000 euros, afin d'obtenir la somme de 15.000 euros, au motif qu'elle ne peut plus se rendre comme elle le faisait auparavant, très régulièrement au concert.

Le FGTI qui avait conclu en première instance au rejet de la demande, admet la décision

compte tenu de la difficulté rencontrée par Mme [H] pour se rendre à des concerts.

Ce préjudice a été exactement réparé par le tribunal. Le jugement est confirmé.

- préjudice d'établissement

Ce poste de préjudice indemnise la perte d'espoir et de chance de réaliser un projet de vie familiale en raison de la gravité du handicap.

Mme [H] et M. [P] ayant eu un enfant, [U], né le [Date naissance 3] 2020, ce préjudice n'est pas caractérisé.

Le jugement qui a rejeté la demande mérite d'être confirmé.

- préjudice exceptionnel spécifique des victimes de terrorisme

Mme [H], qui sollicite la somme de 50.000 euros, soutient avoir été plongée au c'ur d'une scène de guerre faisant échos aux conflits armés au Moyen-Orient, et fait valoir que ses séquelles, qui s'analysent en 'blessures de guerre', ont pris une résonnance particulière générant un préjudice extra-patrimonial spécifique qui n'a pas été déjà réparé par un autre poste de préjudice.

Le FGTI conclut à la confirmation du jugement qui a alloué à la victime, la somme de 30.000 euros.

Sur ce,

Le poste des préjudices permanents exceptionnels indemnise des préjudices extra-patrimoniaux atypiques, directement liés au handicap permanent qui prend une résonnance particulière pour certaines victimes en raison soit de leur personne, soit des circonstances et de la nature du fait dommageable, notamment de son caractère collectif pouvant exister lors de catastrophes naturelles ou industrielles ou d'attentats.

Pour pouvoir ouvrir droit à réparation au titre du préjudice permanent exceptionnel, il appartient à la victime de justifier qu'en raison de ces éléments, ses séquelles ont pris une résonnance particulière générant un préjudice extra patrimonial qui n'a pas déjà été réparé par un autre poste de préjudice.

Contrairement à ce qu'elle avance, Mme [H] qui souffre d'un stress post-traumatique de type anxieux, a bien été indemnisée de ces séquelles. Elle ne produit aucune pièce notamment médicale, postérieure au rapport d'expertise médicale qui a retenu cet état de stress post traumatique représentant un taux de déficit fonctionnel permanent de 10 %.

En conséquence, elle ne caractérise pas de préjudice extra patrimonial autre que ceux déjà mentionnés, qui serait généré par la résonnance particulière que prendrait son handicap.

Il s'ensuit qu'elle n'établit pas avoir subi un dommage non réparé à un autre titre. Le FGTI maintenant son offre au titre du PESVT, le jugement entrepris est confirmé de ce chef.

Les sommes allouées étant de nature indemnitaire, les intérêts courront à compter du jugement à concurrence des sommes allouées par celui-ci et à compter du présent arrêt pour le surplus. Il est fait droit à la demande de capitalisation dans les conditions fixées par l'article 1343-2 du code civil emporteront intérêts au taux légal à compter du jugement à concurrence des sommes allouées par celui-ci et à compter du présent arrêt pour le surplus.

Sur l'article 700 du code de procédure civile

Le FGTI soutient à tort que par application des articles L. 126-1 du code des assurances et des articles L. 422-1 à L. 422-3 et R. 422-1 à R. 422-9 du même code, qui prévoient qu'il n'intervient que dans la réparation des dommages résultant des atteintes à la personne subis par les victimes qui y sont visées, la prise en charge des frais de procédure serait exclue.

Il n'est pas davantage fondé à prétendre que Mme [H], en sa qualité de victime d'actes de terrorisme, bénéficie de l'aide juridictionnelle totale, de droit, sans condition de ressources, conformément à l'article 9-2 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, et que dès lors si elle n'en sollicite pas le bénéfice de ces dispositions, elle doit nécessairement en assumer la contrepartie.

En effet, rien n'oblige la victime d'un acte de terrorisme à solliciter le bénéfice de l'aide juridictionnelle, et aucune disposition ne lui interdit si elle y a renoncé, de se prévaloir des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

L'équité commande d'allouer à Mme [H] qui a fait le choix de ne pas recourir au bénéficie de l'aide juridictionnelle, la somme de 5.000 euros en cause d'appel et le jugement est confirmé en ce qu'il lui a alloué la somme de 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Statuant dans la limite des appels interjetés,

Infirme partiellement le jugement déféré,

Statuant à nouveau,

Condamne le FGTI à payer en deniers ou quittances, provisions et somme versée en vertu de l'exécution provisoire non déduites à Mme [Z] [H] en réparation de son préjudice corporel, les sommes suivantes :

- 160 euros au titre de la tierce personne temporaire,

- 70.614,62 euros au titre des pertes de gains professionnelles actuels,

- 104.269,20 euros au titre des pertes de gains professionnels futurs

- 8.422,50 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire,

- 30.000 euros au titre des souffrances,

- 40.000 euros au titre du préjudice d'angoisse de mort imminente,

Dit que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter du jugement à concurrence des sommes allouées par celui-ci et à compter du présent arrêt pour le surplus,

Dit que les intérêts échus des capitaux produiront intérêts dans les conditions fixées par l'article 1343-2 du code civil,

Confirme pour le surplus, le jugement déféré,

Y ajoutant,

Dit le présent arrêt commun à la CPAM de [Localité 6],

Condamne, en cause d'appel, le FGTI à payer à Mme [Z] [H] la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Laisse les dépens de première instance et d'appel à la charge de l'État,

Dit que les avocats en la cause en ayant fait la demande, pourront, chacun en ce qui le concerne, recouvrer sur la partie condamnée ceux des dépens dont ils auraient fait l'avance sans avoir reçu provision en application de l'article 699 du code de procédure civile.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 4 - chambre 12
Numéro d'arrêt : 22/05702
Date de la décision : 02/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-02;22.05702 ?
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